Intervention de Jean Louis Masson

Réunion du 16 mai 2019 à 10h30
Entrée en fonction des représentants au parlement européen élus en france en 2019 — Question préalable

Photo de Jean Louis MassonJean Louis Masson :

J’ai essayé de soulever, en commission, le problème du financement, notamment bancaire, des campagnes électorales dans le cadre des élections européennes. Mon intervention n’a pas été bien reçue, mais je veux quand même profiter de l’examen de ce texte relatif aux élections européennes pour évoquer la problématique du financement, par les banques, des campagnes électorales.

Par le passé, le financement des campagnes électorales était pour le moins opaque. Aux alentours de 1990, plusieurs affaires judiciaires ont été à l’origine d’une réglementation qui a plafonné les dépenses électorales, puis qui a, surtout, interdit les dons de personnes morales. En contrepartie, l’État a pris en charge les dépenses engagées par les candidats jusqu’à la moitié du plafond autorisé.

Pour les élections où le plafond de dépenses est élevé – élections présidentielle, européennes ou régionales –, le système atteint toutefois ses limites, car les candidats doivent avancer des sommes considérables, et ils ne sont remboursés que plus de six mois après l’élection en question. De ce fait, ils sont obligés de souscrire des emprunts auprès des banques.

Or on constate que, selon leurs affinités politiques, les banques pratiquent une discrimination entre les candidats. En général, elles accueillent avec beaucoup de bienveillance les demandes d’emprunt formulées par les partis dits « bien-pensants » ; au contraire, les partis qui contestent le système dominant sont, eux, victimes d’un ostracisme systématique. Lors de l’élection présidentielle de 2017, le Front national avait ainsi été obligé de souscrire un prêt auprès d’une banque étrangère, car les banques françaises lui refusaient tout financement.

En matière électorale, l’argent est le nerf de la guerre et un parti qui est privé de moyens financiers pour faire campagne, subit un handicap rédhibitoire.

Si une banque accorde un prêt à un candidat et le refuse à d’autres, le bénéficiaire profite, à l’évidence, d’un avantage en nature par rapport à ses concurrents. Or un tel avantage accordé par une personne morale est interdit.

La Commission nationale des comptes de campagne et des financements politiques, la CNCCFP, est très vigilante dans certains domaines. Par exemple, lorsqu’un candidat bénéficie gratuitement d’une salle municipale pour tenir une réunion, la CNCCFP exige la preuve que les autres candidats sont traités sur un pied d’égalité ; à défaut, elle pénalise le compte de campagne du bénéficiaire de la salle.

Or une location de salle correspond à un avantage insignifiant par rapport à un prêt bancaire, lequel peut s’élever à plusieurs millions d’euros pour une élection nationale. Il est donc vraiment regrettable que la CNCCFP, le Conseil constitutionnel et le Conseil d’État n’aient pour l’instant pas réagi à l’encontre des discriminations pratiquées par les banques.

Le problème est incontestable et il faut rendre hommage à François Bayrou, l’éphémère garde des sceaux du premier gouvernement d’Édouard Philippe, d’avoir évoqué le problème en proposant la création d’une banque de la démocratie.

Malheureusement, les partis politiques dominants sont également ceux qui profitent du système, car leurs réseaux d’influence leur permettent d’obtenir des prêts sans grande difficulté.

Ainsi avantagés par rapport aux autres partis politiques, ils ne souhaitent pas que cela change. Lors du débat parlementaire, à l’Assemblée nationale comme au Sénat, les grands partis se sont entendus pour torpiller l’idée d’une banque de la démocratie. À la place, ils ont créé un ectoplasme, à savoir le médiateur du crédit.

En effet, non seulement ce dernier a une efficacité totalement nulle, mais il nie l’existence de tout problème et justifie les discriminations pratiquées par les banques.

Lors des élections européennes de 2019, certains candidats ont été de nouveau confrontés aux mêmes difficultés que lors de la présidentielle de 2017. En l’espèce, le remboursement forfaitaire maximal de l’État est de 4, 37 millions d’euros pour les listes atteignant le seuil requis de 3 % des suffrages exprimés. Les listes ayant, selon des sondages constants, la quasi-certitude de dépasser ce seuil auraient donc dû pouvoir emprunter sans problème auprès des banques.

Pourtant, dès le début de la campagne, la presse a évoqué l’impossibilité pour certains partis politiques de souscrire des emprunts auprès des banques. Ce n’est d’ailleurs pas un hasard si les exemples les plus cités sont ceux de partis qui contestent la pensée dominante : l’un à l’extrême droite, le Rassemblement national, ou RN, l’autre à l’extrême gauche, La France insoumise, ou LFI.

Cela est d’autant plus inacceptable que tous les sondages donnent la liste du Rassemblement national en première ou en deuxième position, avec plus de 20 % des suffrages. Ils donnent également la liste LFI aux environs de 9 %, soit trois fois plus que le seuil requis pour le remboursement.

À très juste titre, un représentant de la liste du Rassemblement national a fait le triste constat, dans Le Figaro du 6 février dernier, qu’il revient « désormais aux banques de dire qui a le droit de se présenter ou non. ». De son côté, dans le même journal, un membre de la liste LFI indique : « Ce n’est pas aux banques de décider quelles sont les bonnes idées et quelles sont les mauvaises. C’est au peuple français de se prononcer. »

Dès février 2019, il était évident que le médiateur du crédit, qui venait d’être mis en place, ne servait à rien. Pire encore, les discriminations bancaires lui semblaient acceptables. Ainsi, toujours dans Le Figaro du 6 février 2019, au sujet de la liste du Rassemblement national, il indiquait : « Il y a un certain nombre de critères à respecter. Celui de la solvabilité ne pose pas problème pour le Rassemblement national. Celui de la conformité, de la réputation et de l’image, c’est une autre chose. »

Ce pseudo-médiateur du crédit trouve donc normal qu’une banque défavorise un candidat en fonction de sa réputation au sein des pseudo-élites du microcosme politique. À mon avis, c’est scandaleux.

Dans un article du 6 avril 2019, le journal Le Monde a relancé le débat sous le titre « Européennes : les partis peinent à financer leur campagne ». À lui seul, cet article prouve que les banques ont choisi leur camp, et ce d’autant plus que le directeur d’une grande banque française s’englue dans de fausses explications : « C’est une mauvaise querelle qui nous est faite. Des partis sans financement public parce qu’ils n’ont pas de parlementaires, avec peu de ressources et peu de garanties de franchir le seuil des 3 %, se posent en victimes. Mais les banques ne peuvent pas financer une activité à fonds perdu dès le départ. Ce serait quasiment du don. »

C’est vrai, mais ce n’est pas du tout ce qui est pratiqué. À l’évidence, ce directeur aurait mieux fait de se taire, puisque le Rassemblement national remplit toutes les conditions énoncées : il bénéficie d’un financement public, il a des parlementaires et tous les sondages indiquent qu’il va pulvériser le seuil de 3 %. C’est bien la preuve du double langage du système bancaire.

Dans le même article, le médiateur du crédit réagit, une nouvelle fois, en totale contradiction avec sa mission. En effet, à l’égard des candidats victimes des banques, il propose une solution pour le moins surprenante : « Il n’est pas anormal de faire appel aux militants pour financer une campagne, les partis sont aussi faits pour ça. » Ainsi, selon lui, i1 y aurait deux catégories de candidats : d’une part, ceux qui ont le soutien des banques et qui, avec leur aide, peuvent financer sans problème leur campagne ; d’autre part, les victimes des banques qui n’ont qu’à se débrouiller, soit en faisant appel aux militants afin de rassembler les 4, 37 millions d’euros correspondant au futur remboursement par l’État, soit en faisant campagne avec un handicap considérable par rapport à ceux qui sont aidés par les banques.

Lors de la réunion de la commission des lois du 10 avril 2019, j’ai fait part de ma profonde indignation à l’égard du fonctionnement des banques. On ne peut refuser un prêt à des candidats, dont les sondages montrent qu’ils obtiennent largement plus de 10 % des intentions de vote, au seul motif que l’on craigne qu’ils n’atteignent pas le seuil de 3 %. Ce sont véritablement de faux arguments. Nous ne sommes plus en situation d’égalité des chances. Comme je l’ai souligné alors : « Si ce n’est pas de l’ostracisme, je ne vois pas ce que cela peut être. Il y a clairement du favoritisme au profit de certains et au détriment d’autres. En toute honnêteté, je ne suis pas sur la liste du Rassemblement national, mais je ne trouve pas normal qu’il y ait de telles discriminations. » C’est manifestement un avantage en nature au profit des partis qui bénéficient sans problème de prêts des banques.

Il est donc absolument indispensable de garantir l’égalité de traitement entre candidats en créant une obligation pour les organismes bancaires d’accorder les mêmes conditions à tous les candidats. À défaut, il faut que le candidat ayant bénéficié des conditions les plus favorables soit réputé avoir reçu un avantage en nature de la part d’une personne morale. Le candidat et l’organisme bancaire seraient alors passibles des sanctions prévues pour la violation de l’article L. 52-8 du code électoral.

Je regrette vivement qu’il n’ait pas été possible, lors des travaux en commission ou même en séance, de traiter correctement ce problème. Il s’agit d’une réelle discrimination. On ne peut, comme le laisse entendre un directeur de banque, favoriser un parti au détriment d’un autre dont les idées ne nous conviennent pas.

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