Intervention de Bruno Retailleau

Réunion du 27 mai 2019 à 16h00
Conservation et restauration de la cathédrale notre-dame de paris — Adoption en procédure accélérée d'un projet de loi dans le texte de la commission modifié

Photo de Bruno RetailleauBruno Retailleau :

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous sortons d’une séquence électorale qui a mis en lumière nos différences. Mais s’il est des moments dans notre vie commune qui peuvent nous opposer, il en est d’autres qui nous rassemblent parce qu’ils transcendent nos désaccords, et l’incendie dramatique de Notre-Dame de Paris a été évidemment de ceux-là.

Ce soir-là, le feu a éteint pour un temps nos querelles, et tous nous étions derrière ceux qui s’élançaient au cœur du brasier, ces pompiers au courage exemplaire. Ce soir-là, les fumées s’échappant de Notre-Dame ont pour un instant recouvert les clivages et rallié les regards de tous ces Français reliés dans une même émotion et rassemblés comme une seule nation.

Ce soir-là sous les flammes, mes chers collègues, a percé notre âme, celle d’un peuple qui, malgré ses fractures, ses blessures, a montré qu’il pouvait encore vivre du même esprit, celui de l’unité, aimer du même cœur, un cœur souffrant tant les maux qui divisent la France font souffrir les Français, mais un cœur toujours battant pour ce qui nous rassemble.

Et d’un mal peut sortir un bien. Ce soir-là, du malheur a surgi, comme un bonheur, notre bien le plus précieux, le plus fragile aussi : l’unité nationale, cette grande œuvre française, qui toujours est à recommencer. Il y a là comme un signe réconfortant.

Malheureusement, je crains que ce signe ne soit obscurci par le signal que vous envoyez avec certaines dispositions de ce projet de loi, un projet qui me semble à contretemps, car Notre-Dame de Paris est d’abord l’œuvre du temps. Il a fallu des siècles pour écrire « ce livre d’histoire de France » dont parle Jules Michelet, des siècles de patience pour conjuguer ses formes, du chœur jusqu’aux portails, des siècles de persévérance pour ciseler cette synthèse de roses, de stalles et de chimères.

Or à la patience vous substituez l’urgence, qui justifierait de s’exonérer de toutes les règles urbanistiques, patrimoniales du code des marchés publics ; et à la persévérance vous substituez la performance : reconstruire Notre-Dame en cinq ans !

Alors, y a-t-il urgence ? Oui, il y a une urgence à sécuriser, à consolider, à protéger, en liaison étroite avec les acteurs culturels, mais aussi, comme vient de le dire Pierre Ouzoulias, cultuels, sans toucher aux lois de 1905 et de 1907, car si Notre-Dame de Paris est bien plus qu’une cathédrale, elle est d’abord une cathédrale.

Et même s’il faut d’urgence protéger l’édifice, il n’y a rien qui justifie de restaurer dans l’urgence, à la va-vite. Faudrait-il bâcler le chantier pour boucler un calendrier ? Choisir le béton plutôt que le chêne pour une charpente qu’après tout le flot de touristes n’apercevra même pas ? Faudrait-il restaurer ce haut lieu de notre identité comme on construit ces non-lieux de notre surmodernité : au plus simple, au plus vite parce que le présent n’attend pas, exige son dû, et peu importe le don du passé ?

Non, Notre-Dame mérite plus, Notre-Dame mérite mieux ! Elle mérite plus que ce « présentisme » dans lequel vous vous enfermez. Elle mérite mieux que ce « bougisme » auquel, une fois de plus, vous cédez.

Car cette urgence, c’est vous qui l’avez créée, comme l’a d’ailleurs souligné avec intelligence Jean-Louis Bourlanges, qui appartient à votre propre majorité. En la créant, vous prenez le risque de décrédibiliser l’État qui, avec l’article 9 de ce projet de loi, s’exonère des règles qu’il exige de tous, des maires qui veulent restaurer leur patrimoine protégé, de n’importe quel citoyen dont l’habitation est située dans un périmètre protégé et qui ne peut pas choisir la couleur de ses volets. À ceux-là, vous dites ceci : « les règles, c’est pour vous ; l’exception, c’est pour nous. »

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