Intervention de Jean-Claude Peyronnet

Réunion du 8 septembre 2010 à 14h30
Orientation et programmation pour la performance de la sécurité intérieure — Question préalable

Photo de Jean-Claude PeyronnetJean-Claude Peyronnet :

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je suis chargé de vous démontrer qu’il n’y a pas lieu de discuter de ce texte. Cela peut paraître paradoxal puisque notre groupe fait partie de ceux qui ont souhaité une loi de programmation et surtout d’orientation de la sécurité. Mais ce projet de loi ne répond pas à nos attentes.

Le texte que vous nous soumettez, véritable fourre-tout juridique, est en fait une loi portant diverses dispositions d’ordre sécuritaire, la dix-septième en huit ans ! Je maintiens ce chiffre, monsieur le ministre, malgré vos propos d’hier soir. Il me semble qu’il pourrait même atteindre la trentaine si l’on considère toutes les dispositions diverses d’ordre sécuritaire qui se trouvent elles-mêmes dans diverses lois dont l’objet n’est pas exclusivement sécuritaire…

Ce projet de loi donc ne livre aucune vue d’ensemble, ne définit aucun objectif clair. En fait, tout votre discours repose sur l’idée erronée selon laquelle la délinquance a baissé depuis 2002 et qu’il serait bon de continuer sur la voie tracée par le Président de la République lorsqu’il était ministre de l’intérieur.

Or il se trouve que cette orientation a conduit au désastre que l’on sait et dont tout le monde a conscience, sauf vous, monsieur le ministre, qui pratiquez la politique de gribouille pour complaire à votre inspirateur, le Président de la République.

Cette loi n’est pas une loi d’orientation ; je vais le démontrer. Elle ne propose rien de nouveau, si ce n’est de poursuivre les objectifs, les méthodes et les solutions qui ont échoué depuis huit ans et qui ont provoqué notre régression.

Cette méthode, on commence à bien la connaître dans les banlieues : cantonner les trafics, contenir la délinquance qui les accompagne dans un périmètre localisé, isolé du reste de la population par un cordon de forces de sécurité qui ne pratiquent que des patrouilles sporadiques et des opérations coup-de-poing, si possible à grand spectacle. De telles opérations sont évidemment vouées à l’échec puisqu’elles ne sont pas fondées sur une réelle connaissance de la population et ne visent que quelques personnes repérées le plus souvent après dénonciation et non grâce à un travail approfondi et quotidien de renseignement.

Pour démontrer l’efficacité de ces opérations, il peut arriver que vous invitiez la presse. J’ai pu ainsi voir cet été une rediffusion télévisée d’une opération de ce type menée dans le quartier des Tarterêts : six ou huit policiers – je ne sais plus – répartis en deux groupes de part et d’autre de la rue, se couvrant mutuellement, avançaient l’œil aux aguets vers les fenêtres des immeubles, armés jusqu’aux dents, casqués et bottés ! On se serait cru devant une scène de guérilla urbaine en Irak ou en Afghanistan ! Voilà la guerre que vous menez contre la délinquance !

Mais qu’espérez-vous avec une telle mise en scène, sinon, comme en Irak, comme en Afghanistan, le rejet des forces de l’ordre par une population apeurée qui comprend que tous les habitants de ce quartier sont mis dans le même panier ?

C’est cette même méthode que vous avez pratiquée à Grenoble. Très vite après les événements que l’on sait, à grand tapage, vous avez arrêté une dizaine de personnes. Toutes ont été relâchées, sauf une, à l’égard de laquelle le procureur de la République lui-même a déclaré qu’il ne possédait pas de charges indiscutables. Beau succès !

En réalité, vous gesticulez ! Vous faites croire que vous agissez pour que les habitants des quartiers calmes, dont vous espérez les suffrages, se croient protégés et dorment tranquilles. Simple gesticulation, je vous dis ! Débauche incroyable d’énergie pour un résultat assurément nul, voire contre-productif !

Lors d’une précédente législature, en 1995, la loi dite « Pasqua » fixait des objectifs, précisait le dimensionnement des services et la répartition des forces sur le terrain. Vous-même, monsieur le ministre, en 2002, aviez des objectifs. Je vais en faire le rappel, même si ce dernier sera douloureux pour vous puisque vous ne les avez pas atteints !

Le premier d’entre eux, qui était bon, visait l’éradication des zones de non-droit. Le deuxième, excellent, tendait à lutter contre les violences faites aux personnes, mais, en l’espèce, votre échec est patent. Le troisième était la « lutte contre la délinquance des mineurs » alors que vous nous rappelez sans cesse que les délinquants sont de plus en plus jeunes. Votre quatrième et dernier objectif visait la « consolidation de la police de proximité en renforçant ses capacités judiciaires », alors qu’en fait cette police de proximité vous l’avez supprimée !

Votre échec est donc cuisant, mais vous affichiez tout de même des objectifs.

Or rien de tel ne figure dans le présent projet de loi. Il faut aller chercher dans les annexes les quelques embryons de perspectives.

Autrement dit, ce texte n’a aucune valeur normative. C’est un coup d’épée dans l’eau. Une fois de plus, vous en restez à l’affichage : pas de priorités claires ; le projet de loi comporte de simples affirmations volontaristes, purement déclamatoires ; il n’apporte rien ou presque sur l’organisation et la répartition des forces de sécurité, rien sur les déploiements entre police et gendarmerie, rien sur la politique menée en direction des banlieues, sur la façon dont elle pourrait s’harmoniser avec la politique de la ville, rien sur les zones périphériques des villes, vers lesquelles la délinquance se déplace et qui sont gravement dépourvues de forces de gendarmerie.

Pour asseoir cette poursuite de l’action entreprise depuis huit ans, vous ne vous basez que sur les statistiques et, lorsque celles-ci ne sont pas assez démonstratives, vous les manipulez !

Monsieur le ministre, je veux revenir sur les propos que vous avez tenus cette nuit. Je tiens tout d’abord à vous féliciter sur la forme car vous avez longuement et courtoisement répondu aux différents orateurs dans la discussion générale. En cela votre attitude fut fort appréciable.

En revanche, le fond de votre intervention est plus discutable. Vous avez eu recours aux statistiques, mais vos choix sont partiaux : stigmatisation systématique de l’action de la gauche, en particulier du gouvernement Jospin.

Pour votre démonstration, vous avez utilisé les critères de délinquance générale, qualifiée de « globale » en un certain temps, mais passons… Or mêler les homicides et les vols d’oranges sur un étal n’a aucun sens, sinon de constater des actes de délinquance !

Par ailleurs, vous vous êtes félicité de la progression du taux d’élucidations, mais cette remarque est toute relative. Encore faut-il savoir de quoi il est réellement question : lors de l’arrestation d’un fumeur de joint, constat et élucidation sont concomitants. Si cette personne avoue avoir fumé également un joint la veille et trois jours auparavant, il y aura trois élucidations pour un seul fait constaté. C’est pourquoi, dans les statistiques, le nombre d’élucidations peut être supérieur au nombre de faits constatés…

Par ailleurs, vous vous félicitez d’une baisse de 1, 04 % de la délinquance au cours de l’année 2009. Mais, dans le même temps, les délits enregistrés en simple main courante ont augmenté de 10 %. Cela signifie, à l’évidence, que la délinquance a non pas diminué mais augmenté !

Monsieur le ministre, pouvez-vous en tout cas nous assurer que ce n’est pas sur instruction de leur hiérarchie que les services chargés d’enregistrer les délits orientent les plaignants plutôt vers la main courante que vers le procès-verbal de plainte ?

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