La séance est ouverte à seize heures.
Le compte rendu intégral de la séance du mercredi 22 mai 2019 a été publié sur le site internet du Sénat.
Il n’y a pas d’observation ?…
Le procès-verbal est adopté.
Mes chers collègues, par lettre en date du mercredi 22 mai, M. Bruno Retailleau, président du groupe Les Républicains, a demandé le retrait de la proposition de loi portant adaptations législatives aux spécificités des territoires d’outre-mer soumis à une pression migratoire importante, inscrite à l’ordre du jour du mercredi 12 et du jeudi 13 juin 2019.
Acte est donné de cette demande.
L’ordre du jour appelle la discussion du projet de loi, adopté par l’Assemblée nationale après engagement de la procédure accélérée, pour la conservation et la restauration de la cathédrale Notre-Dame de Paris et instituant une souscription nationale à cet effet (projet n° 492, texte de la commission n° 522, rapport n° 521).
Dans la discussion générale, la parole est à M. le ministre.
Monsieur le président, madame la présidente de la commission de la culture, de l’éducation et de la communication, chère Catherine Morin-Desailly, monsieur le président de la commission des finances, cher Vincent Éblé, monsieur le président de la commission nationale du patrimoine et de l’architecture, cher Jean-Pierre Leleux, monsieur le rapporteur de la commission de la culture, cher Alain Schmitz, monsieur le rapporteur pour avis de la commission des finances, cher Albéric de Montgolfier, mesdames les sénatrices, messieurs les sénateurs, nous nous rappelons tous où nous étions, le lundi 15 avril au soir, quand nous avons vu pour la première fois les images de Notre-Dame embrasée. C’était il y a exactement six semaines.
Plus qu’un monument, plus qu’une cathédrale, elle est une part de la France, de son histoire, de son identité. Elle est une part de nous-mêmes.
Voilà qui explique que ce feu nous ait touchés au cœur.
Voilà qui explique que nous ayons tressailli en imaginant le pire, en imaginant que nous assistions, peut-être, aux derniers instants de Notre-Dame de Paris.
Voilà qui explique, aussi, l’extraordinaire mobilisation qui a suivi, si tant est qu’on puisse expliquer une mobilisation d’une telle ampleur.
Ce fut, d’abord, la mobilisation de femmes et d’hommes qui, parfois au péril de leur vie, ont arrêté l’embrasement et sauvé les œuvres exceptionnelles présentes dans la cathédrale : les sapeurs-pompiers de Paris, aidés et renforcés par leurs collègues des autres départements d’Île-de-France, mais aussi les policiers, les agents du ministère de la culture, de la Ville de Paris et du diocèse.
Je veux très sincèrement, une nouvelle fois, les remercier pour leur engagement. Si les voûtes restent encore très fragilisées, l’édifice est aujourd’hui largement sauvé. Nous le devons à leur professionnalisme, à leur dévouement, à leur courage.
Cette mobilisation, c’est aussi celle d’experts, d’institutions et d’entreprises dont les promesses de dons et les propositions d’aide en compétences se sont multipliées.
Surtout, c’est une mobilisation populaire. Des centaines de milliers de dons de particuliers ont afflué de toutes parts, de France et de par le monde. Aujourd’hui encore, ils continuent de nous parvenir.
Il fallait créer un cadre pour les accueillir, pour accompagner, encourager, encadrer cet élan de générosité, pour assortir cette ferveur exceptionnelle d’un dispositif exceptionnel.
C’est le sens du projet de loi pour la conservation et la restauration de la cathédrale Notre-Dame de Paris et instituant une souscription nationale à cet effet.
Oui, nous restaurerons Notre-Dame de Paris !
Le Président de la République a fixé un objectif : cinq ans. C’est un délai ambitieux et volontariste, qui permet de motiver les équipes et de mobiliser l’ensemble des acteurs concernés.
Pour autant, dans cette tâche qui nous attend, nous ne confondrons jamais vitesse et précipitation. Nous devons offrir à Notre-Dame une restauration à la hauteur de sa splendeur, à la hauteur de ce qu’elle symbolise.
Sur un certain nombre de points, il y a urgence à intervenir ; sur d’autres, nous devrons prendre le temps de la réflexion. La situation actuelle de Notre-Dame nous impose ces deux temporalités. Il me semble que ce texte parvient à les concilier.
Alors oui, nous voulons aller vite. On nous l’a reproché, mais l’élan de générosité, lui aussi, s’est déclenché vite. Ce sont les dons pour Notre-Dame qui ont abondé vite ! Et il fallait pouvoir y répondre tout aussi vite. C’est ce que nous avons fait, et je l’assume pleinement.
Que nous aurait-on dit si nous avions laissé fleurir les arnaques, les faux sites internet, les fausses cagnottes en ligne, si nous n’avions pas lancé la souscription nationale, alors que Notre-Dame appartient à la Nation tout entière ?
Que nous aurait-on dit si nous n’avions rien fait ?
On nous aurait dit que l’État manquait à sa mission, et on aurait eu raison de nous le dire, car c’est à l’État d’intervenir pour protéger ce patrimoine commun. Ce n’est pas un péché d’orgueil et ce n’est pas déplacé.
C’est la responsabilité de l’État, à la fois, d’encadrer la souscription nationale dédiée, en fixant, par la loi, les règles qui lui sont applicables, et d’apporter des garanties de sécurité et de transparence aux centaines de milliers de donateurs français ou étrangers.
Cette transparence, nous la leur devons. Je veux les remercier, très sincèrement, pour leur générosité. Ils ne seront pas trahis : leurs dons iront à Notre-Dame de Paris, uniquement et intégralement, à sa conservation, à sa restauration et à son entretien, à court et moyen terme. Nous y veillerons ; soyez-en assurés.
Certains avancent l’idée que nous aurions déjà collecté trop de fonds, plus qu’il n’en faut pour restaurer la cathédrale. Mais si certains dons nous sont déjà parvenus, d’autres sont encore en attente de concrétisation.
En outre, le coût total des travaux n’a pas encore été chiffré. En effet, pour l’instant, les travaux portent seulement sur la mise en sécurité de l’édifice, qui reste, je veux le redire, fragile au niveau de la voûte.
Permettez-moi à cette occasion de remercier très sincèrement, pour leur dévouement et leur réactivité, les entreprises, qui, dès le lundi soir, avec les services du ministère de la culture, ont entrepris un travail exceptionnel pour sauvegarder l’essentiel. Merci à elles et à toutes leurs équipes, pilotées par Philippe Villeneuve, architecte en chef des monuments historiques, et son équipe, qui se sont mobilisés pour prendre les dispositions d’urgence, sans oublier les équipes de la direction générale des patrimoines et de la DRAC d’Île-de-France.
Ce n’est qu’ensuite que nous passerons à la phase de diagnostic, puis à la restauration elle-même.
Dans ces conditions, il est prématuré d’affirmer que nous aurions des surplus à gérer.
Pour opérer cette souscription nationale, outre les versements directs à l’État, nous pouvons compter, depuis le 16 avril, sur la mobilisation de trois fondations reconnues d’utilité publique – la Fondation de France, la Fondation du Patrimoine et la Fondation Notre-Dame – et du Centre des monuments nationaux, opérateur du ministère de la culture. Je veux les en remercier.
Des conventions pourront être passées entre l’État et chacune des trois fondations reconnues d’utilité publique, ainsi qu’avec certains donateurs. L’adoption par l’Assemblée nationale, en première lecture, d’un amendement sur ce point a permis de faire progresser le texte en explicitant cette démarche.
Dans un même souci de transparence quant à l’emploi des fonds collectés, un comité de contrôle sera mis en place. Il réunira le Premier président de la Cour des comptes et les présidents des commissions chargées des finances et de la culture du Sénat et de l’Assemblée nationale. Ce contrôle devra se faire en articulation avec la Cour des comptes et sans préjudice de ceux auxquels elle pourra procéder.
Par ailleurs, la transparence quant au suivi de la souscription et de l’application du dispositif fiscal afférent a été renforcée par des amendements adoptés par l’Assemblée nationale et votre commission.
C’est une transparence à l’égard du Parlement, d’abord. L’article 5 bis dispose que le Gouvernement lui rendra compte, dans un rapport, de la part et du montant des dons effectués au titre de la souscription nationale ayant donné lieu à une réduction d’impôt, ainsi que de la participation des collectivités territoriales.
C’est une transparence à l’égard du public, aussi. L’article 7, tel que modifié par l’Assemblée nationale, impose la publication d’un rapport sur la collecte des fonds, leur provenance et leur emploi.
Concernant l’emploi des fonds, je tiens à rappeler que le présent texte ne portera évidemment pas atteinte aux principes des lois de 1905 et de 1907 : il ne remet en cause ni le principe de laïcité ni les droits du culte affectataire, c’est-à-dire la répartition des prérogatives et des responsabilités entre l’État et l’Église catholique.
L’intégralité des dons passera ainsi par la souscription nationale, à l’exception de ceux qui ont spécifiquement pour objet de financer la restauration des biens appartenant au diocèse ou, plus généralement, les besoins relevant de l’exercice du culte.
Cette loi, je le disais, doit garantir la transparence de la souscription nationale ; elle doit aussi en fixer les règles.
En ce qui concerne les particuliers, la loi introduit un dispositif fiscal spécifique pour accompagner leurs dons.
Je tiens à saluer le ministre de l’économie et des finances, Bruno Le Maire, ainsi que le ministre de l’action et des comptes publics, Gérald Darmanin, pour le travail que nous avons réalisé en étroite collaboration.
Dans la limite de 1 000 euros, le projet de loi porte de 66 % à 75 % le taux de réduction d’impôt sur le revenu au titre des dons et versements effectués par les particuliers en faveur du Trésor public, du Centre des monuments nationaux et des trois fondations que j’ai mentionnées.
Ce dispositif, je le rappelle, ne concerne que les particuliers et les entreprises unipersonnelles. Il a été conçu de manière à couvrir les dons du plus large nombre de Français.
Il est précisément limité, dans le temps, puisque cet avantage fiscal ne concerne que les dons effectués entre le 16 avril et le 31 décembre 2019, et dans les montants, puisque le plafond de don éligible à la réduction fiscale est fixé à 1 000 euros.
Ces limites n’empêchent de donner ni au-delà de cette date ni au-dessus de ce plafond. Seulement, dans ce cas, l’avantage fiscal associé au don sera celui de droit commun.
Les collectivités territoriales et leurs groupements pourront aussi participer au financement des travaux, au-delà de leur périmètre de compétence territoriale.
L’article 4 lève toute incertitude éventuelle tenant aux règles habituelles de compétence ou à la condition d’intérêt local.
Le ministre de l’action et des comptes publics aura l’occasion de le redire : les dépenses des collectivités en faveur de Notre-Dame seront considérées comme des dépenses d’équipement. Elles ne seront donc pas prises en compte pour appréhender le plafond annuel d’évolution des dépenses de fonctionnement de 1, 2 %.
Sur tous ces sujets, je le disais, nous irons vite, mais nous ne nous précipiterons pas. La restauration ne se fera pas dans la hâte. Elle doit être à la hauteur, je l’ai dit et je le répète, de la splendeur de Notre-Dame de Paris.
Nous devons faire en sorte que cette restauration soit exemplaire. Nous saurons prendre en compte l’avis des professionnels du patrimoine, des conservateurs, des architectes, des historiens, des universitaires et de tous ceux qui œuvrent à l’entretien, à la conservation et à la restauration de nos monuments. Nous saurons les écouter et nous saurons leur faire confiance.
Un temps doit être laissé à la réflexion, pour nous permettre de faire, en temps voulu, tous les choix qui s’imposent. Je veux les anticiper, tant que faire se peut, dans la loi, pour éviter d’avoir à revenir devant vous demain.
Nous sommes en train de réfléchir à l’organisation optimale pour mener à bien ce chantier au regard des objectifs fixés. Le choix d’organisation n’est pas encore finalisé, mais notre réflexion avance. Nous nous donnons notamment la possibilité de créer un établissement public nouveau à cet effet.
Quel que soit le choix d’organisation retenu, il permettra de prendre en compte l’avis des professionnels du patrimoine au travers d’un conseil scientifique, qui sera le garant de la qualité scientifique et historique de la restauration.
Quoi qu’il en soit, je veux affirmer devant vous trois points capitaux.
Premièrement, la maîtrise d’œuvre de ce chantier sera effectuée, dans les règles de l’art, par les architectes en chef des monuments historiques, en l’occurrence Philippe Villeneuve, qui a la charge de Notre-Dame de Paris.
Deuxièmement, comme il se doit dans un chantier de cette ampleur, la Commission nationale du patrimoine et de l’architecture sera régulièrement consultée sur l’avancée des travaux et les choix de restauration. J’en profite pour saluer une nouvelle fois son président, Jean-Pierre Leleux, ainsi que Catherine Morin-Desailly.
Sourires.
Je salue évidemment aussi Roger Karoutchi, quoiqu’il ne fasse pas partie de cette commission !
Cette commission se réunira le 4 juillet au sujet des opérations liées à Notre-Dame, comme j’ai pu l’annoncer devant votre commission de la culture.
Troisièmement, quel que soit le choix d’organisation qui sera retenu, il devra permettre de prendre en compte les intérêts légitimes des principales parties prenantes intéressées à la restauration, notamment le diocèse et la Ville de Paris.
Mesdames les sénatrices, messieurs les sénateurs, si aucune opération de restauration de monument historique n’avait encore donné lieu à une telle adaptation législative, c’est parce que nous sommes face à une situation exceptionnelle.
Le chantier qui s’annonce est ambitieux et unique. Pour le mener au mieux, nous voulons nous donner la possibilité d’assouplir certaines dispositions, essentiellement de procédure, mais il va de soi que les assouplissements aux législations en vigueur seront strictement proportionnés aux besoins du chantier.
Il n’est pas question de se servir de la restauration de Notre-Dame pour piétiner le droit français et européen du patrimoine, de l’environnement, ou de l’urbanisme. Cela n’a bien évidemment jamais été l’intention du Gouvernement.
Je veux le dire et le redire : en tant que ministre de la culture, je serai inlassablement le garant de la protection du patrimoine et j’aurai à cœur de mobiliser l’ensemble des ministres concernés.
Le travail interministériel des prochaines semaines nous permettra de définir, ensemble, les assouplissements et les adaptations à prévoir, qui porteront essentiellement sur des questions de procédure, sans remettre en cause le fond des législations applicables.
À chaque instant, nous imposerons la préservation de l’intérêt historique, artistique, architectural et symbolique du monument.
Applaudissements sur les travées du groupe La République En Marche, ainsi que sur des travées du groupe Les Indépendants – République et Territoires, du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen, du groupe Union Centriste et du groupe Les Républicains. – MM. Rémi Féraud et Pierre Ouzoulias applaudissent également.
Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains, ainsi que sur des travées du groupe Union Centriste, du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen et du groupe La République En Marche. – MM. Rémi Féraud et Pierre Ouzoulias applaudissent également.
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, fallait-il une loi pour engager la restauration de Notre-Dame ? Voilà sans doute l’une des questions que nous nous sommes tous posées lorsque, seulement neuf jours après avoir été saisis d’effroi devant les ravages qu’un funeste incendie causait à la cathédrale, ce texte a été déposé sur le bureau de l’Assemblée nationale.
Sans doute faut-il préalablement répondre à plusieurs autres questions pour pouvoir répondre correctement à celle-ci.
Premièrement, fallait-il faire appel à la générosité du public pour financer les travaux de restauration de Notre-Dame, monument historique à la charge de l’État ?
La mission d’information sur le mécénat culturel, qu’a présidée notre collègue Maryvonne Blondin et dont j’ai été le rapporteur, avait alerté l’an passé sur les effets d’éviction que pouvait entraîner le recours de l’État à des procédures de souscription pour la restauration des monuments historiques qui lui appartiennent.
Certes, la situation m’apparaît un peu différente dans le cas présent, mais convenons que l’élan de générosité du public a précédé l’annonce de la souscription nationale.
Je note que le ministre de la culture s’est par ailleurs engagé à ce que l’État prenne en charge le surcoût si le produit de la souscription se révélait insuffisant pour couvrir le coût des travaux. Il a indiqué que l’État était prêt à assurer le financement au-delà des crédits inscrits sur le programme 175 et a garanti que sa participation ne se ferait pas au détriment d’autres chantiers et d’autres monuments. Ce sont des engagements importants, qu’il nous appartiendra évidemment d’évaluer dans les années à venir.
Deuxièmement, cette souscription nationale devait-elle être lancée par le biais d’une loi ?
Il est clair qu’un décret aurait été tout à fait suffisant d’un point de vue juridique.
Reconnaissons néanmoins que ce choix donne l’occasion d’un débat public au sein de la représentation nationale sur le sujet de la restauration de Notre-Dame, ce qui est tout à fait souhaitable au regard de l’enjeu soulevé par la perspective de cette restauration et les polémiques qu’elle suscite.
Troisièmement, la majoration du taux de la réduction d’impôt accordée aux particuliers pour les dons qu’ils effectuent au titre de la souscription nationale est-elle vraiment utile ?
Les dons et promesses de dons ont afflué avant même l’annonce de cette majoration, ce qui laisse à penser que l’incidence de celle-ci sur l’acte de don est négligeable. C’est avant tout l’émotion créée par un tel événement qui motive les donateurs. C’est d’ailleurs ce que semble indiquer le ralentissement des dons versés aux fondations reconnues d’utilité publique.
Pour avoir été le rapporteur, l’an passé, de la mission d’information sur le mécénat culturel, j’ai pu constater combien nous disposions déjà d’un dispositif fiscal particulièrement attractif, que beaucoup d’autres pays nous envient, au point de s’en être largement inspirés pour élaborer leur propre législation en matière de soutien au mécénat.
Limitée aux dons des particuliers à hauteur de 1 000 euros, cette majoration exceptionnelle du taux de 9 points est avant tout symbolique. C’est un moyen de remercier nos compatriotes pour leur générosité et de reconnaître le caractère exceptionnel du chantier de Notre-Dame.
C’est pourquoi il n’y a pas lieu de la remettre en cause. Sans doute nous faudra-t-il même garder ce cas à l’esprit dans quelques mois, lorsque des propositions de remise en cause de notre régime de mécénat pourraient venir sur la table à l’occasion du prochain projet de loi de finances.
Quatrièmement, le recours aux ordonnances ne trahit-il pas les incertitudes et la précipitation du Gouvernement, alors que celles-ci portent sur des sujets qui auraient justifié que le Gouvernement prenne davantage son temps ?
Sur les neuf articles du projet de loi, deux articles habilitent le Gouvernement à légiférer par voie d’ordonnances. Alors que le Parlement regarde toujours avec beaucoup de méfiance les articles d’habilitation, qui réduisent significativement sa capacité à procéder à un examen attentif des dispositions qui lui sont soumises, les deux articles d’habilitation du présent texte portent sur des sujets à la fois majeurs et fort peu consensuels : la création d’un établissement public spécifiquement chargé de la restauration de Notre-Dame, d’une part, et l’octroi de dérogations aux législations existantes pour faciliter la réalisation de ce chantier, aussi exceptionnel soit-il, d’autre part.
Sans compter que ces deux dispositions ont été interprétées par beaucoup comme des marques de défiance à l’égard, à la fois, des capacités propres au ministère de la culture à conduire lui-même ce projet, compte tenu du souhait qui transparaît de nommer Jean-Louis Georgelin à la tête du futur établissement public, et des règles qui régissent la protection patrimoniale. Cette suspicion est d’autant plus grande que ces dispositions interviennent après les atteintes portées à notre législation en matière de patrimoine par la loi n° 2018-1021 du 23 novembre 2018 portant évolution du logement, de l’aménagement et du numérique.
Sur la question de l’établissement public, n’oublions pas que le ministère de la culture a déjà plusieurs choix de maîtres d’œuvre pour conduire ce chantier : la direction régionale des affaires culturelles, la DRAC, qui assume traditionnellement ce type de mission et qui est à la manœuvre, depuis le 15 avril, pour conduire – je souhaite lui rendre hommage – toutes les opérations de sécurisation ; mais aussi le Centre des monuments nationaux et l’opérateur du patrimoine et des projets immobiliers de la culture.
Alors qu’une circulaire du Premier ministre devait prochainement être publiée, demandant qu’aucun établissement public ne soit créé sans qu’un autre soit préalablement supprimé, on peine à comprendre la volonté de créer un nouvel établissement.
Au demeurant, il faut reconnaître que cette solution a été utilisée à de multiples reprises par le passé, avec succès : le Grand Louvre, la bibliothèque François-Mitterrand, ou encore le musée du Quai Branly en témoignent. Elle peut constituer une garantie de transparence pour un chantier exceptionnel et financé d’une manière particulière, en l’occurrence une souscription. Elle peut donc être acceptable, sous réserve d’en encadrer les missions et le fonctionnement. C’est ce que nous avons cherché à faire en commission, en précisant le caractère administratif de l’établissement, en le plaçant sous la tutelle du ministère de la culture et en rappelant que la maîtrise d’œuvre serait conduite sous l’autorité des architectes en chef des monuments historiques.
Ce qui n’est pas acceptable, en revanche, c’est de laisser ainsi planer l’ambiguïté sur la solution qui sera retenue par l’État in fine, entre les moyens qu’il a déjà à sa disposition et la création d’un nouvel établissement public. C’est se défier du Parlement et faire fi de la nécessaire intelligibilité de la loi !
De la même manière, les dérogations aux règles de droit commun prévues à l’article 9 nous semblent inutiles si l’objectif est de gagner du temps sur les démarches administratives.
En effet, les demandes d’autorisation concernant Notre-Dame pourront parfaitement être traitées de manière prioritaire par les services de l’État moyennant des instructions en ce sens. Il est absurde de se laisser enfermer dans le délai de cinq ans annoncé par le Président de la République s’il doit conduire à rogner sur la qualité du chantier, dont nous savons tous qu’il sera observé par le monde entier, ou à écarter nos entreprises et nos compagnons spécialisés dans la restauration du patrimoine, que nous souhaitons mettre en valeur à l’occasion de ce chantier exceptionnel.
Aucune cathédrale n’est restaurée pour seulement une dizaine d’années ! Il faut se donner le temps de la réflexion et consulter le plus largement possible les experts. Le délai de cinq ans ne doit pas être autre chose qu’une ambition au service d’une mobilisation.
Nous pensons également que ces dérogations pourraient se révéler dangereuses si l’objectif est de permettre à l’État de s’affranchir de règles que les autres propriétaires doivent mettre en œuvre lorsqu’ils conduisent des projets de restauration, quand bien même leur ampleur est différente.
L’étude d’impact, qui manque de précision sur ce point, ne permet guère de connaître les dispositions exactes susceptibles de faire l’objet de dérogations. Il est probable qu’elles concernent un champ plus large que celle qui serait destinée à permettre de choisir l’Inrap, l’Institut national de recherches archéologiques préventives, sans passer par la voie des appels d’offres.
Nous estimons, dans ces conditions, que le risque de jeter le discrédit sur l’ensemble de notre législation est énorme et constituerait, à coup sûr, un précédent désastreux – je pèse mes mots – pour l’avenir.
C’est pour cette raison que nous avons supprimé l’article 9 lors de l’examen du projet de loi en commission, la semaine dernière.
Oui, le chantier de Notre-Dame est un chantier exceptionnel. Oui, le chantier de Notre-Dame est un chantier emblématique. C’est la raison pour laquelle il doit être un chantier exemplaire.
N’oublions pas que la présence de Notre-Dame a constitué un élément déterminant dans l’inscription du bien « Paris, rives de la Seine » sur la liste du patrimoine mondial de l’Unesco, ce qui implique un certain nombre d’obligations pour notre pays dans la manière dont nous le restaurons.
Nous n’avons pas besoin d’un geste architectural pour que Notre-Dame devienne « plus belle encore ». Notre-Dame a toujours été un joyau. Elle a une histoire, dont nous ne saurions faire abstraction ; qu’on le veuille ou non, Viollet-le-Duc en fait partie.
Par chance, les relevés de la charpente et de la flèche existent, les statues et le coq qui ornaient la flèche ont été sauvés. Alors, pourquoi écarter d’office l’option d’une restauration fidèle, alors même que c’est probablement celle qui permettrait de gagner le plus de temps ?
Avons-nous vraiment besoin de laisser notre marque sur la cathédrale ? Si marque il doit y avoir, doit-elle vraiment porter sur la flèche ? Il me paraît primordial que les décisions qui seront prises soient parfaitement documentées pour permettre aux générations futures de comprendre ce qui nous a amenés à ces solutions.
Nous devons aussi mettre à profit ce drame autant que faire se peut. S’il doit bien y avoir un « avant » et un « après » le 15 avril, selon vos mots, monsieur le ministre, cela concerne moins l’esthétique d’une nouvelle flèche que la manière dont nous percevons notre patrimoine et dont nous le protégeons.
Le chantier de Notre-Dame doit devenir une vitrine de notre régime de protection patrimoniale, une vitrine de nos savoir-faire dans ce domaine, bref une vitrine à la hauteur de notre réputation !
M. Alain Schmitz, rapporteur. Dans un article paru la semaine dernière, le Sénat était décrit comme « le dernier rempart de la démocratie patrimoniale en danger ». Nous aurons à cœur de défendre cette position au cours de l’examen de ce projet de loi. De ce point de vue, les amendements que le Gouvernement a déposés, qui tendent purement et simplement à rétablir le texte de l’Assemblée nationale sans prendre en compte un seul des apports du Sénat, ne laissent pas de nous inquiéter.
Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains, du groupe Union Centriste, du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen, du groupe socialiste et républicain et du groupe communiste républicain citoyen et écologiste.
La parole est à M. le rapporteur pour avis de la commission des finances.
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, Alain Schmitz vient de poser la bonne question, la seule qui nous intéresse en fin de compte : si l’événement a été exceptionnel par son retentissement et a porté sur un monument exceptionnel par sa notoriété, fallait-il pour autant une loi d’exception ?
Évidemment, la réponse est non, car les dispositions en vigueur permettent de répondre aux conséquences matérielles de l’incendie du 15 avril. Elles permettent de faciliter la restauration la plus rapide possible en s’appuyant sur le formidable élan de générosité qu’ont eu les Français, même si celui-ci reste à se concrétiser puisque 90 % des dons annoncés sont encore à l’état de promesses.
Vous avez néanmoins souhaité, monsieur le ministre, défendre un projet de loi d’exception. Il prévoit la mise en place d’une souscription nationale, la possibilité de créer un nouvel établissement public, ainsi qu’une majoration exceptionnelle de la réduction d’impôt sur le revenu pour les dons des particuliers, autant de dispositions qui ont justifié la saisine pour avis de la commission des finances. La commission de la culture nous a d’ailleurs délégué au fond l’examen des articles 4, 5 et 5 bis.
Avant d’aborder le détail du texte, permettez-moi de faire quelques remarques liminaires.
Premièrement, ce texte confirme malheureusement, en creux, l’insuffisance des moyens budgétaires alloués à la préservation du patrimoine. L’État ne serait pas en mesure de faire face seul à la restauration de Notre-Dame de Paris. C’est d’ailleurs le mécénat qui finançait, déjà, en partie les travaux antérieurs à l’incendie, dont le coût s’élevait à environ 60 millions d’euros.
Deuxièmement, le recours à la souscription nationale s’inscrit dans un contexte fiscal défavorable aux dons – la commission des finances s’est penchée sur cette question. L’augmentation de la CSG, la transformation de l’impôt de solidarité sur la fortune, l’ISF, en impôt sur la fortune immobilière, l’IFI, et la mise en œuvre du prélèvement à la source ont entraîné une diminution globale de la générosité publique, chiffrée à 4, 2 %. Comme mon collègue, j’en appelle à la vigilance à cet égard dans le cadre du prochain projet de loi de finances.
Troisièmement, ce texte révèle malheureusement une triple défiance : défiance à l’égard du ministère de la culture et des acteurs traditionnellement engagés dans la préservation du patrimoine ; défiance à l’égard du législateur, qui n’est pas invité à choisir entre l’établissement public ou l’État – mais nous allons l’y inviter ; défiance à l’égard des fondations reconnues d’utilité publique, dont le rôle est réduit à celui de guichet d’enregistrement des dons.
Enfin, ce texte suscite un certain nombre de réserves puisque 72 % des personnes interrogées lors d’un sondage seraient aujourd’hui opposées à ce qu’elles considèrent comme une loi d’exception.
Par ailleurs, un certain nombre d’incertitudes subsistent, vous l’avez dit, monsieur le ministre, sur la dépense fiscale associée aux dons et sur le coût réel des travaux.
En revanche, on sait désormais que, même si le texte qui nous a été soumis n’était pas explicite sur ce point, un établissement public devrait être chargé de concevoir et de coordonner les travaux. La commission des finances comme la commission de la culture ont mis en cohérence le projet de loi avec cette situation, d’autant qu’une telle structure aurait pour mérite de centraliser les financements et d’associer toutes les parties prenantes aux travaux de restauration de la cathédrale. Le choix de l’établissement public implique cependant de bien encadrer cette nouvelle structure, ce que nous allons faire. C’est dans cette optique que, conformément à l’engagement que j’ai pris devant la commission de la culture, j’ai déposé un amendement tendant à limiter sa durée à la période des travaux de restauration de la cathédrale postérieurs à l’incendie.
En accord avec la commission de la culture, nous avons précisé la date d’ouverture de la souscription nationale, en retenant le 15 avril 2019, date à laquelle ont été enregistrés les premiers dons.
Nous avons par ailleurs, toujours en accord avec la commission de la culture, souhaité imposer la signature de conventions entre les organismes collecteurs des dons et l’établissement public afin d’assurer le respect de l’intention du donateur. Nous avons également prévu – c’est un point important – un versement progressif des fonds collectés en fonction de l’avancée des travaux et après transmission d’une estimation de la nature et des coûts de ceux-ci. Les fondations reconnues d’utilité publique ayant l’expérience de la gestion des dons, il faut se reposer sur elles.
La commission des finances a également clarifié le dispositif prévu à l’article 4 relatif aux versements des collectivités territoriales, en précisant que ceux-ci devraient être considérés comme des dépenses d’investissement. Vous l’avez dit, monsieur le ministre, mais il faut l’inscrire dans la loi.
À l’article 5, nous avons accepté une majoration, avant tout symbolique – limitée à 1 000 euros –, et porté de 66 % à 75 % le taux de déductibilité des dons. La commission des finances a récrit le dispositif sans modifier le fond.
Par ailleurs, nous avons souhaité que le rapport prévu à l’article 5 bis soit recentré sur le seul champ fiscal. Ce document serait transmis chaque année.
Enfin, nous avons entendu assurer le suivi de la gestion de l’établissement public, sans préjudice du contrôle des commissions des finances de nos deux assemblées.
Monsieur le ministre, j’étais aujourd’hui même à Illiers-Combray, où vous vous êtes rendu il y a deux semaines. J’ai déjeuné avec des maires d’Eure-et-Loir : tous m’ont demandé de déposer un amendement visant à étendre le bénéfice de l’article 9 à tous leurs chantiers en cours. Ainsi, le maire de Meslay attend depuis cinq ans l’intervention de la DRAC concernant une porte, un autre maire attend pour des vitraux. Soit on supprime l’article 9, soit on l’étend à l’ensemble des monuments historiques et on instaure une exception générale. Telle est la demande des maires d’Eure-et-Loir !
Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains, ainsi que sur des travées du groupe Union Centriste et du groupe socialiste et républicain. – M. Pierre Ouzoulias applaudit également.
Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain.
Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le rapporteur – je vous félicite pour votre travail sérieux et bienveillant, sauf sur un point essentiel, sur lequel nous reviendrons –, mes chers collègues, alors que Notre-Dame de Paris brûlait, même ceux qui voyaient les images en direct, si cruelles, ne voulaient et ne pouvaient y croire. Cette cathédrale n’était donc ni éternelle ni invincible. Tout était bien réel pourtant ; insupportable, mais réel. Nous nous sentions impuissants.
Les pompiers, eux, agissaient avec héroïsme, faisaient ce qu’ils savent et doivent faire, avec professionnalisme et avec un immense courage. Et ils ont sauvé Notre-Dame, presque miraculeusement. Merci à eux, encore mille fois merci. Merci également aux services du ministère de la culture et aux services de la Ville de Paris, qui ont su vite mettre à l’abri non seulement les œuvres, mais aussi les riverains.
On a tout dit ensuite de l’émotion partagée dans le monde entier et du formidable élan de solidarité qui a suivi. Les dons n’ont attendu aucun ordre ni aucune date de départ pour affluer. L’unanimité républicaine fut tout de suite au rendez-vous.
Oui, il s’agissait de notre histoire, universelle, gravée dans le beau et dans la pierre, tant et si bien que notre pays, en guise d’hommage, plaça l’auteur des Misérables en tête des ventes de livres durant de nombreuses semaines après l’incendie. En communiant avec Victor Hugo, les Français montraient que Notre-Dame est de Paris, mais qu’elle appartient à toute la France et qu’elle vit dans le cœur et dans les yeux du monde entier.
Oui, nous débattons aujourd’hui d’une grande cause culturelle, car il s’agit de création, d’architecture, de patrimoine historique. Ce n’est pas seulement l’affaire d’une religion ou d’un homme, fût-il Président de la République. C’était et c’est notre affaire, notre histoire, notre patrimoine, celui de notre humanité.
Disons-le d’emblée : nous sommes amenés à débattre d’un projet de loi pour reconstruire la cathédrale Notre-Dame de Paris, pas la cathédrale « Notre-Dame de l’Élysée » ! §Nos débats et notre délibération ne peuvent répondre à une injonction, encore moins à un caprice.
Tout ce qui est dérisoire doit être écarté, une si grande dame ne mérite pas cela ! On ose nous demander de retenir, pour la défiscalisation des dons, la date du discours présidentiel, comme si tout avait commencé avec lui et par lui. On nous demande même de reculer l’âge limite pour le poste de responsable de l’établissement public dédié à ce chantier, la personnalité déjà choisie par le Président de la République, fort respectable au demeurant, ne remplissant pas les conditions d’âge légal.
Alors, d’accord pour faire une loi exceptionnelle, mais pas pour faire une loi d’exception ! Tout ce qui est attentatoire à notre droit et à nos codes patiemment construits pour préserver les règles d’urbanisme, protéger l’environnement et, bien entendu, notre patrimoine doit être écarté. Nous connaissons tous les contraintes, les procédures parfois tatillonnes et les délais qui peuvent s’éterniser. À l’État de mettre toute sa capacité d’action et de conviction pour que tout soit parfaitement anticipé, coordonné, organisé et financé. Il peut même mettre en œuvre les procédures d’urgence prévues dans la loi portant nouvelle organisation territoriale de la République, la loi NOTRe, auxquelles la Ville de Paris a déjà eu recours pour la tour Eiffel.
Mais enfin, ou l’État juge ses règles et ses codes mauvais, auquel cas il propose d’en changer, ou ils les trouvent bons et il nous propose de les respecter. Il y va de l’autorité de l’État et du ministère de la culture dans les prochaines années, pour chaque aménagement, chaque construction, chaque reconstruction, chaque restauration.
Le respect des règles est non seulement la condition pour qu’elles soient encore respectées demain, partout sur notre territoire, mais aussi pour que la reconstruction soit de qualité artistique et durable. Nous le devons à ce monument hors du commun : s’il a pu vivre 855 ans, c’est parce que ceux qui l’ont bâti y ont mis le soin et le temps nécessaires pour faire du bel ouvrage.
Personne ne peut bien entendu mépriser l’envie légitime de nos contemporains, en particulier des donateurs, de revoir de leur vivant Notre-Dame de Paris telle qu’ils l’ont connue. Personne ne peut bien entendu être indifférent au souhait de dizaines de millions de touristes qui visitent Paris chaque année de voir encore cette merveille.
Donc, oui, les architectes du patrimoine les plus chevronnés le disent : en cinq ans, il est parfaitement possible d’ouvrir le bas, pour le culte et les visites, et même, et tel est notre souhait, de créer à l’extérieur un véritable musée-atelier des œuvres et de la reconstruction de Notre-Dame. Pour cela, il faut que des moyens soient donnés, avec la Ville de Paris, pour que les abords soient compris dans la reconstruction.
Oui, cinq ans pour que Notre-Dame soit sécurisée, rouverte et pour qu’on puisse la visiter, c’est possible. En revanche, il n’est pas sérieux de dire que le chantier serait achevé dans son ensemble d’ici à cinq ans, comme l’a réaffirmé le Président de la République vendredi.
En conclusion, monsieur le ministre, renoncez aux dispositions dérogatoires au droit que votre ministère – c’est son objet même, sa raison d’être – est chargé de faire respecter. Je sais que vous partagez cette philosophie. La culture a passé l’âge du bon vouloir du Prince, pour devenir démocratique !
Applaudissements sur les travées du gro upe socialiste et républicain. – M. Pierre Ouzoulias applaudit également.
Applaudissements sur les travées du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen.
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, l’incendie survenu le 15 avril dernier au sein de la cathédrale de Paris a suscité une forte émotion. Celle-ci témoigne du profond attachement de chacun à la richesse du patrimoine français, dont Notre-Dame est l’un des éléments les plus remarquables.
Au travers de cette émotion, l’exécutif semble avoir perçu une attente, celle que soient le plus rapidement possible effacées les traces de ce sinistre, dont les conséquences auraient pu être beaucoup plus destructrices sans le professionnalisme et la célérité des pompiers parisiens.
Dès le 16 avril, le Président de la République a souhaité s’exprimer dans le cadre d’une allocution télévisée. Alors qu’aucun diagnostic n’est établi, que l’intégrité des murs de l’édifice n’est pas encore totalement assurée, le chef de l’État déclare sa volonté de voir la restauration du monument achevée d’ici à cinq années.
Pierre Dac disait que rien ne sert de courir si l’on n’est pas pressé. En effet, l’immédiateté, pour laquelle notre époque a un goût peut-être trop prononcé, n’est pas nécessairement un gage de bonne gouvernance. Si certaines situations appellent des réponses rapides, le chantier qui va s’ouvrir sur l’île de la Cité ne justifie aucun empressement particulier de notre part.
Cette opinion est partagée par la quasi-totalité des groupes politiques du Sénat, qui ont porté des amendements de suppression de l’article 9 lors de l’examen du projet de loi en commission.
Toutes dérogations ou adaptations s’appliquant aux règles d’urbanisme, de protection de l’environnement, de voirie et de transport, ainsi qu’aux règles de commande et de domanialité publiques, nous apparaissent très inopportunes. Un tel biais créerait un précédent dangereux en matière de restauration.
Aucune contrainte temporelle ne s’impose en outre à nous, en tout cas aucune contrainte qui ait été portée à notre connaissance. Si le Gouvernement dispose d’éléments que nous ignorons, nous serions heureux qu’il les évoque au cours de notre débat.
Quant au débat sur une possible évolution architecturale de l’édifice, nous estimons qu’il n’est pas de nature parlementaire. Même si nous sommes profondément attachés à la silhouette de cet édifice et de sa flèche, indissociable du cœur historique de Paris, nous gardons à l’esprit que le site de Notre-Dame s’est inscrit dans un continuum tout au long de son histoire, des Romains jusqu’à nos jours.
Nous savons également à quel point ce type de débat, portant sur l’évolution d’un édifice d’une si grande notoriété, peut-être clivant au sein de la société. Il y a trente-cinq ans, lorsqu’il a été question d’implanter une pyramide de verre au sein de la cour du plus grand palais d’Europe, également témoin de 800 ans d’histoire, le débat fut âpre – on parla de « degré zéro de l’architecture », on lança un « appel à l’insurrection » –, mais le résultat final a convaincu plus d’un sceptique.
Aussi, je pense qu’il ne nous revient pas de nous prononcer sur ce point, sur lequel notre opinion compte après tout autant que celle de chaque Français.
Sur les conditions de mise en œuvre de la souscription, le RDSE défendra une proposition allant à contre-courant de celles qui ont été formulées jusqu’ici. En effet, le relèvement à 75 % du taux des déductions fiscales octroyées aux particuliers jusqu’à 1 000 euros ne nous paraît pas se justifier.
Tout d’abord, ce taux représente encore un régime d’exception. Même si nous ne sommes pas arrivés au terme de la souscription et que nous ne connaissons pas l’estimation du coût de la restauration à venir, les projections laissent à penser que les fonds collectés seront suffisants. Il n’apparaît donc pas nécessaire d’essayer de stimuler un élan qui est déjà remarquable par son ampleur.
Ensuite, nous sommes favorables, dans un souci d’équité fiscale, à la proposition de M. Éblé de créer un crédit d’impôt afin que l’État puisse accompagner chaque Français, imposable ou non, dans cet effort.
Il ne nous semble pas cohérent, d’un côté, de repousser cette proposition, en arguant de son coût pour l’État, comme l’a fait le Gouvernement à l’Assemblée nationale, et, de l’autre, de majorer une déduction d’impôt qui représentera, au bout du compte, également un coût supplémentaire pour l’État. Aussi, nous demanderons le maintien du taux de déduction de 66 %.
Nous sommes conscients que le Premier ministre a rapidement proposé un taux de 75 % et que, jusqu’à présent, les donateurs ont effectué leur démarche en ayant à l’esprit ce cadre élargi, mais nous connaissons aussi les difficultés budgétaires actuelles de l’État et leurs conséquences sur la vie quotidienne des Français. Si ce taux majoré n’a pas de pertinence, si ce n’est celle de venir grossir un catalogue de mesures d’exception, nous n’y souscrirons pas.
Le Président de la République, dès le lendemain du sinistre, a appelé à l’union nationale, suspendant la restitution des conclusions du grand débat qu’il avait lancé.
Monsieur le ministre, lors de leurs travaux, les commissaires à la culture du Sénat ont fait preuve d’une belle unité sur leurs propositions, même s’ils ont émis quelques rares réserves. J’ai la conviction que cette harmonie va se poursuivre au cours de notre débat aujourd’hui. Il est essentiel, si le Sénat s’accorde une nouvelle fois sur une proposition rassemblant le plus grand nombre d’entre nous, que les discussions avec nos collègues députés sur une rédaction commune soient animées du même esprit.
La renaissance de Notre-Dame n’a pas de marqueur politique. L’unité que le chef de l’État a appelée de ses vœux à la suite de ce sinistre doit aussi se traduire par une vision commune à l’ensemble de la représentation nationale.
Applaudissements sur les travées du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen.
Applaudissements sur les travées du groupe Union Centriste.
Mme Catherine Morin-Desailly. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes très chers collègues : « J’ai voté contre le projet de loi sur la restauration de Notre-Dame de Paris, car la loi en question est à la fois inutile et toxique, dans la mesure où, au nom d’une urgence imaginaire, elle remet en cause toutes les garanties procédurales et parlementaires visant à la préservation du patrimoine et de l’environnement. »
M. Pierre Ouzoulias applaudit.
Ces propos très sévères à l’endroit du texte que vous venez de nous présenter, monsieur le ministre, émanent non pas de votre opposition, mais de Jean-Louis Bourlanges, un parlementaire aguerri de votre majorité à l’Assemblée nationale. Comme cet ancien collègue de ma région, pour lequel j’ai beaucoup de considération, et bien d’autres, je ne pense pas que les Français souhaitent que l’on malmène l’État de droit.
Le Gouvernement a fait le choix de répondre à l’événement exceptionnel qu’a constitué cet incendie par le dépôt immédiat d’un projet de loi de dérogations : dérogations au code de l’urbanisme et de l’environnement, au code des marchés publics et au code du patrimoine. Cela donne le sentiment que notre pays ne disposerait ni de l’organisation, ni de l’expertise, ni des outils pour faire face à un chantier d’une telle dimension.
Je comprends mal la défiance qui transparaît dans la plupart des dispositions de ce texte à l’égard de la capacité du ministère de la culture à assumer ce chantier de restauration. Sans la qualité et l’engagement quotidien de ses personnels, sans la formation dispensée au sein des écoles placées sous sa tutelle, la réputation de notre pays dans ce domaine ne serait pas la même.
Nous avons vu avec quelle réactivité les équipes du ministère, de la DRAC et de la Ville de Paris sont intervenues pour mettre à l’abri les œuvres de la cathédrale. Elles sont à pied d’œuvre depuis le 15 avril pour parer à la situation d’urgence impérieuse. Nous voulons ici leur rendre hommage, ainsi bien sûr qu’aux pompiers, qui ont empêché le pire.
Que vous vouliez aller vite, pourquoi pas, au regard de l’émotion qu’a suscitée ce sinistre et de la nécessité de mobiliser autour de ce chantier ; à condition que cela reste un objectif et non pas un impératif.
Je constate que, grâce à la générosité de très nombreux donateurs, nous aurons la chance de disposer de fonds considérables, qui permettront d’avancer vite. Mais s’il est important, l’argent ne fait pas tout. Il faut en effet effectuer un énorme travail de déblaiement, de dépollution, de sécurisation et de diagnostic, auquel se sont déjà attelées les équipes.
À cet égard, il faudrait méditer cette phrase de l’auteur de Notre-Dame de Paris, Victor Hugo, « Le temps est l’architecte et le peuple est maçon », pour comprendre que nous ne sommes, artisans comme décideurs, qu’un des petits maillons de la chaîne de l’histoire de la construction et de la restauration des cathédrales. Il en va ainsi depuis le Moyen Âge !
J’insiste, monsieur le ministre, car on ne peut ignorer ce qui constitue le socle de notre système de protection du patrimoine.
Difficile au Sénat de ne pas penser au rôle joué au XIXe siècle par Prosper Mérimée, celui-là même qui confia le chantier de Notre-Dame de Paris en 1843 à Viollet-le-Duc lorsqu’il occupait les fonctions d’inspecteur général des monuments historiques. Son action trouva son aboutissement en 1913 avec la loi sur les monuments historiques, dont de nombreuses dispositions sont encore aujourd’hui en vigueur et ont été modernisées et approfondies, il y a trois ans, dans le cadre de la loi relative à la liberté de la création, à l’architecture et au patrimoine. Je rappelle que Prosper Mérimée a été sénateur…
Cet héritage a déjà été mis à mal l’an passé par la loi portant évolution du logement, de l’aménagement et du numérique, la loi ÉLAN. Un coup fatal pourrait lui être porté si les dérogations qui figuraient à l’article 9 venaient à être rétablies. Des dérogations, il y en a eu, justifiées par la situation d’« urgence impérieuse ». La loi les permet, mais elles ne sont pas censées perdurer.
Comment garantir ensuite le respect de ces règles par les autres propriétaires de monuments historiques si celui qui les édicte, l’État, s’en affranchit pour mener l’un des chantiers les plus emblématiques de France ? Comment comprendre, s’agissant de l’application du code des marchés publics, qu’il puisse y avoir deux poids deux mesures ?
Oui, ce chantier doit être exemplaire, par respect pour toutes celles et tous ceux qui ont partagé une même et profonde émotion, pour les donateurs aussi, petits et grands, qui ont répondu massivement à l’appel de la souscription.
Je veux rappeler que Notre-Dame a constitué un élément déterminant pour justifier l’inscription, en 1991, du site « Paris, rives de la Seine » au patrimoine mondial de l’Unesco. Il est très étonnant que ce classement n’ait pas été pris en compte dans le projet de loi, sans doute par précipitation. Je remercie donc le rapporteur d’avoir corrigé cet oubli et rappelé ses implications.
Notre législation, particulièrement complète et protectrice, a été jusqu’ici mise en avant par les autorités auprès de l’Unesco afin de garantir que la valeur universelle exceptionnelle de « Rives de la Seine » serait correctement protégée. Suspendre l’application d’un certain nombre de dispositions pourrait constituer une menace pour le maintien de l’inscription de ce bien.
Le chantier nécessite de l’humilité, de l’expertise et de la méthode. Il est important de laisser aux spécialistes, aux architectes, aux ingénieurs, aux artisans du bâtiment le temps de poser un diagnostic, pour savoir ce qui pourra réellement être fait.
Personnellement, je crois que, globalement, les Français veulent retrouver leur cathédrale, la silhouette familière de sa flèche dans le ciel de Paris. S’il n’appartient pas au législateur de définir les choix architecturaux ou techniques, il lui revient de rappeler les obligations d’en préserver l’« authenticité » et l’« intégrité » : tels sont les termes figurant dans les textes en vigueur. Cela signifie aussi qu’il faut prendre en compte l’inscription de Notre-Dame dans un paysage urbain préexistant, défini, qui inclut un certain nombre d’édifices à remettre en perspective, dont la Sainte-Chapelle.
Je veux insister sur le rôle essentiel et pivot de l’architecte en chef du monument, Philippe Villeneuve, et de son équipe, sous l’égide duquel toute décision devra être prise. La Commission nationale du patrimoine et de l’architecture, présidée par notre excellent collègue Jean-Pierre Leleux, doit par ailleurs être étroitement associée à ce chantier, du début à la fin.
Enfin, nous pensons que le chantier doit aussi être une occasion de valoriser les métiers du patrimoine, dont plusieurs sont menacés, faute de vocations, même s’il n’y a pas aujourd’hui de risque de pénurie sur le chantier.
Le chantier durera le temps qu’il doit durer. La partie dédiée au culte pourrait être rouverte dans cinq ans, peut-être même à la visite, nous dit-on. Les travaux qui se poursuivront devront être l’occasion de renouer avec cette grande tradition qui permettait jadis aux maîtres d’œuvre et à l’ensemble des métiers de montrer leurs savoir-faire au public. Ces métiers ont de l’avenir, à condition que l’on veille précisément à ce que les délais de réalisation du chantier ne viennent pas déstabiliser une filière dont le rôle pour l’économie de nos territoires ne doit pas être négligé.
Ce secteur est constitué de petites entreprises qui se trouveraient, de fait, écartées si des dérogations permettaient de recourir à des marchés globaux au lieu d’allotir le chantier. Il faut aussi articuler le chantier de Notre-Dame avec les autres chantiers de restauration, en cours ou planifiés sur le territoire de l’Hexagone, pour ne pas priver ces derniers de la main-d’œuvre nécessaire.
Mes chers collègues, le drame de l’incendie de Notre-Dame peut donc être transformé en une véritable opportunité. Il peut être le laboratoire d’une restauration exemplaire, fondée sur l’excellence française, qui sera observée dans le monde entier.
Je n’ai pu aborder, hélas ! au nom du groupe Union Centriste, tous les aspects de ce texte, mais nous faisons confiance aux deux rapporteurs. Qu’ils soient sincèrement et chaleureusement remerciés, car les délais qu’ils ont eus pour travailler étaient complètement fous.
De la même manière, je salue l’ensemble de mes collègues de la commission de la culture, de l’éducation et de la communication, qui, en dépit des délais impartis, se sont considérablement impliqués, de jour comme de nuit, ces sept dernières semaines.
Oui, monsieur le ministre, ce texte a été préparé non dans l’urgence, mais dans la précipitation. Nous avons senti que, à l’Assemblée nationale comme ici, au Sénat, le Parlement était en réalité quelque peu écarté de la grande réflexion nécessaire à tous.
Applaudissements sur les travées du groupe Union Centriste, ainsi que sur des travées du groupe Les Républicains, du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen, du groupe Les Indépendants – République et Territoires, du groupe socialiste et républicain et du groupe communiste républicain citoyen et écologiste.
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, comme nous tous, j’ai été profondément touché par l’incendie de la cathédrale Notre-Dame, incendie qui l’a lourdement dégradée, mais heureusement pas détruite. J’étais sur le pont des Arts à l’instant où le panache de fumée et les flammes sont apparus derrière la préfecture de police. L’émotion était gigantesque.
Notre-Dame de Paris n’est pas une cathédrale comme les autres. Cet incendie a ému le monde entier. Cette cathédrale est un élément du patrimoine mondial, comme vient de le rappeler Mme Morin-Desailly. Les nombreuses marques de soutien venues du monde entier nous rappellent l’attachement à cet édifice et à ce patrimoine français qui rayonne largement au-delà de nos frontières pour appartenir au patrimoine mondial.
La date du 15 avril restera sans doute gravée dans les mémoires, du fait de l’ampleur de l’incendie, mais également, cela a été dit, du courage des soldats du feu, de tous les hommes de sécurité qui ont réussi à sauver non seulement l’édifice, mais les éléments qu’il contenait.
Cette date restera également marquée par l’élan de solidarité qui a suivi, de nombreux Français ou étrangers, des entreprises, des collectivités, des citoyens sans fortune ou disposant au contraire d’une grande fortune s’étant mobilisés pour offrir qui quelques euros, qui des sommes bien plus importantes.
Notre-Dame appartient bien à notre patrimoine historique, spirituel, architectural, littéraire. Sa restauration doit répondre à de multiples attentes. Elle doit être à la hauteur de cet élan de soutien massif.
Même si, aux dires de certains, ce projet de loi n’était pas indispensable, il a le mérite de nous permettre d’échanger sur des sujets qui forment notre société : la solidarité et la conception que nous nous faisons de la préservation de notre patrimoine.
Le mécénat constitue un puissant levier pour agir à l’échelon local en faveur de l’intérêt général. Les Français sont attachés à leur patrimoine, à leurs 42 300 monuments historiques répartis sur l’ensemble du territoire, mais également à l’ensemble du petit patrimoine monumental, cultuel ou vernaculaire. Pourtant, les acteurs de proximité, notamment les collectivités territoriales, sont parfois loin de s’être approprié sa protection.
Une réflexion plus globale sur le mécénat en France doit être menée dans les prochains mois, à la lumière de ces événements. Plus largement, il faut évaluer les besoins des collectivités locales. Le mécénat représente un moyen de refonder le lien entre l’État et les contribuables, sur la base de l’intérêt général, tout en favorisant l’initiative privée.
Cela nous conduit évidemment à nous interroger également sur la restauration que nous souhaitons pour Notre-Dame. Victor Hugo écrivait : « Chaque flot du temps superpose son alluvion, chaque race dépose sa couche sur le monument, chaque individu apporte sa pierre. » Il avait raison. Même si nous devons veiller à préserver l’identité, l’authenticité et l’intégrité du monument, ne nous empêchons pas de faire preuve d’audace et de laisser nos générations marquer cet édifice de leur empreinte, comme cela s’est fait au fil des siècles, à de nombreuses reprises. Pourquoi nous en priverions-nous ?
Le projet de loi permet à la fois d’encadrer cet élan de générosité sans précédent et de préparer au mieux les mois et les années à venir pour la conservation et la restauration de notre chère cathédrale.
Les articles 1 à 5 vont ainsi dans le bon sens. Ils permettent d’éviter toute incertitude quant à l’utilisation des fonds, aux possibilités de collectes et à la gestion des versements. Le texte permettra d’organiser la souscription dans un cadre sécurisé et transparent, en faisant appel aux acteurs de référence en matière de levées de fonds et de philanthropie.
Les apports de l’Assemblée nationale, complétés par le Sénat, sur les articles 5, 5 bis, 7 et 8 sont judicieux. Ils assurent une transparence totale sur les donateurs, les sommes versées, les réductions octroyées. Il s’agit là encore d’être exemplaire.
Cette exemplarité devra aussi s’appliquer tout au long de la préparation du chantier, puis lors de la réalisation des travaux. Il sera également essentiel de prendre en compte les différents usages cultuels, culturels et touristiques de Notre-Dame pour que sa restauration permette d’améliorer le fonctionnement quotidien. N’oublions pas l’hyperfréquentation dont sont souvent victimes les sites monumentaux.
La création d’un établissement à caractère administratif de l’État semble pertinente, compte tenu de la nature exceptionnelle du chantier et de la nécessité de réunir toutes les parties prenantes.
Le Gouvernement n’a pas encore fixé le ministère qui exercera la tutelle sur cet établissement. Peut-être M. le ministre nous donnera-t-il des indications à cet égard dans sa réponse. La commission de la culture serait favorable, d’après ce que j’ai compris, à ce que cela soit le ministère de la culture. Même si cela paraît plutôt pertinent, cette précision relève-t-elle du domaine de la loi ?
La France est une terre de patrimoine. La propriété de ce patrimoine est souvent publique, parfois privée. Tous les propriétaires, qu’il s’agisse de collectivités ou de personnes privées, n’ont pas, dans la plupart des cas, les moyens techniques et financiers de respecter les contraintes qu’entraîne la détention d’un patrimoine ancien, parfois mal entretenu. Progressivement, des règles, nombreuses et complexes, ont été instaurées afin de protéger ce patrimoine lors de sa restauration.
Il arrive que certains s’en plaignent, comme l’a souligné le rapporteur pour avis de la commission des finances.
S’agissant de Notre-Dame, le Gouvernement a souhaité que l’immense chantier de sa reconstruction, de sa restauration soit exempt de cette réglementation, à la fois parce que les plus grands experts sont déjà à l’œuvre pour organiser la restauration, mais aussi pour gagner le temps nécessaire à opérer ces travaux dans des délais raisonnables.
Je vais sans doute vous choquer, mais notre groupe est partagé sur ce texte – c’est le privilège des Indépendants : certains y sont favorables, d’autres défavorables. Je fais partie de ceux qui sont favorables à une législation exceptionnelle pour une œuvre exceptionnelle
M. André Gattolin applaudit.
Il faudra, par exemple, trouver des pierres et, pour cela, rouvrir des carrières.
La question fut abordée lors d’une audition extrêmement intéressante organisée, la semaine dernière, par l’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques, l’Opecst.
M. Jérôme Bignon. Je vous laisse imaginer le temps qu’il faudra pour rouvrir des carrières si l’on respecte la législation…
M. André Gattolin applaudit.
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, en préalable à mon propos, je tiens tout d’abord à saluer ici l’esprit de cohésion et de solidarité nationale qui a présidé le soir du 15 avril lorsque nous avons appris l’incendie qui a très lourdement endommagé ce joyau national qu’est la cathédrale Notre-Dame de Paris.
Chacun a justement souligné l’extraordinaire réactivité de nos soldats du feu, les risques considérables qu’ils ont pris pour sauver ce qui pouvait encore l’être et le « sans-faute » du commandement des opérations, qui, dans l’urgence de ce funeste moment, a mis en œuvre les meilleurs choix qui pouvaient être pris en pareille situation. Je le dis ici : l’opération « Sauver Notre-Dame » restera dans l’histoire comme un exemple de bravoure et d’intelligence en matière d’opération de sécurité civile, et ce à l’échelle mondiale !
Je veux saluer aussi l’extrême réactivité du Président de la République, qui, quelques dizaines de minutes seulement après le déclenchement de l’incendie, a choisi d’annuler l’intervention télévisée très attendue qu’il devait faire pour se rendre immédiatement sur les lieux du sinistre et valider les décisions qui étaient à prendre en temps réel.
C’est avec le même esprit de détermination que le Président a décidé très rapidement d’engager « l’après-incendie » et que le Gouvernement a présenté un texte de loi pour conserver et restaurer Notre-Dame, pour réparer cette plaie ouverte laissée au cœur de Paris, au cœur de la France et au cœur de chacune et de chacun d’entre nous.
Non, Paris n’est pas Rome, et le culte magnifié des ruines n’appartient pas à notre culture, n’en déplaise à quelques esprits romantiques. L’amour de notre patrimoine, depuis plusieurs siècles, nous a toujours conduits à le protéger, à l’entretenir, à le faire vivre ou revivre. Il faut le rappeler ici : aucun pays au monde ne prête autant d’attention que le nôtre à son patrimoine. Alors, pour ce faire, l’argent manque toujours, mais ce manque doit être mis en regard de l’incroyable richesse de notre patrimoine, qui ne cesse, siècle après siècle, décennie après décennie, de s’étoffer.
Depuis ce drame, et surtout depuis les polémiques attisées par certains, on entend sur ces bancs un cortège de lamentations et de dénonciations quant au manquement dont l’État serait coupable à l’endroit de notre patrimoine national. D’aucuns disent que ce serait l’actuel Gouvernement, celui qui précisément a engagé le plus d’actions en faveur du patrimoine au cours des trente dernières années, qui serait le coupable tout désigné de ce prétendu abandon.
Je rappelle tout de même que Notre-Dame de Paris n’était pas en déshérence au moment du drame et que le terrible incendie s’est précisément produit durant l’important chantier de rénovation de sa flèche.
Je rappelle aussi que lors du dernier projet de loi de finances, discuté en fin d’année passée au Sénat, le président de notre commission des finances, Vincent Éblé, très fin connaisseur du patrimoine, donnait même un satisfecit à l’accroissement des engagements financiers de l’État dans ce domaine.
Je rappelle encore que, toujours lors de ce même projet de loi de finances, et à l’exception d’un amendement assez général du groupe CRCE, aucun amendement visant à accroître davantage ces budgets n’a été déposé dans notre chambre.
Mais venons-en au fond du sujet, c’est-à-dire au texte de loi tel que profondément amendé en commission, la semaine dernière, et que nous étudions aujourd’hui. La commission a bien entendu le droit de récrire la proposition initiale si celle-ci ne lui convient pas. Néanmoins, dans le cas présent, je cherche encore la cohérence et la sincérité effective du propos.
En commission, le président Bruno Retailleau a solennellement dénoncé l’ombre projetée de l’« hybris présidentielle » dans ce dossier, affirmant même au passage qu’il n’y avait nul besoin d’une loi pour restaurer Notre-Dame.
Franchement, je dois dire qu’on trouve bien pire exemple d’hybris présidentielle sous la Ve République, y compris chez certains ex ou futurs candidats à la fonction. D’ailleurs, il est intéressant aussi de noter que nos collègues Les Républicains au Sénat, contrairement à leurs homologues de l’Assemblée nationale, ont fait preuve de retenue en ne déposant aucun amendement de suppression de l’alinéa 2 de l’article 1er, qui place pourtant la souscription ouverte « sous la haute autorité du Président de la République française ».
Je ne reviendrai pas ici point par point sur les différents ajouts et amputations auxquels notre commission s’est livrée. Nous aurons l’occasion d’y revenir lors de l’étude du texte. Je voudrais, dans le temps qui me reste, simplement revenir sur l’un des points qui semble cristalliser la polémique : il s’agit de la fameuse question de l’authenticité et de la reconstruction à l’identique de l’édifice.
Je veux souligner ici le procédé pour le moins étonnant, pour ne pas dire fallacieux, qui a présidé à la réécriture de l’alinéa 2 de l’article 2. Pour arguer en faveur d’une reconstruction à l’identique de la cathédrale et la restituer « dans le dernier état visuel connu », le rapporteur n’hésite pas à invoquer la Charte de Venise de 1964, qui n’a aucune valeur contraignante et qui, par ailleurs, a fait l’objet d’une intense rediscussion pour être modifiée par le Document de Nara de 1994 sur l’authenticité et l’interprétation relative à lui donner.
L’invocation dans ce même alinéa de la Convention de l’Unesco de 1972 sur le patrimoine mondial, qui elle est contraignante, est néanmoins inappropriée puisque dans aucun de ses articles il n’est fait mention d’une obligation de respecter une quelconque authenticité ou intégrité des monuments classés au titre de ladite convention.
Victor Hugo a très souvent été cité dans les débats que nous avons eus en commission, et c’est une très belle référence, mais pas au point de s’autoriser, presque deux siècles après, à rejouer la fameuse bataille d’Hernani entre Classiques et Modernes dont l’œuvre de l’écrivain fut l’objet.
M. Jérôme Bignon applaudit.
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, dans son Historia Francorum, Grégoire de Tours rapporte que de son temps, en 586, l’île de la Cité fut dévastée par un terrible incendie. L’historien explique que la consécration de la ville la protégeait jadis contre le désastre des flammes, mais que lors du curage des égouts « on y avait trouvé un serpent et un loir d’airain ; qu’après qu’on les eut ôtés il parut dans Paris des loirs et des serpents sans nombre, et qu’après cela la ville fut prise de l’incendie ».
Aussi loin que nous portent dans le temps les écrits et les témoignages matériels des humains, l’île de la Cité est l’espace des destructions, des relèvements et des créations. La cathédrale de Notre-Dame a succédé ainsi à un groupe épiscopal plus ancien qui fut détruit et dont les pierres ont été réutilisées pour l’édifice nouveau. Enfin, la configuration actuelle des lieux doit beaucoup aux travaux de Rambuteau, de Viollet-le-Duc et surtout d’Haussmann.
Sans le dévouement exceptionnel des pompiers, des personnels du ministère de la culture et de la mairie de Paris, du diocèse et des entreprises, il est possible que la vieille cathédrale eût connu un destin aussi funeste que les édifices qui la précédèrent. Aujourd’hui, l’essentiel est sauvé, mais la très longue histoire du bâtiment et du lieu nous impose l’humilité. En juillet 1798, le général Bonaparte, devant les pyramides, déclarait : « Songez que du haut de ces monuments quarante siècles vous contemplent. » Regardant Notre-Dame, nous pourrions dire à sa suite : du haut de ces deux tours vingt siècles nous regardent. Non seulement il convient d’agir en pleine connaissance de la richesse patrimoniale de ce monument et de son environnement architectural, mais nous devons aussi intervenir dans le respect de sa destination première et actuelle, celle d’un lieu de culte qui tente d’offrir à ses pratiquants un espace de recueillement dans un bâtiment qui est le plus visité d’une capitale qui est la première destination touristique mondiale.
Le ministère de la culture et ses services patrimoniaux ont une pratique longue et assurée de la gestion de ces problématiques multiples, car celles-ci sont consubstantielles de la plupart des travaux réalisés dans des monuments historiques. Certes, il est heureusement rare qu’un tel sinistre survienne dans un ensemble architectural aussi vaste et complexe que celui de la cathédrale Notre-Dame. Cependant, les lois et règlements forgés à la suite d’une expérience pluriséculaire dans ce domaine offrent justement les cadres adaptés pour élaborer, discuter et mettre en œuvre les projets de restauration les plus difficiles.
Fort de ces expériences anciennes, notre pays a contribué à l’élaboration d’une doctrine qui a servi de socle aux traités internationaux destinés à protéger le patrimoine historique : la Charte de Venise, la Convention de Malte et le Document de Nara. À propos du concept d’authenticité introduit par la Charte de Venise, ce dernier texte précise : « Les couches d’histoire acquises au fil du temps par un bien culturel sont considérées comme des attributs authentiques de ce bien culturel. »
Tous ces travaux ont contribué à la constitution d’une conscience patrimoniale internationale qui a pour dessein « de clarifier et d’éclairer la mémoire collective de l’humanité ». Elle s’est manifestée avec force lors de la destruction des Bouddhas de Bâmiyân en Afghanistan, ou des vestiges archéologiques de Palmyre en Syrie. Par un renversement singulier du destin, cette conscience patrimoniale universelle s’est exprimée, dès le 15 avril, pour nous témoigner sa tristesse, sa compassion et sa volonté de participer à nos côtés au relèvement de ce qui a été détruit.
Cette mansuétude universelle nous honore et nous oblige. Elle doit nous astreindre à respecter scrupuleusement les préconisations patrimoniales des chartes internationales pour l’élaboration desquelles notre pays a fortement collaboré. La très récente loi du 7 juillet 2016 relative à la liberté de la création, à l’architecture et au patrimoine peut être considérée comme une transposition aboutie dans le droit français de ces principes. Nous ne comprenons donc pas pourquoi vous nous proposez d’y déroger aujourd’hui. Certes, le chantier de restauration de la cathédrale sera exceptionnel par sa durée et les moyens humains et financiers qui seront mobilisés, mais rien dans son organisation juridique et administrative ne justifie cette loi d’exception.
S’agissant de l’article 8 et de votre souhait d’instituer par ordonnance un nouvel établissement public chargé de la rénovation, dans l’étude d’impact qui accompagne ce projet de loi, le Gouvernement défend son utilité par la seule nécessité d’assurer une gouvernance du chantier « reflétant pleinement la diversité des personnes intéressées à la restauration ». Est-ce à dire qu’avant l’incendie la collaboration entre le ministère de la culture et ses services, la mairie de Paris et le diocèse était déficiente ? Le sentiment qui prévaut est plutôt celui d’une dépossession des autorités actuellement compétentes au profit d’un dispositif contrôlé depuis le plus haut sommet de l’État.
Sur le fond, cet exercice de contournement de la loi et des services chargés de l’appliquer jette le discrédit sur toutes nos institutions patrimoniales pour organiser le fait du Prince. Comment obtenir de l’élu et du citoyen le respect de la loi si le premier magistrat de la République exige de nous, par ce texte, de s’en affranchir absolument ?
Applaudissements sur les travées du groupe communiste républicain citoyen et écologiste et du groupe socialiste et républicain, ainsi que sur des travées du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen, du groupe Union Centriste et du groupe Les Républicains.
Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous sortons d’une séquence électorale qui a mis en lumière nos différences. Mais s’il est des moments dans notre vie commune qui peuvent nous opposer, il en est d’autres qui nous rassemblent parce qu’ils transcendent nos désaccords, et l’incendie dramatique de Notre-Dame de Paris a été évidemment de ceux-là.
Ce soir-là, le feu a éteint pour un temps nos querelles, et tous nous étions derrière ceux qui s’élançaient au cœur du brasier, ces pompiers au courage exemplaire. Ce soir-là, les fumées s’échappant de Notre-Dame ont pour un instant recouvert les clivages et rallié les regards de tous ces Français reliés dans une même émotion et rassemblés comme une seule nation.
Ce soir-là sous les flammes, mes chers collègues, a percé notre âme, celle d’un peuple qui, malgré ses fractures, ses blessures, a montré qu’il pouvait encore vivre du même esprit, celui de l’unité, aimer du même cœur, un cœur souffrant tant les maux qui divisent la France font souffrir les Français, mais un cœur toujours battant pour ce qui nous rassemble.
Et d’un mal peut sortir un bien. Ce soir-là, du malheur a surgi, comme un bonheur, notre bien le plus précieux, le plus fragile aussi : l’unité nationale, cette grande œuvre française, qui toujours est à recommencer. Il y a là comme un signe réconfortant.
Malheureusement, je crains que ce signe ne soit obscurci par le signal que vous envoyez avec certaines dispositions de ce projet de loi, un projet qui me semble à contretemps, car Notre-Dame de Paris est d’abord l’œuvre du temps. Il a fallu des siècles pour écrire « ce livre d’histoire de France » dont parle Jules Michelet, des siècles de patience pour conjuguer ses formes, du chœur jusqu’aux portails, des siècles de persévérance pour ciseler cette synthèse de roses, de stalles et de chimères.
Or à la patience vous substituez l’urgence, qui justifierait de s’exonérer de toutes les règles urbanistiques, patrimoniales du code des marchés publics ; et à la persévérance vous substituez la performance : reconstruire Notre-Dame en cinq ans !
Alors, y a-t-il urgence ? Oui, il y a une urgence à sécuriser, à consolider, à protéger, en liaison étroite avec les acteurs culturels, mais aussi, comme vient de le dire Pierre Ouzoulias, cultuels, sans toucher aux lois de 1905 et de 1907, car si Notre-Dame de Paris est bien plus qu’une cathédrale, elle est d’abord une cathédrale.
Et même s’il faut d’urgence protéger l’édifice, il n’y a rien qui justifie de restaurer dans l’urgence, à la va-vite. Faudrait-il bâcler le chantier pour boucler un calendrier ? Choisir le béton plutôt que le chêne pour une charpente qu’après tout le flot de touristes n’apercevra même pas ? Faudrait-il restaurer ce haut lieu de notre identité comme on construit ces non-lieux de notre surmodernité : au plus simple, au plus vite parce que le présent n’attend pas, exige son dû, et peu importe le don du passé ?
Non, Notre-Dame mérite plus, Notre-Dame mérite mieux ! Elle mérite plus que ce « présentisme » dans lequel vous vous enfermez. Elle mérite mieux que ce « bougisme » auquel, une fois de plus, vous cédez.
Car cette urgence, c’est vous qui l’avez créée, comme l’a d’ailleurs souligné avec intelligence Jean-Louis Bourlanges, qui appartient à votre propre majorité. En la créant, vous prenez le risque de décrédibiliser l’État qui, avec l’article 9 de ce projet de loi, s’exonère des règles qu’il exige de tous, des maires qui veulent restaurer leur patrimoine protégé, de n’importe quel citoyen dont l’habitation est située dans un périmètre protégé et qui ne peut pas choisir la couleur de ses volets. À ceux-là, vous dites ceci : « les règles, c’est pour vous ; l’exception, c’est pour nous. »
Une fois de plus, l’État ne montre pas l’exemple. Et quel contre-exemple ! Pour Notre-Dame de Paris, de deux choses l’une : soit ces règles sont mauvaises, et dans ce cas ne vous en exonérez pas, mais supprimez-les pour tout le monde ;…
… soit elles sont utiles et nécessaires, ce que je pense, et alors respectez-les !
Plus grave encore, vous prenez le risque de décrédibiliser la France : parce que c’est sous son impulsion que l’Unesco a établi des critères précis pour la protection du patrimoine mondial de l’humanité, parce que c’est aussi grâce à la France que la Charte de Venise a été adoptée, et parce qu’enfin c’est en France que l’on trouve une excellence inégalée, celle de nos architectes en chef, de nos historiens de l’art, celle aussi de nos compagnons. Leur savoir-faire est mondialement reconnu, alors accordez-leur un peu de crédit quand ils vous exhortent à vous accorder un peu de temps ; accordez-leur un peu de considération en leur confiant, à eux plutôt qu’à d’éventuels gagnants d’un concours international, la reconstruction de la flèche de Viollet-le-Duc.
Quant à la performance, vouloir reconstruire Notre-Dame « plus belle encore », pour reprendre les mots du Président de la République, c’est, pardonnez-moi, faire preuve d’une ambition qui confine à la prétention. L’un des grands travers de notre époque, mes chers collègues, c’est son arrogance : elle se croit supérieure aux précédentes ; elle ne voit dans celles qui l’ont précédée qu’un passé à dépasser, à surpasser. Mais les Français n’attendent pas une prouesse, la prouesse d’un chef d’État qui voudrait laisser sa marque au-dessus de Notre-Dame de Paris.
La seule marque que nos compatriotes veulent voir, celle à laquelle ils sont réellement attachés, ce n’est pas celle d’un Président, c’est la marque du temps, la trace du génie des siècles inscrite dans la pierre de Notre-Dame. De même, le seul geste que nos concitoyens attendent, ce n’est pas un geste de « modernité », comme cet improbable « geste architectural contemporain » voulu par Emmanuel Macron, mais c’est un geste de fidélité, qui a quelque chose à voir avec tous ces gestes de générosité dont ont fait preuve des milliers de Français. Car pourquoi ont-ils donné sinon pour qu’on leur rende ce qui leur a été enlevé ?
Et de grâce, ne faites pas de Notre-Dame un nouveau clivage entre les Anciens et les Modernes, à plus forte raison en matière patrimoniale ! Dans l’affaire qui nous préoccupe, les préférences esthétiques importent peu : il s’agit non pas de préférer, mais de respecter ; il s’agit non pas de « disrupter », mais de restaurer. Du reste, le seul vrai juge en matière d’art, c’est le temps. C’est dans la profondeur du temps que naît la grandeur des œuvres. Notre-Dame de Paris est née voilà neuf siècles. Le temps a fait de ce joyau français un trésor d’humanité.
Alors, si vous voulez redonner tout son éclat à ce trésor, donnez-vous du temps : ne confondez pas vitesse et précipitation ! Donnez-vous des règles également : ne confondez pas audace et prétention ! Je sais parfaitement, monsieur le ministre, que votre tâche, votre rôle ne sont pas simples. Si vous vous donnez du temps, si vous vous donnez des règles, nous vous donnerons notre confiance !
Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et sur des travées du groupe Union Centriste. – M. Pierre Ouzoulias applaudit également.
Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain.
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, oui, Notre-Dame est exceptionnelle, mais elle ne doit pas faite l’objet d’une loi d’exception. L’incendie n’a pas uniquement ravivé notre émotion, il a aussi réveillé notre conscience collective sur la place éminente du monument dans notre histoire et dans notre présent. Notre-Dame nous était familière, tellement familière que nous avions fini par oublier qu’elle était vulnérable. Parce qu’elle est là depuis des siècles, ayant franchi des époques parfois tumultueuses, nous étions enfermés dans la certitude de son immobilité, comme le dit l’historien Yann Potin. En bref, le temps passe, mais Notre-Dame reste.
C’est pourquoi, le 15 avril dernier, nous avons tous été abasourdis : nous avons redécouvert que Notre-Dame était fragile. Les élans d’affection spontanés, mêlés d’une profonde inquiétude sur la survivance de l’édifice, ont soudainement mis en lumière l’attachement viscéral des Français, mais également du monde entier, à cette cathédrale qui, depuis fort longtemps, était devenue bien plus que cela. Partie intégrante du site « Paris, rives de la Seine », inscrit au patrimoine mondial, Notre-Dame est une évidence : elle est un bien commun, pas seulement national, mais de l’humanité tout entière.
À l’heure de sa restauration, cette vérité nous oblige. En tant que législateurs, le cadre et les lignes directrices que nous allons fixer conditionneront en partie la fluidité et la réussite du projet. C’est donc une réelle responsabilité qui nous incombe, responsabilité dont nous allons débattre aujourd’hui, mais qui a en réalité une portée internationale.
Au-delà du financement du projet, le premier facteur décisif se situe au niveau de la gouvernance du futur établissement qui conduira et coordonnera les opérations de restauration. Sur ce point, nous ne pouvons que saluer le travail du rapporteur et les avancées obtenues dès le stade de la commission, puisqu’il est désormais précisé qu’il s’agira d’un établissement public à caractère administratif – EPA – de l’État placé sous la tutelle du ministère chargé de la culture.
Pour notre part, nous souhaiterions encore affiner et clarifier ce schéma, en inscrivant un principe simple dans la loi : la séparation entre la maîtrise d’ouvrage et la maîtrise d’œuvre. Si l’EPA a la charge de la maîtrise d’ouvrage, les opérations de maîtrise d’œuvre doivent bien sûr être conduites sous la direction d’un architecte en chef des monuments historiques.
Ce qui est en jeu autour de ces considérations d’apparence technique, c’est bien la qualité de la restauration de Notre-Dame. Or qui mieux que les services du patrimoine du ministère de la culture, reconnus pour leur expérience et leur expertise, sont-ils à même d’assurer cette qualité ? Architectes, inspecteurs, conservateurs, tous sont qualifiés, compétents et ont fait leurs preuves pour réussir un tel chantier ; faisons-leur confiance !
En revanche, ils ne peuvent pas tout, et ils ne peuvent pas aller à l’encontre des règles qui auront été définies par la loi. C’est pour cette raison qu’en préambule de mon intervention j’ai clairement exprimé mon opposition à une loi d’exception. Le message de la commission a été limpide, monsieur le ministre : nous vous soutenons pleinement, mais nous ne voulons aucunement d’une loi ÉLAN bis.
Ainsi, nous ne voulons pas entendre parler de dérogations aux codes du patrimoine, de l’environnement, de l’urbanisme, de la commande publique. Nous ne voulons pas rebâtir « plus vite » Notre-Dame ; nous voulons « bien » la rebâtir.
Elle mérite une restauration exemplaire, dans la transparence la plus totale, qui s’oppose radicalement à la logique de « dénormer » par ordonnances, et selon les règles de protection patrimoniale de droit commun saluées unanimement à travers le monde entier pour leur efficacité. Cet esprit soucieux du patrimoine, ce respect à l’égard de la pierre et du monument doivent être d’autant plus confirmés et affutés qu’il est question justement de Notre-Dame. Y déroger, c’est affaiblir considérablement et durablement la tradition de préservation patrimoniale de notre pays.
Enfin, Notre-Dame n’est pas un lieu détaché ; elle est au cœur de la Cité, au kilomètre zéro de notre mémoire commune. Si beaucoup d’entre nous ont été affectés par l’incendie, c’est précisément parce que nous sommes nombreux à nous être approprié cette « dame aux multiples visages ». En un sens, l’histoire de Notre-Dame est une histoire d’appropriation perpétuelle et de symbolisme politique récurrent.
Je crois qu’il est important que ce processus d’appropriation perdure pendant les travaux de restauration, autrement dit que Notre-Dame demeure ouverte sur la ville et sur le monde, notamment via l’aménagement des abords, qui permettra d’organiser des ateliers, d’expliquer le chantier et, par conséquent, d’accueillir le public. D’ailleurs, cette période est de nature à valoriser, et peut-être même à redécouvrir, tous ces métiers du patrimoine qui travaillent les matériaux d’une main d’orfèvre.
Pour conclure, je citerai Victor Hugo : « Tout d’un coup, il se souvint que des maçons avaient travaillé tout le jour à réparer le mur, la charpente et la toiture de la tour méridionale. Ce fut un trait de lumière. » Monsieur le ministre, mes chers collègues, afin que ce « trait de lumière » redevienne éblouissant, prenons le temps qu’il faut. Le temps de Notre-Dame n’est pas le nôtre, et nul ne peut être plus grand ni plus rapide qu’une cathédrale !
Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain et du groupe communiste républicain citoyen et écologiste, ainsi que sur des travées du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen, du groupe Union Centriste et du groupe Les Républicains.
Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, dans la nuit du 15 au 16 avril dernier, l’incendie de Notre-Dame de Paris a submergé nos cœurs d’une émotion collective simultanée, dans une communion – osons le dire – jamais constatée dans l’histoire.
Dans les minutes qui ont suivi, un extraordinaire élan de générosité se manifestait et les dons affluaient des quatre coins du monde. Cette « brûlure à l’âme » révélait – ou réveillait – cette perception intime de notre conscience profonde que Notre-Dame de Paris représentait plus qu’un monument historique traditionnel, mais aussi le symbole de notre civilisation européenne quelque peu enfoui au fond de nos mémoires.
Il était légitime que le Président de la République, partageant cette émotion populaire unanime, s’exprimât rapidement. C’est – et l’on peut le comprendre – sous l’effet d’une forte émotion qu’il affirma : « Nous rebâtirons Notre-Dame, dans un délai de cinq ans, plus belle encore. »
Il n’en fallut pas plus pour que l’émotion, jusqu’alors consensuelle, se transformât en une polémique clivante sur les délais annoncés, le parti architectural qui allait présider à cette restauration, les risques d’un concours international pour reconstruire la flèche de Viollet-le-Duc, l’idée d’un « geste architectural contemporain », les matériaux qui seraient utilisés, etc.
Le Sénat, vous le savez, monsieur le ministre, a toujours manifesté une grande vigilance sur les sujets patrimoniaux, à la recherche d’un consensus sur toutes les travées, estimant que l’héritage commun que nous avons entre les mains devait échapper aux combats politiciens et partisans, le patrimoine légué par les générations qui nous ont précédés méritant respect, sérénité et humilité.
C’est, une fois encore, ce que nous avons fait, attentifs au débat public, en nous référant à l’histoire exceptionnelle et universelle de ce vénérable monument et en le resituant dans son contexte paysager au cœur de Paris, celui-là même qui avait conduit à la reconnaissance du site « Paris, rives de la Seine » au patrimoine mondial de l’Unesco.
Il en est résulté un vote quasi unanime de la commission de la culture, après le remarquable travail effectué par le rapporteur Alain Schmitz, la présidente Catherine Morin-Desailly et l’ensemble de ses membres, travail auquel je veux associer également la commission des finances, en la personne de son rapporteur pour avis, Albéric de Montgolfier, et de son président Vincent Éblé.
Je souscris en tout point à l’exposé que vient de faire M. le rapporteur dans cette discussion générale.
Je souhaite simplement insister sur trois éléments d’appréciation, plus personnels peut-être, qui marquent de façon plus volontariste encore mon souhait de voir restituer le monument de Notre-Dame dans un état le plus proche possible de celui dans lequel il était la veille du sinistre.
Le premier point concerne la reconstruction dite « à l’identique ». Je mesure l’ambiguïté de cette expression, mais je souhaite, à l’instar d’une majorité d’historiens et de spécialistes du patrimoine, qu’elle soit respectée autant que possible.
C’est la raison pour laquelle je demande, non seulement une « restitution visuelle », expression qui figure actuellement dans le texte, mais également une restitution respectueuse de l’état architectural antérieur au sinistre, y compris dans les matériaux utilisés.
Nous avons une opportunité extraordinaire de valoriser les compétences et les savoir-faire exceptionnels de nos experts et artisans du patrimoine, une occasion unique d’organiser une opération d’envergure européenne qui permettra de transmettre ces savoir-faire, dans l’esprit du compagnonnage, et, ce faisant, de revaloriser le travail manuel noble, pour lequel nous commençons à manquer de vocations.
Puis-je vous rappeler, monsieur le ministre, que vous avez déposé, au nom de la France, à l’Unesco, il y a tout juste deux mois, aux côtés de l’Allemagne, de l’Autriche, de la Norvège et de la Suisse, une candidature au patrimoine culturel immatériel de l’humanité portant sur « les techniques artisanales et les pratiques coutumières des ateliers des cathédrales en Europe » ?
Quant aux matériaux, il appartiendra au maître d’ouvrage de nous prouver que l’usage du bois, des pierres et même du plomb est incompatible avec les nécessités contemporaines.
Nous disposons de l’ensemble des documents d’archives détaillant très précisément la disposition et l’agencement de tous les éléments constitutifs du monument à la date du sinistre.
Le deuxième point concerne l’opérateur qui sera maître d’ouvrage délégué. Je ne comprends pas qu’il soit nécessaire de créer un opérateur dédié à la restitution de Notre-Dame. Cet opérateur existe déjà : il s’agit de l’Opérateur du patrimoine et des projets immobiliers de la culture, l’Oppic, dont c’est précisément la mission. Ce dernier a opéré et opère encore sur d’importants chantiers touchant des monuments historiques majeurs, chantiers dans lesquels il a su démontrer son expérience et sa compétence.
Et je ne vois pas pourquoi, au moment même où le Premier ministre demande que des opérateurs de l’État soient supprimés, nous en créerions un nouveau alors que nous avons ce qu’il faut.
Le troisième point concerne bien entendu l’article 9, qui prévoit de déroger par ordonnances aux règles de droit commun en matière d’urbanisme, d’environnement, de commande publique et de préservation du patrimoine.
J’ai tremblé, monsieur le ministre, quand j’ai entendu Mme Sibeth Ndiaye, porte-parole du Gouvernement, déclarer juste après la conférence de presse du Président de la République, que le but était « d’accélérer les travaux » !
Vous comprendrez, monsieur le ministre, combien ce type de déclarations, quand il s’agit de notre patrimoine, qui plus est de Notre-Dame de Paris, peut soulever de légitimes inquiétudes.
Convaincu que ces règles, notamment dans le domaine de la protection du patrimoine, ne sont nullement un frein à l’exécution des travaux, que tout l’arsenal réglementaire existe déjà dans nos textes, y compris la possibilité de raccourcir les délais, je me réjouis de la suppression de cet article 9 par la commission de la culture, sur proposition de notre collègue rapporteur Alain Schmitz.
Je reviendrai sur ces points lors de l’examen des articles, mais je pense très sincèrement que cette thèse est celle qui permettra de satisfaire le mieux le vœu du Président de la République de voir le chantier achevé dans un délai de cinq ans.
En conclusion, je pense comme vous, monsieur le ministre, qu’il sera nécessaire de consulter régulièrement la Commission nationale du patrimoine et de l’architecture, pendant la phase de projets comme durant l’exécution du « chantier du siècle ».
Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et sur des travées du groupe socialiste et républicain. – M. Alain Schmitz, rapporteur, applaudit également.
Mes chers collègues, nous allons interrompre nos travaux pour quelques instants.
La séance est suspendue.
La séance, suspendue à dix-sept heures trente-cinq, est reprise à dix-sept heures quarante.
La séance est reprise.
La parole est à M. le ministre, qui souhaite apporter quelques éléments de réponse pour clore la discussion générale.
Monsieur le rapporteur Alain Schmitz, la rapidité du dépôt de ce projet de loi s’explique avant tout par la volonté d’avancer vite sur les dispositifs fiscaux spécifiques que nous entendons instaurer.
Mais, puisque nous ne disposions pas de tous les éléments pour préciser directement dans le texte les quelques exceptions que nous souhaitons prévoir, nous avons proposé de travailler par voie d’ordonnances. Je déposerai d’ailleurs un amendement pour réintroduire dans la loi le fameux article 9.
Nous prendrons le temps qu’il faudra pour restaurer Notre-Dame. Nous voulons faire une restauration exemplaire. J’ai bien aimé votre expression : « une ambition au service d’une mobilisation », telle est précisément l’ambition du Président de la République quand il fixe ce cap des cinq ans. Toutefois, je l’ai dit et répété, nous ne mélangerons jamais vitesse et précipitation.
De plus en plus d’éléments nous incitent à créer un établissement public présidé par le général Georgelin, qui prendrait vraisemblablement la forme d’un établissement public administratif, un EPA, plutôt que d’un établissement public industriel et commercial, un EPIC, comme je l’avais envisagé en commission.
Vous dites ensuite que nous rejetons d’office la restauration à l’identique. Absolument pas ! Nous voulons simplement ne pas trancher à ce stade, pour ne pas fermer la porte à un beau débat patrimonial.
Jean-Pierre Leleux souhaite que la cathédrale soit restaurée sur le modèle voulu par Viollet-le-Duc. C’est un choix parfaitement respectable. D’autres pensent au contraire qu’il faut accomplir un nouveau geste architectural sur la flèche.
Regardons les propositions et, ensuite, tranchons, après avoir consulté les experts, les spécialistes, les architectes en chef des monuments historiques et tous ceux qui, de près ou de loin, connaissent ces questions. Faisons vivre ce beau débat national et, le moment venu, décidons, après avoir consulté nos compatriotes, bien évidemment.
Ce chantier devra naturellement être la vitrine de notre savoir-faire français. Nous avons la chance d’avoir une histoire exceptionnelle en matière de restauration du patrimoine, des entreprises, des experts et des spécialistes reconnus dans le monde entier. Il faut que nous puissions mettre en avant ce savoir-faire, notamment pour inciter les plus jeunes à s’orienter vers ces métiers de la restauration.
C’est la raison pour laquelle, avec Muriel Pénicaud et Jean-Michel Blanquer, j’ai souhaité lancer ces fameux « Chantiers de France ». Nous voulons profiter de l’émotion suscitée par l’incendie et de cet éclairage sur la restauration du patrimoine pour promouvoir auprès des jeunes les formations conduisant à ces métiers. Ils sont passionnants, valorisants et offrent de nombreux débouchés, car ils souffrent d’un important manque de main-d’œuvre.
Il faut aussi saisir cette occasion pour mieux faire connaître les savoir-faire français et européen. Nos amis européens se sont mobilisés, par solidarité avec la France, et tant mieux si des spécialistes européens peuvent ensuite être reconnus dans le monde entier.
Monsieur de Montgolfier, j’ai toujours un peu de mal avec l’opposition que vous semblez dessiner entre l’État et les donateurs. N’oublions pas que les financements de l’État se composent, au final, de l’argent des contribuables.
L’État ne veut pas s’exonérer du financement de la restauration du patrimoine en s’appuyant uniquement sur les donateurs. Mais nous n’allons pas non plus casser cet élan de générosité au motif que l’État devrait absolument payer.
Je vous rejoins en revanche sur votre volonté d’éviter tout effet d’aubaine fiscal, même s’il me semble que nous en sommes loin. Au travers du mécanisme de réduction d’impôt lié au mécénat, l’État contribuera de toute façon à la restauration de Notre-Dame de Paris.
Il est clair également que, si jamais les moyens étaient insuffisants, l’État les compléterait. Et d’ores et déjà, depuis le 15 avril au soir, c’est bien l’État qui finance la restauration de la cathédrale, au travers de la DRAC d’Île-de-France, en liaison avec la direction générale des patrimoines, la DGPAT, et les architectes en chef des monuments historiques.
Pour moi, il ne s’agit pas d’une loi d’exception, mais d’une loi destinée à répondre à une situation véritablement exceptionnelle, laquelle exige une adaptation très circonscrite de notre dispositif. Il ne s’agit absolument pas de revenir sur les fondamentaux de notre droit en matière de préservation du patrimoine, d’archéologie, de préservation de l’environnement ou de procédures de marchés publics.
Nous n’avons pas pu finaliser dans le projet de loi toutes les exceptions que nous voulions définir. Je comprends donc que l’on puisse s’interroger sur les limites de celles-ci, mais vous verrez, lorsque vous débattrez du contenu des ordonnances – je me suis engagé devant l’Assemblée nationale à inscrire leur ratification à l’ordre du jour –, que les exceptions sont très limitées.
Monsieur Assouline, je pense comme vous que tout ce qui est insignifiant doit être écarté, mais, en l’occurrence, il n’y a pas de loi d’exception !
Comme vous, madame Jouve, je crois qu’il doit y avoir un beau débat patrimonial. Pour autant, comme vous l’avez dit, il ne doit pas forcément être tranché de manière législative.
Madame Morin-Desailly, non, il n’y a pas « d’urgence imaginaire ». Notre-Dame de Paris, avec 14 millions de visiteurs, est le monument le plus visité de France. De nombreux fidèles veulent aussi récupérer leur cathédrale, et l’incendie a suscité une émotion exceptionnelle dans l’opinion. Il est donc important d’aller à bon rythme pour que, le plus rapidement possible, sans que la qualité et les règles en vigueur en souffrent, nous puissions rendre Notre-Dame de Paris aux fidèles et aux visiteurs. Ce monument est exceptionnel, et l’événement qu’il a subi l’est également.
Nous devons donc adapter les dispositifs pour permettre la meilleure restauration possible.
Bien évidemment, nous sommes en lien permanent et étroit avec l’Unesco, les rives de Seine étant classées au patrimoine mondial. Nous rencontrerons d’ailleurs très prochainement des représentants de cette organisation pour faire le point.
Monsieur Bignon, oui, il faut savoir faire preuve d’audace ! Nous ne retiendrons peut-être pas les audaces qui seront proposées par les architectes, mais nous ne souhaitons pas trancher la question dans l’immédiat. Par ailleurs, vous avez bien résumé l’enjeu : à monument exceptionnel et situation exceptionnelle, réponse exceptionnelle !
Comme toujours, monsieur Gattolin, votre analyse juridique est pertinente. §J’approuve vos propos sur la charte de Venise et sur l’Unesco et je vous remercie d’appeler de vos vœux un beau débat patrimonial.
Monsieur Ouzoulias, oui, les relations sont bonnes entre l’Hôtel de Ville, le diocèse et le ministère, aujourd’hui comme hier. Les sapeurs-pompiers de Paris, le ministère de la culture, l’Hôtel de Ville et le diocèse avaient l’habitude de travailler ensemble et de faire des exercices d’évacuation. Les sapeurs-pompiers savaient exactement où se trouvaient les œuvres à l’intérieur de Notre-Dame, et c’est ainsi qu’elles ont pu être sauvées.
Quel que soit le dispositif organisationnel retenu, nous aurons à associer très étroitement l’affectataire, à savoir le diocèse, et la mairie de Paris.
Quant à la possibilité de créer un établissement public, il ne s’agit absolument pas de déposséder le ministère ou de contourner ses équipes, cet établissement public étant bien évidemment placé sous la tutelle du ministère de la culture.
Monsieur Retailleau, si vous voulez conserver l’unité nationale et le rassemblement dont vous parliez, évitez de nous faire des procès d’intention. Nous souhaitons mener une restauration exemplaire, dont nous pourrons collectivement être fiers. Nous voulons associer tous les experts, les professionnels, les parties prenantes, les parlementaires et les Français à cette restauration. Nous ne voulons pas nous affranchir de toutes les règles ni bâcler la restauration sous prétexte qu’il faudrait aller vite.
Il est faux, par ailleurs, de dire que nous n’accordons pas de crédit aux architectes en chef des monuments historiques. Depuis un mois et demi, moi-même, mes équipes proches et des membres du cabinet de la direction générale des patrimoines sommes en contact quotidien avec Philippe Villeneuve, l’architecte en chef des monuments historiques, et les trois autres architectes qui œuvrent avec lui.
Nous ne pouvons que vanter la qualité de leur travail. Je ne cesse de le dire à tous ceux qui viennent visiter Notre-Dame ou qui nous demandent comment se passe la restauration. Contrairement à ce que vous laissez entendre, monsieur Retailleau, nous faisons confiance à Philippe Villeneuve et à ses équipes !
Par ailleurs, pourquoi faudrait-il toujours se fier au passé ? Il faut aussi faire confiance au présent et à l’avenir. Nous verrons s’il faut accomplir ou non un geste architectural, et la décision sera prise avec nos compatriotes.
Ne renvoyons pas la préservation du patrimoine à un conservatisme absolu. Jean-Pierre Leleux, vous êtes président de la Commission nationale du patrimoine et de l’architecture. Vous savez bien que, régulièrement, la question d’apports architecturaux contemporains se pose, et que la décision finale ne consiste pas toujours à ne rien ajouter et ne rien changer.
Ces questions sont à la base de toute restauration du patrimoine. Posons-les, débattons-en et tranchons. Refuser par principe un tel débat ne nous permettrait pas ensuite d’être collectivement fiers des choix que nous ferons. Or Notre-Dame de Paris le vaut bien !
M. André Gattolin applaudit.
La discussion générale est close.
Nous passons à la discussion du texte de la commission.
Une souscription nationale est ouverte à compter du 15 avril 2019 pour la conservation et la restauration de la cathédrale Notre-Dame de Paris.
Elle est placée sous la haute autorité du Président de la République française.
Monsieur le ministre, mes chers collègues, à l’occasion de l’ouverture de la discussion sur cet article 1er, et dans le prolongement de la discussion générale, je forme le vœu que nos débats conduisent le Gouvernement à réviser considérablement les orientations fixées, sans doute sous le coup de l’émotion, par le Président de la République
Monsieur le ministre, la souscription lancée par la Fondation du patrimoine, visée dans cet article 1er, est un succès indéniable, qui nous oblige. En effet, dans un récent sondage Odoxa, 72 % des Français se montrent très opposés à une loi d’exception pour Notre-Dame. C’est un fait.
Ils sont nombreux, y compris sur nos travées au Sénat, vous l’avez compris, à vouloir aussi que le monument garde à terme son allure, son profil et retrouve sa silhouette si familière.
Par ailleurs, le principe d’égalité appelle le législateur à un respect scrupuleux du bloc de constitutionnalité, notamment du principe selon lequel la loi doit être la même pour tous : si la loi est trop lourde, si elle est inadaptée, compliquée, alors nous devons la modifier, mais pour tous et sur tout le territoire ! Dans le cas contraire, il faut faire avec l’existant. C’est possible, qu’il s’agisse de la création d’un établissement public, des déductions fiscales ou encore d’un assouplissement des règles d’urbanisme.
Pour conclure, et en d’autres termes, monsieur le ministre, ne placez pas Notre-Dame « hors-la-loi » en dérogeant au code du patrimoine. Le monde entier nous regarde !
Applaudissements sur des travées du groupe Les Républicains.
Monsieur le ministre, mes chers collègues, le présent projet de loi doit répondre à une situation exceptionnelle, sans se transformer en projet de loi d’exception. Il a vocation à permettre une réparation optimisée et diligente de la cathédrale Notre-Dame de Paris à la suite de l’incendie du 15 avril dernier.
J’accueille pour ma part favorablement l’idée émise par ce texte de créer un établissement public ad hoc, qui associera l’ensemble des partenaires : Ville de Paris, culte affectataire, mais aussi organismes collecteurs des dons, singulièrement le Centre des monuments nationaux, en charge de longue date de l’accueil payant du public dans les tours et parties hautes de la cathédrale. Il me semble également pertinent que les trois fondations privées siègent dans ce conseil d’administration, car elles seules peuvent représenter les donateurs. Je proposerai un amendement en ce sens.
Je souhaite souligner qu’accepter la création d’un tel établissement public dédié ne préjuge pas de l’application des règles relatives aux procédures traditionnelles en matière de travaux sur monuments historiques. Bien entendu, nous exprimons notre refus de déroger aux règles légales et réglementaires des codes de l’urbanisme, de l’environnement, du patrimoine et des marchés publics. Si nous avons adopté ces règles dans notre droit positif, c’est qu’elles ont leur utilité !
Que diront demain d’autres maîtres d’ouvrage, publics ou privés, parisiens ou provinciaux, si l’on déroge ici, mais pas pour eux ?
Cette disposition d’exception porte en elle le risque d’un détricotage de notre droit. C’est un danger inacceptable, non seulement pour notre patrimoine historique – les professionnels ont massivement exprimé leur opinion à ce sujet –, mais également pour notre urbanisme, nos paysages, notre protection écologique et la lutte contre tout favoritisme et toute corruption.
Sur la question fiscale, je suis assez favorable à l’idée de passer de 66 % à 75 % de déductibilité jusqu’à 1 000 euros de dons. Ce geste n’impactera que très légèrement les recettes de l’État, dans la mesure où les recettes de TVA lors de la facturation des travaux seront pour leur part très importantes au regard des montants nécessaires à la restauration de l’édifice.
Je terminerai mon propos en évoquant les fondations collectrices de dons, singulièrement la Fondation du patrimoine. Le remplacement de la collecte pour Notre-Dame de Paris par un appel aux dons « Plus jamais ça ! » de nature généraliste au bénéfice d’une multitude de monuments en grave péril est destiné à protéger les missions traditionnelles de ladite fondation, puisque, des quatre organismes habilités à recueillir les dons de la souscription nationale, elle est la seule à bénéficier exclusivement de dons privés dans le champ unique de la protection du patrimoine.
Les très nombreux correspondants bénévoles et délégués départementaux et régionaux de la fondation ont fait valoir le risque que leurs missions traditionnelles ne bénéficient plus des soutiens financiers nécessaires pour d’innombrables autres monuments qui souffrent dans la grande diversité de nos territoires, singulièrement ruraux – nous ne pouvons pas les oublier !
L’article 1er ouvre la voie à la mise en place d’une souscription nationale. On peut imaginer qu’aujourd’hui cette souscription est relativement cristallisée et que les montants dont elle bénéficiera ne bougeront plus beaucoup.
Dans la discussion de cet article, nous constaterons, monsieur le ministre, notre désaccord sur la date d’effet de la déductibilité fiscale, mais nous sommes bien entendu d’accord pour accompagner cette souscription. L’afflux de dons a été à la fois surprenant et réconfortant et a révélé l’émotion et la solidarité des Français autour de ce monument inestimable.
On ne connaît pas encore le coût futur du chantier, ce qui est parfaitement normal – les différentes évaluations demanderont encore quelques mois –, mais le débat est déjà ouvert sur la question de l’éventuel différentiel, en plus ou en moins, qui pourrait à terme être constaté entre le montant des travaux et les sommes collectées. Des mesures adaptées devront être prises pour respecter l’intention des donateurs, née de l’émotion et spontanée, car ce qui se prépare ne va pas nécessairement dans le sens de cette intention.
Nous devons donc déjà travailler sur cette question du différentiel, ce que nous allons faire lors de l’examen de ce texte. Nous le savons, la masse des dons pourrait dépasser le coût du chantier, ce qui a suscité des initiatives : pourquoi ne pas financer, avec le solde, les quelque quatre-vingts autres cathédrales qui appartiennent à l’État, les abords ou les petites églises rurales – un amendement a été déposé en ce sens ? Nous devons prendre le temps d’y réfléchir et de mesurer précisément les flux de recettes et de dépenses afin de clarifier les choses.
Sur l’aspect financier, je me permettrai deux remarques. Tout d’abord, ce serait quand même la première fois qu’un monument historique appartenant à l’État serait totalement financé par des donateurs privés. Ensuite, en ce qui concerne l’aspect fiscal et au-delà de la question de la déductibilité, il me paraît assez utile de rappeler que les travaux qui seront exécutés apporteront d’importantes recettes de TVA à Bercy.
L’élan de générosité qui s’est manifesté en France et partout dans le monde témoigne de l’intérêt et, surtout, de l’amour que chacun d’entre nous porte à cet édifice, quelle que soit sa région, sa nation, sa confession ou sa culture.
Ce projet de loi propose d’établir un cadre légal pour recueillir les dons, en ouvrant une souscription nationale placée sous la haute autorité du Président de la République. Dès le 15 avril au soir, sur le parvis de Notre-Dame, le Président de la République a déclaré qu’une souscription nationale serait ouverte dès le lendemain, c’est-à-dire le 16 avril.
Afin de rester fidèle à l’engagement pris ce soir-là, il convient de maintenir la date d’ouverture de la souscription nationale au 16 avril, ce qui constitue déjà une mesure rétroactive.
Même si des cagnottes ont été créées dès le lundi soir, la date retenue est celle du versement. Or, dans la majorité des cas, il a eu lieu plus tard, ce qui le rend éligible à la réduction d’impôt prévue à l’article 5 du projet de loi.
Par ailleurs, cette disposition respectera, quoiqu’il arrive, l’égalité entre les personnes ayant fait des dons. Des règles comptables seront mises en place pour faire en sorte que les personnes ayant fait des dons le lundi 15 soient éligibles à la déduction prévue.
C’est pour ces raisons que nous souhaitons revenir à la rédaction initiale du projet de loi. D’ailleurs, le Conseil d’État n’a pas mis en cause ce choix ni le fait que la souscription nationale était placée sous la haute autorité du Président de la République. En outre, étant donné le caractère exceptionnel de cette disposition, il a estimé qu’elle ne méconnaissait pas les règles constitutionnelles.
Enfin, d’autres projets de loi ouvrant une souscription nationale font office de jurisprudence en la matière.
C’est pourquoi le groupe La République En Marche votera l’amendement n° 61 déposé par le Gouvernement qui rétablit la rédaction initiale de cet article.
Dans la suite de la discussion générale, je tiens à ajouter quelques éléments que je n’ai pas pu développer et qui me semblent centraux.
Tout d’abord, en ce qui concerne la souscription, je ne trouve absolument pas normal que la défiscalisation ne bénéficie qu’aux personnes qui paient l’impôt sur le revenu, en oubliant tous les autres donateurs qui ont, eux aussi, agi avec cœur et enthousiasme et sans esprit de calcul, ce qui n’est peut-être pas le cas de tout le monde… Procéder ainsi entraînera une inégalité fiscale, l’État étant même, finalement, moins reconnaissant envers les plus défavorisés qui ne paient pas l’impôt sur le revenu – certes, ils n’attendaient aucun retour de leur geste ! C’est pourquoi le groupe socialiste a déposé un amendement pour transformer ce dispositif en un crédit d’impôt, ce qui permettra de réintroduire une forme d’égalité dans ce texte.
Ensuite, il n’était évident pour personne que la souscription allait servir à la reconstruction de Notre-Dame et à celle de ses abords immédiats. Or certains ne le savent pas, mais l’esplanade qui, pour tout le monde, fait partie intégrante du monument n’est pas la propriété de l’État, ce qui pose la question du financement des événements qui seront organisés pendant la durée des travaux, notamment par la Ville de Paris, pour accueillir, malgré tout, les visiteurs. Ces animations pourraient avoir lieu sur le parvis, dans le square Jean-XXIII ou dans le parking souterrain – des œuvres habituellement situées dans la cathédrale pourraient par exemple y être exposées. Nous avons donc déposé un amendement pour préciser que les dons pourront aussi financer les aménagements des abords immédiats de la cathédrale.
Je voudrais simplement aller dans le sens de ce qui a déjà été dit et apporter mon témoignage.
L’émotion a été universelle, ce qui montre bien que cette cathédrale fait partie du patrimoine de l’humanité. Nous avons reçu énormément de messages de solidarité et, alors que nous sortons de la campagne pour les élections européennes, de tels événements peuvent justement contribuer à faire émerger une citoyenneté européenne. Pour cela, nous devons travailler tous ensemble.
Monsieur le ministre, vous avez fait référence aux différents savoir-faire dont la France dispose, mais ils existent de la même manière dans plusieurs autres pays, en particulier en Europe, et il serait bon de faire appel aux compagnons ou aux apprentis de ces pays qui pourraient travailler, eux aussi, à la reconstruction de la cathédrale.
Nous avons besoin d’une totale transparence et le regard que portent sur nous les autres pays doit nous obliger à l’exemplarité. Il faut savoir que les levées de fonds se multiplient à l’étranger, pas seulement au sein des associations de Français – il est vrai que celles-ci sont très actives, j’ai récemment participé à une levée de fonds lors d’un concert. Nous devons exprimer notre reconnaissance devant toutes ces mobilisations et être particulièrement exemplaires dans les actions que nous engageons.
L’amendement n° 61, présenté par le Gouvernement, est ainsi libellé :
Alinéa 1
Remplacer le chiffre :
par le chiffre :
La parole est à M. le ministre.
Comme l’a très bien dit M. Gattolin, cet amendement vise à rétablir au 16 avril 2019 le début de la souscription nationale lancée par M. le Président de la République.
Cet amendement aurait pour effet de reporter le lancement de la souscription au 16 avril. Ce report nous apparaît totalement incohérent. D’une part, les dons versés aux fondations reconnues d’utilité publique collectrices le soir du 15 avril, c’est-à-dire au moment même du sinistre, ne pourraient pas être intégrés dans la souscription nationale. D’autre part, les donateurs qui se sont mobilisés dès le 15 avril ne bénéficieraient pas du taux majoré de la réduction d’impôt. L’avis de la commission est donc défavorable.
Comme je l’ai évoqué dans mon intervention générale, nous pointons ici du doigt « le fait du prince » ! Nous ne pouvons pas dire aux Français qui voyaient la cathédrale brûler en direct à la télévision et qui ont immédiatement versé un don qu’ils ne bénéficieront pas de la défiscalisation, parce qu’elle ne commence que le lendemain du drame…
Lors des auditions, on nous a clairement dit que les choses commençaient avec le discours du Président de la République : quand le Président parle, la vie commence ! C’est évidemment incroyable, mais c’est finalement assez symptomatique de ce projet de loi.
Chacun d’entre nous, y compris le Président de la République évidemment, a été touché par l’émotion et je connais la bonne volonté du ministre et de ses services, mais il ne faut pas nous prendre pour des imbéciles ! La générosité est venue spontanément, pas au moment où le Président s’exprimait. Ce n’est pas le Président qui a suscité la générosité, elle est venue du cœur !
Le rapporteur a donc complètement raison de refuser cet amendement du Gouvernement qui vise à revenir au texte de l’Assemblée nationale. S’arc-bouter sur un tel sujet, monsieur le ministre, me paraît tellement superfétatoire, et pour tout dire peu compréhensible !
Je vais simplement reprendre ce qu’avait décidé le Conseil constitutionnel en 2007, lorsqu’il avait examiné la loi TEPA et censuré une partie de ce texte relative aux intérêts d’emprunt. Les dates d’application de la mesure avaient été décidées un petit peu au hasard et le Conseil constitutionnel avait estimé que cela entraînait une différence de traitement injustifiée.
Il avait fallu attendre l’élection de Nicolas Sarkozy pour que cette déduction d’impôt soit possible. Or une mesure de ce type doit reposer sur un acte légal et cet acte, qui peut coïncider avec l’adoption du projet de loi en conseil des ministres, ne peut évidemment pas être une déclaration !
Mais au fond, que cette date soit le 15 avril, le 16 avril ou la date du conseil des ministres, peu importe ! Nous parlons de sommes finalement limitées : 1 000 euros au maximum avec une réduction d’impôt de 66 % ou de 75 % – nous discuterons de ce taux, lorsque nous examinerons l’article 5.
Ce débat me semble donc un peu mesquin. J’aurais préféré que l’on prête davantage attention à la sécurité juridique qu’à la parole de Jupiter !
MM. Dominique de Legge et Bruno Retailleau applaudissent.
Je suis navré d’intervenir dans ce débat qui peut paraître surréaliste, mais, en matière fiscale, il faut être particulièrement précis, sous peine d’entraîner des redressements pour les contribuables…
Je vais donc vous poser une question très précise, monsieur le ministre : un contribuable qui a fait un don le 15 avril au soir sous le coup de l’émotion bénéficiera-t-il d’un taux de déduction de 66 %, le droit commun, ou de 75 %, comme prévu dans ce texte ?
Nous avons déjà posé cette question et on nous a répondu que cela n’était pas bien grave, puisque ce qui comptait, c’était la date d’enregistrement par les organismes collecteurs.
Pourtant, si vous regardez précisément les textes, l’instruction fiscale et le formulaire type Cerfa n° 11580*04 ne parlent pas de la date d’enregistrement du don, mais de la date de versement ! Or nous ne parlons pas ici de chèques reçus par la poste, mais de dons réalisés par carte bancaire. Si une personne a fait un don par carte bancaire le 15 avril, l’organisme sans but lucratif qui l’a reçu devra déclarer cette date-là, pas une autre ; sinon, il ferait un faux !
Ce contribuable aura donc été victime d’une injustice : en attendant quelques heures de plus pour être généreux, il aurait pu bénéficier du taux à 75 %. Monsieur le ministre, c’est un cas concret très précis. Si ce contribuable bénéficie aussi d’un taux majoré, je suis prêt à voter votre amendement, mais je veux d’abord connaître la position du Gouvernement.
La souscription nationale commence le 16 avril – et donc ses effets –, puisque c’est le Président de la République qui a pris la décision de la lancer. Pour autant, la plupart des donateurs qui ont effectué leur don le 15 avril bénéficieront de la souscription nationale, parce que le versement bancaire correspondant sera effectivement daté du 16.
Nous examinerons attentivement la question spécifique soulevée par M. de Montgolfier et nous pourrons, le cas échéant, préciser le dispositif lors de l’examen du texte à l’Assemblée nationale.
Nous aurons d’ailleurs à préciser le texte au sujet de la volonté des donateurs. Bien entendu, les dons de la souscription nationale devront respecter un certain nombre de conditions, y compris en matière fiscale, mais notre objectif n’est évidemment pas d’aller économiser quelques euros sur les réductions fiscales ! Ce sujet doit au contraire nous rassembler.
Aujourd’hui, les services fiscaux nous disent que fixer la date du début de la souscription au 16 est suffisant pour prendre en compte les versements réalisés le 15.
Selon M. de Montgolfier, la réalité serait différente et il y aurait un doute. Je ne suis pas un spécialiste de ce sujet, mais je retiens la préoccupation exprimée par plusieurs d’entre vous quant à l’éligibilité au taux majoré pour les dons effectués avant le lancement de la souscription nationale.
En tout état de cause, si les dons entrent dans le cadre de la souscription nationale, ils doivent en respecter les conditions, notamment en ce qui concerne la volonté des donateurs. Cette souscription est destinée à la restauration de Notre-Dame – je n’entrerai pas dans les détails sur ce point – et il ne faudrait pas complexifier les choses pour la Fondation du patrimoine, la Fondation de France et la Fondation Notre-Dame.
Monsieur le ministre, je ne voudrais pas vous contrarier dès le premier amendement, mais vous devez vous rappeler que nous sommes dans un régime parlementaire et que vous êtes en ce moment au Sénat.
Vous parlez de la volonté des donateurs, mais le fait générateur du don, c’est quand même l’incendie de Notre-Dame et la vision des flammes qui dévorent la cathédrale retransmise par les télévisions du monde entier.
Cette – mauvaise – querelle n’est pas très digne. C’est au législateur de décider de la date du début de la souscription nationale et la commission a eu raison de la fixer au 15 avril !
Monsieur le ministre, vos arguments ne nous convainquent guère. Nous sommes en fait sur une question de principe, liée à l’égalité entre les donateurs. De nombreux intervenants ont parlé de l’importance du temps. Or le fait générateur de cette souscription nationale ne devrait pas correspondre à un temps politique, mais tout simplement à l’incendie de Notre-Dame. Vous entretenez une certaine confusion et vos arguments ne tiennent pas. D’ailleurs, le rapporteur pour avis de la commission des finances a été extrêmement précis. J’ajouterai un point : pourquoi devrions-nous attendre les débats de l’Assemblée nationale pour que vous apportiez des précisions ? Le Sénat aussi a besoin de réponses !
Au-delà de la discussion juridique, qui est très importante, je crois que nous devons nous souvenir de la soirée de l’incendie, de la manière dont les médias ont couvert les événements et de l’émotion que nous avons tous ressentie. Souvenez-vous que la question des dons s’est tout de suite posée et que les télévisions qui retransmettaient en direct l’incendie et l’intervention des pompiers ont tout de suite, et à juste titre, essayé d’orienter les dons vers différentes fondations, dont la Fondation Notre-Dame. Cela a sûrement permis de sécuriser les dons. Il est évident que l’intention des personnes qui ont donné sans attendre était la même que celle des personnes qui ont donné les jours suivants. L’élan et l’attachement étaient les mêmes. Distinguer les deux moments constituerait donc une forme d’injustice.
C’est évidemment une question de justice et d’équité, mais surtout de bon sens ! Je ne vois pas du tout ce qu’avancer la date au 15 change finalement au dispositif. Nous devons aussi penser aux futures discussions que nous aurons avec nos collègues députés sur le projet de loi. Les Français ne se sont pas préoccupés de paperasse ou de date. Ils ont simplement répondu à une émotion et ont voulu participer à un élan collectif.
L ’ amendement n ’ est pas adopté.
L’amendement n° 48, présenté par MM. Ouzoulias, Savoldelli et Bocquet, Mme Brulin et les membres du groupe communiste républicain citoyen et écologiste, est ainsi libellé :
Alinéa 1
Remplacer les mots :
la conservation et la restauration
par les mots :
le chantier de conservation et de restauration
La parole est à M. Pierre Ouzoulias.
La lecture de cet amendement pourrait laisser penser qu’il est rédactionnel, puisque nous souhaitons simplement préciser que la souscription nationale est ouverte pour « le chantier » de conservation et de restauration de la cathédrale Notre-Dame de Paris.
Vous nous direz, monsieur le ministre, qu’il peut s’agir d’une forme de suspicion et je vous répondrai par l’affirmative, car nous connaissons malheureusement l’état du budget consacré aux monuments historiques et le nombre de ces monuments que votre ministère n’arrive plus à entretenir. Le rapporteur pour avis du budget des monuments historiques a estimé à plusieurs milliards d’euros les financements qui seraient nécessaires pour restaurer la totalité des monuments historiques qui sont en mauvais état – environ 11 000 !
Dans le budget pour cette année, il manquait 4 millions d’euros et mon collègue André Gattolin a très justement rappelé que le groupe CRCE a voté contre ce budget ; nous ne l’estimions pas au niveau nécessaire.
De ce fait, nous craignons qu’une partie de l’argent collecté par la souscription serve à autre chose qu’au chantier de conservation de Notre-Dame, notamment à son entretien après l’achèvement des travaux. Mes chers collègues, nous avons tout intérêt à cibler les dons – je ne vais pas utiliser le mot flécher… – sur le chantier proprement dit.
Je souscris tout à fait à l’objectif de cet amendement. Les sommes récoltées au titre de la souscription doivent servir au financement des travaux liés au sinistre, et non à d’autres projets connexes ou à l’entretien régulier de la cathédrale.
Cependant, j’observe que l’article 2 du projet de loi autorise l’affectation d’une partie du produit de la souscription à la formation des professionnels. Il s’agit ici de tirer profit du drame de Notre-Dame pour mieux faire connaître les métiers du patrimoine qui connaissent actuellement une crise des vocations. Il ne faudrait pas que la référence au chantier qui est proposée par cet amendement s’oppose à ce financement. J’ajoute que plusieurs amendements déposés à l’article 2 vont dans le sens du présent amendement et que leur adoption devrait satisfaire ses auteurs.
Au vu de ces explications, je propose le retrait de cet amendement ; à défaut, j’y serai défavorable.
J’entends les arguments du rapporteur, mais chacun connaît l’état calamiteux de l’enseignement professionnel – le groupe Les Républicains a d’ailleurs demandé un débat sur ce sujet qui aura lieu demain. Je prends un exemple : aujourd’hui, deux lycées techniques seulement assurent une formation de tailleur de pierre.
L’argument que je vous présentais est donc toujours valable : je ne voudrais pas que les fonds collectés par la souscription servent à la remise à niveau de l’enseignement professionnel, qui est une mission propre du ministère de l’éducation nationale.
Je ne veux pas que cette souscription devienne une « vache à lait », si je peux m’exprimer aussi familièrement, pour des projets qui ne sont pas financés aujourd’hui. Ce n’est pas son objet ! Je maintiens donc mon amendement, monsieur le président.
L ’ amendement n ’ est pas adopté.
L ’ article 1 er est adopté.
Les fonds recueillis au titre de la souscription nationale sont destinés au financement des travaux de conservation et de restauration de la cathédrale Notre-Dame de Paris et de son mobilier dont l’État est propriétaire ainsi qu’à la formation initiale et continue de professionnels disposant des compétences particulières qui seront requises pour ces travaux.
Les travaux de conservation et de restauration de la cathédrale Notre-Dame de Paris financés au titre de la souscription nationale mentionnée au premier alinéa préservent l’intérêt historique, artistique et architectural du monument, conformément aux principes mentionnés dans la Charte internationale sur la conservation et la restauration des monuments et des sites adoptée à Venise en 1964. Ils respectent l’authenticité et l’intégrité du monument attachées à sa valeur universelle exceptionnelle découlant de son inscription sur la liste du patrimoine mondial en tant qu’élément du bien « Paris, rives de la Seine », en application de la convention concernant la protection du patrimoine mondial, culturel et naturel, adoptée par la Conférence générale de l’Organisation des Nations unies pour l’éducation, la science et la culture, le 16 novembre 1972, lors de sa XVIIe session. Ils restituent le monument dans le dernier état visuel connu avant le sinistre.
À l’occasion de l’examen de l’article 2 qui précise la destination des fonds recueillis dans le cadre de la souscription nationale, je souhaiterais rappeler la situation préoccupante du secteur du patrimoine monumental depuis une quinzaine d’années : les crédits budgétaires qui lui sont destinés ont chuté de près de 40 %.
Cette baisse drastique a conduit à l’arrêt de la restauration sur de nombreux chantiers, mais aussi à la fermeture de petites entreprises artisanales détentrices de savoir-faire pointus en matière de restauration, d’architecture et d’arts anciens. Ces savoir-faire sont parfois considérés comme perdus ; il est donc utile de prévoir la formation de professionnels afin de rénover des éléments datant de l’époque médiévale.
L’article 2 dispose ainsi que les fonds collectés serviront au financement des travaux de restauration et de conservation de la cathédrale et à la formation de professionnels disposant des compétences requises. Je reste néanmoins dubitative quant à l’ajout, à l’Assemblée nationale, d’une référence à la formation « initiale et continue », si celle-ci devait être utilisée pour pouvoir commencer les travaux plus rapidement et assurer l’apprentissage au fur et à mesure. En la matière, il ne faut pas confondre vitesse et précipitation !
Je suis plus en phase avec la rédaction issue de notre commission et des amendements de notre rapporteur Alain Schmitz, qui précise notamment que ces travaux devront préserver l’intérêt historique, artistique et architectural de Notre-Dame conformément à la charte de Venise de 1964.
Rappelons que nous disposons d’outils de formation de grande qualité.
Le réseau des chambres des métiers et de l’artisanat a présenté au Gouvernement des propositions destinées à permettre aux artisans d’art d’accéder aux marchés de la restauration et à encourager la formation des jeunes.
Chez les Compagnons du devoir, le système de formation est fondé sur l’apprentissage, mais aussi sur la transmission, valeur essentielle du compagnonnage, si bien que les savoir-faire se transmettent aussitôt qu’ils sont acquis et perdurent à travers les siècles.
Il s’agit là d’un modèle que nous devons préserver et valoriser.
L’article 2, tel qu’il ressort des travaux de la commission de la culture, concerne l’affectation et le fléchage des fonds recueillis et il ouvre déjà le débat sur le parti architectural qui sera pris pour la restitution du monument.
L’Assemblée nationale a inclus une disposition, selon laquelle les travaux doivent préserver « l’intérêt historique, artistique et architectural du monument ». C’est un premier pas apprécié.
La commission de la culture du Sénat a souhaité rappeler – ce n’est pas un détail – que la cathédrale, eu égard à sa valeur universelle exceptionnelle, est consubstantielle à l’élément « Paris, rives de Seine » inscrit au patrimoine mondial par l’Unesco. De ce fait, la restauration de Notre-Dame ne doit pas concerner exclusivement le monument, mais aussi son intégration dans le paysage des rives de la Seine.
Dois-je rappeler que la flèche de Notre-Dame a été pensée par Viollet-le-Duc et Lassus pour entrer en résonance visuelle avec la flèche de la Sainte-Chapelle, les deux sœurs jumelles constituant les deux mâts du navire que forme l’île de la Cité ?
C’est ce qui a motivé notre commission de la culture, qui a souhaité que la restitution se fasse dans le « dernier état visuel connu ».
J’irai personnellement plus loin en demandant la suppression du mot « visuel » et en sollicitant ainsi la restitution de la cathédrale, sa toiture, sa flèche et ses ornements, avec les matériaux qui les composaient avant le sinistre.
Vous me qualifierez sans doute de conservateur, mais, vous l’aurez compris, avec quelques réserves mineures, je souhaite une restitution à l’identique, comme l’on dit.
Quelques mots pour faire le lien entre la restauration de Notre-Dame de Paris et les nouvelles technologies, plus précisément le traitement des données. En effet, le big data est une source d’informations éminemment précieuse pour la conduite de la restauration de la cathédrale.
Preuve en est la mise en place d’une équipe de chercheurs dédiée du CNRS, qui va analyser très finement ces données. Cela va ainsi permettre une modélisation de la cathédrale en temps réel. Ce travail scientifique va évidemment intéresser les responsables du chantier de restauration, et, plus largement, les Parisiennes et les Parisiens, ainsi que tous les visiteurs français et européens.
Cette analyse des données va également permettre de faciliter demain la restauration d’autres lieux gothiques, dans des circonstances bien évidemment moins tragiques.
Les simulations donneront aussi l’occasion de suivre l’évolution du chantier pas à pas.
Le numérique autorise donc une modélisation du projet particulièrement fine, ce qui sera aussi un atout pour la coordination de tous les corps de métier du chantier.
Les 12 millions de visiteurs annuels pourront éventuellement se consoler en explorant la modélisation 3D de la cathédrale, suivant ainsi l’évolution du chantier. Évidemment, une visite virtuelle ne remplacera jamais la force du lieu, sublimement décrit par Charles Péguy, ou, plus près de nous, par Sylvain Tesson, mais cela permettra de ne pas couper l’édifice du reste du monde pendant ces quelques années. Le numérique est une passerelle, tant pour organiser une restauration pertinente de Notre-Dame de Paris que pour canaliser l’impatience légitime de ses très nombreux amis.
Nous avons eu cette discussion en préambule en commission, et je sais que chacun va se positionner dans le débat pour dire si l’on doit restaurer à l’identique, ou privilégier la modernité, le « geste architectural », etc.
D’emblée, je tiens à la dire, je pense qu’il n’entre pas dans les attributions de la représentation parlementaire de discuter de la création artistique ou de l’acte créatif architectural.
Nous respectons les artistes, qui, en général, n’ont pas d’ordres à recevoir du pouvoir politique. Celui-ci peut passer une commande, mais l’acte créatif n’est pas de son ressort. En plus, c’est nécessairement subjectif.
Ainsi, on va discuter du « dernier état visuel connu avant le sinistre ». Franchement, on dit qu’il ne faut pas de lois bavardes, mais je souhaite bon courage à ceux qui devront s’occuper de l’exécution de cette phrase. J’imagine déjà les débats : sous quel angle doit-on appréhender le dernier état visuel ? Quid des matériaux, de la charpente, que l’on ne voit pas ? Nous ne sommes pas aptes à trancher ; il s’agit de débats fondamentaux entre architectes.
En matière d’art et de culture, nous devons rester à notre place en fixant des cadres légaux pour permettre à la création de s’exprimer. S’agissant de reconstruction, il y a des critères, notamment ceux de l’Unesco, à savoir l’authenticité et l’intégrité. Avec cela, le contexte et les impératifs sont connus par les architectes et tous ceux qui doivent passer à l’action.
Je respecte ceux qui veulent la restauration à l’identique, comme la maire de Paris, qui assume cette part de conservatisme. Je conçois complètement que d’autres pensent qu’il puisse y avoir tel ou tel geste.
Ici, il peut y avoir autant d’avis que de sénatrices et de sénateurs, et je pense que nous devrions nous épargner ce débat pour faire confiance aux gens du métier.
Il y a en fait deux sujets dans cet article.
Tout d’abord se pose la question du périmètre. Est-ce que nous ne parlons que des travaux de reconstruction, de réhabilitation ou allons-nous jusqu’à l’entretien ? En commission, j’ai entendu M. le ministre dire qu’il envisageait éventuellement de financer l’entretien grâce aux dons. Pour ma part, je pense qu’il ne peut pas y avoir deux poids, deux mesures : quand on donne une subvention, c’est toujours pour l’investissement et rarement pour le fonctionnement. En l’occurrence, je pense que l’entretien doit rester à la charge de l’État et non de la générosité privée. Il importe donc que l’argent collecté par les différentes fondations et, notamment, par le Centre des monuments nationaux soit affecté aux travaux, et non pas à l’entretien ni au fonctionnement, qui doit relever, je le répète de l’État.
Ensuite, comment réhabiliter ? Une fois n’est pas coutume, je partage le point de vue de notre collègue Assouline à cet égard. Le Sénat est là pour mettre des garde-fous. Oui, la Commission nationale de l’architecture et du patrimoine doit jouer un rôle important. Oui, il doit y avoir un comité scientifique. On doit veiller à ce que ce débat ait lieu, et que la question de la restauration, ou non, à l’identique soit tranchée dans un cadre clair où les personnes faisant autorité dans ces domaines devront donner leur avis.
Je ne pense pas qu’il nous revienne, à nous sénateurs, de le dire, et je crois que, s’il n’y avait pas ce funeste article 9, nous n’en serions pas à essayer de prévoir tous ces garde-fous dans la loi, en visant notamment le type de reconstruction à mener. Si le Gouvernement était sage – nous aurons l’occasion d’en reparler –, il réduirait le champ des dérogations, et nous pourrions alors avoir confiance dans le débat qui devra avoir lieu entre les personnes averties.
Je suis saisi de trois amendements faisant l’objet d’une discussion commune.
L’amendement n° 25, présenté par M. Lafon, est ainsi libellé :
Alinéa 1
Compléter cet alinéa par une phrase ainsi rédigée :
Ils ne peuvent servir au financement des charges de fonctionnement de l’établissement public mentionné à l’article 7.
La parole est à M. Laurent Lafon.
Cet amendement vise à préciser que les fonds recueillis par dons sont destinés uniquement aux travaux de reconstruction de Notre-Dame de Paris. En effet, je ne pense pas que les donateurs aient eu comme intention de financer les frais de fonctionnement de l’établissement public, même si, on l’a bien compris, celui-ci vise à coordonner la reconstruction de la cathédrale. Tout cela a été mis en place très rapidement, et c’était évidemment nécessaire, mais les donateurs n’ont pu être interrogés sur leur volonté en la matière. J’estime que cette précision est nécessaire.
L’amendement n° 11 rectifié quater, présenté par Mme N. Goulet, MM. Delahaye, Henno, Reichardt, Guerriau et Détraigne, Mme Kauffmann, MM. Danesi, Bazin et Rapin, Mme Garriaud-Maylam, M. Decool, Mmes Billon et Perrot et M. L. Hervé, est ainsi libellé :
Après l’alinéa 1
Insérer un alinéa ainsi rédigé :
La conservation s’entend des travaux de sécurisation, de stabilisation et de consolidation et non de l’entretien courant et des charges de fonctionnement qui relèvent des compétences de l’État, y compris celles de l’établissement public mentionné à l’article 8.
La parole est à Mme Nathalie Goulet.
Le titre même du projet de loi contient les termes conservation et restauration. Vous comprendrez que nous ayons besoin d’explications et de sécurité. J’ai donc déposé, avec plusieurs collègues, cet amendement pour préciser que, par conservation, on entend « les travaux de sécurisation, de stabilisation et de consolidation », et non, comme l’a fait remarquer Mme Vérien, l’entretien courant et les charges de fonctionnement, lesquels relèvent des compétences de l’État.
Comme l’on dit en Normandie, une grande confiance n’excluant pas une petite méfiance, et compte tenu du désengagement général très remarqué de l’État, cet amendement de précision tient du bon sens. Il importe de préciser le sens du terme « conservation », de façon à ce qu’il soit exactement lié avec l’objet dont nous sommes en train de débattre. Son adoption apporterait de la sécurité et éviterait d’autres débats.
L’amendement n° 46 rectifié bis, présenté par M. Retailleau, Mmes Bonfanti-Dossat et Boulay-Espéronnier, M. Brisson, Mmes Bruguière et L. Darcos, M. Dufaut, Mmes Dumas et Duranton, MM. Grosperrin, Hugonet et Kennel, Mme Lopez et MM. Nachbar, Piednoir, Regnard et Savin, est ainsi libellé :
Après l’alinéa 1
Insérer un alinéa ainsi rédigé :
Les fonds recueillis au titre de la souscription nationale ne peuvent pas contribuer au financement du fonctionnement de l’établissement public.
La parole est à M. Bruno Retailleau.
Je vais être rapide, car le dispositif est assez clair. Le ministère dispose de plusieurs maîtres d’ouvrage. Vous en ajoutez un en créant un nouvel établissement public, lequel va recueillir des fonds, au titre de la souscription nationale, pour servir à la restauration. Le Gouvernement a fait le choix d’une nouvelle structure, mais je ne vois pas au nom de quoi des fonds seraient affectés à ses dépenses de fonctionnement. Il faut préserver la volonté initiale des donateurs : les travaux de restauration de Notre-Dame. C’est la raison pour laquelle nous avons déposé cet amendement.
Ces amendements visent à exclure du champ du financement par le biais de la souscription nationale un certain nombre de dépenses. Il s’agit de précisions qui me semblent fort utiles et de nature à rassurer les donateurs sur la manière dont seront utilisées les sommes qu’ils ont versées.
Le produit de la souscription doit évidemment permettre de réparer les dommages causés par le sinistre du 15 avril, et non de financer des dépenses qui incombent à l’État, en tant que propriétaire du monument. Je doute d’ailleurs que les donateurs aient jamais eu à l’esprit que leurs dons puissent servir à financer les salaires, loyers ou dépenses d’entretien et de fournitures d’un nouvel établissement public, quand bien même serait-il chargé de la maîtrise d’ouvrage de Notre-Dame.
Le champ de l’amendement de Mme Goulet m’apparaît plus large, puisqu’il vise non seulement les charges de fonctionnement, mais également l’entretien. Aussi, la commission a-t-elle émis un avis favorable sur cet amendement. Peut-être les auteurs des deux autres amendements pourraient-ils les retirer à son profit, puisqu’il les satisfait.
Avis défavorable.
Monsieur Retailleau, vous avez une connaissance très fine de la volonté de chaque donateur de Notre-Dame de Paris. Bravo ! Vous avez dû les consulter les uns après les autres pour savoir exactement quelle était leur volonté individuelle…
Je vais être beaucoup plus humble, parce que je sais que c’est un problème difficile, complexe, que nous résolvons, en partie, avec l’article 2 : « Les fonds recueillis au titre de la souscription nationale sont destinés au financement des travaux de conservation et de restauration de la cathédrale Notre-Dame de Paris et de son mobilier, dont l’État est propriétaire, ainsi qu’à la formation initiale et continue de professionnels disposant des compétences particulières qui sont requises pour ces travaux. » C’est aussi pour cela que nous souhaitions que la réduction d’impôt commence à partir du 16 avril, date de lancement de la souscription nationale.
Il est clair, et nous avons échangé sur ce point avec le Conseil d’État, que sont concernées la conservation, dans sa double dimension de sauvegarde consécutive à l’incendie et d’entretien sur le temps long, ainsi que la restauration, c’est-à-dire la reconstruction de la charpente, de la flèche et de l’ensemble de l’édifice. Voilà pourquoi ces éléments sont précisés dans l’objet de la souscription nationale.
Vous pouvez ne pas être d’accord, monsieur Retailleau, mais vous ne pouvez pas dire que l’intention des donateurs est exclusivement circonscrite à ce que vous avez décrit. Pardonnez-moi de le dire, c’est un peu présomptueux. Croyez-moi, je connais des donateurs qui sont complètement sur la ligne que je viens d’exposer.
M. Laurent Lafon. Je retire mon amendement au bénéfice de la précision normande contenue dans l’amendement n° 11 rectifié quater.
Exclamations amusées.
L’amendement n° 25 est retiré.
La parole est à M. Pierre Ouzoulias, pour explication de vote.
Notre groupe votera bien sûr dans le sens de ces amendements. Je pense que la clarté est indispensable.
J’aimerais profiter de cette explication de vote pour aborder un problème qui me tient à cœur, un de mes amendements portant sur ce sujet étant tombé sous le coup de l’article 40 de la Constitution.
Je vais vous surprendre, mes chers collègues, mais Notre-Dame est un bâtiment qui reste malheureusement mal appréhendé par l’archéologie. Il faut savoir qu’entre le relevé intégral de la charpente réalisé par Viollet-le-Duc et aujourd’hui, très peu d’observations archéologiques ont été réalisées sur cette charpente. Mes collègues ont fait à plusieurs reprises des demandes, et, malheureusement, il a fallu que la charpente brûle pour qu’ils puissent l’étudier. Ils en sont évidemment tristes.
Il reste donc beaucoup à faire sur ce bâtiment. Monsieur le ministre, vous avez très justement déclaré que le chantier devait être exemplaire. Je crois que nous avons aussi besoin de l’exemplarité des ministères de la culture et de la recherche, qui doivent accompagner ce chantier de restauration d’un chantier d’étude programmé sur fonds d’État.
Je pèche, pardon, je plaide pour ma paroisse – excusez-moi pour ce jeu de mots ! §–, mais il serait bienvenu d’effectuer quelques sondages archéologiques, qui n’ont pu être faits jusque-là, de nature à appréhender le sous-sol et à préciser un certain nombre d’états antérieurs à cathédrale. En effet, quand l’édifice sera rendu au culte, cela sera rigoureusement impossible. Le dernier gros chantier de fouilles reste celui de Viollet-le-Duc. Or un certain nombre d’hypothèses ont été émises depuis et n’ont jamais été testées ; elles devraient l’être aujourd’hui sur les fonds du ministère de la culture, car on ne peut pas tout demander à la souscription.
Si le monument est exceptionnel, monsieur le ministre, il faut aussi que l’investissement programmatique de recherche sur ce monument soit exceptionnel. Sur ce point, nous aimerions avoir des engagements de votre part.
C’est un débat difficile, et des contradictions vont apparaître quand on va poursuivre les débats sur le périmètre.
M. le ministre a dénié à M. Retailleau la faculté de connaître les intentions exactes des donateurs.
Je connais pour ma part des donateurs qui ont donné pour la reconstruction avec tout ce qui va se passer autour. On en reparlera tout à l’heure, mais certains ne savent pas que le parvis est dissocié de Notre-Dame. Or l’aménagement du parvis va permettre au public d’attendre de nombreuses années avant de voir l’œuvre complètement reconstruite. Il y aura probablement un musée en plein air, avec les compagnons expliquant l’histoire de l’édifice et la nature des travaux, etc. Peut-on dire que tout cela, qui a un coût, échapperait à l’intention des donateurs ? Je ne sais pas. Peut-être faut-il le leur demander ?
Avec ces amendements, qui partent d’une bonne intention, vous envoyez un message au ministère pour lui signifier qu’il ne peut pas se décharger complètement de ce qui lui revient. On va, certes, privatiser progressivement, et sans le dire, quelque chose qui est du domaine public, mais je ne pense pas qu’il faille pour autant surinterpréter la volonté des donateurs.
Avec ce raisonnement, je crains que l’on empêche tout à l’heure la restauration des abords avec les dons, car telle ne serait pas l’intention supposée des donateurs, qui voudraient uniquement la reconstruction de l’immeuble.
Nous allons nous abstenir, bien que nous comprenions le souhait des auteurs des amendements. L’État ne peut pas se désengager, mais je ne crois pas que les amendements soient susceptibles de régler le problème.
Cette discussion est étonnante, pour ne pas dire surréaliste. On ne connaît pas le périmètre exact de l’établissement public ni les objectifs qu’il doit atteindre. Doit-il s’occuper des abords de Notre-Dame ? Doit-il s’employer à restaurer à l’identique ou peut-il accepter un « geste architectural » ?
On ne connaît pas ses membres ni comment il va être constitué…
On ne connaît pas non plus le montant des indemnisations, les agents qui vont y travailler, son directeur, pas plus que son budget.
On est généreux avec l’argent des autres en oubliant les principes de la rigueur budgétaire, sous prétexte que l’on disposerait d’une grosse enveloppe, fruit de la générosité d’un certain nombre de gros donateurs, mais aussi de tous ceux qui se sont sentis concernés par le destin de Notre-Dame à travers le monde.
On a besoin de limites. Les donateurs ont d’abord imaginé la restauration de Notre-Dame. Si l’on doit élargir le cadre de l’utilisation de ces dons, il faut être très clair, notamment en identifiant un budget avant de décider d’un autre destin pour cet argent.
Nous devons vraiment être irréprochables dans l’utilisation des fonds recueillis. Il y a eu trop d’affaires qui ont révélé que de l’argent provenant de dons avait été utilisé pour du fonctionnement. Nous nous en souvenons tous. Faisons preuve de vigilance, ce que permettent ces amendements.
Je note aussi que l’on ignore la durée de vie de cet établissement public. Il peut vivre très longtemps, peut-être plus de cinq ans. En tout cas, je le répète, il ne doit pas fonctionner avec les moyens fournis par les donateurs. Ces derniers ne vont pas payer les frais de personnel et les frais de bureau. Telle n’est pas la vocation de ces dons. À mon sens, les donateurs ont souhaité contribuer seulement pour la restauration de l’édifice.
Monsieur le ministre, au travers de ces amendements, nous cherchons à vous faire passer un message. Il faudrait peut-être l’entendre. Vous-même, à la tribune, avez parlé de confiance. Les donateurs doivent pouvoir nous faire confiance.
Quel est le message ? Nous souhaitons simplement que les fonds ne soient pas affectés à des frais de fonctionnement. C’est vous qui avez fait le choix de créer un établissement public spécifique. Vous auriez parfaitement pu utiliser d’autres véhicules existants. En tout cas, nous ne voulons pas que le Gouvernement compte sur des deniers privés pour financer une décision qui lui appartient. Je le répète, si vous aviez utilisé les établissements qui existent déjà, nous n’aurions pas eu ce type de problème.
Monsieur le ministre, il s’agit non pas de prétention, mais de méfiance à l’égard des ruses budgétaires de Bercy.
D’abord, nous voulons réaffirmer que le ministère de la culture ne saurait s’exonérer de ses missions traditionnelles, qu’il doit assumer. Ce n’est ni aux donateurs ni aux souscripteurs de se substituer à lui.
Ensuite, nous ne voulons pas que l’argent des donateurs se perde dans une tuyauterie administrative. C’est tout !
Il n’est pas question, j’y insiste, de prétention. Nous voulons juste installer des garde-fous et des digues. Cela étant dit, je retire mon amendement au profit de celui de Nathalie Goulet, si elle le veut bien, car il me semble mieux formulé que le mien.
Exclamations amusées sur les travées du groupe Les Républicains et du groupe Union Centriste.
L ’ amendement est adopté.
Je suis saisi de quatre amendements faisant l’objet d’une discussion commune.
L’amendement n° 62, présenté par le Gouvernement, est ainsi libellé :
Alinéa 2
Après les mots :
mentionnée au premier alinéa
rédiger ainsi la fin de cet alinéa :
visent à préserver l’intérêt historique, artistique et architectural du monument.
La parole est à M. le ministre.
Il s’agit de rétablir la rédaction initiale de l’alinéa 2 de cet article, qui est de nature à rassurer et à susciter de la confiance.
L’amendement n° 15 rectifié, présenté par M. Assouline, Mmes S. Robert et Monier, MM. Éblé, Raynal, Kanner et Antiste, Mme Blondin, MM. Botrel et Carcenac, Mme Espagnac, M. Féraud, Mme Ghali, MM. Jeansannetas, P. Joly et Lalande, Mme Lepage, MM. Lozach, Lurel, Magner et Manable, Mmes Taillé-Polian, Conway-Mouret et de la Gontrie, MM. Sueur, Tissot, Fichet et les membres du groupe socialiste et républicain, est ainsi libellé :
Alinéa 2, dernière phrase
Supprimer cette phrase.
La parole est à Mme Marie-Pierre Monier.
Nous voulons supprimer une précision introduite lors de l’examen en commission. L’expression « dernier état visuel connu avant le sinistre » nous apparaît à la fois floue et libre d’interprétation. Elle peut être de nature à bloquer toute évolution future de la cathédrale. Outre le fait qu’un état visuel peut être différent selon l’angle où l’on se place, selon la vision que l’on a, cette notion, interprétée stricto sensu, impliquerait l’installation ad vitam aeternam d’échafaudages sur la cathédrale ou le retrait définitif des statues d’apôtres qui ornaient la base de la flèche et qui avaient été déposées quelques jours avant le sinistre. J’exagère peut-être un peu…
Par ailleurs, et surtout, cette formulation laisse entendre que la cathédrale ne peut subir un iota de modification et ne peut être restaurée avec une once d’imagination.
Nous n’aurions jamais eu la flèche de Viollet-le-Duc si une telle disposition avait été prévue dans un cahier des charges antérieur au démontage, pendant la Révolution, de la première flèche de 1250.
Si une telle disposition s’était appliquée au Louvre, François Mitterrand n’aurait jamais pu faire aménager le Grand Louvre et son entrée par la pyramide de l’architecte Ming Pei, tout récemment disparu.
Nous sommes tous soucieux de ne pas voir la cathédrale défigurée par des projets farfelus lors de sa restauration, mais il ne faut surtout pas être trop rigide en figeant pour l’avenir l’état de la cathédrale. Laissons les architectes faire leur travail.
L’amendement n° 41 rectifié bis, présenté par M. Leleux, Mmes Chain-Larché et Thomas, M. Houpert, Mme Bruguière, M. Revet, Mme Micouleau, MM. de Nicolaÿ, Brisson, Sol, Piednoir, Grosperrin et Lefèvre, Mmes Morhet-Richaud, Deseyne et Deromedi, MM. Savin, Chevrollier, Chaize, Danesi, Dufaut et Vaspart, Mme Ramond et MM. B. Fournier, Pierre, Charon, Mayet et Gremillet, est ainsi libellé :
Alinéa 2, dernière phrase
Supprimer le mot :
visuel
Monsieur Leleux, pouvez-vous présenter en même temps l’amendement suivant, puisque vous en êtes également signataire ?
L’amendement n° 42 rectifié, présenté par MM. Leleux et Houpert, Mme Bruguière, M. Revet, Mme Micouleau, MM. de Nicolaÿ, Brisson, Sol, Piednoir, Grosperrin et Lefèvre, Mmes Morhet-Richaud, Deseyne et Deromedi, MM. Savin, Chevrollier, Chaize, Danesi et Vaspart, Mme Ramond et MM. B. Fournier, Pierre, Charon et Gremillet, est ainsi libellé :
Alinéa 2
Compléter cet alinéa par une phrase ainsi rédigée :
Lorsque le maître d’ouvrage envisage d’employer des matériaux différents de ceux en place avant le sinistre pour les travaux de conservation et de restauration du monument, il rend publique une étude présentant les motifs de ces modifications.
La parole est à M. Jean-Pierre Leleux.
Le texte de la commission de la culture prévoit expressément que le monument doit être restitué dans « le dernier état visuel connu avant le sinistre ».
Ne vous méprenez pas, je ne suis pas personnellement opposé à ce que l’on appelle des « gestes architecturaux » sur notre patrimoine, quand on décide de mettre du contemporain à côté ou dans les édifices classés. Cela étant, Notre-Dame de Paris, c’est Notre-Dame de Paris. À mes yeux, elle mérite un statut dérogatoire la mettant à l’abri de cette possibilité.
Dans mon intervention liminaire, j’ai émis le souhait que l’édifice soit restitué le plus possible à l’identique, de manière à respecter l’équilibre entre les flèches de la Sainte-Chapelle et de Notre-Dame.
C’est la raison pour laquelle je suggère la suppression de l’adjectif « visuel ». Je reviendrai ultérieurement sur les matériaux.
J’en profite pour dire qu’il y a, à mon sens, une différence entre vouloir s’immiscer dans le choix d’un « geste architectural » ou du lauréat d’un concours, ce qui n’est pas le rôle du Parlement, et dire que l’on souhaite une restitution à l’identique, ce qui me paraît être tout à fait dans notre rôle. C’est un choix très précis qui n’interfère pas dans le déroulement d’un concours, qui pourrait nous amener des surprises.
L’amendement n° 42 rectifié vise à préciser que les matériaux utilisés dans la restitution sont ceux d’avant le sinistre. Aussi, le maître d’ouvrage devra démontrer ou prouver, avant de les abandonner éventuellement, que des matériaux tels que la pierre, le plomb et le bois sont incompatibles avec des prescriptions de sécurité ou des exigences contemporaines.
L’amendement n° 62 du Gouvernement tend à revenir sur l’ensemble des modifications apportées par votre commission à l’article 2 lors de l’élaboration de son texte. Nous ne pouvons pas ignorer que la présence de la cathédrale Notre-Dame a été déterminante dans le classement du site « Paris, rives de la Seine », comme l’a rappelé Mme la présidente de la commission. Or la France, en ratifiant la convention du patrimoine mondial, s’est engagée à respecter un certain nombre de principes. Aussi, il nous semble indispensable de veiller à ce que les travaux menés sur la cathédrale respectent l’authenticité et l’intégrité du monument. C’est tout le débat que nous avons eu à la suite des auditions. M. le ministre ne sera pas étonné que la commission ait émis un avis défavorable.
J’en viens à l’amendement n° 15 rectifié de M. Assouline, présenté par Mme Monier. Je le rappelle, Notre-Dame a été classée au titre du patrimoine mondial avec la flèche de Viollet-le-Duc. C’est l’une des raisons pour lesquelles, sans imposer une restauration à l’identique qui aurait pu poser problème, la question a en effet été soulevée, nous avons cherché une autre appellation de façon à ne pas choquer – et je rejoins tout à fait Mme Monier et M. Assouline – pour laisser un maximum de liberté au « geste architectural », ce qui me semble important.
Beaucoup des donateurs, quand ils se sont exprimés – il est vrai que tous ne l’ont pas fait –, ont joint à leur chèque des mots manuscrits dans lesquels ils exprimaient le vœu que « Notre-Dame redevienne Notre-Dame », c’est-à-dire tout simplement telle qu’ils l’ont connue, sans se poser plus de questions.
Je préfère revenir au texte de la commission et j’émets donc un avis défavorable.
Les amendements n° 41 rectifié bis et 42 rectifié, présentés par notre collègue Jean-Pierre Leleux, vont plus loin que la rédaction que j’avais proposée en commission. Nous ne pouvons pas, à ce stade, présumer des conclusions du diagnostic en cours de réalisation, qui sera d’ailleurs long et pourrait nous contraindre à certains travaux, je pense notamment à la nature des voûtes et des murs.
De plus, comme l’usage des matériaux dépend de leur disponibilité, il me semble préférable de nous en tenir à la nécessité de préserver le monument dans son dernier état visuel – M. Ouzoulias a d’ailleurs évoqué la production de pierres dans les carrières. J’émets donc un avis défavorable sur l’amendement n° 41 rectifié bis.
J’émets en revanche, un avis favorable sur l’amendement n° 42 rectifié, car il me paraît de nature à éclairer les choix retenus pour la restauration de Notre-Dame. Il permettra de comprendre les raisons techniques ou sécuritaires qui justifient, dans le cadre de ce projet de restauration, le recours à des matériaux différents de ceux qui ont été utilisés à l’époque de la construction de la cathédrale ou de l’édification de la flèche par Viollet-le-Duc.
mais pourquoi faut-il forcément exprimer cette espèce de défiance, de méfiance permanente vis-à-vis de l’État et de ses serviteurs ?
Franchement, le chef de l’État est un homme responsable ! Le Premier ministre est un homme responsable. J’essaie d’être à la hauteur de ma fonction. Et nous avons la chance d’avoir, au ministère de la culture, de grands serviteurs de l’État. Je vous le dis, mesdames les sénatrices, messieurs les sénateurs, nous avons la volonté de faire une restauration exemplaire et nous serons jugés par les Français sur notre capacité à réaliser cette restauration exemplaire, à la hauteur de ce qu’est Notre-Dame de Paris dans l’imaginaire de nos concitoyens.
Vous voulez faire croire que nous sommes des irresponsables sur le point de commettre quelque chose d’horrible. Eh bien, non, je vous le dis une fois de plus, nous allons nous employer à faire une restauration à la hauteur de ce que nous demandent nos compatriotes !
Sur l’opportunité de mentionner le dernier état visuel, je reprendrai l’argumentaire de M. le rapporteur, qui a souligné la nécessité de se laisser quelques marges de manœuvre dans l’hypothèse où nous ferions une restauration à l’identique, notamment en matière de matériaux, pour prendre en compte les remarques, les avis et les décisions des experts.
J’en arrive au dernier point. Monsieur Leleux, vous voulez ajouter un échelon supérieur à la Commission nationale du patrimoine et de l’architecture. Faites plutôt confiance à cette instance, que vous présidez ! La loi lui confère des prérogatives. Je m’y engage devant vous, elle sera consultée régulièrement sur la totalité du processus. Nous irons même au-delà des consultations obligatoires mentionnées par la loi. Ne la dépossédez pas des attributions qui lui sont dévolues ! Vous aurez, comme l’ensemble des membres de cette commission, tout loisir et tout pouvoir pour exprimer vos avis.
Nous allons créer, au sein de l’établissement public mentionné à l’Assemblée nationale, un conseil scientifique qui sera composé de personnalités venues de tous les horizons. Leur mission sera de veiller à ce que les décisions prises par cet établissement public soient bien conformes à toutes les prescriptions législatives en matière de préservation du patrimoine, d’archéologie, etc. nécessaires pour la restauration de Notre-Dame de Paris.
Vous le voyez bien, il y aura de la transparence, les commissions compétentes seront saisies et nous prévoyons même des dispositifs supplémentaires pour garantir l’exemplarité de cette restauration de Notre-Dame de Paris.
Le Gouvernement émet donc un avis défavorable sur les amendements n° 15 rectifié, 41 rectifié bis et 42 rectifié.
M. André Gattolin applaudit.
Monsieur le ministre, comprenez bien nos préventions ! Vous nous présentez une loi d’exception sans dire ce que vous souhaiteriez respecter des dispositions législatives en vigueur. Notre seule solution pour nous assurer qu’un certain nombre de principes de fond seront respectés, c’est donc de les introduire dans ce texte d’exception. Si vous aviez voulu respecter littéralement les règles en vigueur, vous ne seriez pas venu soumettre au Parlement une loi d’exception !
Monsieur Gattolin, la charte de Venise n’a bien évidemment pas de valeur législative, mais, cher collègue, elle pose un principe éthique. Et il est bon d’inscrire dans une loi d’exception des principes éthiques qui nous donneront une garantie pour les futurs travaux.
Puisque j’évoque la charte de Venise, je voudrais revenir sur le document de Nara, qui me semble fondamental et dont je vais vous relire une phrase : « Les couches d’histoire acquises au fil du temps par un bien culturel sont considérées comme des attributs authentiques de ce bien culturel. » Cela veut dire que la flèche de Viollet-le-Duc est constitutive de ce monument dont l’histoire va de la fondation de la cité au premier siècle après Jésus-Christ jusqu’à l’incendie du mois dernier. Dans ce cas-là, il me semble fondamental, comme nous l’impose le principe de la charte de Venise, de revenir au bâtiment tel qu’il était avant d’être détruit par l’incendie.
Bien évidemment, le Parlement ne doit pas dire ce qu’est le beau et le vrai. Les essais d’art officiel n’ont jamais été très concluants ! Ce qui est essentiel, c’est que le Parlement fasse respecter des principes d’éthique que nous défendons avec force à l’échelle internationale.
La discussion sur la flèche de Viollet-le-Duc doit entrer dans ce débat éthique sur des valeurs que nous portons dans le monde.
Je voterai moi aussi les amendements de notre collègue Leleux, parce qu’ils sont conformes aux engagements internationaux de la France.
Applaudissements sur les travées du groupe communiste républicain citoyen et écologiste, du groupe socialiste et républicain, du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen, du groupe Les Indépendants – République et Territoires, du groupe Union Centriste et du groupe Les Républicains.
Monsieur le ministre, vous croyez que nous doutons de votre parole. Mais pas du tout ! Vous nous dites vouloir reconstruire de façon éthique, respecter toutes les règles, notamment celles de l’Unesco. Eh bien, la seule chose que nous faisons se limite à inscrire cette volonté dans la loi. Nous écrivons ce que vous nous dites vouloir faire. Je ne vois pas en quoi nous exprimons une vraie suspicion !
Je ne comprends pas non plus votre opposition à nos amendements. Nous nous contentons d’écrire que le site est classé à l’Unesco et qu’il faut respecter ce qui figure dans la charte à l’origine de cette inscription. Je ne comprends pas pourquoi vous voulez revenir sur l’écriture précise proposée par la commission.
De même, nous sommes tout à fait d’accord quant au rôle de la Commission nationale de l’architecture et du patrimoine.
Sur la reconstruction à l’identique, j’entends bien les propos de notre collègue Ouzoulias. Je pense qu’il ne nous revient pas de dire ce qu’est le beau. Notre devoir est de veiller à ce que cette Commission nationale de l’architecture et du patrimoine, de même que le conseil scientifique puissent jouer leur rôle. C’est la raison pour laquelle je serai plus réservée sur l’amendement n° 41 rectifié bis.
Je voterai l’amendement n° 42 rectifié, que je trouve intéressant, ne serait-ce que pour notre information. Il est bon que nous soyons en mesure de comprendre les raisons pour lesquelles le choix se porterait sur d’autres matériaux s’il était décidé de ne pas faire la restauration à l’identique.
Monsieur le ministre, vous êtes un ancien parlementaire. Vous savez donc que le rôle du parlementaire ne se réduit pas à une suspicion permanente vis-à-vis du Gouvernement. Les parlementaires conservent quand même une liberté, une autonomie, ils ont le droit de vouloir cadrer le Gouvernement. Je suis d’ailleurs certain que, si vous n’aviez pas été nommé ministre, vous n’auriez pas trouvé parfaitement légitime que soit soumise au Parlement une loi comportant autant d’exceptions. Je pense même que vous seriez tout de suite monté au créneau pour le dire. En effet, ce texte rompt avec une tradition à laquelle tiennent tous les parlementaires qui s’occupent de culture, à l’Assemblée nationale comme au Sénat.
Ceux-ci se sont toujours retrouvés, quelle que soit leur appartenance politique, dans une certaine unité. Elle s’est manifestée lors de l’adoption de la loi Création et patrimoine, il y a trois ans. Nous avons défendu ensemble les mêmes concepts avec force et cette loi a été votée à la quasi-unanimité, en tout cas dans cet hémicycle.
Ne nous reprochez pas cela, surtout quand vous nous proposez un texte avec autant d’exceptions !
Je suis d’accord avec tout ce qu’a dit M. Ouzoulias, sauf que l’éthique ne se loge pas dans les mots « identique » ou « dernier état visuel ». Les mots qu’emploie l’Unesco nous ramènent à l’éthique. C’est la raison pour laquelle le Gouvernement a tort de vouloir les supprimer. « Authenticité » et « intégrité » ont un sens éthique et indiquent la marche à suivre. En revanche, les termes « identique » et « dernier état visuel » ont une portée assez restrictive qui peut empêcher les architectes de travailler.
Ce débat, nous pouvons l’avoir entre nous, mais pas sur le mode législatif. Notre débat ne portera pas sur la restauration du monument lui-même, il va se concentrer sur la flèche. Elle est, c’est vrai, l’une des strates dont il faut préserver l’authenticité et elle date du XIXe siècle. On peut s’imaginer nos successeurs discutant dans deux siècles de la strate déposée au XXIe siècle.
Je pense qu’il faut supprimer du texte tous les mots, comme « identique », qui vont nous enfermer.
Monsieur le ministre, vous êtes au Sénat. Sur un tel sujet, lié au patrimoine et à un monument exceptionnel, on n’a pas besoin de parler d’opposition, de majorité !
Lors de l’examen de la loi relative à la liberté de la création, à l’architecture et au patrimoine, dite loi LCAP, nous nous sommes retrouvés sur beaucoup d’articles, toutes tendances politiques confondues, parce que le patrimoine mérite de dépasser ces querelles politiciennes pour faire consensus. Et je regrette, monsieur le ministre, que ce projet de loi ne fasse pas consensus entre vous et nous et, qui plus est, avec l’Assemblée nationale.
Si nous avons déposé cet amendement sur l’état visuel, ce n’est pas pour raviver la querelle des Anciens et des Modernes. Nous l’avons fait pour une question de principe. Je rejoindrai mon collègue Assouline : le sujet est très subjectif, car on projette un imaginaire sur un état visuel. Et l’idée était d’en faire une question de principe pour dire que, en tant que législateurs, nous n’avons pas à imposer un point de vue. L’amendement de M. Leleux, en supprimant l’adjectif « visuel », nous incite quand même à aller un peu plus loin dans cette réflexion.
On le sait aussi, tout au long de son histoire, ce monument a fait l’objet de nombreux débats comme celui que nous avons aujourd’hui dans cette enceinte.
Le mieux est de faire confiance aux personnes compétentes et de laisser ouverte la réflexion pour permettre de se projeter demain ou dans la modernité ou dans le passé, mais ce choix n’est pas de notre ressort.
Monsieur le ministre, vous nous demandez de vous faire confiance. La confiance ne se décrète pas, elle se mérite ! Vous êtes en train de récolter ce que vous avez semé au travers de ce texte de loi, dont vous avez fait, comme viennent de le dire un certain nombre de nos collègues, une loi d’exception.
Non content d’avoir inscrit dans le texte l’article 9, qui est un acte de défiance à l’encontre du Parlement, vous êtes maintenant en train de nous reprocher de nous exprimer au travers d’amendements !
Comme vient de le dire ma collègue Sylvie Robert, vous êtes ici au Sénat et les parlementaires ont le droit de déposer des amendements, que cela vous plaise ou non !
Je vous le dis, monsieur le ministre, j’ai été profondément choqué de vous entendre reprocher à M. Leleux ses amendements au motif qu’ils seraient dictés par son appartenance à l’opposition. Le discours que vous avez tenu à la tribune nous incitait à faire l’unité, à faire l’union !
La reconstruction de Notre-Dame n’est pas le projet du seul Président de la République. Elle est le projet de tous les Français, que nous représentons ici ! Nous avons le droit de nous exprimer !
Si vous voulez mériter la confiance, ayez au moins l’obligeance, de temps à autre, d’écouter le Sénat et le Parlement ! Consentez à envoyer quelques signes en acceptant certains de nos amendements plutôt que de les refuser systématiquement pour rétablir votre texte d’origine !
Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.
Monsieur le ministre, je ne vais pas employer les mêmes termes que mon collègue, mais je vous trouve bien sévère envers le Sénat. Tout le monde a dit à peu près la même chose, c’est-à-dire que cela relève du travail parlementaire.
Je vous renvoie au début de cet article. Personne n’est figé. La disposition qui a été ajoutée – peut-être les donateurs n’y avaient-ils pas pensé – et qui traite de la formation initiale et continue des professionnels disposant de compétences particulières ne pose aucun problème et elle est frappée au coin du bon sens. Nous ne sommes absolument pas figés ici sur un texte ou sur une position, et je crois que ce débat devrait être nourri.
Par la suite, vous voulez que l’on procède par ordonnances. Le temps de la reconstruction vous laisse la possibilité, à un moment ou à un autre, de revenir au Sénat et à l’Assemblée nationale pour examiner des dispositions législatives complémentaires.
Le chantier durera cinq ans, nous dit-on. Très bien ! Le général Georgelin, que j’ai vu la semaine dernière, nous donne rendez-vous en avril 2024. Nous espérons tous y être, puisque des élections sénatoriales auront lieu en 2023. §Cela étant, je vous trouve bien sévère, monsieur le ministre, envers le Sénat et j’espère que la suite de la discussion vous permettra d’avoir une autre opinion de la Haute Assemblée.
Quelques mots pour vous dire notre déception, monsieur le ministre ! Vous nous aviez habitués à un travail plus constructif sur les textes d’origine gouvernementale.
Pour une majeure partie des membres de la commission de la culture, de l’éducation et de la communication, cette confiance a été rompue à l’occasion de la loi Élan au sujet du patrimoine, en tout cas. Nous avions tellement travaillé lors de l’examen de la loi LCAP ! Vous étiez d’ailleurs vous-même député à l’époque et nous avons participé à quelques réunions ensemble. Cette loi a été votée à l’unanimité de la représentation nationale après quatre lectures. C’est rare ! Nous n’avions pas vu une telle configuration depuis des années et nous ne sommes pas près de la revoir ! Nous avions réalisé un travail subtil, un travail tout en dentelle.
Nous avions demandé, à l’époque, des évaluations de son application que nous n’avons jamais pu obtenir. Or nous pensons qu’il faut raisonner de façon méthodique et rigoureuse. Cette confiance n’est pas forcément a priori au rendez-vous.
Elle l’est d’autant moins quand on nous parle de dérogations sans être capable de nous en donner le contenu. Je sais que votre ministère a fait un effort pour travailler sur le sujet, ce qui n’est pas le cas de tous vos collègues. Sur le plan interministériel, peut-être a-t-il été difficile d’aboutir à une position finale par rapport à ce texte de loi. Je sais que vous avez cherché à bien faire.
Toutefois, cela ne mangerait pas de pain que de regarder nos amendements pour tenter d’améliorer le texte ! Nous avons tous envie de bien encadrer cette restauration et cette reconstruction !
Je ne vous comprends pas, par exemple, pour ce qui concerne la référence à l’inscription du site au patrimoine de l’Unesco. Pourquoi la balayez-vous d’un revers de main ? Je sais que vous allez rencontrer, d’ici quelques jours, la directrice générale. Tout de même, nous nous sommes engagés !
Je siège au Comité national des biens français du patrimoine mondial. Je vois toutes ces collectivités qui défilent avec leurs projets et s’engagent. Jean-Pierre Leleux le sait, cela prend un temps fou ! Cela représente dix ans de travail, d’engagement pour respecter cette valeur universelle, ce principe d’authenticité et d’intégrité. Pourquoi n’acceptez-vous pas cette mention dans la loi, destinée à l’encadrer ? Si nous voulons inscrire ces précisions dans la loi, c’est parce que, pour l’instant, nous ne sommes pas complètement en confiance par rapport à toutes ces dérogations que vous nous demandez d’adopter.
Mon propos va être un peu redondant. Ne croyez surtout pas, monsieur le ministre, que ce soit de l’acharnement ! Il y a encore une dizaine de jours, l’un de vos collègues, le ministre de l’éducation nationale, a dit avoir beaucoup apprécié le bicamérisme et l’examen de sa loi par le Sénat. Je pense que pour certains articles, nous l’avons même, d’une certaine manière, sauvé d’une impasse, parvenant à pacifier la rue qui grondait.
Bien évidemment, nous ne sommes pas dans ce schéma. Comme l’ont dit plusieurs de mes collègues, je crois honnêtement qu’au Sénat – nous l’avons montré lors de l’examen de la loi LCAP et avec tout ce que nous avons fait au sujet du patrimoine –, à défaut d’être des spécialistes, nous connaissons en tout cas un peu le sujet.
Je n’ai rien contre l’Assemblée nationale ni contre les nouveaux députés, mais le fait que vous n’acceptiez aucun de nos amendements depuis le début de la discussion et que vous reveniez systématiquement à la rédaction d’origine de l’Assemblée nationale va continuer à entretenir la suspicion.
Le temps politique n’est pas le temps du patrimoine. Peut-être ne serez-vous plus ministre, peut-être un autre gouvernement sera-t-il nommé avant la fin de ce chantier. Quoi qu’il en soit, nous voulons vous remettre et remettre le ministère de la culture au centre de cette restauration, qui durera sûrement plus de cinq ans. Dans cette perspective, nous voulons vous donner des billes pour asseoir véritablement cette restauration. Vous le comprenez, je vous lance un appel pour vous inciter à accepter de temps en temps nos amendements.
Je vais m’exprimer sur les amendements de M. Leleux et faire deux remarques, l’une sur la flèche, l’autre sur les matériaux qui pourraient être réutilisés.
Sur la flèche, nous avons le sentiment qu’il y a une forme de double indignité. D’abord, vis-à-vis de l’art du XIXe siècle : le XIXe siècle est-il un grand siècle pour l’art ? Mériterait-il qu’on en conserve des traces artistiques ? Ensuite, Viollet-le-Duc est-il vraiment un grand architecte ?
Lorsque vous envisagez un concours international, nous avons le sentiment que vous répondez par la négative à ces deux questions et que vous essayez d’écarter l’un et l’autre en trouvant d’autres solutions.
Pierre Rosenberg, que personne ne contestera ici, avait l’habitude de dire que le XIXe siècle était « le » grand siècle, notamment pour la sculpture et la peinture. Regardez ce que le XIXe siècle nous a apporté en peinture ! Je ne citerai que Géricault, Courbet, Monet, Manet, Renoir, Caillebotte, Degas et même Cézanne, qui enjambe les deux siècles. En musique, le XIXe siècle nous a donné, parmi tant d’autres, Debussy et Gounod. En littérature, bien entendu, c’est aussi un grand siècle.
Viollet-le-Duc est un grand architecte. On cite souvent Hugo comme quelqu’un qui a contribué à sauver Notre-Dame. Je pense que Viollet-le-Duc a tout autant contribué à sauver la cathédrale que Hugo. Je pense qu’aucune indignité artistique et culturelle ne doit peser ni sur le XIXe siècle – qui est un siècle récent dans notre histoire et l’histoire de l’art – ni sur Viollet-le-Duc.
Pour ce qui concerne les matériaux, je conçois bien sûr que l’on puisse utiliser du titane et remplacer les chênes par du béton. Mais n’oublions pas que nous avons la première forêt de chênes ! Elle croît à hauteur de 14 millions de mètres cubes par an et le prélèvement est à hauteur de 50 %. De plus, c’est une solution écologique, car les chênes stockent le CO2. Elle permettrait de sauvegarder les savoir-faire.
M. le ministre fait un signe de protestation.
Oui, monsieur le ministre, vous faites un signe de la main, exprimant votre agacement à l’égard de propos que vous trouvez rasoir. Tolérez, monsieur le ministre, que l’on puisse donner son avis, ici, au Sénat ! Tolérez que l’on puisse vouloir restaurer cette charpente avec des chênes qui viendraient de toutes les régions françaises ! Elle serait travaillée par des Compagnons du devoir et d’autres corporations plutôt que par de grands groupes du béton. Je pense qu’on a le droit, en tout cas, d’émettre cette préférence. C’est ce que nous faisons aujourd’hui !
Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.
Je tiens à m’exprimer parce que, sur un certain nombre de sujets, je ne suis pas nécessairement en conformité avec tous les collègues de mon groupe. Je suis sensible aux arguments de M. Assouline, même si, à titre personnel, je préfère une reconstruction à l’identique.
Je me souviens de plusieurs chantiers parisiens et de grands projets où s’affrontaient l’État et la Ville de Paris. Moi-même, j’ai été amené, par le passé, à m’opposer, en tant qu’élu municipal, au projet du président Mitterrand sur la pyramide du Louvre. Un dialogue s’est ouvert entre le maire de Paris et le Président de la République de l’époque. Nous avons vu s’enclencher une dynamique, nous avons assisté à l’enrichissement du projet. Tout cela a été possible parce que le texte n’avait pas été figé dès le départ.
Pour ma part, tout en étant évidemment sensible à la reconstruction à l’identique, je voudrais laisser une certaine liberté dans ce projet. Sur ce point, je trouve que nous allons un peu trop loin dans les détails, en tant que parlementaires. J’aimerais que nous laissions la possibilité de créer une dynamique pour permettre d’améliorer le projet.
Monsieur le ministre, mes chers collègues, j’ai entendu beaucoup d’entre vous exprimer leur déception sur la qualité de ce débat. Pour ma part, je ne suis pas déçue, parce que je ne suis pas surprise !
Je vois le nombre de textes soumis à cette assemblée à l’occasion desquels on nous demande de faire confiance au Gouvernement, qui reporte les explications et informations à la discussion du projet de loi des finances.
Je prendrai pour seul exemple le projet de loi que j’ai eu la chance de rapporter sur la création de l’Office français de la biodiversité et de la chasse où il ne manquait jamais que 40 millions d’euros, ce qui, après tout, n’est pas grand-chose ! Le Gouvernement nous a demandé de lui faire confiance, de voter le texte en attendant de revoir la question à l’occasion du projet de loi de finances.
Il en est allé de même avec la loi Pacte, que certains ont citée et qui comportait la privatisation d’Aéroports de Paris. Nous n’avions même pas le cahier des charges ! On nous a demandé de faire confiance au Gouvernement sans même avoir consulté le cahier des charges. Nous l’avons vu une fois que la loi a été votée. Et vous savez le résultat : un référendum d’initiative partagée !
Monsieur le ministre, pour avoir été maire, vous connaissez les élus et leurs difficultés. Vous êtes aujourd’hui face à des parlementaires qui représentent les maires et les collectivités. Ils ne peuvent s’affranchir des multiples contraintes qu’ils rencontrent lorsqu’ils ont un problème sur un édifice classé. Ils acceptent bien volontiers de se soumettre à l’avis de l’architecte des Bâtiments de France pour restaurer exactement, à l’identique. Vous savez tout ce que cela représente comme énergie à déployer, comme dossiers à remplir, comme difficultés à surmonter…
Si vous demandez aujourd’hui à notre assemblée de ratifier ce que vous voulez faire passer, eh bien, je suis désolée de vous le dire, monsieur le ministre, vous affichez ainsi un mépris vis-à-vis des élus que nous sommes et de ceux que nous représentons !
Avant de nous demander de vous faire confiance, tâchez de la mériter et d’être au moins à la hauteur du débat qui se déroule aujourd’hui en acceptant tout simplement – à moins que vous n’ayez aucune marge de manœuvre – d’étudier avec attention et bienveillance les amendements que nous vous proposons.
Je ne voudrais pas que les amendements que j’ai déposés puissent être perçus comme relevant d’une attitude politicienne.
Je suis tout simplement un admirateur quasi inconditionnel de l’œuvre de Viollet-le-Duc et de Lassus. Pardonnez-moi, je crains simplement que le fait de remplacer cette architecture admirable puisse dénaturer au fond l’ensemble de l’étude faite à l’époque et qui est constituée par de très nombreux ouvrages. J’ai une forme d’admiration pour cela. Je ne fais que défendre cette thèse – qui n’est d’ailleurs qu’une thèse parmi d’autres. J’estime, sans adopter ce que vous semblez considérer comme une attitude politicienne, qu’elle a le mérite d’exister et d’être claire.
Monsieur Dominati, personnellement, je ne suis pas du tout opposé à ce qu’un « geste architectural » soit opéré sur le parvis de la cathédrale, afin de commémorer cet abominable sinistre et, d’une certaine manière, de mettre en valeur l’événement que nous avons connu.
En revanche, pour la toiture et la flèche, il me semble indispensable de mener, autant que possible – je prends cette précaution, car quelques détails exigent peut-être des modifications –, une reconstruction à l’identique. On peut considérer cette position comme extrêmement conservatrice ; mais, pour ma part, j’ai envie de revoir dans le ciel de Paris la flèche de Notre-Dame et sa toiture comme elles étaient il y a deux mois !
Applaudissements sur des travées du groupe Les Républicains et du groupe Union Centriste.
Monsieur Leleux, je ne remets pas du tout en cause votre opinion, et je ne dirai jamais que vous avez des arrière-pensées politiciennes : nous nous connaissons depuis longtemps, et j’ai eu suffisamment l’occasion de travailler avec vous sur des textes importants pour savoir qu’avec vous l’on débat toujours du fond. J’espère d’ailleurs que nous pourrons poursuivre cette collaboration dans l’avenir.
En l’occurrence, vous souhaitez voir modifier ce texte en fonction de votre propre avis, qu’il s’agisse du parvis ou de la flèche. Mais s’il fallait procéder ainsi pour chaque sénateur et chaque député, notre travail d’écriture deviendrait problématique, pour ne pas dire impossible.
L’essentiel, c’est d’adopter un principe général permettant de poursuivre le débat, puis de prendre une décision. Tel est le sens de la rédaction précédemment retenue. Voilà pourquoi je propose, avec l’amendement n° 62, de rétablir l’article 2 tel qu’il est issu des travaux de l’Assemblée nationale.
En précisant que la restauration menée vise « à préserver l’intérêt historique, artistique et architectural du monument », on prend en compte le souci que vous exprimez, notamment lorsque vous relevez que l’ancienne flèche de Notre-Dame faisait écho à la flèche de la Sainte-Chapelle. En outre, on répond à la préoccupation exposée par M. Assouline au nom du groupe socialiste et républicain. Je le répète, faisons vivre ce débat.
Loin de la caricature faite par Mme Chain-Larcher, je suis toujours soucieux d’accompagner les améliorations proposées par le Sénat. En ce sens, je tiens à être parfaitement clair : je suis favorable à l’amendement n° 15 rectifié, présenté par M. Assouline. En revanche, je suis défavorable aux amendements de M. Leleux.
Je précise que la commission est défavorable à l’amendement n° 15 rectifié.
L ’ amendement n ’ est pas adopté.
Je mets aux voix l’amendement n° 15 rectifié.
J’ai été saisi d’une demande de scrutin public émanant de la commission.
Je rappelle que l’avis de la commission est défavorable et que celui du Gouvernement est favorable.
Il va être procédé au scrutin dans les conditions fixées par l’article 56 du règlement.
Le scrutin est ouvert.
Le scrutin a lieu.
Personne ne demande plus à voter ?…
Le scrutin est clos.
J’invite Mmes et MM. les secrétaires à procéder au dépouillement du scrutin.
Il est procédé au dépouillement du scrutin.
Voici, compte tenu de l’ensemble des délégations de vote accordées par les sénateurs aux groupes politiques et notifiées à la présidence, le résultat du scrutin n° 124 :
Le Sénat n’a pas adopté.
L ’ amendement n ’ est pas adopté.
L ’ amendement est adopté.
L’amendement n° 3 rectifié bis, présenté par Mme de Cidrac, MM. Segouin, Daubresse et Lefèvre, Mme Gruny, M. Grosdidier, Mmes Lassarade, Garriaud-Maylam, Ramond, L. Darcos et Deromedi, M. Laménie, Mme Lamure et M. Poniatowski, est ainsi libellé :
Compléter cet article par un alinéa ainsi rédigé :
Les conditions de formation initiale et continue des professionnels disposant des compétences particulières qui sont requises pour ces travaux sont précisées par décret.
La parole est à Mme Marta de Cidrac.
Cet amendement prévoit un décret, dont le but sera d’éclaircir les conditions de formation des professionnels pouvant concourir à la restauration et à la conservation de Notre-Dame. L’article 2 mentionne bien des compétences particulières, mais il ne les précise pas. Or Notre-Dame mérite, de notre part, une grande exigence !
Ma chère collègue, nous avons entendu les représentants du groupement des entreprises spécialisées dans la restauration des monuments historiques ; cette audition a d’ailleurs été un moment très fort de nos travaux.
D’après ces interlocuteurs, l’essentiel est de garantir que l’accent sera mis sur la formation aux métiers du patrimoine : c’est bel et bien le cas. Peu importe, bien sûr, l’organisme formateur. En conséquence, je vous invite à retirer votre amendement. À défaut, j’émettrai un avis défavorable.
L ’ article 2 est adopté.
Le produit des dons et versements effectués depuis le 15 avril 2019, au titre de la souscription nationale, par les personnes physiques ou morales dont la résidence ou le siège se situe en France ou dans un État étranger, auprès du Trésor public, du Centre des monuments nationaux ainsi que des fondations reconnues d’utilité publique dénommées « Fondation de France », « Fondation du patrimoine » et « Fondation Notre Dame » est reversé à l’établissement public désigné pour assurer la conservation et la restauration de la cathédrale Notre-Dame de Paris.
Les modalités de reversement aux fonds de concours font l’objet de conventions entre le Centre des monuments nationaux ou les fondations reconnues d’utilité publique mentionnées au premier alinéa et l’établissement public en charge de la conservation et de la restauration de la cathédrale Notre-Dame, permettant d’assurer le respect de l’intention des donateurs. Elles sont rendues publiques.
Les personnes physiques ou morales ayant effectué des dons et versements directement auprès du Trésor public peuvent conclure des conventions avec l’établissement public.
Les conventions mentionnées aux deuxième et troisième alinéas prévoient que l’établissement public procède à une évaluation précise de la nature des coûts des travaux de conservation et de restauration.
Les reversements par les organismes collecteurs aux fonds de concours sont opérés à due concurrence des sommes collectées, en fonction de l’avancée des travaux et après appel de fonds du maître d’ouvrage.
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, l’article 3 prévoit que, au-delà du Trésor public, quatre opérateurs sont chargés de recueillir les fonds destinés à la conservation et à la restauration de Notre-Dame. Il s’agit du Centre des monuments nationaux, le CMN, et de trois fondations reconnues d’utilité publique, à savoir la Fondation de France, la Fondation du patrimoine et la Fondation Notre-Dame. Ainsi, le dispositif est clarifié, et c’est une bonne chose.
En vertu de ce projet de loi, des conventions, rendues publiques, seront signées en toute transparence entre ces organismes collecteurs et le maître d’ouvrage délégué. En outre, les versements ne se feront que sur appel de fonds au fur et à mesure de l’avancée du chantier et des besoins en travaux. Ces conventions seront garantes des intentions des donateurs.
Pour ce qui concerne la maîtrise d’ouvrage, notre commission a préféré exclure l’État : en maintenant le choix entre l’État et un établissement public, on laisserait le flou persister. En l’état actuel de notre texte, il s’agira nécessairement d’un établissement public.
Personnellement, j’avais déposé un amendement visant à confier cette mission à l’Opérateur du patrimoine et des projets immobiliers de la culture, l’Oppic. Or je me suis vu opposer l’article 40 de la Constitution, ce que je regrette.
J’aimerais bien savoir pourquoi l’on cherche à éviter l’intervention de l’Oppic. À de nombreuses reprises, cet opérateur a été associé à d’immenses chantiers concernant des monuments historiques, qu’il s’agisse du château de Versailles, de l’hôtel des Invalides, du musée d’Orsay ou encore du Grand Palais. Ce faisant, il a démontré qu’il avait les compétences requises : au moment même où l’on veut réduire le nombre d’opérateurs publics de l’État, pourquoi créer une structure supplémentaire alors que nous avons absolument ce qu’il faut ?
Sur cet article, j’avais également déposé un amendement, qui s’est vu opposer l’article 40 de la Constitution…
Monsieur le ministre, j’ai écouté attentivement votre discours liminaire ; à vous entendre, ce serait une traîtrise d’affecter les dons à d’autres opérations que la restauration de Notre-Dame. Loin de moi l’idée d’être un traître ! Notre pays compte 11 000 monuments historiques en souffrance : naïvement, je souhaitais simplement reporter sur eux un éventuel surplus de dons…
On nous a opposé l’article 40 de la Constitution au motif que la mesure proposée alourdirait les charges de l’État. Mais, si nous suivons votre raisonnement jusqu’au bout, les produits que dégageront les centaines de millions, voire le milliard d’euros de travaux – je pense en particulier aux recettes de TVA –, devraient être réaffectés au chantier de Notre-Dame. Or je n’ai lu cette précision nulle part…
Ma question est très claire : que vont devenir les produits issus de ces travaux ?
Applaudissements sur des travées du groupe socialiste et républicain et du groupe Union Centriste.
Monsieur le ministre, j’avais moi aussi déposé un amendement et, comme M. Leleux, je voudrais comprendre : pourquoi avoir prévu un opérateur spécifique et, surtout, pourquoi ne pas avoir retenu l’Oppic ?
En lisant votre étude d’impact, on a le sentiment que la création du nouvel établissement se justifie uniquement par la volonté d’assurer une gouvernance spécifique. Mais, si l’Oppic est jugé inadapté pour d’autres raisons plus techniques, il importe que notre commission le sache.
L’Oppic est responsable d’un certain nombre de travaux au sujet desquels la Haute Assemblée a manifesté, à plusieurs reprises, quelques inquiétudes. Je pense notamment au Grand Palais : ce chantier est considérable. Pendant plusieurs années, il va accaparer une grande part du budget du ministère de la culture. Si l’Oppic n’est pas à même de gérer ce type de travaux, il faut que vous nous le disiez maintenant !
En revanche, si la seule raison véritable est celle que mentionne votre étude d’impact, à savoir l’enjeu de gouvernance, nous comprendrons pourquoi l’on nous propose un projet de loi d’exception ; il s’agit de créer un nouvel établissement public pour placer à sa tête une personnalité que le Président de la République a d’ores et déjà choisie.
La valeur de l’intéressé n’est pas en cause : nous reconnaissons tous son attachement au service public. C’est un grand commis de l’État. Mais la question n’est pas là !
Je suis saisi de quatre amendements faisant l’objet d’une discussion commune.
L’amendement n° 63, présenté par le Gouvernement, est ainsi libellé :
I. – Alinéa 1
1° Remplacer le chiffre :
par le chiffre :
2° Après les mots :
en France
insérer les mots :
, dans un autre État membre de l’Union européenne
et avant les mots :
État étranger
insérer le mot :
autre
3° Après le mot :
reversé
insérer les mots :
à l’État ou
II. – Alinéa 2, première phrase
Supprimer les mots :
aux fonds de concours
La parole est à M. le ministre.
Mesdames, messieurs les sénateurs, la signature d’une convention entre, d’une part, les donateurs et, de l’autre, les fondations ou le CMN doit bien rester une possibilité. Or, dans le texte de la commission, elle devient une obligation.
S’il faut que tous les donateurs signent une convention spécifique, le travail des fondations n’est pas près d’être simplifié ! Je vous invite à la prudence et je vous propose de revenir à la rédaction initiale.
L’amendement n° 12 rectifié, présenté par M. Assouline, Mmes S. Robert et Monier, MM. Éblé, Raynal, Kanner et Antiste, Mme Blondin, MM. Botrel et Carcenac, Mme Espagnac, M. Féraud, Mme Ghali, MM. Jeansannetas, P. Joly et Lalande, Mme Lepage, MM. Lozach, Lurel, Magner et Manable, Mmes Taillé-Polian, Conway-Mouret et de la Gontrie, MM. Sueur, Tissot, Fichet et les membres du groupe socialiste et républicain, est ainsi libellé :
Alinéa 1
1° Remplacer les mots :
, au titre de la souscription nationale
par les mots :
en vue de la réalisation des travaux mentionnés à l’article 2 de la présente loi
2° Remplacer les mots :
ou dans un État
par les mots :
, dans l’Union européenne ou dans un autre État
3° Remplacer les mots :
reversé à
par les mots :
affecté à la souscription nationale dans des conditions respectant l’intention des donateurs, par des conventions conclues entre lesdites fondations et
4° Compléter cet alinéa par une phrase ainsi rédigée :
Les fondations susmentionnées peuvent utiliser une partie du montant des dons et versements à l’aménagement des abords de la cathédrale.
La parole est à M. David Assouline.
Cet amendement tend à permettre qu’une partie des dons et versements effectués depuis le 15 avril dernier financent l’aménagement des abords de la cathédrale.
Ces travaux, qui concernent au premier chef le parvis de la cathédrale, sont primordiaux. En s’écroulant, la flèche a endommagé les abords du monument – 250 tonnes de plomb se sont effondrées, en plus de 500 tonnes de bois, et elles ne sont pas uniquement tombées dans le chœur de la cathédrale.
En outre, le chantier risque d’être long ; vraisemblablement, il ne sera pas achevé dans les cinq ans, comme beaucoup le souhaiteraient, et les visiteurs vont continuer à affluer durant cette période, curieux de voir l’état du monument et l’avancement du chantier, soucieux de se recueillir devant cette cathédrale martyre.
Il va falloir recevoir ces visiteurs dans les meilleures conditions de sécurité et d’accueil. De plus, il faudra sans doute organiser des offices. Il serait également opportun d’organiser des expositions sur l’état d’avancement du chantier, voire de présenter les collections d’art – trésors, tableaux et statues – qui ont échappé au sinistre.
En conséquence, il semble utile et sage de prévoir dès à présent un aménagement des abords du parvis, qui, en toute logique, doit lui aussi être financé par la générosité nationale. Ce projet s’inscrit dans la continuité de la restauration de Notre-Dame.
Les amendements que nous avions déposés en commission, afin que l’aménagement des abords soit financé par le produit de la souscription nationale, ont été déclarés irrecevables au titre de l’article 40 de la Constitution.
Avec le présent amendement, nous proposons une solution un peu plus complexe. Nous suggérons de donner aux fondations, avant reversement du produit des dons et versements à la souscription, la possibilité d’en attribuer une part à l’aménagement des abords, sous réserve du consentement des donateurs, bien entendu : il n’est pas question de les trahir. Techniquement, il s’agit pour le Parlement de la seule possibilité d’étendre le financement issu de la générosité publique à ces travaux complémentaires, absolument essentiels au projet de rénovation et de restauration de Notre-Dame.
Mes chers collègues – je m’adresse notamment aux sénateurs de Paris –, tout le monde veut que les abords puissent être aménagés pour accueillir le flot des touristes, y compris parce que le chantier va durer. Jusqu’à présent, rien n’est prévu pour financer ces travaux.
On part du principe que la Ville de Paris les prendra en charge, mais – j’y reviendrai – elle ne pourra pas agir seule.
L’amendement n° 6, présenté par Mme N. Goulet, est ainsi libellé :
Alinéa 2, première phrase
Après le mot :
reversement
insérer les mots :
des dons et versements effectués depuis le 15 avril 2019
La parole est à Mme Nathalie Goulet.
Pour que cet article soit parfaitement clair, il convient de préciser la rédaction de l’alinéa 2 en mentionnant les modalités de reversement « des dons et versements effectués depuis le 15 avril 2019 aux deux fonds de concours du budget de l’État créés à cet effet par le décret n° 2019-327 du 16 avril 2019 ». Tel est l’objet des amendements n° 6 et 7 rectifié.
L’amendement n° 7 rectifié, présenté par Mme N. Goulet, est ainsi libellé :
Alinéa 2, première phrase
1° Après les mots :
reversement aux
insérer le mot :
deux
2° Après le mot :
concours
insérer les mots :
du budget de l’État créés à cet effet par le décret n° 2019-327 du 16 avril 2019
Cet amendement a déjà été défendu.
Quel est l’avis de la commission ?
Avec l’amendement n° 63, le Gouvernement remet en cause les modifications apportées par la commission afin de lancer la souscription dès le 15 avril 2019 et, surtout, de mettre un terme à l’ambiguïté, qualifiée d’insupportable, entretenue par le projet de loi quant à la maîtrise d’ouvrage des travaux.
Monsieur le ministre, je comprends à la rigueur que vous ayez voulu laisser la question ouverte jusqu’à la lecture devant l’Assemblée nationale. Lors de votre venue devant la commission, nous espérions que vous lèveriez au moins ce doute, au profit d’un opérateur de l’État – nous pensions notamment à l’Oppic, comme MM. Ouzoulias et Leleux viennent de vous l’indiquer – ou d’un établissement public ad hoc. Mais votre audition a eu lieu et nous n’en avons pas su davantage.
Au terme de ses auditions, la commission a donc dû proposer ce qui lui semblait nécessaire dans le cadre d’un texte de loi, à savoir une solution claire. Celle que nous avons retenue est naturelle, car – on le sait très bien – le Président de la République souhaite la création d’un établissement public : on en connaît déjà le futur président ! C’est lui-même qui fait visiter la cathédrale Notre-Dame.
Il n’y a donc pas d’effet de surprise. Nous voulons simplement vous aider à lever ce suspense, …
Mme Catherine Morin-Desailly, présidente de la commission de la culture. Insoutenable !
Sourires.
Nouveaux sourires.
Voilà pourquoi – cela ne vous surprendra pas – j’émets un avis défavorable sur l’amendement n° 63.
Monsieur Assouline, je vous remercie d’avoir ouvert le débat relatif aux abords de la cathédrale : l’accueil du public est une question fondamentale.
Jusqu’à présent, nous étions dans une situation invraisemblable : avec plus de 13 millions de visiteurs par an, ce monument était le plus visité de toute l’Europe, et rien n’était conçu pour l’accueil extérieur du public, ne serait-ce que pour attendre les visites. À cet égard, il faut conclure un partenariat entre l’État, l’affectataire et la Ville de Paris.
Cela étant, comment délimiter les abords de Notre-Dame au regard de la règle des 500 mètres ? Faut-il prendre en compte le square Jean-XXIII et les quais de Seine ?
À mon sens, il s’agit avant tout du parvis, sous lequel un parking est aménagé. Les possibilités d’accueil sont d’autant plus nombreuses que, demain, l’Hôtel-Dieu pourrait se libérer : dès lors, il serait possible d’y accueillir les visiteurs, notamment les pèlerins et les touristes étrangers.
Monsieur le ministre, le Gouvernement devra indéniablement engager ce travail ; c’est ainsi que votre génération pourra imprimer sa marque, celle de l’après-15 avril.
En revanche, les dons perçus par les fondations sont bien fléchés pour la restauration du monument, point barre, c’est-à-dire le monument in situ. Voilà pourquoi j’émets un avis défavorable sur l’amendement n° 12 rectifié.
La commission est favorable à l’amendement rédactionnel n° 6.
Enfin, les fonds de concours ont certes été créés par un décret du 16 avril dernier, mais l’usage veut que la loi ne fasse pas référence à des dispositions d’ordre réglementaire. C’est la raison pour laquelle je propose le retrait de l’amendement n° 7 rectifié.
Je vous emprunte la formule ! Le général en question nous a, très gentiment d’ailleurs, fait visiter le chantier. Dans ses explications, il disait : « mon architecte ».
Au fond, la création d’un établissement public est peut-être la meilleure solution pour garantir la traçabilité des dons. Mais, dans la rédaction retenue en commission, les conventions ne sont pas imposées aux donateurs : elles sont obligatoires uniquement entre, d’une part, les fondations ou le CMN et, de l’autre, l’établissement public.
Bien sûr, on ne va pas demander à chaque donateur, ayant souscrit pour 100 euros, de signer une convention. Il s’agit d’une simple faculté pour les personnes morales ou physiques. Les grands donateurs ont d’ores et déjà annoncé qu’ils étaleraient leurs versements tout au long des chantiers : il est donc tout à fait logique qu’ils puissent conclure une convention. Mais, contrairement à ce que vous venez de dire, les donateurs, dans leur grande majorité, ne seront pas concernés.
Monsieur le rapporteur pour avis, j’entends bien ce que vous dites ; mais, dès lors que la possibilité sera ouverte pour toutes les personnes physiques et morales, les fondations systématiseront les conventions. Dès lors, on aboutira à une obligation ; à tout le moins, la rédaction retenue en commission inciterait les fondations à spécifier les volontés des donateurs.
Le texte issu de l’Assemblée nationale satisfaisait pourtant votre demande en donnant la possibilité à de grands donateurs de faire ce choix. C’est la raison pour laquelle, par prudence et afin de ne pas imposer un travail trop important aux fondations, je souhaite que nous revenions à cette rédaction.
Quant à l’établissement public, il n’est pas créé, sinon, peut-être, virtuellement, comme vous dites. Je vous ai indiqué en commission que la décision n’était absolument pas tranchée, je précise aujourd’hui, dans l’hémicycle, que nous avançons vers la création de cet établissement public.
L’Oppic et le Centre des monuments nationaux auraient pu assurer cette mission, mais nous nous dirigeons vers le choix d’un nouvel établissement public, parce que nous avons compris qu’il s’agissait d’un chantier exceptionnel, voire, pour certains – dont je ne suis pas –, du « chantier du siècle », susceptible donc de justifier la création d’un établissement public spécifique.
En outre, je fais le point avec mes équipes et je suis en mesure de vous dire que l’Oppic est déjà responsable de beaucoup de grands projets, notamment du site Richelieu de la Bibliothèque nationale de France ou de la restauration du Grand Palais, qui est un très gros chantier ; la création d’un établissement public spécifique dédié à la restauration de Notre-Dame de Paris ne constituerait pas une remise en cause de la qualité de son travail ni de celui du Centre des monuments nationaux, lequel est en charge, outre ses nombreuses missions, de la restauration du château de Villers-Cotterêts ; enfin, la tutelle du ministère de la culture n’est pas non plus en question, elle s’exercera sur cet établissement public dédié.
L’avis est donc défavorable sur tous ces amendements.
Monsieur le ministre, vous n’avez rien dit sur mon amendement, qui porte pourtant sur une question importante, alors que nous devions en débattre en séance. Il ne serait pas sérieux de détourner les yeux au motif que cela ne concernerait que le Parisien que je suis ! Quand la cathédrale était en flammes, savez-vous comment le personnel de la Ville de Paris était mobilisé ? Connaissez-vous le rôle important qu’il a joué dans le sauvetage des œuvres, immédiatement mises à l’abri dans l’Hôtel de Ville ? Je ne parle même pas des habitants du quartier, qui ne pouvaient pas rentrer chez eux. Cette situation, qu’il a fallu gérer, avait l’ampleur d’une catastrophe.
Aujourd’hui, cependant, on passerait sur le sujet sans même que le ministre réponde, alors que l’on fait une loi pour restaurer Notre-Dame qui ne prévoit rien pour les abords, un périmètre reconnu dans le code de l’urbanisme ? Concrètement, si l’on parle du patrimoine classé par l’Unesco, les abords comprennent le jardin Jean-XXIII jusqu’à la Seine et aux berges.
On pourrait y créer un musée extraordinaire, grâce au parking qui existe aujourd’hui, pour exposer les œuvres qui ont été retirées de la cathédrale en travaux ; on pourrait envisager des aménagements fabuleux pour recevoir le public, en prévision du moment où le monde entier va venir à Paris pour les jeux Olympiques. Il faudra bien, alors, accueillir et montrer ! Nous pourrions mettre en place un dispositif participatif avec les compagnons sur le parvis.
Vous nous dites : « on verra », mais nous ne pouvons pas nous en contenter. La ville va participer à cette mise en valeur, en partenariat avec le recteur de Notre-Dame et nous demandons, dans le présent débat, qu’il soit précisé que les fonds provenant de la générosité populaire, mais aussi de l’État, pourront être pris en compte à cette fin.
Je m’adresse à la conscience de chaque sénateur, ce sujet devrait tous nous interpeller. Ce n’est pas une question de position de groupe, de lieu d’habitation ou de mandat ; pour n’importe quelle autre ville, vous auriez la même réaction que moi. Ce n’est pas non plus une question politique, parce que l’on ne sait pas qui dirigera la ville demain, quel que soit mon souhait à ce sujet. Ce dossier sera entre les mains de quelqu’un qui devra le prendre en charge pour tous les Parisiens, conformément à l’intérêt national, la nécessité de restaurer le parvis. La volonté sera là, mais il faudra l’aider.
Sur le premier point, nous aurions effectivement apprécié que le texte ne laisse pas ouvert le choix ouvert entre l’État et un opérateur. Monsieur le ministre, vous avez indiqué que ce sujet n’était pas tranché, je vous suggère que le Parlement se charge de le faire, et donc vous demande de privilégier l’intervention d’un établissement public. N’y revenons plus.
Je suis très sensible à la plaidoirie de notre collègue David Assouline. Il a raison : le parvis de la cathédrale ne peut pas être considéré comme extérieur à ce qui s’est passé et il faudra intervenir pour l’aménager. Je comprends la position des parlementaires et des élus parisiens qui s’inquiètent de l’avenir.
Néanmoins, ce dossier devra être étudié ultérieurement, à mon sens, et nécessitera une aide. Si l’on parvient à mieux gérer l’affectation des dons, on pourrait envisager d’y consacrer une partie d’entre eux.
Je rappelle toutefois, après David Assouline, que l’expression « les abords » recouvre une notion juridique présente dans le code du patrimoine et dans le code de l’urbanisme avec une signification bien précise.
Ensuite, je vais peut-être vous choquer, mais les abords n’ont pas brûlé. Or nous parlons aujourd’hui du sinistre et de la restauration du monument historique qu’est Notre-Dame, même si je conviens qu’il faudra intervenir sur le parvis.
Enfin, il me semble que nous avons un peu de temps pour envisager cette question, en mobilisant des fonds publics voire des financements de donateurs, dans la mesure où cette intervention suivra les travaux sur le monument lui-même et ne commencera donc pas avant quatre ou cinq ans.
Je suis parlementaire depuis quatorze ans, mais je n’ai jamais vu un texte de loi qui laisse ainsi une alternative ouverte. Le rôle de la loi, selon moi, c’est d’affirmer les choses et de trancher. Elle doit s’exprimer clairement et les débats doivent la précéder.
C’est la raison pour laquelle, monsieur le ministre, nous avions cru comprendre que l’établissement public était sur le point d’être créé.
Il est sain que nous réfléchissions, comme nos collègues Jean-Pierre Leleux et Pierre Ouzoulias nous ont amenés à le faire, sur les raisons pour lesquelles l’Oppic ou le CMN ne sont pas choisis. Nous avons ainsi pu nous positionner, mais il vous revient de nous indiquer qui va finalement décider, même si cela semble être encore un peu flou.
Le fait que cette question ne soit pas tranchée ici nous prive de la possibilité d’amender un choix clair et donc d’aider à replacer le ministère de la culture au cœur du jeu, comme tutelle de ce fameux établissement public.
À mon sens, l’heure est venue de dire ce que nous voulons, car ce qu’attendent de nous nos concitoyens, c’est que nous nous exprimions clairement au travers de la loi.
Contrairement à notre collègue Jean-Pierre Leleux, il me semble que la question des abords et singulièrement du parvis, de son animation, de l’appropriation progressive des travaux de restauration du monument par la population parisienne et au-delà, ne peut attendre quatre, cinq ou six ans. Elle doit être abordée maintenant, car elle permettrait d’offrir une merveilleuse vitrine pour valoriser tous ceux qui vont contribuer à ce travail, à travers l’éducation artistique et culturelle. On pourrait, par exemple, créer un atelier permettant aux architectes et aux conservateurs de présenter leur savoir-faire. C’est une belle occasion pour accompagner ces années.
Monsieur le ministre, êtes-vous prêt à cofinancer, voire à financer, une partie de la valorisation des travaux de restauration de ce monument ? La mairie de Paris y contribuera, comme l’ont indiqué nos collègues parisiens, mais l’État doit aussi prendre ses responsabilités sur la question des abords.
Comme le rapporteur l’a souligné, M. David Assouline a soulevé un problème vaste et très particulier, qui nous occupera jusqu’à une heure tardive : les à-côtés de la restauration, les habitants, les commerces et le futur de ce quartier.
On ne peut pas envisager des travaux aussi importants, sans disposer d’une vision et d’un cheminement pour l’avenir de la zone. D’autres amendements seront discutés sur le sujet, et nous souhaiterions connaître la solution retenue, qui relève de la responsabilité de l’État. Je souhaite que le ministre ou le rapporteur nous explique jusqu’où celui-ci ira. Le chantier est vaste et il y a beaucoup d’incohérences.
Je voudrais en outre faire passer un message personnel : j’ai eu l’occasion, jeudi dernier, avec Mme Boulay-Espéronnier, de visiter les lieux du sinistre et de rencontrer l’architecte en chef. Celui-ci était ulcéré par les services de la Ville de Paris, parce qu’ils ne parvenaient pas à couler une simple dalle en béton pour assurer l’hygiène des ouvriers. Il est prêt à passer outre la loi.
Monsieur Assouline, je profite de cet instant d’émotion pour vous demander avec insistance, si vous avez de l’influence auprès de la mairie, de faciliter les choses. Les installations présentes ne sont conçues que pour une dizaine d’ouvriers alors qu’ils sont une centaine sur le chantier. L’architecte nous a suppliés de faire quelque chose et je vous prie donc de transmettre ce message personnel à Mme le maire de Paris.
Je ne souhaite pas prolonger les débats, mais je ne voudrais pas non plus que mon collègue David Assouline ait le sentiment que je suis absolument opposée à son amendement. Ce qui me dérange, c’est le terme « abords », même s’il figure dans le code de l’urbanisme.
Si l’on ne parlait que de l’esplanade, de l’Hôtel-Dieu, bref, de ce qui est vraiment autour de Notre-Dame, je souscrirais entièrement aux propos de Sylvie Robert. Ce sujet concerne d’ailleurs le Gouvernement, mais également l’AP-HP, l’Assistance publique-Hôpitaux de Paris, laquelle aura son mot à dire, notamment sur les 700 mètres carrés qui pourraient être mis à disposition du diocèse et du futur établissement public, s’il est créé.
Je ne mets pas en doute le code de l’urbanisme, mais votre formulation me semble trop vague : elle peut en effet désigner une zone allant jusqu’aux quais, on ne sait plus où cela s’arrêtera !
Ce débat est intéressant, mais il y a des centaines de sites en France qui rencontrent des problèmes d’aménagement à raison de leur fréquentation. Je peux vous donner beaucoup d’exemples en France d’hyperfréquentation de sites monumentaux patrimoniaux, naturels ou culturels. Un groupe de travail se réunit d’ailleurs régulièrement au Sénat pour essayer de réfléchir à cette question. Nous n’avons pas encore eu l’idée de demander un coup de main aux donateurs de la cathédrale de Paris !
Quand on entre dans ce système, il n’y a plus de limites. Peut-être exigera-t-on ensuite d’aménager une gare à proximité pour permettre aux touristes d’arriver dans de bonnes conditions ?
L’hyperfréquentation est un phénomène qu’il faut gérer par ailleurs, avec la région, avec le département, avec l’Europe, avec qui vous voulez, mais il n’y a pas de raison de le faire avec les donateurs, dont le geste a pour objet unique de restaurer la cathédrale. Si nous commençons à nous disperser sur le parvis, nous n’en aurons jamais fini. Selon moi, il faut aller vite, mais je crains maintenant que nous n’y soyons encore dans un paquet d’années !
Je voudrais vous remercier madame la présidente de la commission, parce que je sais que votre démarche est sincère.
Bien sûr, mais je réagis à son intervention.
S’agissant de votre volonté de remettre le ministère au centre du jeu, je vous rassure, c’est déjà le cas. Le ministre est ici, au banc, et c’est le ministère qui travaille, depuis le 15 avril au soir, à la sauvegarde et à la conservation de Notre-Dame de Paris ; c’est le ministère qui exercera sa tutelle sur l’établissement public si celui-ci était créé – il l’est déjà virtuellement, selon le rapporteur pour avis ! Je vous le dis, car je souhaite être transparent avec le Sénat, c’est plutôt l’hypothèse sur laquelle nous travaillons. Plus encore, si cet établissement était mis en place, le général Georgelin en serait le président.
Il n’y a donc pas de raison de nourrir des appréhensions quant au rôle du ministère de la culture.
Concernant l’amendement du groupe socialiste, je comprends bien la préoccupation dont il découle et j’y suis sensible, mais sa rédaction me paraît problématique, notamment en ce qu’il vise à permettre aux fondations de financer directement la restauration ou l’aménagement des abords. Il est préférable, selon moi, de laisser les acteurs de ces éventuels travaux d’aménagement les financer. Il faut donc analyser ce qu’il en est techniquement et, même si je partage votre préoccupation, retravailler cet amendement.
Je vous propose donc de le retirer ; à défaut, l’avis serait défavorable.
Mon cher collègue, vous êtes déjà intervenu pour une explication de vote, vous n’avez la parole que pour maintenir ou retirer votre amendement.
M. David Assouline se lève.
Mon cher collègue, c’est moi qui préside, nous sommes dans le processus de vote, vous aurez la parole ensuite pour votre rappel au règlement. Je vous demande de vous asseoir.
Je mets aux voix l’amendement n° 63.
L ’ amendement n ’ est pas adopté.
L ’ amendement n ’ est pas adopté.
L ’ amendement est adopté.
Je préside également et je ne souhaite pas entamer une confrontation avec un collègue vice-président.
Je demande simplement, pour la clarté des débats, que lorsque le choix a été fait de regrouper en séance certains amendements parce que leurs sujets sont proches – même si, précédemment, les amendements de M. Leleux n’avaient rien à voir avec les miens –, une fois que chacun s’est exprimé, que le rapporteur et le ministre ont donné leur avis, nous puissions expliquer notre vote sur chacun de ces amendements. C’est de votre ressort, monsieur le président, et c’est conforme à notre règlement. Je parle bien d’amendements en discussion commune et non d’amendements identiques.
Certes, si les amendements portent vraiment sur le même sujet, on peut passer outre pour aller plus vite, mais si un parlementaire demande de séparer ses explications de vote, comment le lui refuser ? J’aurais pu intervenir trois fois, car il y avait trois amendements en discussion commune, c’est mon droit, conformément au règlement.
Je ne veux pas le crier, je vous demande seulement de prendre en compte cette requête, que j’ai déjà faite durant la discussion du projet de loi relatif à la modernisation de la distribution de la presse : quand des sujets différents sont abordés durant une discussion commune d’amendements, pour la clarté des débats, mais aussi pour respecter le droit de chacun de défendre son amendement, ouvrez les possibilités d’expliquer son vote !
Je vous demande cela pour la suite du débat, même si je suis fort marri de ce qui vient de se passer, parce que, à mon sens, j’aurais dû pouvoir répondre au ministre à propos d’un sujet important sur lequel nous ne reviendrons pas, au moins pour lui dire si je retirais ou non cet amendement et à quelles conditions. Cela aurait fait avancer les débats pour tout le monde.
Acte vous est donné de votre rappel au règlement, mon cher collègue.
Nous n’avons pas la même interprétation du règlement ni la même façon de présider. Vous avez la vôtre, j’ai la mienne.
Vous avez présenté votre amendement, je vous ai donné la parole pour une explication de vote sur votre amendement et non sur celui du Gouvernement ni sur un des deux autres. Vous avez ensuite demandé de nouveau la parole. Or vous avez droit à une seule explication de vote et vous l’aviez déjà faite.
Quand des amendements sont mis en discussion commune, c’est pour faire avancer la discussion. Si chacun a droit à une explication de vote sur chaque amendement, cela devient inutile et il faut cesser de faire des discussions communes !
J’aurais été d’accord avec vous s’il y avait eu quinze amendements en discussion commune portant sur des sujets différents, mais dans la situation présente, votre interprétation ne me semble pas être la bonne.
Mes chers collègues, nous allons maintenant interrompre nos travaux ; nous les reprendrons à vingt et une heures cinquante.
La séance est suspendue.
La séance, suspendue à vingt heures vingt, est reprise à vingt-et-une heures cinquante, sous la présidence de M. Jean-Marc Gabouty.