Intervention de Sylvie Robert

Réunion du 27 mai 2019 à 16h00
Conservation et restauration de la cathédrale notre-dame de paris — Adoption en procédure accélérée d'un projet de loi dans le texte de la commission modifié

Photo de Sylvie RobertSylvie Robert :

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, oui, Notre-Dame est exceptionnelle, mais elle ne doit pas faite l’objet d’une loi d’exception. L’incendie n’a pas uniquement ravivé notre émotion, il a aussi réveillé notre conscience collective sur la place éminente du monument dans notre histoire et dans notre présent. Notre-Dame nous était familière, tellement familière que nous avions fini par oublier qu’elle était vulnérable. Parce qu’elle est là depuis des siècles, ayant franchi des époques parfois tumultueuses, nous étions enfermés dans la certitude de son immobilité, comme le dit l’historien Yann Potin. En bref, le temps passe, mais Notre-Dame reste.

C’est pourquoi, le 15 avril dernier, nous avons tous été abasourdis : nous avons redécouvert que Notre-Dame était fragile. Les élans d’affection spontanés, mêlés d’une profonde inquiétude sur la survivance de l’édifice, ont soudainement mis en lumière l’attachement viscéral des Français, mais également du monde entier, à cette cathédrale qui, depuis fort longtemps, était devenue bien plus que cela. Partie intégrante du site « Paris, rives de la Seine », inscrit au patrimoine mondial, Notre-Dame est une évidence : elle est un bien commun, pas seulement national, mais de l’humanité tout entière.

À l’heure de sa restauration, cette vérité nous oblige. En tant que législateurs, le cadre et les lignes directrices que nous allons fixer conditionneront en partie la fluidité et la réussite du projet. C’est donc une réelle responsabilité qui nous incombe, responsabilité dont nous allons débattre aujourd’hui, mais qui a en réalité une portée internationale.

Au-delà du financement du projet, le premier facteur décisif se situe au niveau de la gouvernance du futur établissement qui conduira et coordonnera les opérations de restauration. Sur ce point, nous ne pouvons que saluer le travail du rapporteur et les avancées obtenues dès le stade de la commission, puisqu’il est désormais précisé qu’il s’agira d’un établissement public à caractère administratif – EPA – de l’État placé sous la tutelle du ministère chargé de la culture.

Pour notre part, nous souhaiterions encore affiner et clarifier ce schéma, en inscrivant un principe simple dans la loi : la séparation entre la maîtrise d’ouvrage et la maîtrise d’œuvre. Si l’EPA a la charge de la maîtrise d’ouvrage, les opérations de maîtrise d’œuvre doivent bien sûr être conduites sous la direction d’un architecte en chef des monuments historiques.

Ce qui est en jeu autour de ces considérations d’apparence technique, c’est bien la qualité de la restauration de Notre-Dame. Or qui mieux que les services du patrimoine du ministère de la culture, reconnus pour leur expérience et leur expertise, sont-ils à même d’assurer cette qualité ? Architectes, inspecteurs, conservateurs, tous sont qualifiés, compétents et ont fait leurs preuves pour réussir un tel chantier ; faisons-leur confiance !

En revanche, ils ne peuvent pas tout, et ils ne peuvent pas aller à l’encontre des règles qui auront été définies par la loi. C’est pour cette raison qu’en préambule de mon intervention j’ai clairement exprimé mon opposition à une loi d’exception. Le message de la commission a été limpide, monsieur le ministre : nous vous soutenons pleinement, mais nous ne voulons aucunement d’une loi ÉLAN bis.

Ainsi, nous ne voulons pas entendre parler de dérogations aux codes du patrimoine, de l’environnement, de l’urbanisme, de la commande publique. Nous ne voulons pas rebâtir « plus vite » Notre-Dame ; nous voulons « bien » la rebâtir.

Elle mérite une restauration exemplaire, dans la transparence la plus totale, qui s’oppose radicalement à la logique de « dénormer » par ordonnances, et selon les règles de protection patrimoniale de droit commun saluées unanimement à travers le monde entier pour leur efficacité. Cet esprit soucieux du patrimoine, ce respect à l’égard de la pierre et du monument doivent être d’autant plus confirmés et affutés qu’il est question justement de Notre-Dame. Y déroger, c’est affaiblir considérablement et durablement la tradition de préservation patrimoniale de notre pays.

Enfin, Notre-Dame n’est pas un lieu détaché ; elle est au cœur de la Cité, au kilomètre zéro de notre mémoire commune. Si beaucoup d’entre nous ont été affectés par l’incendie, c’est précisément parce que nous sommes nombreux à nous être approprié cette « dame aux multiples visages ». En un sens, l’histoire de Notre-Dame est une histoire d’appropriation perpétuelle et de symbolisme politique récurrent.

Je crois qu’il est important que ce processus d’appropriation perdure pendant les travaux de restauration, autrement dit que Notre-Dame demeure ouverte sur la ville et sur le monde, notamment via l’aménagement des abords, qui permettra d’organiser des ateliers, d’expliquer le chantier et, par conséquent, d’accueillir le public. D’ailleurs, cette période est de nature à valoriser, et peut-être même à redécouvrir, tous ces métiers du patrimoine qui travaillent les matériaux d’une main d’orfèvre.

Pour conclure, je citerai Victor Hugo : « Tout d’un coup, il se souvint que des maçons avaient travaillé tout le jour à réparer le mur, la charpente et la toiture de la tour méridionale. Ce fut un trait de lumière. » Monsieur le ministre, mes chers collègues, afin que ce « trait de lumière » redevienne éblouissant, prenons le temps qu’il faut. Le temps de Notre-Dame n’est pas le nôtre, et nul ne peut être plus grand ni plus rapide qu’une cathédrale !

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