Quatrièmement, le recours aux ordonnances ne trahit-il pas les incertitudes et la précipitation du Gouvernement, alors que celles-ci portent sur des sujets qui auraient justifié que le Gouvernement prenne davantage son temps ?
Sur les neuf articles du projet de loi, deux articles habilitent le Gouvernement à légiférer par voie d’ordonnances. Alors que le Parlement regarde toujours avec beaucoup de méfiance les articles d’habilitation, qui réduisent significativement sa capacité à procéder à un examen attentif des dispositions qui lui sont soumises, les deux articles d’habilitation du présent texte portent sur des sujets à la fois majeurs et fort peu consensuels : la création d’un établissement public spécifiquement chargé de la restauration de Notre-Dame, d’une part, et l’octroi de dérogations aux législations existantes pour faciliter la réalisation de ce chantier, aussi exceptionnel soit-il, d’autre part.
Sans compter que ces deux dispositions ont été interprétées par beaucoup comme des marques de défiance à l’égard, à la fois, des capacités propres au ministère de la culture à conduire lui-même ce projet, compte tenu du souhait qui transparaît de nommer Jean-Louis Georgelin à la tête du futur établissement public, et des règles qui régissent la protection patrimoniale. Cette suspicion est d’autant plus grande que ces dispositions interviennent après les atteintes portées à notre législation en matière de patrimoine par la loi n° 2018-1021 du 23 novembre 2018 portant évolution du logement, de l’aménagement et du numérique.
Sur la question de l’établissement public, n’oublions pas que le ministère de la culture a déjà plusieurs choix de maîtres d’œuvre pour conduire ce chantier : la direction régionale des affaires culturelles, la DRAC, qui assume traditionnellement ce type de mission et qui est à la manœuvre, depuis le 15 avril, pour conduire – je souhaite lui rendre hommage – toutes les opérations de sécurisation ; mais aussi le Centre des monuments nationaux et l’opérateur du patrimoine et des projets immobiliers de la culture.
Alors qu’une circulaire du Premier ministre devait prochainement être publiée, demandant qu’aucun établissement public ne soit créé sans qu’un autre soit préalablement supprimé, on peine à comprendre la volonté de créer un nouvel établissement.
Au demeurant, il faut reconnaître que cette solution a été utilisée à de multiples reprises par le passé, avec succès : le Grand Louvre, la bibliothèque François-Mitterrand, ou encore le musée du Quai Branly en témoignent. Elle peut constituer une garantie de transparence pour un chantier exceptionnel et financé d’une manière particulière, en l’occurrence une souscription. Elle peut donc être acceptable, sous réserve d’en encadrer les missions et le fonctionnement. C’est ce que nous avons cherché à faire en commission, en précisant le caractère administratif de l’établissement, en le plaçant sous la tutelle du ministère de la culture et en rappelant que la maîtrise d’œuvre serait conduite sous l’autorité des architectes en chef des monuments historiques.
Ce qui n’est pas acceptable, en revanche, c’est de laisser ainsi planer l’ambiguïté sur la solution qui sera retenue par l’État in fine, entre les moyens qu’il a déjà à sa disposition et la création d’un nouvel établissement public. C’est se défier du Parlement et faire fi de la nécessaire intelligibilité de la loi !