Intervention de Jean-Pierre Sueur

Commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du Règlement et d'administration générale — Réunion du 22 mai 2019 à 9h35
Audition de Mm. Michel Badré et dominique gillier membres du conseil économique social et environnemental auteurs du rapport « fractures et transitions : réconcilier la france »

Photo de Jean-Pierre SueurJean-Pierre Sueur :

Ma réflexion va dans le sens des interventions précédentes. Si l'on écoute votre propos, et que l'on fait un peu de psychologie, le mot « citoyens » est toujours employé de manière à démarquer ces derniers des « élus ». Vous nous avez dit en quelque sorte : « Avec les citoyens tirés au sort, il y a de la fraicheur », comme si nous, qui ne sommes pas tirés au sort mais élus, n'étions pas frais.

Il y a là une idéologie selon laquelle la vérité serait du côté du tirage au sort, compte tenu de sa fraicheur et de sa spontanéité, et qui est pour moi la désintégration de la démocratie, telle que je la vis. J'envisage la démocratie comme le fait que des candidats s'en remettent au suffrage en se présentant à une élection afin de soumettre au corps électoral des idées et un programme. La personne tirée au sort, que va-t-elle faire ? Que va-t-elle proposer ? Si l'on supprime le projet, le programme, l'idée, tout s'effondre, l'expression démocratique perd tout son intérêt. Je récuse cette théorie selon laquelle nous ne serions pas pleinement des citoyens comme les autres parce que nous sommes élus.

Il existe des « spécialistes » de cette notion de « citoyens », ce sont les sondeurs. Mais vous savez que les sondages, même s'ils sont nécessaires, comptent des marges d'erreur, on parle de 3 % de marge d'erreur, et ces sondages peuvent avoir des effets pervers : si chaque politique se réveille le matin en se demandant ce qu'il doit dire au regard des sondages qui sont parus, on aboutira à une uniformisation des propos. Ce qui est intéressant dans la politique, c'est de se battre pour ses propres convictions. Si le tiré au sort n'a comme mérite que d'être physiquement présent, ne défend aucune idée, et se contente d'être un relai d'opinions qu'il jugera les plus répandues, sans doute par mimétisme avec les sondeurs, nous tendrons vers une régression de la démocratie.

Ce que vous dites sur la fiscalité est en revanche admirable. Je partage votre idée sur les critères, dont l'écologie ou la justice, à prendre en compte dans la détermination de la fiscalité. Il faudrait réfléchir, en regardant les quinze dernières années, sur les raisons pour lesquelles une espèce de viscosité globale empêche les gouvernants successifs de mettre en place une réforme globale de la fiscalité.

De même, je partage vos propos sur l'éducation. Il s'agit de permettre d'éviter une reproduction sociale systématique. Deux chiffres me taraudent : avec la mise en place de la semaine de quatre jours, le nombre de jours d'école en primaire en France est de 135, alors que la moyenne européenne est de 185. Vous pensez vraiment que l'on va lutter contre les inégalités et être meilleur dans les classements internationaux s'il n'y a pas davantage d'emprise de l'école. Trop d'enfants se retrouvent livrés à eux-mêmes à 16 h 30. Mais c'est comme pour la fiscalité, résorber ce problème suppose beaucoup de courage, et le courage c'est beaucoup plus important que le tirage au sort...

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