Intervention de Alain Lambert

Délégation aux collectivités territoriales — Réunion du 21 mars 2019 : 1ère réunion
Audition de M. Alain Lambert président du conseil national d'évaluation des normes cnen sur la politique de simplification des normes applicables aux collectivités territoriales

Photo de Alain LambertAlain Lambert, président du CNEN :

Matthieu Darnaud a bien illustré la manière dont un travail en commun entre la délégation et le CNEN fait apparaître le caractère « kafkaïen » de la production de notre droit. Quand nous comparons le texte avant sa soumission au Conseil d'État et au Conseil des ministres avec son état au moment de la promulgation des décrets, il devient manifeste que la représentation nationale a été totalement instrumentalisée.

Le chef de bureau qui a introduit cette disposition a utilisé le fonctionnement de nos institutions. Le déséquilibre entre le pouvoir administratif et le pouvoir législatif apparaît ici clairement. Cette situation, qui pose un problème démocratique, pourrait être grandement améliorée par la mise en oeuvre d'une forme de mixité.

Il serait souhaitable qu'un membre de la délégation, même s'il ne pourrait pas voter, puisse assister aux séances du CNEN. Il serait susceptible ainsi de rapporter nos échanges au Sénat et d'en tirer profit. Nous pourrions aussi vous alerter sur des sujets d'importance. Cette mixité doit donc être créée.

La question des études d'impact est traitée dans tous les pays développés. Avec Didier Migaud, les États qui nous ont le plus impressionnés en la matière sont les scandinaves. Quel que soit l'auteur de l'étude d'impact, qu'il s'agisse d'un organisme indépendant ou gouvernemental, il ne se comportera pas de la même manière s'il sait que son travail sera suivi d'une analyse ex post.

Pourquoi ai-je émis des réserves sur la prétendue plus grande qualité des études d'un organisme indépendant ? Parce que, pendant deux ans, à Bercy, j'ai beaucoup consulté la Direction des prévisions. Ces échanges m'ont montré que les experts se disputent entre eux et que la seule incitation ne suffit pas, c'est pourquoi ma recommandation consiste à utiliser votre pouvoir de contrôle. À ce titre, vous pouvez à tout moment exiger des études ex post.

Il me semble aussi important que soient intégrés dans l'étude d'impact initiale des critères facilement mesurables deux ou trois ans après. Permettez-moi de vous soumettre un exemple : une session de mon Conseil départemental se tient demain. L'actualisation de notre projet départemental est inscrite à l'ordre du jour. J'ai proposé que nous intégrions des critères pour mesurer nos avancées dans quatre ou cinq ans. Mes interlocuteurs m'ont répondu qu'ils seraient en difficulté si les objectifs n'étaient pas atteints. Nous sommes donc nous-mêmes prudents en la matière.

Continuez néanmoins à promouvoir les études d'impact. Tous les experts vous diront que la méthodologie s'améliore grâce aux analyses ex post. Éric Kerrouche a souligné que celles-ci intervenaient souvent trop tard. Il est juste qu'un ou deux ans suffisent pour se rendre compte des dispositions qui devraient être réorientées. Je remercie Franck Montaugé d'avoir insisté sur l'importance de tisser des liens entre nos deux organismes et d'assister aux mêmes réunions.

Bernard Delcros évoquait le lien entre la Délégation et le CNEN. Je propose qu'avec votre président, nous examinions comment les élus et nos administrations travaillent ensemble. Il m'a également interrogé, comme Éric Kerrouche, sur le paradoxe français. Comment concilier l'uniformité et la diversité ? Cette contradiction se résout en formulant la loi d'après une vision générale de la politique publique, sans donner par le détail la manière dont elle doit être appliquée sur l'ensemble du territoire de la France. Les juristes d'autrefois savaient être sobres en la matière.

Par exemple, le statut du fermage a historiquement garanti une bien plus grande protection au preneur, mais il a veillé à organiser ses relations avec le bailleur en conservant les usages locaux en Normandie ou en Occitanie. Sur le même modèle, le législateur pourrait informer le pouvoir réglementaire, dans l'exposé des motifs, de la nécessité de maintenir une certaine souplesse dans les décrets d'application. Ils pourraient ainsi s'adapter à chaque situation locale. Nous pourrions mettre en place un atelier sur l'art de résoudre ce paradoxe.

Je suis également heureux qu'Éric Kerrouche ait découvert ce que nous vivons chaque mois. Comme vous le savez, Marc Guillaume et moi-même sommes amis de longue date, je crois donc ses dires. Or, lorsque je lui demande pourquoi les modifications à la marge que nous proposons pour un texte sont systématiquement rejetées, il m'avoue sincèrement que ces remaniements dérangent les administrations. S'agit-il de la finalité du droit ? Il arrive à repousser les propositions des administrations qui ne lui semblent répondre qu'à leurs propres obsessions et non à l'intérêt du pays. Cependant, les demandes formulées sur le stock des normes doivent également être entendues.

Je terminerai sur ce qu'Éric Kerrouche a appelé la flexibilité de la loi. J'ai bien aimé ses propos. Nous pourrions user d'influence auprès du préfet. La fin du cumul des mandats a quelque peu changé la donne. Autrefois, le préfet hésitait à imposer au sénateur-maire une disposition selon une interprétation contraire à la situation locale. À présent, nous devons surveiller jusqu'à la circulaire envoyée par le ministère de l'Intérieur ou le ministère des Collectivités territoriales. Le CNEN est compétent pour se saisir d'une circulaire. Il doit accomplir ce travail, même s'il déplaira à la Direction générale des collectivités locales (DGCL).

Je rencontrais hier à Bercy le directeur de cabinet du ministre du Budget. J'ai insisté sur le fait que, pour mesurer l'impact financier des normes, nous devions impérativement avoir connaissance de toutes les circulaires, de quelques ministères qu'elles viennent. Le CNEN peut se saisir de documents qu'il ne viendra pas à l'idée de votre délégation de demander pour que nous les travaillions ensuite ensemble. C'est par cette mixité de notre approche que nous parviendrons à obtenir le rééquilibrage souhaité.

Le pouvoir de l'Exécutif est devenu exorbitant. Or c'est par le contrôle conjoint et commun que nous pouvons mener que nous rétablirons un équilibre bienfaiteur pour le pays entre les visées de l'Exécutif et les souhaits des représentants de la Nation.

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