Intervention de Catherine Morin-Desailly

Réunion du 27 mai 2019 à 16h00
Conservation et restauration de la cathédrale notre-dame de paris — Adoption en procédure accélérée d'un projet de loi dans le texte de la commission modifié

Photo de Catherine Morin-DesaillyCatherine Morin-Desailly :

Je constate que, grâce à la générosité de très nombreux donateurs, nous aurons la chance de disposer de fonds considérables, qui permettront d’avancer vite. Mais s’il est important, l’argent ne fait pas tout. Il faut en effet effectuer un énorme travail de déblaiement, de dépollution, de sécurisation et de diagnostic, auquel se sont déjà attelées les équipes.

À cet égard, il faudrait méditer cette phrase de l’auteur de Notre-Dame de Paris, Victor Hugo, « Le temps est l’architecte et le peuple est maçon », pour comprendre que nous ne sommes, artisans comme décideurs, qu’un des petits maillons de la chaîne de l’histoire de la construction et de la restauration des cathédrales. Il en va ainsi depuis le Moyen Âge !

J’insiste, monsieur le ministre, car on ne peut ignorer ce qui constitue le socle de notre système de protection du patrimoine.

Difficile au Sénat de ne pas penser au rôle joué au XIXe siècle par Prosper Mérimée, celui-là même qui confia le chantier de Notre-Dame de Paris en 1843 à Viollet-le-Duc lorsqu’il occupait les fonctions d’inspecteur général des monuments historiques. Son action trouva son aboutissement en 1913 avec la loi sur les monuments historiques, dont de nombreuses dispositions sont encore aujourd’hui en vigueur et ont été modernisées et approfondies, il y a trois ans, dans le cadre de la loi relative à la liberté de la création, à l’architecture et au patrimoine. Je rappelle que Prosper Mérimée a été sénateur…

Cet héritage a déjà été mis à mal l’an passé par la loi portant évolution du logement, de l’aménagement et du numérique, la loi ÉLAN. Un coup fatal pourrait lui être porté si les dérogations qui figuraient à l’article 9 venaient à être rétablies. Des dérogations, il y en a eu, justifiées par la situation d’« urgence impérieuse ». La loi les permet, mais elles ne sont pas censées perdurer.

Comment garantir ensuite le respect de ces règles par les autres propriétaires de monuments historiques si celui qui les édicte, l’État, s’en affranchit pour mener l’un des chantiers les plus emblématiques de France ? Comment comprendre, s’agissant de l’application du code des marchés publics, qu’il puisse y avoir deux poids deux mesures ?

Oui, ce chantier doit être exemplaire, par respect pour toutes celles et tous ceux qui ont partagé une même et profonde émotion, pour les donateurs aussi, petits et grands, qui ont répondu massivement à l’appel de la souscription.

Je veux rappeler que Notre-Dame a constitué un élément déterminant pour justifier l’inscription, en 1991, du site « Paris, rives de la Seine » au patrimoine mondial de l’Unesco. Il est très étonnant que ce classement n’ait pas été pris en compte dans le projet de loi, sans doute par précipitation. Je remercie donc le rapporteur d’avoir corrigé cet oubli et rappelé ses implications.

Notre législation, particulièrement complète et protectrice, a été jusqu’ici mise en avant par les autorités auprès de l’Unesco afin de garantir que la valeur universelle exceptionnelle de « Rives de la Seine » serait correctement protégée. Suspendre l’application d’un certain nombre de dispositions pourrait constituer une menace pour le maintien de l’inscription de ce bien.

Le chantier nécessite de l’humilité, de l’expertise et de la méthode. Il est important de laisser aux spécialistes, aux architectes, aux ingénieurs, aux artisans du bâtiment le temps de poser un diagnostic, pour savoir ce qui pourra réellement être fait.

Personnellement, je crois que, globalement, les Français veulent retrouver leur cathédrale, la silhouette familière de sa flèche dans le ciel de Paris. S’il n’appartient pas au législateur de définir les choix architecturaux ou techniques, il lui revient de rappeler les obligations d’en préserver l’« authenticité » et l’« intégrité » : tels sont les termes figurant dans les textes en vigueur. Cela signifie aussi qu’il faut prendre en compte l’inscription de Notre-Dame dans un paysage urbain préexistant, défini, qui inclut un certain nombre d’édifices à remettre en perspective, dont la Sainte-Chapelle.

Je veux insister sur le rôle essentiel et pivot de l’architecte en chef du monument, Philippe Villeneuve, et de son équipe, sous l’égide duquel toute décision devra être prise. La Commission nationale du patrimoine et de l’architecture, présidée par notre excellent collègue Jean-Pierre Leleux, doit par ailleurs être étroitement associée à ce chantier, du début à la fin.

Enfin, nous pensons que le chantier doit aussi être une occasion de valoriser les métiers du patrimoine, dont plusieurs sont menacés, faute de vocations, même s’il n’y a pas aujourd’hui de risque de pénurie sur le chantier.

Le chantier durera le temps qu’il doit durer. La partie dédiée au culte pourrait être rouverte dans cinq ans, peut-être même à la visite, nous dit-on. Les travaux qui se poursuivront devront être l’occasion de renouer avec cette grande tradition qui permettait jadis aux maîtres d’œuvre et à l’ensemble des métiers de montrer leurs savoir-faire au public. Ces métiers ont de l’avenir, à condition que l’on veille précisément à ce que les délais de réalisation du chantier ne viennent pas déstabiliser une filière dont le rôle pour l’économie de nos territoires ne doit pas être négligé.

Ce secteur est constitué de petites entreprises qui se trouveraient, de fait, écartées si des dérogations permettaient de recourir à des marchés globaux au lieu d’allotir le chantier. Il faut aussi articuler le chantier de Notre-Dame avec les autres chantiers de restauration, en cours ou planifiés sur le territoire de l’Hexagone, pour ne pas priver ces derniers de la main-d’œuvre nécessaire.

Mes chers collègues, le drame de l’incendie de Notre-Dame peut donc être transformé en une véritable opportunité. Il peut être le laboratoire d’une restauration exemplaire, fondée sur l’excellence française, qui sera observée dans le monde entier.

Je n’ai pu aborder, hélas ! au nom du groupe Union Centriste, tous les aspects de ce texte, mais nous faisons confiance aux deux rapporteurs. Qu’ils soient sincèrement et chaleureusement remerciés, car les délais qu’ils ont eus pour travailler étaient complètement fous.

De la même manière, je salue l’ensemble de mes collègues de la commission de la culture, de l’éducation et de la communication, qui, en dépit des délais impartis, se sont considérablement impliqués, de jour comme de nuit, ces sept dernières semaines.

Oui, monsieur le ministre, ce texte a été préparé non dans l’urgence, mais dans la précipitation. Nous avons senti que, à l’Assemblée nationale comme ici, au Sénat, le Parlement était en réalité quelque peu écarté de la grande réflexion nécessaire à tous.

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