Intervention de Alain Milon

Commission des affaires sociales — Réunion du 22 mai 2019 à 8h30
Projet de loi relatif à l'organisation et à la transformation du système de santé — Examen du rapport et du texte de la commission

Photo de Alain MilonAlain Milon, rapporteur :

L'intitulé du projet de loi que nous examinons signe une ambition riche de promesses : il entend non seulement réformer l'organisation de notre système de santé, mais également le transformer. Le contexte a par ailleurs fait naître de nombreuses attentes : les chantiers ouverts dans le cadre de la « stratégie de transformation de notre système de santé » ont fait émerger une volonté commune des acteurs de refonder un modèle décrit à juste raison comme à bout de souffle.

En dix ans, c'est le troisième texte législatif qui entend répondre à un même constat, en s'inscrivant cependant dans la continuité des précédents textes. Continuité par rapport à la réforme structurante engagée en 2009 par la loi « Hôpital, patients, santé, territoires » (HPST) pour renforcer la territorialisation des politiques de santé autour des agences régionales de santé (ARS), ou pour rénover la gouvernance hospitalière dans le prolongement du rapport de notre président Gérard Larcher. Continuité également par rapport aux outils de structuration des soins mis en place par la loi « Touraine » de 2016 - sur lesquels nos collègues Yves Daudigny, Catherine Deroche et Véronique Guillotin sont revenus en détail la semaine dernière en présentant les conclusions de leurs travaux sur l'organisation territoriale de la santé.

Le plan « Ma Santé 2022 », dont le projet de loi traduit certains engagements, se réapproprie ce mode de gouvernance et ces leviers. Il faut reconnaître le pragmatisme d'un plan d'action cherchant à consolider l'existant, quand l'instabilité juridique de politiques publiques peut conduire à décourager les porteurs de projets. Cependant, si le projet de loi traduit certaines inflexions positives, ses lacunes sont frappantes et conduisent à douter de sa capacité à opérer une réelle transformation.

Nous allons discuter en effet d'un texte d'organisation et de transformation du système de santé qui n'évoque à nul moment sa gouvernance ou ses modalités de financement. Peut-on ériger en priorité le décloisonnement des acteurs du système de santé sans remettre en cause un pilotage national qui contribue à accentuer des logiques de silos ? Peut-on véritablement adapter les moyens d'action aux besoins des territoires dans une administration de la santé toujours fortement centralisée ?

Je regrette que ce projet de loi, replié sur une ambition plus étriquée, ne pose pas les bases de telles évolutions. A défaut de pouvoir les traduire sous la forme d'amendements en raison des règles de recevabilité constitutionnelle, j'évoquerai en séance deux sujets qui me tiennent à coeur : l'architecture de notre système de prise en charge des soins, avec ses deux étages - assurance maladie de base et complémentaire - qui nous font perdre de vue les exigences d'efficience et de lisibilité ; la confiance à accorder aux acteurs locaux et aux collectivités territoriales dans la conduite des politiques de santé. Le texte échoue, à travers quelques mesures sans véritable portée, à les associer véritablement. C'est tout le lien entre l'État, à travers les ARS, et les élus du territoire, notamment à l'échelon régional, qu'il faudrait repenser.

Notre commission doit rester une force de proposition. Je vous proposerai quelques amendements, pour certains issus de travaux antérieurs, par exemple sur le rôle et la composition des conseils de surveillance des ARS.

Je regrette également que la promesse de transformation aboutisse à un texte qui ressemble à un cadre d'orientation et s'en tient souvent à la proclamation de principes ou d'objectifs généraux, les précisions étant renvoyées à des ordonnances ou décrets ultérieurs.

Désireux d'aller vite, le Gouvernement a présenté un projet de loi comprenant 23 articles, dont sept l'habilitant à légiférer par ordonnances et deux se bornant à ratifier et modifier à la marge plusieurs ordonnances. Si l'on peut comprendre la volonté de poursuivre la concertation sur des sujets majeurs comme le statut des praticiens hospitaliers, le cadre d'organisation des hôpitaux de proximité ou la réforme du régime des autorisations de soins, il eût été préférable de différer de quelques mois l'examen de certaines dispositions, de manière à ce que le Parlement puisse jouer pleinement son rôle en examinant un texte plus abouti. C'est d'autant plus vrai que le calendrier précipité a été initialement justifié par la nécessité d'adopter la réforme des études de santé avant la prochaine rentrée universitaire ; or son entrée en vigueur a été repoussée d'un an à l'Assemblée nationale.

Après son examen à l'Assemblée nationale, le texte a triplé en nombre d'articles, et en comporte désormais 73. Les ajouts consistent essentiellement en des mesures disparates, de portée inégale, qui peinent à former un ensemble structurant. Je vous propose néanmoins d'aborder ce texte dans l'esprit constructif qui caractérise les travaux de notre commission.

Le titre I réforme trois moments-clés de la formation des professionnels de santé : l'entrée dans les études de santé, le choix d'une spécialité et la formation continue au cours de l'exercice. L'article 1er et l'article 2 mettent fin à trois dispositifs emblématiques : la première année commune aux études de santé (Paces), le numerus clausus et les épreuves classantes nationales (ECN). La nouvelle philosophie de la progression dans les études repose sur une orientation plus progressive des étudiants, une plus large place faite à leurs compétences et à leur parcours, ainsi que sur l'organisation d'enseignements interprofessionnels ; elle me paraît satisfaisante et emporte le consensus de la plupart des acteurs.

Ce satisfecit porte cependant sur les seules mesures figurant dans le projet de loi, qui se borne à l'affirmation de grands principes dont la traduction concrète sera faite par décret. Comme je l'ai dit à la ministre la semaine dernière, la communication gouvernementale autour de ces mesures me paraît partiellement trompeuse. Sur le premier cycle par exemple, l'accent a été mis sur la suppression du numerus clausus : mais les effectifs d'étudiants continueront d'être à la fois contraints, ne serait-ce que par les moyens universitaires, et sélectionnés. Je crains donc que la réforme ne fasse de nombreux déçus.

L'article 3 met en place une procédure de recertification à échéances régulières au cours de l'activité professionnelle. Initialement limité aux médecins, le dispositif a été étendu à six autres professions à ordre par l'Assemblée nationale. Si cela me semble indispensable par principe, je ne connais pas la forme que cela prendra, la mise en oeuvre étant renvoyée à une ordonnance.

Compte tenu de la faible portée juridique de ce premier ensemble de mesures, vous comprendrez qu'il n'y ait guère matière à amendements. Ceux que je vous proposerai viseront principalement à améliorer la qualité de la loi en supprimant les dispositions inscrivant certains contenus de la formation des professionnels de santé dans la loi. Outre que cela n'a pas vocation à figurer au niveau législatif, l'effet pourrait en être contre-productif : qu'adviendrait-il de tout ce que nous n'aurions pas cité ?

Un deuxième ensemble porte sur l'organisation des carrières. On y trouve notamment un toilettage du contrat d'engagement de service public et un élargissement de l'exercice en tant que médecin adjoint. L'Assemblée y a ajouté plusieurs mesures ponctuelles, notamment sur les certificats de décès. La principale mesure de cet ensemble est portée par l'article 6, qui réforme l'emploi hospitalier. Ici encore, l'élaboration concrète de la réforme est renvoyée à l'ordonnance. J'ai néanmoins souhaité préciser que l'ordonnance devra aborder l'encadrement des écarts de rémunération entre les personnels titulaires et contractuels.

Je vous présenterai par ailleurs deux amendements plus substantiels : la création d'une incitation fiscale forte à l'installation rapide des jeunes médecins, en même temps qu'une limitation de l'exercice comme remplaçant à une période de trois ans. Vous comprendrez donc que je serai défavorable aux amendements renforçant des dispositifs d'exercice alternatif à l'installation, comme le remplacement ou l'adjuvat : selon moi, la multiplication de ces outils pourrait avoir à terme des effets délétères sur l'installation pérenne des médecins.

Je rattache à cet ensemble les dispositions portant sur les praticiens à diplôme hors Union européenne (Padhue), dont nous connaissons le sort grâce au rapport que nous a présenté Mme Berthet en décembre dernier. L'article 21 entend résorber la situation actuelle par un dispositif transitoire de validation des compétences des Padhue actuellement en exercice. Je vous propose deux amendements sur ce point : la condition de présence un jour donné n'étant pas adaptée à des personnes multipliant les contrats précaires, je propose de la formuler sous la forme d'un intervalle de présence ; je vous propose par ailleurs d'ouvrir le dispositif transitoire aux Padhue qui auront accompli leur condition d'exercice dans le médico-social.

Je vous mets cependant en garde contre un élargissement trop important des conditions d'accès au dispositif de qualification. Au vu des amendements présentés, nombre d'entre nous ont été sensibilisés à la situation particulière de certains Padhue qui ne répondent pas aux exigences fixées par l'article 21. Si je suis également sensible à ces situations individuelles, je vous rappelle que la condition d'exercice vise à protéger les futurs patients de ces praticiens et à garantir la qualité des soins qui leur seront dispensés.

Le titre II porte sur la structuration de l'offre de soins dans les territoires. Il comportait initialement 4 articles ; il en compte 18 de plus après son examen à l'Assemblée nationale. Les priorités affichées s'articulent autour de quelques principes clés dans lesquels nous pouvons nous reconnaître, comme l'objectif de décloisonnement entre ville, hôpital et médico-social par une coordination renforcée des acteurs locaux et à travers un renouveau de l'hôpital de proximité, présenté comme « l'hôpital de la médecine de ville ».

S'il ne participe pas d'une logique de simplification en ajoutant une strate de plus à un édifice de dispositifs déjà lourd, le « projet territorial de santé » (PTS) institué par l'article 7 s'inscrit sur une ligne de crête entre l'incitation à changer les pratiques et la souplesse indispensable à la prise d'initiatives par les acteurs. Les ajustements que je vous propose s'inscrivent dans cet équilibre, en ciblant ce nouvel outil sur sa priorité première de coordination sans en alourdir excessivement le contenu.

Comme pour l'organisation de l'hôpital dans le cadre des groupements hospitaliers de territoire (GHT) à l'article 10, je vous proposerai de privilégier la volonté des acteurs plutôt que des avancées à marche forcée, qui conduisent à imposer des schémas homogènes à des contextes locaux hétérogènes. Si le modèle des hôpitaux de proximité à l'article 8 soulève des interrogations qui se traduiront dans nos débats, il me semble que nous avons intérêt à en faire un pivot essentiel de notre système de santé, à l'interface du monde de l'ambulatoire et en relais des établissements de recours. Leur développement doit être une opportunité de repenser l'articulation des soins à l'échelle d'un territoire, en consolidant des établissements qui jouent un rôle de service public indéniable. Encore faut-il que chacun joue le jeu et que ce modèle traduise l'ouverture sur son environnement et la complémentarité avec les autres acteurs. Je vous proposerai des amendements dans ce sens.

Quant aux dispositions ajoutées à cette partie du texte par l'Assemblée nationale, certaines se limitent à des mesures d'affichage sans réelle portée.

Une autre série de mesures engagent des redistributions de tâches entre professionnels de santé, sans ligne directrice claire, sur des champs souvent très ponctuels et dont la recevabilité paraît fragile. Je vous proposerai cependant de confirmer plusieurs des avancées de bon sens qui sont engagées ; certaines reprennent d'ailleurs des propositions du Sénat comme sur les pénuries de médicaments. D'autres ne me semblent pas relever d'une réflexion cohérente à la hauteur des enjeux.

Le titre III vise à enclencher une nouvelle dynamique dans la transformation numérique de notre système de santé par la mise en place d'une plateforme des données de santé et d'un espace numérique de santé. Celui-ci permettra à l'usager de disposer sur un même portail de l'ensemble des documents et services nécessaires au suivi de son état de santé. Sur ces enjeux, je vous proposerai d'intervenir sur le périmètre des données intégrées au futur système national des données de pensée (SNDS) ainsi que sur les obligations d'interopérabilité applicables aux logiciels et systèmes d'information en santé.

Les titres IV et V contiennent des mesures disparates, parmi lesquelles figurent des simplifications bienvenues, comme la refonte des protocoles de coopération entre professionnels de santé introduite par l'Assemblée nationale, ou des évolutions attendues, comme la création d'une agence régionale de santé à Mayotte.

Vous l'aurez compris, c'est sans grand enthousiasme que je vous invite à voter ce texte, moyennant les améliorations que je vous propose. Nous devrons être attentifs au suivi des ordonnances et des décrets qui seront pris pour son application.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion