Mes chers collègues, nous assistons ces derniers jours à de nombreux débats sur la fin de vie et il me semble que les fondements juridiques applicables sont perdus de vue. Je me suis posé beaucoup de questions sur les implications de la loi, de la décision en date du 24 avril 2019 du Conseil d'État qui juge légale la décision d'interrompre les traitements de M. Vincent Lambert puis de l'arrêt de la Cour d'appel de Paris du 20 mai 2019 ordonnant la reprise des soins. Dans l'intérêt de tous, il me semble utile que l'un d'entre nous puisse présenter devant la commission une communication juridique, sans ouvrir le débat à ce stade, afin de permettre à chacun de nous de maîtriser les aspects juridiques de cette question. Je vous propose de demander à notre collègue Muriel Jourda de nous présenter prochainement cette communication.
Il faut en effet faire le point sur ce sujet. Nous sommes plusieurs à considérer que la loi « Claeys-Leonetti » du 2 février 2016 créant de nouveaux droits en faveur des malades et des personnes en fin de vie est utile mais ne saurait suffire. Après l'état des lieux que vous proposez, il faudra organiser la réflexion, avoir un débat. Je pense qu'il faudra de nouveau légiférer sur la question.
Je suis d'accord avec ce qui vient d'être exprimé, nous devons nous occuper de cette question essentielle. Je trouve dommage que la loi n'aille pas plus loin, comme c'est le cas en Suisse. Nous nous honorerions en reprenant le débat sur la fin de vie.
Nous sommes confrontés à un sujet complexe, que l'on soit ou non médecin, qui ne concerne pas uniquement la fin de vie. C'est une très bonne idée de faire le point sur le sujet et d'aborder notamment la question des directives anticipées.
Sur ce sujet sensible, les textes doivent être très clairs. On ne peut pas laisser la famille, qui est dans la douleur, décider à la place du patient. Les directives doivent être données en amont.
Les bases juridiques ne sont pas toujours évoquées par les médias, ce qui est source de confusion. La communication qui sera faite par notre commission apportera un éclairage juridique à ces questions difficiles.
Nous accueillons deux membres du Conseil économique, social et environnemental (CESE), MM. Michel Badré, membre de la section de l'environnement, représentant des associations et fondations agissant dans le domaine de la protection de la nature et de l'environnement, désigné par Humanité et Biodiversité, et Dominique Gillier, vice-président de la section du travail et de l'emploi, représentant des salariés, désigné par la Confédération française démocratique du travail. Ils nous présentent leur rapport : « Fractures et transitions : réconcilier la France », issu des travaux de la commission temporaire présidée par M. Michel Chassang, qui a donné lieu à un avis adopté le 12 mars dernier. L'avis adopté procède à un état des lieux incontestable - mais qui ne fait que confirmer ce que chacun ressent : il existe des fractures multiples dans notre pays, qui ne sont pas nouvelles pour un grand nombre d'entre elles, mais qui s'exacerbent. À partir de ce constat, vous formulez des préconisations nombreuses et variées que je vous invite à nous présenter.
Dès la fin du mois de novembre 2018, face à l'ampleur du mécontentement qui s'est manifesté dans notre pays, le CESE s'est autosaisi d'un avis sur quatre thématiques : résorber les fractures territoriales et sociales ; accompagner la transition écologique ; améliorer le pouvoir d'achat et garantir plus de justice fiscale ; assurer la participation des citoyens aux décisions publiques. Les douze formations de travail du CESE ont pu à cette occasion mettre en avant les travaux déjà menés et les propositions qui en ont découlé. La plateforme de consultation publique mise en place a confirmé la pertinence des thématiques retenues. Par ailleurs, depuis quatre ans, nous menons des réflexions sur les méthodes de travail du CESE avec pour angle principal l'évolution de notre démocratie. Nous avons fait preuve d'une certaine audace car, pour la première fois, un groupe de citoyens choisi sur la base d'un panel a participé à nos travaux. Nous avons aussi procédé à l'audition de Mme Priscillia Ludovsky pour la pétition « pour une baisse des prix des carburants à la pompe », et de Mme Célia Gautier pour la pétition « l'affaire du siècle ».
Plus de six cents amendements ont été déposés au sein de la commission temporaire mais l'avis a été adopté de manière très large.
Notre rapport se compose de deux documents qui n'ont pas la même légitimité. Il y a d'une part la contribution émanant du groupe de citoyens qui a mené ses travaux pendant trois week-ends. Ces citoyens ont, au fil des travaux, mis de côté leurs positions personnelles afin de construire un avis commun. Le rapport comprend d'autre part l'avis du CESE lui-même, élaboré de façon classique, avec les contributions des représentants des différentes organisations. Une évaluation de cette nouvelle méthode de travail est en cours de lancement.
Notre rapport comprend deux chapitres, le premier portant sur les « fractures ». Nous avons dressé un état des lieux qui confirme que la société est traversée de lignes de faille profondes entre les riches et les pauvres, les inclus et les exclus, les bénéficiaires d'un monde ouvert et ceux qui se sentent enfermés là où ils sont, ceux qui décident et ceux pour qui on décide. Il s'agit de fractures sociales, dans l'emploi, territoriales, dans la représentation démocratique. Une attention particulière a été portée aux outre-mer dont la situation appelle des mesures encore plus déterminées qu'en métropole.
La suite du rapport identifie les transitions auxquelles la société fait face. Elles sont de nature démographique, économique, numérique et écologique. Le débat initié par les gilets jaunes était centré sur un questionnement à court terme. Nous avons au CESE envisagé une réflexion à plus terme.
Dans un second chapitre, l'avis propose un pacte productif, social et écologique. Celui-ci met en avant une vingtaine de préconisations, même si d'autres apparaissent dans le texte. Nous avons adopté une vision sur le long terme : comment faire face aux questions de pouvoir d'achat et d'équité sociale dans la durabilité ? Comment créer plus de richesses et mieux les partager dans un contexte de défis environnementaux présents et à venir ? Une première préconisation appelle à une éducation innovante qui serait source de richesses et réductrice d'inégalités sociales. Le CESE avait déjà rédigé des rapports sur ce sujet, notamment l'un intitulé « Une école de la réussite pour tous ». L'avenir de nos enfants est prédéterminé par leur condition à la naissance, ce dont la France ne peut se satisfaire. L'éducation est une base fondamentale pour la création de richesses et la construction de la citoyenneté. Il est attendu de l'économie qu'elle crée de la richesse pour retrouver le plein emploi, améliorer la qualité de vie tout en assurant durablement l'avenir, ce que nous avons appelé « une économie de la qualité ». Une autre préconisation propose de mieux soutenir l'industrie au sens large avec la mise en place d'un plan pluriannuel portant sur la recherche, l'innovation, les investissements stratégiques, la formation, avec des effets bénéfiques pour toute l'économie.
Un meilleur partage des richesses passe par des mesures sur le pouvoir d'achat des plus modestes. Le groupe des citoyens en a fait sa priorité. Cela passe par un plus juste partage de la valeur ajoutée dans l'entreprise, une correction des écarts de salaires entre les femmes et les hommes, la revalorisation régulière du SMIC et des minima, des retraites et des prestations sociales. Dans un avis de 2017, le CESE avait proposé la mise en place d'un revenu minimum social garanti dès l'âge de 18 ans.
Sous l'inspiration du groupe de citoyens, la question de la transparence des rémunérations a été abordée. Nous avons constaté une défiance à l'égard des rémunérations et avantages des hauts fonctionnaires et des politiques. Nous avons abordé la question sous l'angle de la transparence et de la légitimité de ces avantages. Le groupe citoyen avait une vision très erronée de la situation et de ses enjeux. Il faut faire la vérité et la transparence sur ces questions.
Cette transparence existe déjà pour certaines fonctions mais pas pour les plus intéressantes.
Nous avons également abordé la question de la refondation de la fiscalité avec une remise en cause de la taxe carbone. Il faut un système plus simple et plus équitable, en retenant plusieurs principes : la progressivité de l'impôt ; la solidarité intergénérationnelle ; la transition écologique ; la taxation des multinationales ; l'évaluation des effets sociaux et environnementaux des niches fiscales ; la lutte contre la fraude ; l'optimisation et le niveau des dépenses publiques. Nous demandons que les investissements liés aux transitions majeures et d'avenir soient neutralisés dans le calcul par l'Union européenne du déficit budgétaire limité à 3 % du produit intérieur brut.
L'objectif est de définir des politiques publiques de développement durable et solidaire.
Nous recherchons la cohérence des objectifs économiques, sociaux et environnementaux dans les politiques de la vie quotidienne telles que l'énergie, la mobilité, le logement, l'alimentation et l'agriculture.
Il s'agit de politiques territorialisées, les documents d'urbanismes peuvent donc constituer un bon support d'étude.
Toutes ces politiques doivent être traitées conjointement.
Certaines politiques, comme le logement ou le transport, vont conduire à des dépenses publiques significatives, mais ce seront des investissements à double bénéfice, profitant au bénéficiaire individuel comme à la société pour faire face à ses enjeux de développement. Nous recherchons une meilleure justice sociale et environnementale.
Tous ces sujets ont été décrits rapidement dans cet avis, ils sont à approfondir.
Nous dressons un premier constat après la concertation citoyenne.
Les fractures sociales et territoriales mettent à mal les liens de la société, qui nécessite des services publics efficaces, présents et accessibles.
Nous formulons plusieurs préconisations. Trois domaines sont particulièrement touchés par l'urgence : il est nécessaire de fournir une offre de soins, adaptée à tous les âges et couvrant tout le territoire, l'accès au numérique doit être universalisé, de même que l'accès aux services publics du quotidien.
La dernière partie du projet d'avis s'oriente vers un pacte démocratique favorisant l'amélioration de la participation citoyenne aux décisions.
Le CESE a mis en place des innovations : une plateforme consultative, une veille des pétitions sur les réseaux sociaux débouchant sur son auto-saisine et plusieurs pistes de réflexions autour du premier projet de réforme constitutionnelle.
Nous étions face à un groupe de citoyens qui reprenait certaines revendications des ronds-points comme l'idée du référendum d'initiative citoyenne ou celle de la prise en compte du vote blanc, c'est-à-dire des sujets très lourds en matière de modification du fonctionnement de nos institutions que le CESE n'est pas en mesure de traiter directement. Ces questions ne relèvent pas de ses compétences, mais d'un débat constitutionnel.
Nous nous inscrivons dans la recherche d'un meilleur équilibre entre la démocratie représentative, légitimée par l'élection, la représentation des corps intermédiaires et la représentation citoyenne.
Pour dépasser la colère et le fatalisme exprimé par les citoyens et parvenir à appliquer le sens du compromis qui est l'essence du CESE, nous avons dû sortir de nos postures, et fournir des propositions de changement concrètes.
Nous ne prenons pas position sur les grands débats posés par les gilets jaunes, et c'est un des rares points de désaccord entre les groupes du CESE : le groupe des organisations étudiantes et mouvements de jeunesse souhaitait que l'on prenne position, contrairement à tous les autres.
Pour les préconisations suivantes, notre constat est parti du fait que la société actuelle souffre d'un déficit de méthode dans la concertation du public à l'élaboration des décisions.
Nous avons développé des recommandations portant sur des méthodes de travail visant à mettre en perspective les données des sachants avec les retours de la société civile non experte.
Ces mécanismes de clarification des méthodes de concertation nous ont semblé importants, et nous avons formulé quelques recommandations à ce sujet.
L'articulation des mécanismes de décision entre l'Europe, l'État et les différentes collectivités territoriales mérite d'être précisée afin de renforcer la légitimité de chacun de ces niveaux auprès des citoyens. Les échanges que nous avions avec les 28 citoyens montraient l'opacité de la perception de ces fonctionnements.
Un contrat social refondé doit aussi concerner le travail et l'entreprise.
Nous reprenons les préconisations d'études ou d'avis antérieurs du CESE principalement sur deux points : l'augmentation des administrateurs salariés dans la gouvernance de l'entreprise, qui représente un intérêt pour la compétitivité des entreprises françaises, et l'évolution de l'expression des salariés sur leur travail dans l'optique de lui redonner sens. Ces considérations étaient absentes des revendications des gilets jaunes, or, nous pensons que pour répondre à un bon nombre de préoccupations sociales, il faut une refonte de l'entreprise et une évolution du travail.
Enfin, en reprenant nos travaux antérieurs liés à la première réforme constitutionnelle, nous avons formulé trois préconisations visant à l'amélioration de la participation citoyenne.
Premièrement, le CESE pourrait associer dans ses travaux, comme ce fut le cas lors de l'expérimentation que nous avons menée, des personnes tirées au sort, qui se comporteraient d'abord en observateurs et qui ensuite prendraient part aux discussions. Nos formes de travaux s'y adapteraient. Ces échanges apportent beaucoup de fraicheur à nos débats et nous obligent à sortir de nos postures.
Dans un second temps, une proposition lourde de sens : instaurer un droit d'interpellation du Gouvernement et du Parlement. Le CESE peut être saisi par voie de pétition citoyenne. Nous souhaitons la dématérialisation de cette pétition, la saisine étant quasi impossible aujourd'hui avec le seuil actuel de 500 000 signatures.
Nous souhaitons instaurer une obligation de réponse de la part du Gouvernement, de différentes natures. Il n'est pas nécessaire de légiférer immédiatement, ce pourrait être fait sous forme de débats en commission ou en séance plénière. Ce droit d'interpellation pourrait éviter que certaines situations ne dégénèrent.
Enfin, nous souhaitons la création chaque année (ou tous les six mois), au CESE, d'une conférence citoyenne qui pourrait aller de l'évaluation des politiques publiques au débat.
Cette conférence se réunirait sur saisine du Gouvernement ou du Parlement sur une thématique choisie, et pourrait associer les citoyens afin de prendre en compte leur expertise. Cette conférence permettrait un débat public de qualité, avec une vision à long terme, par la production d'un avis particulier du CESE en co-construction avec des citoyens.
J'insiste sur cette conférence car le CESE pourrait prévoir une logistique adéquate assez lourde et aurait fonction de crédibiliser cette démarche grâce à une institution reconnue dans la Constitution. Notre institution serait garante de l'indépendance de la parole citoyenne, de la neutralité de la méthode utilisée ainsi que celle des expertises indépendantes nécessaires y compris celles de controverse. Elle s'attacherait aussi à la promotion des décisions qui sortiraient de ces conférences.
L'expérimentation qui s'est déroulée sur 3 mois nous a beaucoup appris, et pourrait être pérennisée par un dispositif institutionnel.
En élaborant les préconisations, nous avons constaté d'abord qu'il n'y avait pas de mesure pertinente face aux questions posées qui ne puisse être conçue isolément : la transversalité est un enjeu majeur. Ensuite les décisions qui durent sont celles qui sont acceptées en profondeur, ce qui nécessite un processus important de négociation, de concertation, de construction de compromis. Ce processus prend certes du temps, mais il en fait gagner beaucoup par la suite.
Pour nous, construire un discours commun sur ces enjeux importants et cette confrontation avec ces 28 citoyens tirés au sort a été une expérience forte et riche.
Vous nous avez expliqué que ces 28 personnes provenaient d'un panel représentatif : le terme de « tirés au sort » que vous venez d'utiliser est donc une commodité de langage ?
Il y a des aléas si on veut apprécier la qualité de la méthode du point de vue de la représentativité des personnes ainsi sélectionnées. Mais c'est déjà un effort de recherche d'une assise sociologique plus large que celle d'un tirage au sort. Du point de vue scientifique, les personnes tirées au sort n'ont aucune légitimité à revendiquer la moindre représentativité de la population. On les considère comme un groupe témoin, dont la pensée va évoluer par une réflexion qui sera documentée. Par exemple, pour les états généraux de la bioéthique en 2009, des citoyens ont été sélectionnées à l'aide d'institutions qui savent constituer des échantillons représentatifs. Mais à la différence de votre méthode, il n'y avait pas eu de neutralité, car les citoyens ont demandé de l'expertise et ont dit que l'écoute des experts les avait souvent amenés à changer d'avis.
Nos concitoyens ne se prennent pas pour des experts et ont l'habitude de se reporter à leurs avis. La notion de tirage au sort, selon moi, est un concept pour lequel une méthodologie doit être mise en oeuvre sans précipitation. Il faut éviter de se retrouver dans un forum où les idées reçues et les lieux communs de la politique ont droit de cité. Il faut de la pédagogie, car il faut pouvoir maîtriser les tenants et les aboutissants pour trancher les problèmes.
Il y a deux termes ambigus : ceux de « tirage au sort » et de « représentativité ». Nous sommes conscients que 28 personnes ne peuvent constituer un échantillon représentatif de la société. Nous cherchions à avoir un échantillon qui représente sa diversité : nous avions donc fixé des critères de parité, de répartition socio-professionnelle et géographique, incluant une répartition entre urbain et rural, et enfin en terme d'âge. Nous avons ensuite demandé à une société de services de présenter une liste de 28 citoyens correspondant à ces critères. C'est pour cela que le document est un avis du CESE, et seulement du CESE, auquel le travail de ces 28 citoyens a contribué. Sur la neutralité, nous n'étions pas là pour influencer la position de ces citoyens. En revanche, nous avons estimé indispensable qu'ils reçoivent des informations, par le biais des auditions notamment. Un point important : il y a eu beaucoup de discussions très complexes entre l'avis d'un expert et l'avis de la société civile. Enfin ce groupe de citoyens était assisté par une société de conseil, qui a permis de mettre en forme leur réflexion. Tout cela a été fait avec beaucoup de méthode.
Un point pratique : pour le tirage au sort, nous n'avions pas de base. Nous n'avions pas d'autres solutions que le recours à ce panel. Concernant la méthode, nous avons trouvé intéressant que les citoyens soient invités, entre les différents séminaires, à réaliser par eux-mêmes des recherches pour approfondir les sujets qui étaient sur la table, et ils se sont tous engagés dans ces démarches. Enfin, ce que nous avons surtout recherché dans ce groupe, c'est le témoignage de ce que nous appelons une expertise d'usage : il fallait que nous disposions du regard des usagers des politiques.
J'ai écouté avec intérêt les deux interventions. L'idée de permettre aux femmes et aux hommes issus de milieux différents de s'investir de manière plus approfondie, sans être des experts mais en leur qualité de citoyens, peut apparaitre comme une démarche séduisante. En revanche, je dois vous confier une inquiétude : j'ai certes entendu dans vos propos quelques propositions nouvelles sur l'aspect « revitalisation de la démocratie » ; en revanche, s'agissant des sujets qui sont pour moi essentiels aujourd'hui, et qui sont au coeur des inquiétudes exprimées par des mouvements sociaux, pas seulement par les gilets jaunes, comme la désertification médicale ou l'urbanisation, je ressens une certaine frustration à entendre qu'il s'agirait de préoccupations nouvelles. Ces attentes sont exprimées depuis des années, voire des dizaines d'années, il n'y a donc rien de nouveau. Certes nos concitoyens attendent d'être davantage associés à la prise de décision et à la construction de décisions nouvelles, mais donner le sentiment qu'on découvre des sujets qui sont au coeur de la crise que vivent nos territoires, en formulant par exemple la préconisation d'avoir une approche globale sur les problèmes en matière d'urbanisme en invitant des gens autour d'une table dans le cadre d'une énième consultation, n'apportera rien de plus. Il suffit de regarder les préconisations des très nombreux rapports parlementaires sur ces sujets, on connait déjà les solutions. Le temps est venu de la mise en oeuvre de préconisations pratiques et non d'un énième débat.
Dans la même lignée que mon collègue Mathieu Darnaud, je ne connais personne qui ne partagerait pas le diagnostic que vous posez sur la nécessité de réduire la fracture et réconcilier la France. Je souscris évidemment à vos propos introductifs sur l'éducation, la nécessité d'un meilleur partage de la richesse ou sur la prise en compte du développement durable. Ce sont d'ailleurs des positionnements qui sont très largement partagés, et depuis longtemps, dans les assemblées. Je m'interroge en revanche, comme le président de notre commission des lois, sur l'efficience d'un mécanisme de tirage au sort. Le CESE se grandirait à ne pas forcément choisir la facilité en relayant simplement l'air du temps, et au contraire à prendre quelques risques en ayant une fonction pédagogique qui peut impliquer d'aller à l'encontre d'idées reçues. Le tirage au sort ne confère que la légitimité du hasard. Je préfère un système de décisions qui soit fondé sur la légitimité de l'élection, c'est le fondement même de notre démocratie ; a contrario, une légitimité qui ne traduit pas une forme de représentativité serait un facteur de fragilité. Je m'interroge aussi sur la multiplication de ce genre de rapports. On n'a pas attendu les manifestations des gilets jaunes pour s'interroger sur le devenir de la société, ne serait-ce qu'en tenant compte de l'analyse de certains intellectuels ou scientifiques qui formulent, plus qu'on ne le pense, des propositions concrètes qui aliment utilement le débat. Les travaux de Christophe Guilluy ou Jérôme Fourquet me viennent par exemple à l'esprit.
Je pense donc qu'il serait opportun de sortir de votre zone de confort. Je préfère le risque de l'excès, qui certes peut conduire à commettre des erreurs, à ces généralités qui, d'une certaine manière, conduisent à de la platitude et au statut quo.
La première chose qui m'interpelle, c'est le qualificatif de « citoyens » que vous accolez à ces personnes que vous avez fait venir pour les entendre. Après tout, les membres du CESE sont aussi des citoyens. Plutôt que de parler de citoyens, on devrait davantage parler, en l'espèce, de l'état de l'opinion grandement façonné par les médias. Cela ne présente qu'un seul intérêt, celui de connaitre la température, et de prendre conscience des erreurs commises par le pouvoir, ces erreurs n'étant pas anodines : on ne vous parle pas de la concentration des pouvoirs à l'Élysée ou des allers retours entre le public et le privé. L'opinion publique relaie ce qu'elle croit être un problème, comme l'indemnité des parlementaires ou le nombre de fonctionnaires. Les véritables causes des problèmes ne sont jamais soulignées. On vous parle des fonctionnaires en général. On ne vous parle jamais spécifiquement des 600 fonctionnaires qui gagnent plus que le Président de la République. D'ailleurs, quand on essaie d'avoir des éléments précis, l'opacité demeure. Ce n'est qu'à l'occasion d'un scandale que l'on obtient des éléments d'information sur tel ou tel aspect. Si le CESE cherche à identifier les véritables dysfonctionnements de notre démocratie, ceux-là sont plutôt à chercher dans cette voie : si vous voulez un rapport qui présente un intérêt pour revitaliser la démocratie, oeuvrez donc pour la transparence et allez regarder ce qu'il en est de ces 600 fonctionnaires. Enfin, avez-vous un ordre d'idée de la probabilité que vous avez d'être entendus ? De notre côté, nous avons parfois le sentiment de ne pas être entendus à la hauteur de ce que mériteraient nos propositions.
Ma réflexion va dans le sens des interventions précédentes. Si l'on écoute votre propos, et que l'on fait un peu de psychologie, le mot « citoyens » est toujours employé de manière à démarquer ces derniers des « élus ». Vous nous avez dit en quelque sorte : « Avec les citoyens tirés au sort, il y a de la fraicheur », comme si nous, qui ne sommes pas tirés au sort mais élus, n'étions pas frais.
Il y a là une idéologie selon laquelle la vérité serait du côté du tirage au sort, compte tenu de sa fraicheur et de sa spontanéité, et qui est pour moi la désintégration de la démocratie, telle que je la vis. J'envisage la démocratie comme le fait que des candidats s'en remettent au suffrage en se présentant à une élection afin de soumettre au corps électoral des idées et un programme. La personne tirée au sort, que va-t-elle faire ? Que va-t-elle proposer ? Si l'on supprime le projet, le programme, l'idée, tout s'effondre, l'expression démocratique perd tout son intérêt. Je récuse cette théorie selon laquelle nous ne serions pas pleinement des citoyens comme les autres parce que nous sommes élus.
Il existe des « spécialistes » de cette notion de « citoyens », ce sont les sondeurs. Mais vous savez que les sondages, même s'ils sont nécessaires, comptent des marges d'erreur, on parle de 3 % de marge d'erreur, et ces sondages peuvent avoir des effets pervers : si chaque politique se réveille le matin en se demandant ce qu'il doit dire au regard des sondages qui sont parus, on aboutira à une uniformisation des propos. Ce qui est intéressant dans la politique, c'est de se battre pour ses propres convictions. Si le tiré au sort n'a comme mérite que d'être physiquement présent, ne défend aucune idée, et se contente d'être un relai d'opinions qu'il jugera les plus répandues, sans doute par mimétisme avec les sondeurs, nous tendrons vers une régression de la démocratie.
Ce que vous dites sur la fiscalité est en revanche admirable. Je partage votre idée sur les critères, dont l'écologie ou la justice, à prendre en compte dans la détermination de la fiscalité. Il faudrait réfléchir, en regardant les quinze dernières années, sur les raisons pour lesquelles une espèce de viscosité globale empêche les gouvernants successifs de mettre en place une réforme globale de la fiscalité.
De même, je partage vos propos sur l'éducation. Il s'agit de permettre d'éviter une reproduction sociale systématique. Deux chiffres me taraudent : avec la mise en place de la semaine de quatre jours, le nombre de jours d'école en primaire en France est de 135, alors que la moyenne européenne est de 185. Vous pensez vraiment que l'on va lutter contre les inégalités et être meilleur dans les classements internationaux s'il n'y a pas davantage d'emprise de l'école. Trop d'enfants se retrouvent livrés à eux-mêmes à 16 h 30. Mais c'est comme pour la fiscalité, résorber ce problème suppose beaucoup de courage, et le courage c'est beaucoup plus important que le tirage au sort...
J'ai reçu une notification du journal Le Monde m'informant de la parution d'un article intitulé « Je ne connaissais rien, c'était humiliant, le grand malaise de la culture générale ». Vous parlez de fracture liée à l'emploi, au territoire, à la représentation, je pense que le fond de l'affaire c'est une fracture culturelle entre le peuple et les élites, entre les inclus et les exclus, entre ceux qui disposent de codes sociaux survalorisés et les autres. Ces codes se manifestent aussi bien sur la numérisation - l'ubérisation de la société n'est pas une problématique qui concerne les zones les plus rurales de Saône-et-Loire où j'habite - que sur la mobilité ou encore les pratiques sociétales de toute nature qui se développent, par exemple sur le plan alimentaire. Les mouvements que vous appelez, sur l'urbanisme, sur la mobilité, ne se feront qu'à long terme. Ils ne sont pas de nature à mettre un terme à une crise qui appelle des solutions urgentes et de l'immédiateté. Le tirage au sort, que je n'accable pas aussi durement que mes collègues parce qu'il faut aussi s'interroger sur un mode de représentation qui a ses limites et sur des corps intermédiaires très largement déconsidérés, n'est vraiment qu'une perspective, et certainement pas une solution à très court terme. Le tirage au sort est évidemment une proposition qui ne fait pas l'unanimité, loin de là, mais on ne peut pas faire l'économie d'un débat sur la mixité des modes de représentation de la société.
Nous sommes, nous sénateurs, les représentants des territoires mais, pour autant, nous ne sommes pas représentatifs de la France. C'est une difficulté que connait l'ensemble des démocraties occidentales : lorsque l'on regarde la composition des assemblées d'élus par rapport à la population dans son ensemble, il y a un hiatus très fort. Il existe donc un problème de déconnexion vis-à-vis de la population, car certaines couches de la société ne sont pas représentées. On peut être représentant sans être représentatif, ce qui pose une difficulté.
S'agissant des constructions d'échantillon, je ne pense pas qu'il faille disqualifier les prises de parole des citoyens ordinaires. Une prise de position qui nécessite des connaissances de l'immédiateté, et qui n'émane pas d'un spécialiste, mérite malgré tout d'être prise en compte, ne serait-ce que parce qu'elle sert à informer les élus de la perception des politiques décidées. Il faut être très mesuré sur la façon dont on raisonne sur la faiblesse d'un échantillon, car après tout cet argument serait aussi opposable aux assemblées. Cela, et je vous rejoins monsieur le président, la note de Terra nova l'a bien montré : autant les prises de parole immédiates peuvent avoir un intérêt sur l'immédiateté du vécu, autant la construction progressive de la décision politique sur une problématique est importante. Les échanges et le recul sur un sujet sont une meilleure solution que le vote émotionnel. Il y a donc une nécessité de co-construction qui doit s'affirmer dans le temps. Quand on vote à un référendum sans être informé des conséquences, simplement sous le coup de l'émotion, on aboutit à un Brexit.
Enfin, le tirage au sort n'est pas une modalité exclusive de l'élection. Il faut simplement se souvenir que le tirage au sort était un moyen essentiel de la démocratie dans l'antiquité. Pour Montesquieu, qui oppose les républiques aristocratique et démocratique, il n'y a qu'une modalité de désignation, c'est le tirage au sort. Cette règle du tirage au sort, qui était forte avant le XVIIIe siècle, a été écartée après le XIXe siècle, au bénéfice du régime représentatif et donc au bénéfice de l'élection. Je pense qu'il ne faut pas opposer les deux mécanismes, mais au contraire considérer que des tirages au sort, avec un système de co-construction de la décision, peuvent contribuer à revigorer notre système démocratique. Dans une crise de représentation, il ne faut pas envisager chacun de ces systèmes comme devant se substituer l'un à l'autre, mais au contraire rassembler un maximum de personnes dans des formes de participation à un objectif qui, après tout, est commun : le gouvernement de tous.
Les six mois de manifestations des gilets jaunes ont souligné le besoin de s'exprimer de certains Français. Nous sommes tous, sénateurs, issus du terrain, nous avons pour la plupart été élus de terrain. Notre expérience locale nous montre qu'il est extrêmement difficile de maintenir l'attention de nos compatriotes. Quand on organise des réunions de quartier, en tant qu'élu local, au début l'enthousiasme est général, les administrés sont nombreux. Petit à petit, chacun découvre que la fonction d'élu implique de la disponibilité et une vraie vocation, pas forcément compatible avec d'autres centres d'intérêt. Il est difficile de maintenir durablement la représentativité de ces conseils de quartier car l'engagement citoyen se dissout. C'est un peu une mode en France de réclamer la parole mais quand on la laisse durablement aux citoyens, s'instaure une forme de lassitude. Le président de la commission des lois l'a souligné, les Français sont habitués à déléguer, quelque part c'est confortable pour eux, et après ils se mettent à critiquer.
Il existe des rapports précis, des spécialistes nombreux ; finalement sur chaque sujet on est déjà en mesure d'identifier les problèmes. La nécessité d'une baisse de la CSG pour les retraités était par exemple identifiée bien en amont. Ce qui est important, c'est la pédagogie sur les solutions proposées par les élus et l'un des rôles du CESE pourrait être une forme de pédagogie à l'attention des citoyens sur les difficultés inhérentes à la fonction d'élu. On ne balaye pas d'un seul coup la démocratie représentative et l'implication des élus, on ne devient pas élu de la Nation du jour au lendemain, cela suppose d'avoir consacré ses soirs et ses week-ends aux autres pendant des années. Des décennies au contact de la population, ça ne s'invente pas.
Messieurs, je vous cède la parole pour répondre aux interventions de ceux de nos collègues qui se sont exprimés.
Nous avons dépassé cette opposition entre démocratie participative et démocratie représentative. Car au CESE, nous sommes aussi élus, même si ce n'est pas selon les mêmes modalités, et nous avons eu un débat car certains d'entre nous voyaient dans le tirage au sort la possibilité de remettre en cause leur légitimité. Nous avons considéré l'état de la démocratie représentative : comme tous, nous avons été interpellés par l'importance du taux d'abstention aux élections, le « dégagisme » et derrière cela la toute la défiance qui s'est récemment manifestée. Il fallait trouver le moyen de rénover notre démocratie avec une dose de participation.
Sur la qualité du débat public, il est intéressant de constater que, quand on associe les citoyens, cela crée un effet de rayonnement, car ils parlent de leur participation à leur entourage. Sur le terme « fraîcheur » que j'ai employé, que l'on s'entende bien : les citoyens ont un autre vocabulaire, d'autres rites que ceux que nous avons acquis en tant qu'élus depuis quelques années. Cela nous aide à dépasser certaines postures. J'en profite pour dire que si les chaînes parlementaires nous étaient ouvertes, nous pourrions contribuer à la qualité du débat public.
Sur le terme de « citoyens », nous avons aussi eu beaucoup de débats, cela renvoie pour nous au terme « civisme » et cela ne se démarque pas des élus.
Sur la tiédeur, nous entendons cette critique. Un des experts que nous avons entendu, le démographe M. Hervé Le Bras nous a beaucoup frappés en nous indiquant que la structure des emplois en France depuis quarante ans s'était complètement transformée : la catégorie des emplois très qualifiés et celle des emplois peu qualifiés ont augmenté, et les deux catégories intermédiaires se sont effondrées. Il faut répondre à cela, et pas par des mesures de court terme : c'est pour cela que nous avons mis en premier une préconisation sur l'éducation et en deuxième une préconisation relative aux activités industrielles. Ce sont les axes sur lesquelles il faut travailler à long terme.
Enfin, il est difficile mais nécessaire de faire de la transversalité, même s'il est plus facile de tronçonner les problèmes pour les traiter.
Mes chers collègues, je cède à présent la parole à nos deux rapporteurs, Mme Catherine di Folco et M. Didier Marie, afin qu'ils nous présentent leur rapport sur l'emploi des personnes handicapées dans la fonction publique.
J'en profite pour vous rappeler que la commission a lancé une consultation en ligne des élus locaux sur le projet de loi de transformation de la fonction publique, ouverte jusqu'au 5 juin prochain. Plus de 1 500 réponses ont déjà été reçues. Les membres de la commission sont naturellement invités à relayer cette consultation dans leur département respectif.
La loi du 11 février 2005 pour l'égalité des droits et des chances, la participation et la citoyenneté des personnes handicapées a permis de s'orienter vers une société plus inclusive. Désormais, toute personne handicapée a droit à la compensation des conséquences de son handicap, quels que soient l'origine et la nature de sa déficience, son âge ou son mode de vie.
La fonction publique n'échappe pas à cette exigence : les administrations de plus de 20 agents qui emploient moins de 6 % de travailleurs handicapés doivent contribuer au financement du Fonds pour l'insertion des personnes handicapées dans la fonction publique (FIPHFP).
La politique du handicap arrive toutefois à un tournant et doit se réinventer. En effet, d'importantes disparités persistent selon les différentes fonctions publiques. Seul le versant territorial respecte ses obligations, avec un taux d'emploi de 6,76 %, contre 5,67 % pour le versant hospitalier et 4,65 % pour le versant de l'État.
Sur le terrain, les actions mises en oeuvre sont peu structurées : elles reposent souvent sur l'énergie et l'engagement personnel de certains élus ou agents. Elles sont toutefois mises à mal lorsque ces « locomotives » quittent leurs fonctions.
Dans notre rapport, nous abordons notamment la dégradation de la situation financière du FIPHFP, qui obère son avenir. J'avais déjà tiré la sonnette d'alarme en 2016, dans mon avis budgétaire « fonction publique ».
Avec M. Didier Marie, nous avons mené huit mois de travaux passionnants, pendant lesquels nous avons entendu 104 personnes en audition et effectué deux déplacements.
Nous émettons 28 propositions pour assurer la pérennité financière du FIPHFP, lever les freins au recrutement de travailleurs handicapés, anticiper et mieux accompagner les risques d'inaptitude professionnelle.
Les risques de discrimination envers les personnes en situation de handicap restent très importants, malgré les efforts d'un certain nombre d'administrations.
Je rappelle que le handicap ne saurait se limiter à une mobilité restreinte ou à un problème physique apparent. 80 % des handicaps sont invisibles, à l'instar des troubles mentaux, de l'autisme ou de la dyslexie.
Les personnes handicapées rencontrent des difficultés pour s'insérer sur le marché du travail : leur taux de chômage - à hauteur de 19 % - est deux fois plus élevé que celui de la moyenne nationale. À titre de comparaison, le chômage des personnes handicapées est de 9,6 % en Suède, de 10 % en Italie et de 13 % en Belgique.
Dans la fonction publique d'État, 47 % des réclamations reçues par le Défenseur des droits portent sur le handicap et l'état de santé au travail. La marge de progression est donc certaine !
L'accès à la fonction publique pose également problème. Même aménagés, les concours administratifs sont peu accessibles aux candidats en situation de handicap. À titre d'exemple, le « tiers temps » peut représenter une difficulté car il induit une fatigue supplémentaire pour les candidats qui en bénéficient.
Enfin, la réduction du nombre de contrats aidés représente une nouvelle difficulté pour les personnes handicapées, dont beaucoup accédaient à la fonction publique grâce à ce dispositif.
Nous avons constaté un manque de coordination entre les différents acteurs de l'insertion des personnes handicapées, en particulier dans le secteur public.
Les relations entre le service public de l'emploi et les employeurs publics sont distendues, voire inexistantes. À titre d'exemple, les employeurs publics n'ont pas l'obligation de transmettre leurs offres d'emploi à Pôle emploi ou à Cap emploi. Le plus souvent, les conseillers du service public de l'emploi n'ont pas connaissance des dispositifs du FIPHFP. Cette situation nourrit ainsi une source d'incompréhension entre ces conseillers et les employeurs publics.
Nous constatons, en parallèle, que des postes ne sont pas pourvus, faute de candidature de personnes en situation de handicap. Pour preuve, le centre de gestion du Bas-Rhin n'a pas été en mesure de recruter le nombre de personnes handicapées requis, Cap emploi n'ayant pas proposé suffisamment de candidats.
Dans la fonction publique, les personnes en situation de handicap peuvent être réparties en deux catégories : celles qui y entrent avec un handicap connu et celles dont l'état de santé se dégrade au cours de la carrière.
Durant nos auditions, nous avons constaté que les politiques de prévention demeuraient, pour le moins, perfectibles. 67 % - chiffre considérable - des agents de la fonction publique éprouvent des douleurs physiques liées à leurs positions de travail.
En outre, certains agents sont particulièrement exposés, à l'instar des agents de catégorie C des fonctions publiques territoriale et hospitalière. 34,4 % des agents publics ont 50 ans ou plus ; ce chiffre étant porté à 40 % dans la fonction publique territoriale.
Aujourd'hui, 36 000 agents publics ont été reclassés, au terme de lourdes procédures administratives. Ces dernières pâtissent du manque de mobilité au sein d'une même fonction publique, voire entre les fonctions publiques elles-mêmes ; question sur laquelle nous avons été, à maintes reprises, alertés.
Malgré ces difficultés, le taux d'emploi de personnes handicapées dans la fonction publique s'est accru. Sur un total de 938 000 travailleurs handicapés, 250 760 sont des agents publics, soit 22 %. Pour la seule année 2016, 30 542 travailleurs handicapés ont été recrutés dans la fonction publique, soit deux fois plus qu'en 2009.
Entre 2006 et 2018, le taux d'emploi légal des personnes handicapées est passé de 3,74 % à 5,61 %. Néanmoins, seule la fonction publique territoriale respecte ses obligations, avec un taux d'emploi légal de 6,76 %, contre 5,67 % pour la fonction publique hospitalière et 4,65 % pour la fonction publique d'État.
La fonction publique d'État se doit de rattraper son retard. Les résultats demeurent contrastés selon les ministères. En effet, si des ministères sont vertueux, d'autres présentent des résultats insuffisants, comme le ministère de l'éducation nationale et de la jeunesse, qui est le seul à ne pas contribuer au FIPHFP. En outre, le taux de 3,38 % d'emploi des personnes en situation de handicap dans les services du Premier ministre doit être relevé. Celui-ci est le plus faible de toutes les administrations de l'État, alors que le Premier ministre devrait donner l'impulsion et répondre à l'exigence d'exemplarité !
J'en viens, à présent, à la situation financière du FIPHFP.
Cet établissement public administratif a pour mission de favoriser l'insertion professionnelle des personnes handicapées, ainsi que la formation et l'information des agents au sein des trois fonctions publiques. Sa gestion administrative est assurée par la Caisse des dépôts et consignations.
Le modèle économique du FIPHFP s'inscrit dans une logique incitative : lorsqu'elles ne respectent pas leurs obligations, les personnes publiques qui emploient plus de 20 agents financent, par l'intermédiaire du fonds, des mesures d'insertion en faveur des personnes handicapées. Les 272 conventions signées avec les employeurs publics constituent le principal outil d'intervention du FIPHFP.
Le FIPHFP subit actuellement un effet de ciseaux, inhérent à son modèle économique. En effet, la contribution des employeurs baisse du fait de l'augmentation du taux d'emploi des personnes handicapées dans la fonction publique. Parallèlement, les demandes d'aménagement de poste augmentent et, avec elles, les dépenses d'intervention du FIPHFP.
Entre 2015 et 2018, le FIPHFP a accumulé 230 millions d'euros de déficit, ce qui remet en cause sa pérennité financière. Ses réserves sont passées de 400 millions d'euros au début des années 2010 à 70 millions d'euros aujourd'hui ; elles devraient encore se réduire à 40 millions d'euros dans les deux prochaines années. En outre, le mandat de gestion de la Caisse des dépôts et consignations, qui représente 14,8 millions d'euros en 2018, soit 9,89 % du budget du FIPHFP, s'avère relativement lourd.
Le FIPHFP a dû réduire ses dépenses d'intervention, qui ont baissé de 30 % entre 2014 et 2018. Le montant global des conventions a diminué de plus de 40 % sur cette même période. Dans l'exemple du centre de gestion du Rhône et de la métropole de Lyon, les aides du FIPHFP ont baissé de moitié.
Le FIPHFP a également instauré un plafonnement des aides ponctuelles à 100 000 euros sur trois, ainsi qu'un plancher pour les prises en charge. Désormais, les dépenses de moins de 200 euros ne sont plus remboursées.
Dans notre rapport, nous proposons de stabiliser les ressources du FIPHFP à hauteur de 150 millions d'euros, contre les 130 millions d'euros proposés par le Gouvernement. Notre proposition se veut ainsi médiane avec les attentes du FIPHFP, qui souhaiterait un budget de 180 millions d'euros.
Nous préconisons également de revoir le modèle économique du FIPHFP, en expérimentant une réforme qui viserait à instituer une cotisation universelle assise sur la masse salariale des employeurs publics ainsi qu'un système de bonus / malus destiné à valoriser les efforts des employeurs les plus vertueux. Il s'agirait ainsi de modifier le paradigme du FIPHFP en instaurant un principe assurantiel.
En complément, il convient de demander au Gouvernement de se saisir d'urgence de cette situation et d'engager une concertation, comme préalable à l'expérimentation. Un groupe de travail doit être créé sous l'égide du Premier ministre, en associant le FIPHFP, les employeurs publics, les associations et les représentants des personnes handicapées.
Il convient, en parallèle, de moderniser les actions du FIPHFP qui, historiquement, s'est concentré sur le recouvrement des contributions des employeurs publics et la délivrance des aides financières. Nous proposons, à court terme, de confier ces opérations à l'Agence centrale des organismes de sécurité sociale (ACOSS), en lieu et place de la Caisse des dépôts et consignations.
Nous préconisons également de renforcer la présence du FIPHFP dans les territoires. Actuellement, les treize délégués territoriaux du fonds sont implantés dans des régions très étendues, et ne sont pas en mesure de répondre à toutes les sollicitations.
Certes, le FIPHFP a délégué un certain nombre d'actions à des prestataires privés, dans le cadre des handi-pactes. Ceux-ci sont toutefois peu opérationnels : pour preuve, en région Normandie, un seul consultant gère les relations du FIPHFP avec les employeurs publics, pour un coût significatif. C'est pourquoi, nous proposons d'internaliser ces moyens affectés aux handi-pactes, afin que le FIPHFP puisse recruter 22 agents supplémentaires et conforter sa présence dans les territoires.
Nous préconisons également de mieux associer les employeurs publics et les personnes handicapées à l'évaluation des aides du FIPHFP et d'améliorer la lisibilité du catalogue du fonds, qui compte aujourd'hui plus d'une centaine de pages !
Enfin, la modernisation du conventionnement entre le FIPHFP et les employeurs publics nous semble nécessaire, notamment en allongeant la durée des conventions, en créant un instrument de suivi financier et en publiant les objectifs des conventions ainsi que leurs résultats. Une telle démarche valoriserait ainsi les réussites et inciterait à redresser des situations estimées insatisfaisantes. Enfin, il conviendra de réduire les coûts de gestion du FIPHFP, qui nous paraissent trop importants.
En dehors des actions que nous préconisons pour le FIPHFP, nous cherchons à impulser une nouvelle dynamique à la politique du handicap dans la fonction publique.
Puisque la fonction publique d'État s'avère la moins vertueuse, nous proposons que le Gouvernement s'engage à atteindre, parmi ses agents, le seuil de 6 % de travailleurs handicapés dans les deux ans qui viennent. Cet effort est considérable.
À l'instar du secteur privé, la désignation d'un référent handicap dans toutes les administrations permettrait de mieux structurer la politique du handicap. Ces référents, d'autant plus professionnalisés, se verraient alors reconnaître un rôle important.
Certaines mesures visent à faciliter le recrutement de personnes handicapées, comme les contrats ad hoc qui les exemptent de concours administratif.
Leur titularisation à l'issue d'un contrat d'apprentissage pourrait également être expérimentée. Ce sujet devrait être abordé lors de l'examen du projet de loi de transformation de la fonction publique.
Les maintiens dans l'emploi doivent être mieux anticipés et mieux accompagnés. Contrairement au secteur privé, les agents publics reclassés sont comptabilisés dans l'obligation d'emploi des employeurs. Une telle obligation tronque quelque peu les chiffres, notamment ceux de la fonction publique territoriale, car elle permet d'atteindre plus facilement le seuil des 6 % de personnels handicapés. Pour le calcul des contributions des employeurs, nous proposons que la prise en compte des personnes maintenues dans l'emploi soit limitée à cinq ans. Cette mesure est radicale. Passée cette durée, seules les personnes ayant obtenu une reconnaissance de la qualité de travailleur handicapé (RQTH) continueraient à être comptabilisées par le FIPHFP.
Cette notion de maintien dans l'emploi doit être précisée. Cela revient-il à identifier comme travailleurs handicapés des personnes dont le handicap n'était jusqu'alors pas pris en compte, afin de les verser dans le contingent relevant de l'obligation d'emploi ?
Ces personnes, comptabilisées au titre du maintien dans l'emploi, ne sont pas toujours porteuses d'un handicap. Elles ont ainsi pu éprouver, à un moment de leur vie professionnelle, des difficultés à occuper un poste générant une grande fatigabilité. Ainsi, un agent technique, qui doit porter de lourdes charges, peut ressentir de fortes douleurs lombaires et ne plus être en mesure d'assumer ses fonctions. Il faut alors trouver des solutions pour pallier à ces difficultés, par exemple en affectant cet agent à un service administratif.
Alors que cette personne ne bénéficiera pas de la reconnaissance de la qualité de travailleur handicapé... Le maintien dans l'emploi concerne-t-il seulement la fonction publique territoriale ?
Les hôpitaux ont également une politique de reclassement, mais les possibilités de reconversion dans un autre emploi sont moins nombreuses que dans la fonction publique territoriale.
L'objectif est qu'une personne, qui s'est trouvée en situation difficile et relève d'un handicap ponctuel, puisse être accompagnée par son administration et le FIPHFP pendant plusieurs années.
Le handicap et la restriction d'emploi peuvent intervenir en cours de carrière.
Nous proposons, pour les métiers les plus pénibles, de convier les agents à un entretien de carrière afin de prévoir des aménagements futurs, des réorientations ou encore des formations favorisant leur reclassement. L'anticipation est ici essentielle.
Nous constatons par ailleurs une grande pénurie de médecins de prévention dans l'ensemble des collectivités publiques. Il s'agirait de mieux mettre en valeur cette spécialité durant les études de médecine et de permettre, à titre d'expérimental, à des médecins de ville de remplir les missions de médecins de prévention. La mutualisation des services de santé et de prévention constituerait également une piste de travail.
Enfin, il faut consacrer un droit à la portabilité des aménagements de poste lorsque l'agent change d'employeur, ce qui lui permettrait de conserver les matériels qui lui sont requis dans son nouveau poste. Cette démarche impliquerait une compensation financière pour l'employeur initial, qui a acheté le matériel.
Nous proposons également de renforcer l'efficacité de la période de préparation au reclassement, qui intervient trop tardivement aujourd'hui.
Merci, chers collègues, de votre exposé.
Lorsque le FIPHFP a été créé, la fonction publique accusait un retard conséquent. Dans le secteur privé, un fonds existait depuis 1988. Les collectivités publiques avaient alors été soigneusement tenues à l'écart de ce système quelque peu coercitif. C'est d'ailleurs une avancée de la loi du 11 février 2005 que d'avoir transposé ce système du secteur privé au secteur public : en plus de dix ans, le nombre des personnes handicapées employées par les trois fonctions publiques a doublé !
D'une certaine façon, le système est victime de son succès : plus il y a de personnes handicapées employées dans la fonction publique, moins il y a de ressources ! Certes, on peut se dire que nous avons besoin de moins de ressources, puisque les personnes handicapées sont dans l'emploi, mais les besoins d'aménagements de poste augmentent.
Les besoins de financement demeurent très élevés tandis que les ressources sont en train de s'effondrer. C'est là une réelle préoccupation que je vous remercie d'avoir mise en exergue dans votre rapport ! Il me semble essentiel de donner un nouveau souffle à la politique du handicap dans la fonction publique.
La proportion de personnes handicapées dans la population active s'est également accrue, pour atteindre environ 6,6 %. Nous avons toujours besoin de financements pour intégrer de plus en plus de personnes. En outre, l'allongement du temps de travail génère de la pénibilité et de la fatigabilité, qui peuvent être la source d'un handicap futur.
Que faire si certains agents publics sont en situation de handicap mais ne souhaitent en informer leur employeur ?
Les administrations n'ont pas à imposer aux personnes, dont le handicap n'obère pas la capacité de travail, à se déclarer. Les associations ont d'ailleurs dénoncé une forme de « traque aux personnes handicapées » dans le seul but d'abaisser les niveaux de cotisation au FIPHFP !
L'accès à l'emploi des personnes handicapées s'est bien amélioré durant ces dernières années mais des efforts restent à faire. Il me paraît important que votre rapport soit connu par l'ensemble des employeurs publics.
Je remercie les rapporteurs pour leur travail. Prenons garde à ce que la protection nécessaire et particulière des personnes en situation de handicap ne génère une forme de discrimination positive. Ce ne serait rendre service à personne.
Le faible taux d'emploi de travailleurs handicapés dans l'éducation nationale est-il lié à l'absence de suivi médical des personnels ? Que faire pour améliorer cette situation ?
Ma première question portera sur la neuvième proposition de votre rapport qui consiste à autoriser, à titre expérimental, la titularisation des personnes handicapées à l'issue de leur contrat d'apprentissage, sous réserve de la confirmation de leur compétence professionnelle.
Il s'agit de dépasser la difficulté du concours, dont le contenu peut s'avérer dissuasif pour les personnes en situation de handicap. Cette proposition, réellement révolutionnaire, me semble dérogatoire par rapport à la logique des concours. Pourriez-vous développer ce point ?
Ma seconde question portera sur les frais de gestion de la Caisse des dépôts et consignations, évalué à 14 millions d'euros. Je n'ai pas vu dans votre rapport de proposition invitant cet organisme de l'État à assumer, par exemple à titre gracieux, sa mission de gestionnaire !
La Caisse des dépôts et consignations assure une prestation pour laquelle elle mobilise du personnel. Ce qui représente un coût. Encore faut-il s'assurer, effectivement, que la Caisse ne réalise pas de bénéfices sur une telle prestation !
La proposition visant à autoriser, à titre expérimental, la titularisation des apprentis en situation de handicap n'équivaut nullement à conférer un blanc-seing à l'administration ! Cette démarche s'inscrit dans la continuité des contrats ad hoc, au terme desquels un jury vérifie les aptitudes professionnelles de l'agent handicapé. Dans ce cadre, la titularisation n'est nullement systématique et ne le serait donc pas non plus pour les apprentis !
Une personne autiste peut éprouver de nombreuses difficultés à occuper un emploi dans la fonction publique, faute de pouvoir passer les diverses épreuves des concours. Elle peut, en revanche, présenter de réelles compétences dans des emplois plus spécialisés, dans des domaines techniques comme celui de l'informatique, et être titularisée sur un poste afférent.
En réponse à Mme Josiane Costes, le référent handicap serait le premier interlocuteur des agents pour évoquer leur situation et les aménagements de poste à mettre en oeuvre. Ce serait un début de solution, notamment dans l'éducation nationale.
L'éducation nationale est la seule administration de l'État à ne pas cotiser au FIPHFP, en contrepartie du recrutement d'auxiliaires de vie scolaire (AVS).
Les possibilités de reclassement des personnels, notamment enseignants, demeurent ténues. C'est donc un vrai sujet de médecine préventive et de reclassement au sein de ce ministère, voire de passerelle avec d'autres administrations !
Plus globalement, un certain nombre d'administrations utilisent trop souvent les procédures de licenciement pour inaptitude au travail ou de mise en retraite anticipée. D'autres se sont en effet empressées d'identifier des agents éprouvant des difficultés à assumer leurs fonctions comme d'éventuels travailleurs handicapés, afin de minimiser leur cotisation au FIPHFP. L'instauration d'un bonus-malus permettrait de sanctionner les administrations recourant à un tel procédé et, à l'inverse, de valoriser celles qui recrutent le plus de travailleurs en situation de handicap.
La commission autorise la publication du rapport.
Je vous remercie, mes chers collègues, ce vote unanime, qui confirme la qualité du travail des rapporteurs.
La réunion est close à 12 h 05.