Intervention de Jean-Michel Blanquer

Réunion du 16 mai 2019 à 21h45
Pour une école de la confiance — Articles additionnels après l'article 6

Jean-Michel Blanquer :

Il y a un sujet pédagogique, il y a un sujet juridique et, in fine, il y a probablement un sujet politique.

Sur le sujet pédagogique, on ne peut qu’être d’accord avec ce qui a été dit par les uns et par les autres : sur le plan cognitif, notamment, il est bon de connaître une autre langue. C’est vrai d’une langue étrangère comme d’une langue régionale.

Voilà un certain nombre d’années que l’on peut être totalement convaincu que l’apprentissage d’une autre langue, très jeune, n’est en rien nuisible, voire est positif pour l’acquisition de la langue française, comme pour les autres apprentissages. Sur ces bases, je crois qu’il peut y avoir une entente générale. C’est d’ailleurs ce qui justifie la promotion de l’enseignement bilingue.

Toutefois, au cours de nos débats, il s’est produit un saut du raisonnement. En effet, depuis la défense du bilinguisme, on en arrive à l’immersif.

Ce n’est pas tout à fait la même chose : par définition, l’immersif, c’est le multilinguisme. Ce que recouvre la notion de maternelle immersive, c’est le fait que les enfants ne parlent que la langue régionale. Le raisonnement se renverse donc, ce qui, d’un point de vue pédagogique, donne déjà largement lieu à discussion. Dans une perspective précisément cognitive, on pourrait dire que cette politique n’est pas positive, a fortiori si l’enfant est placé dans la situation d’ignorer la langue française.

D’un point de vue sociétal, vous raisonnez toujours comme si nous étions ramenés cinquante ou cent ans en arrière, à l’époque où l’on parlait la langue régionale en famille et où l’école de la République cherchait à imposer à tout prix le français aux élèves. Dans la réalité, c’est l’inverse qui se passe : on parle le français en famille et l’école de la République vient, d’une certaine façon, compenser l’extinction de la pratique de la langue régionale par un certain volontarisme, pour promouvoir la langue régionale. On assiste donc à une sorte d’inversion des rôles, que j’ai voulu pointer dans mes propos liminaires.

En clair, sur le plan pédagogique, l’immersion pose une véritable question. C’est la raison pour laquelle le rapporteur a eu raison de faire référence, non seulement sur le plan juridique, mais aussi sur le plan pédagogique, à la notion d’expérimentation, parce que celle-ci suppose l’évaluation.

Puisque les expériences immersives ont commencé il y a quelques années, acceptons-en l’augure – elles ont été faites, c’est une réalité. Comme il s’agit d’une expérimentation, celle-ci doit être évaluée. S’il en ressort quelque chose de très positif sur le plan pédagogique, peut-être pourrons-nous aller plus loin.

En attendant, nous ne saurions le consacrer d’un point de vue strictement juridique. En effet, la jurisprudence du Conseil d’État et du Conseil constitutionnel est très claire. Elle nous dit que l’on doit bien entendu favoriser les langues régionales, mais sans pour autant passer – si vous me pardonnez l’expression – de l’autre côté du cheval, c’est-à-dire sans défavoriser la langue française au point que, finalement, on ne la parle plus à l’école.

La proposition consistant à consacrer prématurément l’immersion est anticonstitutionnelle. Elle ne peut donc que recueillir du Gouvernement un avis défavorable.

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