Intervention de Sophie Joissains

Commission des affaires européennes — Réunion du 16 mai 2019 à 8h35
Justice et affaires intérieures — Coopération pénale européenne et parquet européen : rapport d'information proposition de résolution européenne et avis politique de m. jacques bigot et mme sophie joissains

Photo de Sophie JoissainsSophie Joissains, rapporteure :

En octobre 2013, sous l'impulsion de notre commission et de son président de l'époque Simon Sutour, le Sénat a adopté une résolution sur le non-respect du principe de subsidiarité par la Commission européenne sur son projet de Parquet européen. Ce projet, très intégré et centralisé, a fait l'objet de la première mise en oeuvre du fameux « carton jaune », quatorze assemblées parlementaires s'étant alors exprimées dans le même sens que le Sénat français.

Malgré la résistance de la Commission, les négociations au Conseil ont finalement permis d'aboutir au règlement du 12 octobre 2017, qui a créé le Parquet européen, sous la forme d'une coopération renforcée, dans une configuration conforme aux positions françaises et aux préconisations du Sénat.

Sa mise en place est aujourd'hui proche. Son champ d'action limité pour le moment à la protection des intérêts financiers de l'Union le place au sein d'une coopération policière et judiciaire dense, active sur l'ensemble du domaine pénal, de la criminalité organisée transfrontalière à la cybercriminalité et aux actes terroristes. Jacques Bigot et moi-même avons souhaité faire une évaluation, un état des lieux avant son installation.

De 2013 à sa mise en place, le contexte criminel international a profondément évolué et la coopération pénale européenne s'est adaptée en conséquence. La coopération judiciaire européenne s'est progressivement instaurée. D'abord en marge des traités, elle s'intensifie et est institutionnalisée en 1992 par le traité de Maastricht sous la dénomination de « justice et affaires intérieures » (JAI). Le troisième pilier européen était désormais officiel.

En 1997, le traité d'Amsterdam érige en objectif de l'Union européenne la construction d'un espace de liberté, de sécurité et de justice. L'ambition est affichée, mais le bilan mitigé, les barrières étatiques sont fortes et le caractère opérationnel limité.

Le traité de Lisbonne marque une prise de conscience importante des États membres et ouvre de nouvelles perspectives en élargissant le champ de la coopération judiciaire en matière civile et pénale. Il renforce les rôles d'Europol et d'Eurojust et envisage un nouveau modèle de coopération judiciaire passant par la création d'un Parquet européen compétent pour la protection des intérêts financiers de l'Union européenne, dont les compétences pourraient certes être élargies... à la condition de recueillir le vote unanime des États membres.

La coopération judiciaire en matière pénale dans l'Union est fondée sur un principe essentiel au fonctionnement de l'espace judiciaire européen : le principe de reconnaissance mutuelle des jugements et décisions judiciaires. Cette coopération inclut le rapprochement des dispositions législatives et réglementaires des États membres, l'adoption de règles minimales communes n'empêchant pas les États de maintenir ou d'instituer un niveau de protection plus élevé pour les personnes. Ces règles minimales et ce socle commun concernent la définition des infractions pénales et des sanctions dans certains domaines de la criminalité particulièrement graves et revêtant une dimension transfrontalière : le terrorisme, la traite des êtres humains, l'exploitation sexuelle des femmes et des enfants, le trafic illicite de drogues, le trafic d'armes, le blanchiment d'argent, la corruption, la contrefaçon de moyens de paiement, la criminalité informatique et la criminalité organisée.

Selon un recensement établi par le Secrétariat général du Conseil, l'Union européenne dispose d'environ soixante textes principalement consacrés, d'une part, à la coopération judiciaire en matière pénale, et, d'autre part, au rapprochement du droit pénal matériel des États membres, qu'on peut diviser en trois catégories : les instruments d'entraide judiciaire, les législations d'harmonisation des infractions et sanctions pénales et les outils de coopération.

Le principe de reconnaissance mutuelle en matière pénale permet aux décisions de justice rendues par un État membre d'être exécutées dans un autre comme si elles étaient les siennes. Parmi les instruments législatifs fondés sur ce principe, figure principalement le mandat d'arrêt européen qui, depuis 2004, a remplacé les longues et aléatoires procédures d'extradition qui existaient entre les États membres.

Au cours de nos différentes auditions, il est apparu que le mandat d'arrêt européen constituait un dispositif essentiel de la coopération pénale européenne. Son usage est aujourd'hui fréquent et en augmentation constante, notamment en France. Il s'agit là de la pierre angulaire de l'Europe de la justice. L'Union européenne s'est également dotée d'un ensemble de normes minimales tendant à l'harmonisation des incriminations et des sanctions dans ses domaines de compétence en matière pénale, la lutte contre le terrorisme et le blanchiment de capitaux, ou encore certaines garanties procédurales.

Divers réseaux de praticiens oeuvrent au dialogue entre les autorités judiciaires des États membres, le Réseau judiciaire européen étant l'un des plus importants, sinon le plus important d'entre eux, mais c'est au sein et dans le cadre d'Eurojust que, ces dernières années, la coopération judiciaire pénale a trouvé sa forme la plus concrète et la plus aboutie. Eurojust, créée en 2002, a accompagné et renforcé la construction progressive de l'espace de liberté, de sécurité et de justice européen. Le traité de Lisbonne a accru ses compétences.

Cette agence poursuit trois objectifs principaux : promouvoir et améliorer la coordination des enquêtes et des poursuites entre les autorités compétentes des États membres ; améliorer la coopération entre ces autorités, en facilitant la mise en oeuvre de l'entraide judiciaire internationale et l'exécution des demandes d'extradition ; soutenir les autorités nationales afin de renforcer l'efficacité de leurs enquêtes et de leurs poursuites.

Eurojust a été conçue comme un outil facilitateur, et non comme une « super autorité judiciaire ». Son fonctionnement est de nature intergouvernementale, chacun des 28 États membres y dispose d'un représentant permanent détaché au siège d'Eurojust, à La Haye, où Jacques Bigot et moi-même nous sommes rendus. Eurojust remplit son mandat, soit par l'intermédiaire d'un ou plusieurs membres nationaux, soit en tant que collège. Ce réseau de correspondants nationaux s'est récemment illustré dans la résolution d'une enquête portant sur des attentats terroristes qui ont endeuillé plusieurs États membres. La réactivité de cette étroite coopération a permis une rapidité salutaire dans l'arrestation des coupables.

Eurojust a créé en son sein des unités de travail spécialisées, dont le groupe contre-terrorisme, initié et présidé aujourd'hui par notre membre national, M. Frédéric Baab, qui, au ministère de la justice de l'époque, avait beaucoup oeuvré pour le Parquet européen...

Le succès d'Eurojust réside dans l'efficacité et l'organisation mise en place par les membres nationaux, mais aussi dans la confiance que l'agence a suscitée auprès des autorités judiciaires nationales. Son activité progresse régulièrement, avec une accélération depuis 2014. La France, avec l'Allemagne et l'Italie, est l'un des États membres qui utilisent le plus Eurojust, 17,2 % des dossiers ouverts l'ont été de son fait. Toutefois, l'évolution des moyens d'Eurojust fait l'objet de sérieuses inquiétudes pour l'avenir : en effet, son budget devrait diminuer de 9 % au cours des années 2021 à 2027, alors que son activité devrait continuer de croître. Il serait préjudiciable à tous que sa dynamique soit freinée...

La création du Parquet européen n'est pas étrangère à ce paramètre, le traité de Lisbonne prévoyant qu'il soit institué « à partir d'Eurojust ». Jacques Bigot va à présent vous parler de ce nouvel instrument prometteur, que notre commission a contribué à porter sur les fonts baptismaux, le Parquet européen.

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