Intervention de Jean Bizet

Réunion du 16 mai 2019 à 10h30
Entrée en fonction des représentants au parlement européen élus en france en 2019 — Discussion générale

Photo de Jean BizetJean Bizet :

Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, dans une tribune publiée le 16 mars dernier, Theresa May affirmait : « L’idée que les Britanniques se rendent aux urnes pour élire des députés européens, trois ans après avoir voté pour quitter l’Union européenne, est à peine supportable. Il ne saurait y avoir de symbole plus fort de l’échec politique collectif du Parlement. » On ne peut être plus clair…

Deux mois après cette déclaration de la Première ministre britannique, l’échec politique contre lequel elle mettait en garde la Chambre des communes est pourtant bel et bien consommé et il est désormais acquis que nous assisterons, le 23 mai prochain, à l’organisation ubuesque d’élections européennes outre-Manche.

En effet, malgré la voix dissonante, mais isolée, de la France, les chefs d’État et de gouvernement des Vingt-Sept se sont entendus, le 10 avril dernier, pour reporter de nouveau le Brexit. Après l’échéance initiale du 29 mars, repoussée une première fois au 12 avril, c’est donc désormais le 31 octobre prochain, au plus tard, que le Royaume-Uni quittera finalement l’Union européenne.

Si l’on peut naturellement se féliciter qu’un certain réalisme politique ait prévalu afin d’écarter provisoirement le spectre du scénario catastrophe d’un no deal, la durée de cette prolongation ne peut, en revanche, nous satisfaire.

D’une part, elle allonge de six mois les incertitudes liées au Brexit, ce qui est dommageable d’un point de vue tant économique, en empêchant les entreprises de prendre des décisions fondées sur un horizon clair, que politique, en détournant l’Union européenne d’une tâche ô combien plus urgente, celle de son indispensable refondation face aux nombreux défis qui se posent à elle.

D’autre part, ce nouveau calendrier non seulement vient parasiter le déroulement d’élections européennes particulièrement décisives, mais il risque également de perturber le bon fonctionnement des institutions européennes au moment même où des décisions structurantes devront être prises.

Certes, le Gouvernement britannique s’est engagé, d’ici au Brexit effectif, à faire preuve de coopération loyale, c’est-à-dire à s’abstenir de prises de position qui pourraient entraver l’autonomie décisionnelle de l’Union européenne comme, par exemple, l’utilisation de son droit de veto pour bloquer l’adoption du cadre financier pluriannuel ou pour compliquer la désignation du prochain collège des commissaires.

Toutefois, rien d’autre que cet engagement moral n’empêchera le Royaume-Uni de voter comme il l’entend au Conseil, car il en restera membre de plein droit. En outre, ce principe de coopération loyale ne s’appliquera en rien aux députés européens britanniques, et c’est là qu’est le problème.

On peut sérieusement douter que derniers, et en particulier les élus du Brexit party, la nouvelle formation créée par Nigel Farage donnée largement en tête des intentions de vote, se sentent liés par l’engagement de Mme May et qu’ils acceptent de s’y soumettre. Je souscris malheureusement pleinement au portrait que vient d’en dresser notre collègue Olivier Cadic.

Plus largement, il ne saurait être question de restreindre de quelque manière que ce soit la capacité des députés britanniques régulièrement élus à participer pleinement aux travaux du Parlement européen, mais on ne peut que s’interroger sur le rôle et le type d’influence qu’ils pourraient y exercer, a fortiori dans une institution où les réunions en « format article 50 » n’existent pas.

Dès lors, si les dirigeants européens ont jusqu’ici fait preuve d’une grande patience vis-à-vis des atermoiements du Royaume-Uni, celle-ci ne saurait être sans limites. D’autant que la patience des électeurs britanniques semble, elle, avoir atteint les siennes. Leur exaspération s’est ainsi traduite lors des récentes élections locales par la lourde sanction qu’ils ont infligée aux deux grands partis traditionnels, qu’ils tiennent – à juste titre – pour responsables des blocages sur le Brexit.

Espérons que cet avertissement incite Theresa May et Jeremy Corbyn à accélérer les discussions bipartisanes qu’ils conduisent actuellement et dont on se demande d’ailleurs pourquoi elles n’ont pas été lancées plus tôt.

La semaine dernière, les députés britanniques que j’ai rencontrés à Londres puis à Édimbourg, avec le président Cambon, ne nous ont pas fait mystère qu’ils ne voteraient pas les orientations proposées, et ce même si leurs chefs de parti devaient parvenir à s’entendre.

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