Je mesure les attentes des territoires. La difficulté d'accéder aux soins est la première chose dont j'ai entendu parler lorsque je suis devenue ministre. Depuis deux ans, nous travaillons sur la question de l'aménagement du territoire, qui suscite beaucoup d'inquiétude chez les citoyens et les élus. J'ai évidemment pris connaissance de vos travaux, notamment de l'avis que vous avez adopté. Je pense que nous avons une préoccupation commune, celle de répondre à l'urgence de l'accès aux soins et d'anticiper le déclin démographique des médecins, qui s'accentuera dans les années qui viennent. Nous subissons l'effet des mesures prises dans les années 1990, mais que nous allons mettre un certain nombre d'années à rattraper, puisque les médecins formés après le baby-boom partent à la retraite et que moins de 4 000 médecins par an ont été formés dans ces années, faute d'une anticipation de la transition démographique et épidémiologique de la population qui vieillit - c'est une chance - mais est atteinte de maladies chroniques et a donc des besoins nouveaux. N'a pas non plus été anticipé le souhait des professionnels de mieux concilier vie professionnelle et vie familiale, grâce à une pratique différente de celles de nos aînés.
Notre objectif est de dépasser la logique d'incitation financière à l'installation. Je partage votre avis et celui de la Cour des comptes : ces politiques sont coûteuses, complexes, nombreuses et n'ont pas forcément fait la preuve de leur efficacité, créant souvent des effets d'aubaine. Nous proposons donc un vrai changement de paradigme avec deux axes : rendre du temps médical au médecin, d'une part, et décloisonner les professionnels, d'autre part, avec plus de coopération et de coordination, afin que l'exercice isolé des médecins devienne à terme l'exception - d'ailleurs seuls 5 % des jeunes médecins en sortie d'études souhaitent s'installer dans une pratique libérale isolée.
Nous voulons transformer les modes d'organisation, les modes de financement pour inciter à l'exercice coopératif et collaboratif, modifier la formation et les conditions d'exercice des professionnels afin de garantir et améliorer l'accès aux soins et leur qualité. Ma stratégie « Ma santé 2022 » ne se résume pas à ce projet de projet de loi, qui n'en comprend que les mesures législatives nécessaires et est donc réduit au strict minimum. Il comprend aussi des mesures conventionnelles en discussion avec l'assurance maladie et des dispositions tarifaires qui seront intégrées dans le projet de loi de financement de la sécurité sociale (PLFSS). Pour modifier les organisations, nous avons d'autres leviers que la loi : des leviers réglementaires, des leviers financiers et des leviers d'animation territoriale - nous comptons sur les acteurs pour mieux animer les territoires et favoriser des organisations vertueuses. Dans le plan d'urgence d'accès aux soins, nous avons mis en place 400 postes de médecins généralistes salariés, soit dans les collectivités, soit dans les hôpitaux locaux. Les assistants médicaux permettront, grâce à la négociation conventionnelle, de libérer entre 15 ou 20 % de temps médical. Enfin, les communautés professionnelles territoriales de santé (CPTS), auxquelles nous proposons une responsabilité populationnelle inédite, définie par un cahier des charges et financée par l'assurance maladie, devront proposer un médecin traitant à chaque usager, assurer une permanence, assurer l'accès à des soins non programmés et, par là même, nous aider à désengorger les urgences, et feront plus de prévention. Nous y travaillons dans le cadre de la convention médicale.
Un point sur les ordonnances, qui sont nombreuses, il est vrai, mais justifiées par un calendrier extrêmement restreint : nous avons le devoir de supprimer la première année commune aux études de santé (Paces) et donc le numerus clausus pour la rentrée 2020, ce qui déclenche un compte à rebours dans Parcoursup dès septembre 2019. J'ai bien entendu toutes les critiques sur ce recours à l'article 38 de la Constitution, mais, comme j'ai eu l'occasion de le dire à la commission des affaires sociales du Sénat, ces ordonnances donnent aussi la garantie d'une plus grande concertation, un certain nombre de mesures n'ayant pas encore suffisamment fait l'objet d'une concertation, telles que le statut des professionnels de santé hospitaliers ou la gouvernance des hôpitaux. C'est un choix assumé par le Gouvernement pour accélérer le calendrier d'une réforme urgente. Pour autant, je me suis engagée à l'Assemblée nationale à ce que les concertations ayant abouti suffisamment tôt puissent être traduites dans la loi, comme nous avons déjà réussi à le faire pour les missions des hôpitaux de proximité ou la création d'une agence régionale de santé (ARS) à Mayotte. Je me suis surtout engagée à associer pleinement les élus et les parlementaires dans ces concertations : je présenterai devant les commissions des affaires sociales de l'Assemblée nationale et du Sénat les ordonnances avant la discussion du projet de loi de ratification, ainsi qu'une étude d'impact ; les parlementaires pourront donc regarder de près la traduction de ces ordonnances sur le terrain.
Le projet de loi initial, qui comportait vingt-trois articles, a été enrichi par l'Assemblée nationale. Parmi ses grandes orientations, figurent la suppression du numerus clausus, qui existe depuis 1971, et de la Paces dès 2020, celle-ci cédant la place à un système qui demeurera sélectif et exigeant, mais recrutera les étudiants sur leurs compétences et leur projet professionnel, ce qui devrait améliorer la qualité des de vie des étudiants et diminuer le coût social de cette épreuve, qui est une grande gabegie. Pour l'entrée en étude de médecine, il y aura des passerelles et une entrée par Parcoursup au travers de laquelle Frédérique Vidal et moi voulons favoriser la diversité des profils. Le deuxième cycle des études médicales sera également rénové, avec la suppression des épreuves classantes nationales (ECN). La procédure d'orientation prendra en compte non seulement la qualité des connaissances, mais aussi les compétences cliniques et relationnelles, et sera respectueuse des projets des futurs médecins.
Le titre II prévoit la création de projets territoriaux de santé devant mettre en cohérence les initiatives de tous les acteurs des territoires : médecins libéraux ou en exercice regroupé, secteur hospitalier, secteur social ou médico-social, public ou privé. L'idée est aussi d'associer les élus locaux et les usagers. Ils formalisent le décloisonnement visé par le plan « Ma santé 2022 ». Le statut des hôpitaux de proximité sera revisité pour être mieux lié aux soins du quotidien, plus ouvert vers la ville et le médico-social ; leurs missions seront inscrites dans la loi, tandis que les modalités de leur financement seront fixées dans le PLFSS et la gouvernance le sera dans une ordonnance, car la concertation n'est pas terminée. Un amendement du Gouvernement à l'Assemblée nationale a autorisé les hôpitaux de proximité à pratiquer certains actes chirurgicaux ciblés, dont la liste sera validée par la Haute Autorité de santé (HAS) : l'idée est que les actes faits sous anesthésie locale puissent continuer à y être pratiqués.
Un chapitre du projet de loi est également consacré à l'acte II des groupements hospitaliers de territoire (GHT), dont le projet médical doit désormais être le centre de gravité. La gestion des ressources humaines médicales sera mutualisée entre tous les hôpitaux et la gouvernance médicale sera adaptée et renforcée en conséquence dans les établissements de santé pour privilégier le projet médical. Un article introduit par l'Assemblée nationale offre également la possibilité aux professionnels paramédicaux de la filière de rééducation de cumuler une activité libérale en ville avec une activité hospitalière ; cette mesure devrait favoriser l'attractivité des hôpitaux, notamment pour ce qui concerne les kinésithérapeutes. L'Assemblée nationale a modifié le périmètre de compétence de certaines professions de santé, autorisant les pharmaciens à délivrer des médicaments sous prescription médicale obligatoire ou les infirmiers à adapter les prescriptions et à prescrire certains produits en vente libre.
Enfin, dernier pivot du projet de loi, l'ambition de donner à la France les moyens d'être en pointe pour l'innovation et le numérique. L'utilisation et l'exploitation des données de santé dans les domaines de la recherche, du pilotage du système de santé et de l'information des patients seront favorisées. Nous créerons l'espace numérique en santé, un compte personnel en ligne permettant à chacun d'accéder à son dossier médical partagé, mais aussi à des applications sécurisées et à des informations de santé. Enfin, la dématérialisation des pratiques passera par le renforcement de la télésanté : certains paramédicaux et les pharmaciens pourront pratiquer certains actes à distance, ce qui devrait créer de nouvelles opportunités sur les territoires dans des filières sous-dotées comme l'orthophonie.
Les élus auront une place importante dans le futur système de santé que nous dessinons. La politique que nous conduisons doit s'inscrire dans une relation de confiance avec eux. Le projet de loi a largement été amendé pour répondre à cette attente, à commencer par la reconnaissance de la promotion de la santé comme une compétence partagée des collectivités territoriales et de l'État. Nous prévoyons également l'association des collectivités territoriales dans la mise en oeuvre de la politique de santé, la présence de parlementaires au Conseil territorial de santé et la présentation aux élus par le directeur général de l'ARS de la mise en oeuvre de la politique de santé.
Dans chaque département, nous prévoyons enfin la participation de parlementaires au conseil de surveillance des ARS. Il n'y aura donc pas de dispositions imposées par le haut. La nouvelle structuration de l'offre de soins partira des territoires, fera l'objet d'une large concertation avec les élus et les citoyens. Je sais que l'attente est grande.