Merci, madame la présidente, pour ce travail mené pendant des mois avec beaucoup de sérénité sur un sujet grave et difficile. Nous avons pu échanger et nous exprimer avec le but de toujours mieux protéger nos enfants.
Notre rapport s'attache tout d'abord à dresser un état des lieux des violences sexuelles sur mineurs commises par des adultes dans le cade de leur métier ou de leur fonctions, en présentant les données statistiques disponibles, en revenant sur le profil des auteurs et en insistant sur les conséquences de ces violences sur les mineurs, dont la gravité a longtemps été sous-estimée.
Nos auditions ont confirmé le manque de données disponibles pour évaluer précisément l'ampleur du phénomène. Le Conseil de l'Europe fait souvent référence au chiffre d'un enfant sur cinq victime d'abus sexuels, mais ce chiffre agrège des réalités assez diverses, du viol jusqu'à l'exposition à des images pornographiques, et renvoie à des agressions qui ont lieu dans leur grande majorité dans le cercle familial.
Avec mes collègues rapporteures, nous avons auditionné une chercheuse de l'Institut national d'études démographiques (Ined) qui nous a présenté les conclusions de l'enquête Virage. Cette grande enquête de victimologie, réalisée en 2015 auprès d'un échantillon représentatif de 27 000 personnes, révèle que 0,8 % des femmes et 0,3 % des hommes déclarent avoir subi avant l'âge de dix-huit ans un ou plusieurs faits de violence sexuelle commis par un professionnel, qu'il s'agisse de propositions insistantes, de frottage, d'attouchements ou de rapports sexuels forcés.
Quand on examine la répartition par secteurs, on observe qu'un grand nombre de ces violences se produisent dans le cadre de la scolarité : à hauteur de 20 % pour les femmes et de 50 % pour les hommes, ce qui n'est guère surprenant étant donné le temps passé dans le système scolaire. Le travail est le deuxième environnement dans lequel les violences se produisent, ce qui souligne la vulnérabilité des apprentis et des stagiaires : 50 % des violences subies par les femmes s'y produisent, contre 17 % pour les hommes. Les violences commises par les représentants d'une religion concernent 0,5 % des jeunes filles, mais 6,8 % des jeunes garçons victimes, ce qui confirme la particulière vulnérabilité des garçons dans ce contexte, attestée par différents témoignages que nous avons recueillis. Enfin, les garçons sont également plus souvent victimes lorsque les faits sont commis par un éducateur, un animateur ou un travailleur social.
Si l'enquête Virage contient des données utiles, on peut regretter qu'elle ne soit pas renouvelée périodiquement, faute de moyens, et que la taille de l'échantillon empêche une analyse encore plus fine identifiant précisément les situations à risques.
C'est pourquoi notre première proposition est la création d'un observatoire des violences sexuelles, qui pourrait étoffer ces données statistiques et conduire des études criminologiques, afin de mieux comprendre les conditions du passage à l'acte, ainsi que cela nous a été suggéré sur notre espace participatif. On ne combat efficacement que ce que l'on connaît bien.
Le rapport rappelle les règles de la répression pénale des infractions sexuelles sur mineurs et souligne la nécessité, déjà mise en évidence dans mon rapport de 2018, d'entendre les enfants dans un cadre adapté, avec des professionnels formés, en réunissant dans un même lieu enquêteurs, professionnels de santé et travailleurs sociaux. C'est toute l'ambition des unités d'accueil médico-pédiatriques qui ont vocation à accueillir à terme l'ensemble des enfants victimes.
Nous soutenons la démarche d'évaluation de la loi Schiappa annoncée par le Gouvernement, même si nous souhaiterions qu'elle soit confiée à un groupe pluraliste associant députés et sénateurs et non à la seule rapporteure du texte à l'Assemblée, même si j'ai beaucoup d'estime pour notre collègue députée Alexandra Louis, avec laquelle j'avais travaillé. Il conviendra notamment de vérifier si la définition du viol permettra de retenir plus facilement cette qualification et si l'allongement du délai de prescription aura un impact sur le nombre de condamnations.
Une autre mesure qui méritera d'être évaluée dans quelques années est la création des cours criminelles départementales, qui pourrait faire reculer la « correctionnalisation » des viols afin d'éviter les délais de jugement très longs liés à l'encombrement des cours d'assises. Je rappelle que le viol, par définition, n'est jamais consenti et est un crime.
Pour augmenter le nombre de condamnations, nous devons favoriser encore la libération de la parole : celle des victimes, qui ont intérêt à porter plainte sans délai pour que les services enquêteurs puissent recueillir le maximum de preuves ; mais aussi celle de toutes les personnes qui suspectent qu'un enfant est victime et qui peuvent faire un signalement.
Des campagnes d'information pourraient être menées régulièrement, afin de sensibiliser le grand public. Le travail des associations agréées qui interviennent dans les écoles doit être encouragé et développé : à chacune de leurs interventions dans une classe, des enfants révèlent des situations anormales dont ils ont été victimes ou témoins. L'Éducation nationale a un rôle à jouer via les cours d'éducation à la sexualité pour sensibiliser les élèves au respect de leur corps et aux limites qui ne doivent pas être franchies par les adultes. Si cette éducation à la sexualité est bien prévue dans les textes, elle se déroule souvent beaucoup moins bien que prévu.
Dans cette perspective, il convient bien sûr de consolider les crédits alloués au numéro d'appel 119, crédits que le Gouvernement avait voulu réduire dans le dernier projet de loi de finances, avant que la mobilisation des associations de protection de l'enfance ne l'oblige à faire machine arrière - et c'est une très bonne chose.
Pour libérer la parole, il faut également faire mieux connaître les obligations de signalement prévues par nos textes : l'article 40 du code de procédure pénale et surtout l'article 434-3 du code pénal, qui prévoit l'obligation de porter à la connaissance des autorités judiciaires ou administratives les actes « d'agressions ou d'atteintes sexuelles infligés à un mineur ». Cet article est celui qui est mobilisé le plus fréquemment par les procureurs. L'article R4124-44 du code de la santé publique dispose que « lorsqu'un médecin discerne qu'une personne auprès de laquelle il est appelé est victime de sévices ou de privations, il doit mettre en oeuvre les moyens les plus adéquats pour la protéger en faisant preuve de prudence et de circonspection. Lorsqu'il s'agit d'un mineur ou d'une personne qui n'est pas en mesure de se protéger en raison de son âge ou de son état physique ou psychique, il alerte les autorités judiciaires ou administratives, sauf circonstances particulières qu'il apprécie en conscience ». Il « alerte » est au présent de l'indicatif : c'est donc une obligation.
Les personnes couvertes par une obligation de secret professionnel ont la possibilité de s'en affranchir et de signaler des faits à la cellule de recueil des informations préoccupantes (CRIP) ou au procureur. C'est ce qu'on appelle l'option de conscience.
Avec mes collègues rapporteures, nous nous sommes interrogées sur l'opportunité d'aller au-delà de cette option de conscience, qui laisse aujourd'hui toute liberté aux professionnels de santé de signaler ou de garder le silence, au profit d'une véritable obligation de signalement qui leur serait imposée, mais qui pourrait entraîner des conséquences non-évaluées à ce jour.
Dans son Guide relatif à la prise en charge des mineurs victimes de 2015, la direction des affaires criminelles et des grâces (DACG) du ministère de la justice estime que l'obligation de dénoncer s'impose, y compris aux dépositaires d'un secret professionnel, lorsque le crime ou le délit est susceptible de se reproduire. Selon cette interprétation, l'obligation de porter assistance à une personne en danger l'emporterait sur le respect du secret professionnel. Mais cela reste une interprétation et nous proposons une réflexion portant sur la clarification de cette interprétation. Pourra se poser la question de savoir s'il faut aller encore au-delà et instaurer une obligation générale de signalement à la charge des professionnels de santé et des travailleurs sociaux lorsqu'ils constatent qu'un mineur est la possible victime de violences sexuelles.
Il me semble que nous n'avons pas creusé suffisamment la question du secret professionnel ; nous n'avons pas entendu les ordres professionnels. Peut-être pourrions-nous indiquer qu'il s'agit là de pistes de réflexion méritant d'être soumises à une plus large concertation. Le débat s'ouvrira, sans perdre de vue l'intérêt de la protection des mineurs.