Intervention de Dominique Estrosi Sassone

Commission des affaires économiques — Réunion du 29 mai 2019 à 9h30
Proposition de loi visant à améliorer la lutte contre l'habitat insalubre ou dangereux — Examen du rapport et du texte de la commission

Photo de Dominique Estrosi SassoneDominique Estrosi Sassone, rapporteur :

Nous examinons ce matin la proposition de loi visant à améliorer la lutte et la prévention contre l'habitat insalubre ou dangereux de notre collègue Bruno Gilles, sénateur des Bouches-du-Rhône, déposée après le drame de la rue d'Aubagne survenu à Marseille en novembre dernier. Nous avons déjà examiné cette proposition de loi en mars. Vous avez accepté de prendre un peu plus de temps pour approfondir notre réflexion sur les dispositifs proposés dans la proposition de loi. Vous m'avez missionnée pour examiner d'autres dispositifs de prévention et de simplification des procédures en matière d'habitat indigne.

J'ai procédé à de nombreuses auditions complémentaires et effectué plusieurs visites sur le terrain. Nous sommes ainsi allées avec la présidente Sophie Primas, le 28 février, en Seine-Saint-Denis à Montfermeil et à Aubervilliers avec Fabien Gay et Philippe Dallier ; le 1er mars à Marseille avec Anne-Marie Bertrand, Cécile Cukierman et Bruno Gilles ; du 9 au 13 mai en Guadeloupe et en Martinique avec Catherine Conconne ; puis le 20 mai dans la Somme à Ham et à Amiens avec Daniel Dubois. Je remercie la présidente qui a accepté de mobiliser des moyens importants pour que nous puissions effectuer des visites de terrain extrêmement instructives ainsi que les collègues qui nous ont accueillies sur leurs territoires.

À Marseille, un peu moins de sept mois après le drame de la rue d'Aubagne, 1 250 personnes ont été relogées. Il reste 223 ménages à reloger, soit un peu moins de 500 personnes.

Je tiens à souligner l'engagement des élus et des maires dans la lutte contre l'habitat indigne et les marchands de sommeil. Malgré leur volontarisme, ils rencontrent des difficultés dont la solution n'est pas nécessairement législative.

L'ensemble des services de l'État, déconcentrés ou non, doivent se mobiliser pour lutter contre des situations qui sont indignes de notre grand pays. C'est un des messages que nous ont adressés les élus que nous avons rencontrés, notamment ceux de Seine-Saint-Denis. Si le préfet ne prononce pas les sanctions en matière de permis de louer, si l'on ne poursuit pas les marchands de sommeil en justice, si les directions départementales des finances publiques ne se retournent pas contre les propriétaires défaillants pour récupérer les sommes engagées par les élus au titre des travaux d'office, on perd en crédibilité et en action. L'éradication de l'habitat indigne suppose une mobilisation forte et coordonnée des différents acteurs.

Les bailleurs sociaux doivent également être mobilisés. Or lors de notre déplacement dans la Somme, le maire de Ham nous a indiqué avoir essuyé des refus de tous les bailleurs sociaux pour intervenir sur une opération de réhabilitation portant sur sept logements. Le maire a engagé une déclaration d'utilité publique depuis 2012, des recours ont été mis en oeuvre et finalement la commune deviendra propriétaire de cet ensemble, sans opérateur. La situation financière des bailleurs sociaux est, certes, difficile. Je sais combien la réduction de loyer de solidarité a pu les fragiliser. Néanmoins, ils ont un rôle à jouer dans les opérations de réhabilitation de l'habitat indigne y compris, et même surtout, en milieu rural.

Outre une mobilisation de l'ensemble des acteurs, la lutte contre l'habitat indigne suppose des moyens humains et financiers. De ce point de vue, l'APL-accession est un outil essentiel de la politique de lutte contre l'habitat indigne. Sa suppression lors de la loi de finances pour 2018 a conduit certains ménages à renoncer à la réalisation de travaux de rénovation. Pire, en Guadeloupe et en Martinique, nous avons pu constater avec Sophie Primas et Catherine Conconne que les programmes de résorption de l'habitat indigne avaient été fortement ralentis voire carrément stoppés, alors même que l'économie budgétaire pour l'État n'est que de 50 millions d'euros. Nous nous en sommes émues. Le Sénat s'était opposé à cette suppression décidée unilatéralement. Il est urgent que le Gouvernement rétablisse l'APL-accession au plus tard lors de la prochaine loi de finances. Il en va de la crédibilité des élus et de l'action publique en la matière. Je déposerai un amendement d'appel en séance pour interpeller le ministre sur cette question. Je sais que ce sujet relève d'une loi de finances mais j'espère que le ministre prendra des engagements dans l'hémicycle.

Il faut également des moyens financiers pour aider les propriétaires à rénover leur bien. L'Agence nationale de l'habitat (Anah) joue un rôle essentiel en la matière. Le Gouvernement doit être cohérent et affecter à l'agence des moyens à la hauteur des enjeux. Mais au-delà des moyens financiers, il faut d'abord convaincre les propriétaires de rénover et d'entretenir leur bien.

L'absence de rénovation énergétique conduit à un double phénomène. D'abord, non rénové, le logement ou la maison perd inévitablement de sa valeur et peut être racheté à bas coût par des marchands de sommeil. Ensuite, pour faire face au paiement de leur facture d'énergie, les propriétaires de ces véritables passoires thermiques, souvent âgés ou impécunieux, sont parfois conduits à louer dans des conditions indignes une partie de leur habitation. Ils deviennent ainsi de fait des marchands de sommeil. Comment convaincre ces propriétaires, qui n'ont ni les moyens ni les compétences, de s'engager dans un chantier de rénovation ?

À Montfermeil, le maire nous a présenté un dispositif particulièrement intéressant, le Parcours de rénovation énergétique performante (PREP), qu'il a mis en place. Le PREP fait intervenir le maire, qui va informer ces propriétaires ; un tiers, qui garantit la qualité des interventions techniques ; un tiers payeur, qui identifie les aides dont le propriétaire peut bénéficier et qui l'accompagne dans ses démarches. Cette démarche coordonnée est susceptible de donner confiance à ces propriétaires pour qu'ils s'engagent dans ce chantier.

Plus généralement, à l'issue de mes visites et auditions, je me demande s'il ne faudrait pas mettre en place une géographie prioritaire et un programme de lutte contre l'habitat indigne sur le modèle du nouveau programme national de renouvellement urbain (NPNRU). Il restera toujours, ensuite, la problématique des moyens financiers.

J'en viens aux principales orientations que j'ai retenues pour la proposition de loi en m'inspirant à la fois des objectifs poursuivis par notre collègue Bruno Gilles et des observations recueillies sur le terrain.

Tout d'abord, la détection et la prévention de l'habitat indigne est un axe essentiel que l'on néglige bien trop souvent. Plus on interviendra en amont, plus on limitera le nombre de logements indignes. Mieux vaut prévenir que guérir. Je vous proposerai deux mesures en ce sens.

La première concerne le diagnostic technique global qui a pour but de faire un état des lieux de la copropriété. Les principaux résultats sont transmis au registre des copropriétés accessible aux élus. Cet outil est aujourd'hui sous-exploité puisqu'il est facultatif. Or il permettrait aux copropriétaires d'engager des travaux au vu du diagnostic et donnerait aux élus des données supplémentaires pour détecter en amont des copropriétés en voie de dégradation. On a vu à Aubervilliers des immeubles dont la façade sur rue était impeccable mais qui en réalité étaient dans un état de dégradation importante à l'intérieur. Le diagnostic serait un outil de repérage pour les élus. La maire d'Aubervilliers nous a dit que si la porte de l'immeuble n'avait pas été laissée ouverte, personne n'aurait jamais suspecté qu'il s'agissait d'habitat indigne. C'est pourquoi je vous propose de rendre le diagnostic obligatoire pour les copropriétés de plus de quinze ans.

La deuxième mesure concerne les syndics. Ils sont aux premières loges pour détecter les logements indignes. Je propose de leur donner la possibilité de faire des signalements sur les cas d'habitat insalubre, dangereux et non décent.

Une deuxième série de dispositions vise à clarifier, simplifier et accélérer les procédures en matière de traitement de l'habitat insalubre ou dangereux. Nous en discuterons peut-être plus longuement.

La règlementation actuelle comprend pas moins de treize polices qui s'appliquent à des situations différentes et qui font intervenir des autorités et des procédures différentes. Cette multiplication des polices n'est pas un gage d'efficacité et peut aussi être source de contentieux. Il est nécessaire de réduire et harmoniser toutes ces polices. Dans la loi portant évolution du logement, de l'aménagement et du numérique (ELAN), une ordonnance prévoit cette simplification et cette clarification. En commission mixte paritaire, nous avions accordé un délai de 18 mois au Gouvernement. Mais après le drame de Marseille, nous avons considéré qu'il n'était pas possible d'attendre autant de temps. Je ne comprends même pas que le Gouvernement n'ait pas accéléré les choses. La lutte contre l'habitat indigne doit être une priorité nationale. Nous devons arrêter de tergiverser. Je vous propose donc de revenir sur l'habilitation à légiférer et de modifier directement le droit en vigueur. Il s'agit ainsi de mettre en place une police spéciale du logement qui traitera selon une procédure identique les cas de péril et d'insalubrité.

J'aurais souhaité n'avoir qu'une seule définition du logement indigne qui recouvrirait le logement en péril, le logement insalubre et le logement indécent. Mais cela suppose d'avoir un seul acteur de cette police du logement et donc des transferts de compétence entre l'État et les collectivités. Malheureusement l'article 40 de la Constitution nous empêche de le faire. C'est bien dommage ! Pour autant, par notre travail, nous apportons des éléments importants au Gouvernement qui, lui, peut agir.

Le traitement des logements en péril et des logements insalubres demeure donc distinct à ce stade. Le maire continuera de prendre les arrêtés de péril et le préfet continuera de prendre les arrêtés d'insalubrité. Mais dans les deux cas, ils devront suivre une procédure qui sera identique, grâce à mon amendement.

Le dispositif devra certainement être amélioré mais c'est une première pierre à l'édifice et il appartient au Gouvernement de compléter cette réforme.

Une autre mesure que je propose concerne le rôle des syndics dans ces procédures de péril ou d'insalubrité. L'existence d'un syndic professionnel apparaît comme un atout pour mettre en oeuvre les mesures prescrites notamment lorsqu'elles concernent des parties communes. C'est pourquoi je vous proposerai de rendre obligatoire la présence d'un syndic professionnel pour la durée de l'arrêté de péril ou d'insalubrité.

Une troisième série de dispositions renforce le rôle des collectivités territoriales dans la lutte contre l'habitat insalubre ou dangereux. Certaines mesures prévues par notre collègue Bruno Gilles telles que la création d'un nouveau cas d'expropriation, la transmission du casier judiciaire aux élus ou l'inversement du principe selon lequel le silence de la collectivité à l'issue d'un délai d'un mois vaut autorisation de louer sont des pistes extrêmement intéressantes.

Néanmoins, les auditions ont souligné deux séries de difficultés. Soit ces mesures nécessitent des moyens pour leur mise en oeuvre qui font défaut, soit elles présentent sur le plan juridique quelques faiblesses, notamment au regard du droit de propriété. Je vous proposerai autant que faire se peut des ajustements pour conserver ces dispositifs et les améliorer lorsque cela est possible.

À l'issue de mes auditions, il est également apparu que les maires avaient besoin d'outils supplémentaires comme un droit de préemption spécifique en matière d'habitat indigne par exemple.

Enfin, j'ai prévu des mesures concernant les marchands de sommeil. La loi ELAN a déjà conforté ce volet répressif. Les articles 7 à 9 de la proposition de loi renforcent les sanctions contre les marchands de sommeil et confortent le rôle des associations agissant dans la lutte contre l'habitat indigne. J'y suis favorable. Je vous propose néanmoins des ajustements et notamment que le produit des amendes prononcées dans le cadre du permis de louer et du permis de diviser bénéficie aux collectivités locales. En contrepartie, je vous propose de préciser que ces mêmes collectivités ne peuvent demander aucuns frais pour le traitement des demandes du permis de louer.

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