Je veux maintenant répondre à certaines objections qui ont été faites.
À propos de la méthode, un sénateur a déploré que l’on ait amélioré le texte par voie d’amendement. Je veux restituer la chronologie de cette amélioration.
Nous voulions procéder ainsi, et nous l’avons dit, dès le départ. Dès le mois d’octobre 2018, Sophie Cluzel et moi avons initié une concertation devant durer jusqu’en février, et nous avons annoncé que nous pourrions prendre des mesures à l’issue de cette concertation. Vu le processus législatif, cela impliquait de procéder par voie d’amendement, ce que nous avons fait.
Cela a présenté un double avantage. Premièrement, cela nous a permis d’écouter le Parlement – d’abord, l’Assemblée nationale, puis, aujourd’hui, le Sénat –, de façon à améliorer le texte. Deuxièmement, cela nous a permis de le faire sur le fondement non d’une quelconque improvisation mais d’une concertation qui a duré plusieurs mois.
Il est arrivé que certains fassent semblant d’ignorer cette concertation et nous accusent, par exemple, de ne pas prendre en compte telle proposition de loi qui, étonnamment, avait été déposée quelques jours à peine avant la concertation. Or c’est justement celle-ci qui devait conduire à quelque chose sur le plan législatif.
Il est aussi arrivé que l’on interprète cela comme du dédain pour le sujet, alors que l’objectif était de préparer la rentrée de 2019, ce que nous sommes en train de faire au travers de ce qui vous est proposé aujourd’hui.
Ainsi, grâce aux débats d’aujourd’hui, nous pouvons remettre les choses sur les rails, et toute personne de bonne foi souhaitant la réalisation d’une école inclusive meilleure doit adopter cette tonalité, qui permet d’améliorer les choses par le dialogue.
La concertation a produit des éléments extrêmement intéressants. D’abord, elle a conduit au constat d’une relative inefficacité de notre système et d’une relative frustration. Beaucoup a été accompli depuis vingt ans, mais ces accomplissements sont insuffisants ; du reste, la précarité des accompagnants, ce n’est certainement pas ce gouvernement qui l’a créée ; c’est au contraire la situation que nous avons trouvée.
Qu’a-t-on fait depuis une bonne quinzaine d’années ? On a recruté des personnes en contrat aidé, les unes après les autres ; ce faisant, on a engendré de la frustration chez les titulaires de ces contrats, qu’ils estimaient trop précaires, et chez les familles, car cette précarité avait toute une série de conséquences négatives sur l’accompagnement de leurs enfants. Telle est la situation, je le répète, que nous avons trouvée.
On a déjà procédé à quelque chose de très important – ce n’est pas une promesse pour le futur, c’est une avancée déjà accomplie – : il s’agit de la transformation progressive des contrats aidés en AESH. Cette transformation est déjà, en soi, un progrès, mais elle n’est pas un progrès suffisant, dans la mesure où, très souvent, les AESH sont à temps partiel et que leur rémunération reste, dans la situation actuelle, faible. C’est aussi cela que nous avons voulu améliorer au travers du nouveau dispositif. Je veux résumer celui-ci en deux points, ce qui me permettra d’atteindre l’objectif de concision, car c’est quand même l’occasion d’exposer la logique que nous nous suivons.
Je considère que la rentrée prochaine représentera un véritable changement de paradigme, qui permettra de parler de service public de l’école inclusive.
Pourquoi parler de « service public de l’école inclusive » ? Tout d’abord, parce que nous allons faire évoluer la situation des accompagnants : les contrats de trois ans des quelque 80 000 accompagnants du système scolaire, renouvelables une fois, déboucheront sur un CDI. Il s’agit d’une amélioration considérable par rapport à la situation antérieure, avec des effets en chaîne au bénéfice et des élèves et des accompagnants.
Ce système nous permettra d’avoir des AESH à plein-temps plus nombreux, mieux payés et avec des perspectives de carrière et de formation réelles. Nous voulons faire en sorte qu’ils obtiennent un CDI au bout de six ans, non pas de manière automatique – il me semble normal, au regard des règles de fonctionnement de l’État, d’évaluer leurs compétences –, mais dans l’immense majorité des cas. Pérenniser ces 80 000 postes constitue un effort considérable, notamment dans le contexte budgétaire que nous connaissons.
L’État consacre aujourd’hui 2, 5 milliards d’euros à cette politique de l’école inclusive. Pour autant, le diagnostic qu’établissent les acteurs eux-mêmes et les observateurs internationaux n’est pas bon. Ces derniers nous disent que le Danemark ou l’Italie, par exemple, font mieux que nous. De même pour le Canada, qui consacre pourtant moins d’argent que nous à cette question.
Je ne dis pas qu’il faut y consacrer moins d’argent – nous allons en dépenser encore davantage à la rentrée prochaine. Toutefois, il est fondamental d’apporter une amélioration qualitative, plutôt que d’affecter des contrats aidés, au fil de l’eau, en fonction de prescriptions individuelles qui conduisent inévitablement à des frustrations.
L’État n’a en effet cessé de courir après l’augmentation du nombre d’élèves en situation de handicap. Une vraie politique consiste à développer une vision beaucoup plus en amont du problème, en ce qui concerne aussi bien l’organisation du système que le cas de chaque élève, de façon à apporter, avant la rentrée, des solutions individualisées. Tel est notre objectif.
Chaque accompagnant aura donc un meilleur statut et sera mieux géré par l’éducation nationale. J’ai donné à chaque recteur la consigne de réorganiser ses ressources humaines en incluant les AESH, en les considérant comme partie intégrante du système scolaire.
C’est une révolution administrative et mentale. Je donne souvent cet exemple qui peut paraître simple, mais qui a son importance : chaque AESH disposera désormais d’une adresse e-mail officielle de son académie d’appartenance. Cette adresse électronique n’est pas un détail ; elle est tout à fait significative d’une forme d’intégration dans le système, avec une véritable gestion de carrière et avec de la considération due à chaque AESH. Au regard de leur situation antérieure, il s’agit d’un changement considérable.
Cette gestion par les rectorats nous engage et nous amène à préparer la rentrée bien plus en amont que par le passé. Je souhaite que les familles le ressentent dès le mois de juillet prochain, en étant contactées par les rectorats ou les établissements, qui leur proposeront des rendez-vous avec l’AESH ou avec l’équipe éducative. La formation de l’AESH doit également se faire en amont de la rentrée, de même que son identification par l’établissement.
Je ne puis garantir, au moment où je vous parle, que nous parviendrons à ce résultat dans 100 % des cas dès la prochaine rentrée. Mais nous voulons tendre vers ce chiffre, et nous devrons y arriver, rentrée après rentrée.
Il s’agit d’une réelle amélioration et je ne comprends pas que l’on puisse la qualifier de « limitée » ou, pis encore, la décrire comme une régression. Tous ceux qui parlent ainsi seront contredits par les faits au cours des prochains mois.
Peut-être ce progrès paraît-il insuffisant à certains – nous allons en débattre –, mais il constitue bien une avancée. Et chaque fois que l’on décrit un progrès comme une régression, on contribue à l’amoindrir. Il s’agit de sujets certes techniques, mais aussi psychologiques. Chacun d’entre nous, selon la façon dont il en parle, est une partie de la solution. Mais nous pouvons aussi faire partie du problème si nous caricaturons les choses.
Nous pouvons également parler de service public de l’école inclusive, parce que, dès la rentrée prochaine, près de 3 000 collèges seront organisés autour des pôles inclusifs d’accompagnement localisés, les PIAL. Là aussi, j’entends des critiques et des craintes – je suis là pour les dissiper –, notamment autour de la notion de mutualisation.
Le premier intérêt des PIAL c’est d’offrir une gestion au plus près de chaque élève. C’est de cette façon que fonctionnent les pays que j’ai mentionnés à l’instant. Ce dispositif ne vient pas de nulle part : il est le fruit d’observations internationales et de concertations. Nous voulons que le handicap soit géré depuis l’établissement, là où l’on peut être le plus pragmatique et définir ce qui convient le mieux à l’élève.
Oui, dans certains cas, il faut un accompagnement individualisé ; oui, dans d’autres, il faut un accompagnement mutualisé, et cela non seulement pour des questions de bonne gestion – ce n’est d’ailleurs pas un gros mot –, mais parce que c’est préférable pour tout le monde, à commencer par les enfants.
Nous ne voulons pas mettre en place un suivi cloisonné. Au contraire, nous voulons mener un travail d’équipe. Il n’est pas forcément une bonne chose que les trois élèves en situation de handicap d’une même classe aient chacun un AESH.
On pourrait nous soupçonner de vouloir faire des économies, mais nous créons encore plus de nouveaux postes d’AESH que nous ne supprimons de contrats aidés. Ces milliers de postes créés témoignent de notre volonté d’utiliser les ressources dans l’intérêt de l’enfant. Les faits le démontreront.
J’espère que nous pourrons généraliser les PIAL, que nous avons déjà expérimentés à petite échelle et qui ont fait leurs preuves. Ils permettent en effet d’adopter cette vision au plus près du terrain. Ce sera un progrès qualitatif considérable, également pour les AESH eux-mêmes. Si dix d’entre eux sont affectés à un PIAL, ils pourront avoir un temps plein plus facilement, leur service étant calculé sur la semaine.
Le pourcentage d’AESH à temps plein est aujourd’hui extrêmement faible, de l’ordre de 2 % ou 3 % ; dès la rentrée prochaine, nous espérons atteindre un taux de 30 %, qui augmentera par la suite – étant entendu que tous les AESH ne désirent pas un temps plein. Concrètement, au lieu de gagner 700 euros par mois en moyenne, ils gagneront environ 1 200 euros. Ce changement très important ne saurait être minimisé.
Il s’agit d’évolutions considérables. Il en faut davantage, certains d’entre vous l’ont dit, notamment en matière de formation des professeurs ou de prise en compte de certains types de problèmes qui relèvent du handicap ou du diagnostic médical, tous phénomènes que notre société révèle davantage aujourd’hui et qui vont de pair avec la personnalisation des parcours.
Nous voulons faire preuve de beaucoup de pragmatisme, parce que l’école inclusive ne consiste pas simplement à affecter un AESH à un élève en situation de handicap, sans se soucier de ses caractéristiques propres. Au contraire, c’est être capable d’adopter une vision personnalisée pour chacun. Je sais bien que certains professeurs, notamment à l’école primaire, estiment que nous procédons de manière trop indifférenciée.
Il est donc essentiel de coopérer avec le monde médico-social, et c’est toute l’importance du travail interministériel accompli avec Sophie Cluzel et Agnès Buzyn. Les PIAL vont permettre une coopération de terrain bien plus forte entre établissements scolaires et établissements médico-sociaux.
Nous ne partons pas de zéro. Des progrès considérables ont déjà été accomplis. Je visite souvent des établissements qui disposent d’équipements remarquables, y compris grâce à l’aide des collectivités locales.
Pardonnez-moi d’avoir parlé aussi longuement, monsieur le président, mais ce sujet me paraissant particulièrement important, j’ai voulu tenter de répondre à toutes les interrogations. Si ce n’est la dernière fois que je parle aussi longtemps, ce sera sûrement l’avant-dernière.