Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, dans la nuit du 15 au 16 avril dernier, l’incendie de Notre-Dame de Paris a submergé nos cœurs d’une émotion collective simultanée, dans une communion – osons le dire – jamais constatée dans l’histoire.
Dans les minutes qui ont suivi, un extraordinaire élan de générosité se manifestait et les dons affluaient des quatre coins du monde. Cette « brûlure à l’âme » révélait – ou réveillait – cette perception intime de notre conscience profonde que Notre-Dame de Paris représentait plus qu’un monument historique traditionnel, mais aussi le symbole de notre civilisation européenne quelque peu enfoui au fond de nos mémoires.
Il était légitime que le Président de la République, partageant cette émotion populaire unanime, s’exprimât rapidement. C’est – et l’on peut le comprendre – sous l’effet d’une forte émotion qu’il affirma : « Nous rebâtirons Notre-Dame, dans un délai de cinq ans, plus belle encore. »
Il n’en fallut pas plus pour que l’émotion, jusqu’alors consensuelle, se transformât en une polémique clivante sur les délais annoncés, le parti architectural qui allait présider à cette restauration, les risques d’un concours international pour reconstruire la flèche de Viollet-le-Duc, l’idée d’un « geste architectural contemporain », les matériaux qui seraient utilisés, etc.
Le Sénat, vous le savez, monsieur le ministre, a toujours manifesté une grande vigilance sur les sujets patrimoniaux, à la recherche d’un consensus sur toutes les travées, estimant que l’héritage commun que nous avons entre les mains devait échapper aux combats politiciens et partisans, le patrimoine légué par les générations qui nous ont précédés méritant respect, sérénité et humilité.
C’est, une fois encore, ce que nous avons fait, attentifs au débat public, en nous référant à l’histoire exceptionnelle et universelle de ce vénérable monument et en le resituant dans son contexte paysager au cœur de Paris, celui-là même qui avait conduit à la reconnaissance du site « Paris, rives de la Seine » au patrimoine mondial de l’Unesco.
Il en est résulté un vote quasi unanime de la commission de la culture, après le remarquable travail effectué par le rapporteur Alain Schmitz, la présidente Catherine Morin-Desailly et l’ensemble de ses membres, travail auquel je veux associer également la commission des finances, en la personne de son rapporteur pour avis, Albéric de Montgolfier, et de son président Vincent Éblé.
Je souscris en tout point à l’exposé que vient de faire M. le rapporteur dans cette discussion générale.
Je souhaite simplement insister sur trois éléments d’appréciation, plus personnels peut-être, qui marquent de façon plus volontariste encore mon souhait de voir restituer le monument de Notre-Dame dans un état le plus proche possible de celui dans lequel il était la veille du sinistre.
Le premier point concerne la reconstruction dite « à l’identique ». Je mesure l’ambiguïté de cette expression, mais je souhaite, à l’instar d’une majorité d’historiens et de spécialistes du patrimoine, qu’elle soit respectée autant que possible.
C’est la raison pour laquelle je demande, non seulement une « restitution visuelle », expression qui figure actuellement dans le texte, mais également une restitution respectueuse de l’état architectural antérieur au sinistre, y compris dans les matériaux utilisés.
Nous avons une opportunité extraordinaire de valoriser les compétences et les savoir-faire exceptionnels de nos experts et artisans du patrimoine, une occasion unique d’organiser une opération d’envergure européenne qui permettra de transmettre ces savoir-faire, dans l’esprit du compagnonnage, et, ce faisant, de revaloriser le travail manuel noble, pour lequel nous commençons à manquer de vocations.
Puis-je vous rappeler, monsieur le ministre, que vous avez déposé, au nom de la France, à l’Unesco, il y a tout juste deux mois, aux côtés de l’Allemagne, de l’Autriche, de la Norvège et de la Suisse, une candidature au patrimoine culturel immatériel de l’humanité portant sur « les techniques artisanales et les pratiques coutumières des ateliers des cathédrales en Europe » ?
Quant aux matériaux, il appartiendra au maître d’ouvrage de nous prouver que l’usage du bois, des pierres et même du plomb est incompatible avec les nécessités contemporaines.
Nous disposons de l’ensemble des documents d’archives détaillant très précisément la disposition et l’agencement de tous les éléments constitutifs du monument à la date du sinistre.
Le deuxième point concerne l’opérateur qui sera maître d’ouvrage délégué. Je ne comprends pas qu’il soit nécessaire de créer un opérateur dédié à la restitution de Notre-Dame. Cet opérateur existe déjà : il s’agit de l’Opérateur du patrimoine et des projets immobiliers de la culture, l’Oppic, dont c’est précisément la mission. Ce dernier a opéré et opère encore sur d’importants chantiers touchant des monuments historiques majeurs, chantiers dans lesquels il a su démontrer son expérience et sa compétence.
Et je ne vois pas pourquoi, au moment même où le Premier ministre demande que des opérateurs de l’État soient supprimés, nous en créerions un nouveau alors que nous avons ce qu’il faut.
Le troisième point concerne bien entendu l’article 9, qui prévoit de déroger par ordonnances aux règles de droit commun en matière d’urbanisme, d’environnement, de commande publique et de préservation du patrimoine.
J’ai tremblé, monsieur le ministre, quand j’ai entendu Mme Sibeth Ndiaye, porte-parole du Gouvernement, déclarer juste après la conférence de presse du Président de la République, que le but était « d’accélérer les travaux » !
Vous comprendrez, monsieur le ministre, combien ce type de déclarations, quand il s’agit de notre patrimoine, qui plus est de Notre-Dame de Paris, peut soulever de légitimes inquiétudes.
Convaincu que ces règles, notamment dans le domaine de la protection du patrimoine, ne sont nullement un frein à l’exécution des travaux, que tout l’arsenal réglementaire existe déjà dans nos textes, y compris la possibilité de raccourcir les délais, je me réjouis de la suppression de cet article 9 par la commission de la culture, sur proposition de notre collègue rapporteur Alain Schmitz.
Je reviendrai sur ces points lors de l’examen des articles, mais je pense très sincèrement que cette thèse est celle qui permettra de satisfaire le mieux le vœu du Président de la République de voir le chantier achevé dans un délai de cinq ans.
En conclusion, je pense comme vous, monsieur le ministre, qu’il sera nécessaire de consulter régulièrement la Commission nationale du patrimoine et de l’architecture, pendant la phase de projets comme durant l’exécution du « chantier du siècle ».