Je vais vous faire une confidence : après avoir passé deux jours avec les ministres de la santé du G7 jeudi et vendredi derniers à Paris, je sors de l'assemblée générale de l'Organisation mondiale de la Santé (OMS) à Genève où j'étais dimanche soir et hier toute la journée. J'ai eu l'occasion de travailler et de discuter avec l'ensemble de mes homologues : la question de la désertification médicale et, au-delà, de la démographie médicale est un problème mondial. Le directeur général de l'OMS a annoncé hier au pupitre de l'assemblée générale le chiffre suivant : il manquera dans les cinq ans à venir 12 millions de professionnels de santé à travers le monde. Nous sommes face à un dumping des pays les plus riches vis-à-vis des pays les moins riches : les médecins africains sont attirés par l'Europe de l'Est, les médecins d'Europe de l'Est par l'Europe de l'Ouest, les médecins de l'Europe de l'Ouest par le Canada... Aujourd'hui, on offre 100 000 dollars par mois aux médecins canadiens pour s'installer dans les territoires les plus reculés du pays. La secrétaire d'État norvégienne à la santé, à qui je demandais comment elle faisait fonctionner les maternités, m'a répondu : « C'est une horreur, il y a des manifestations tous les jours, nous fermons des maternités tous les jours, car nous ne sommes plus en mesure de les faire fonctionner, n'ayant plus d'obstétricien ni d'anesthésiste. Les femmes manifestent, car elles sont obligées de faire en moyenne entre quatre et cinq heures de route pour rejoindre une maternité. » Je lui ai répondu : « Chez moi, on manifeste pour quarante-cinq minutes ! »
Ce projet de loi comprend donc des mesures de nature à répondre à la question de la désertification médicale. Mais, face à un dumping qui va s'aggraver dans les années qui viennent, les seules solutions sont des solutions d'attractivité, car les moyens pour un médecin d'échapper aujourd'hui à une obligation d'aller dans un territoire vont se multiplier. Je ne parle même pas des offres financières faites aujourd'hui par l'Allemagne à l'endroit de nos infirmières, tous ceux qui vivent en zone frontalière le savent.
Notre objectif est donc de rendre l'exercice professionnel confortable. D'une part, les jeunes professionnels souhaitent un exercice regroupé, collaboratif avec d'autres professions de santé paramédicales notamment ; d'autre part, nous avons besoin de temps médical, d'où les mesures en faveur de la délégation de tâches, qui permettra aux médecins de se concentrer sur leur valeur ajoutée médicale. Nous avons créé des infirmiers de pratique avancée pouvant prendre en charge les patients chroniques, de façon à libérer du temps médical.
Les communautés professionnelles territoriales de santé sont plébiscitées par les médecins qui y participent ; elles leur permettent de s'allier pour trouver des réponses à des enjeux territoriaux, notamment en termes de permanence des soins ou d'accès à des soins non programmés ou de coopération entre professionnels. Moins de 15 % des médecins à la sortie de leurs études souhaitent s'installer en libéral, les autres voulant un exercice salarié ou des remplacements ; 5 % seulement d'entre eux veulent un exercice isolé. Nous devons favoriser l'appropriation par les jeunes de l'exercice libéral en zone rurale et l'exercice regroupé avec les maisons de santé, les centres de santé et les communautés professionnelles territoriales de santé. Nous créons des postes salariés dans les hôpitaux, avec 400 postes cette année - si ces postes rencontrent du succès, nous les développerons. Enfin, les contrats d'engagement de service public financent les études de certains étudiants, notamment issus des zones rurales. La ministre italienne était très intéressée par ce dispositif, les Allemands et les Canadiens le mettent en place, ces derniers pour financer des étudiants issus des communautés territoriales dans les zones très reculées. Ainsi, 95 % des jeunes qui en bénéficient retournent dans le territoire dont ils sont issus.
Nous avons créé des postes de médecin adjoint, qui, en fin d'internat, pourront assister en libéral un médecin qui part à la retraite. Notre ambition est de renforcer les soins de proximité, de faire en sorte que les hôpitaux de proximité répondent aux besoins de santé de la population et ne se dispersent pas en essayant de maintenir des plateaux techniques que nous n'arriverons pas à faire fonctionner, faute de professionnels, et d'assumer une gradation des soins avec une entrée dans le système hospitalier en proximité des personnes qui peuvent être adressées au fur et à mesure de la gravité de leur état vers des hôpitaux de recours ou des centres hospitaliers universitaires (CHU).
Mais ne nous leurrons pas, personne aujourd'hui dans le monde n'a de recette miracle pour mettre fin aux déserts médicaux. Les Allemands et les Canadiens me l'ont dit : tous les mécanismes de coercition qu'ils ont essayé de mettre en place ont été des échecs notables. Nous mettons en place des échanges de connaissances sur la structuration des soins primaires entre tous les pays du G7 et bien au-delà.
La suppression du numerus clausus, vous le savez, permettra une légère augmentation du nombre de médecins formés ; mais nous sommes passés de 3 000 médecins formés dans les années 1990 à plus de 9 000 aujourd'hui, ce qui nécessite énormément d'infrastructures et de lieux de stages diversifiés : aujourd'hui, les facultés tentent de diversifier les stages dans les centres de protection maternelle infantile (PMI), en médecine du travail, en médecine libérale spécialisée, chez les généralistes... Mais nous savons très bien que nous aurons des difficultés à augmenter encore au-delà de 10 000 ou 11 000, selon les possibilités des universités. Les étudiants doivent être accompagnés dans leur formation : on ne peut pas les envoyer sur le terrain sans formateur ! Frédérique Vidal vous répondra plus précisément sur les moyens, mais nous n'avons pas besoin de moyens supplémentaires, ceux-ci ayant déjà été donnés aux universités pour augmenter le nombre d'étudiants - un milliard d'euros - et les moyens dédiés à la Paces étant redéployés vers les passerelles.
Je finirai par la télémédecine, qui a fait, je crois, l'objet d'une tribune dans Le Journal du dimanche. Je souhaite que la télémédecine soit ancrée dans les territoires. Avec le parcours de soins, nous voulons que le malade soit connu des professionnels de santé qui interviennent autour de lui, qu'il y ait des échanges autour du dossier médical et nous souhaitons favoriser l'attractivité du territoire. Or, avec des plateformes nationales d'accès à la télémédecine, nous verrons de plus en plus de médecins qui seront ravis de ne plus voir de malades - cela arrive ! - et d'être derrière leur téléphone ou un ordinateur en étant très bien financés. Je ne vois pas comment nous rendrons les territoires attractifs. Le fait d'ancrer la télémédecine dans une CPTS oblige les médecins de ce territoire à rendre ce service.