Montaigne, qui fut maire de Bordeaux, écrivait que cette charge lui paraissait « d'autant plus belle qu'elle n'a ni loyer, ni gain autre que l'honneur de son exécution ». Cette conception se heurte toutefois, dans une société démocratique, à la nécessité de compenser les charges et sujétions liées à l'exercice des mandats locaux pour permettre à tout citoyen d'y accéder.
Plus largement, le législateur se doit d'offrir aux élus les garanties nécessaires pour qu'ils puissent exercer leur mandat dans de bonnes conditions, au service de l'intérêt général. Ce sujet occupe les travaux de notre haute assemblée depuis de nombreuses années, et plus intensément ces derniers mois avec les travaux de notre délégation aux collectivités territoriales et à la décentralisation, qui a publié un rapport en six volumes en juillet 2018. Ce sujet a également été abordé à l'occasion de l'examen de la proposition de loi relative à l'équilibre territorial et à la vitalité de la démocratie locale que nous avons adoptée en juin 2018.
Assurer aux élus locaux de bonnes conditions d'exercice de leur mandat constitue une préoccupation aiguë. Tout d'abord, parce que les vagues de décentralisation successives ont augmenté considérablement les responsabilités des élus locaux. Ensuite, parce que le droit à appliquer devient de plus en plus complexe, tandis que les services de l'État diminuent leur appui aux collectivités territoriales. Résultat, l'exercice d'un mandat local demande toujours plus de temps et d'investissement, alors que les conditions d'exercice des mandats n'ont que faiblement progressé.
Par ailleurs, les citoyens sont de plus en plus exigeants vis-à-vis des élus. En outre, le monde du travail évolue, ce qui explique qu'il soit de plus en plus difficile de concilier l'exercice d'un mandat avec la vie professionnelle. Les dernières évolutions institutionnelles, notamment relatives à l'intercommunalité, rendent enfin cet exercice de plus en plus chronophage.
Les maires et les autres élus municipaux sont le visage de la République au quotidien, et si nous souhaitons qu'ils continuent à s'engager, il est urgent d'apporter des réponses à leurs attentes.
La délégation aux collectivités territoriales et à la décentralisation s'est saisie du sujet, et a abouti à la conclusion que les conditions d'exercice des mandats locaux devaient être améliorées, sans que soit remise en cause la conception française de la démocratie locale. Les améliorations pourraient plus particulièrement concerner quatre volets : le régime indemnitaire, le régime social, la formation et le statut pénal des élus locaux.
C'est dans ce contexte que nous sommes appelés à examiner la proposition de loi créant un statut de l'élu communal de notre collègue Pierre-Yves Collombat, dont certaines dispositions sont intéressantes, mais dont d'autres nécessiteraient un examen plus approfondi. De manière générale, le texte semble inabouti.
Les mesures proposées ne répondent pas toujours à un besoin avéré, et leur impact, notamment financier n'a pas été pleinement mesuré. D'assez nombreuses divergences peuvent être observées entre l'exposé des motifs et les conséquences en droit des dispositions proposées. Enfin, certaines mesures pourraient avoir des effets contre-productifs, par exemple en matière de formation.
L'article 1er, de portée exclusivement symbolique, proclame la création d'un « statut de l'élu territorial » et, surtout, vise à supprimer le principe de gratuité des fonctions électives en s'engageant sur la voie de la professionnalisation des mandats locaux, ce qui constituerait une véritable rupture dans notre conception de la démocratie locale.
L'article 2 a pour objectif d'assurer la disponibilité des candidats aux élections municipales et des élus. Il propose d'abaisser de 1 000 à 500 habitants le seuil de population des communes au-delà duquel les candidats aux élections ont droit à un congé de dix jours pour participer à la campagne électorale. Je n'y suis pas hostile par principe, mais le seuil de 500 habitants paraît arbitraire et cette évolution représenterait une charge nouvelle pour les employeurs : soyons prudents !
L'article 3, convergeant en cela avec le rapport de la délégation aux collectivités territoriales et à la décentralisation, vise à renforcer l'offre de formation à destination des élus locaux en étendant aux communes dont la population est comprise entre 1 000 et 3 500 habitants l'obligation d'organiser une formation à l'intention des élus ayant reçu délégation. Serait également créé un fonds national pour la formation des élus locaux, alimenté par les sommes non dépensées des crédits inscrits au budget des communes au titre de la formation professionnelle. L'intention est évidemment louable, mais le dispositif proposé risque d'avoir du mal à fonctionner. Les communes sont aujourd'hui libres de budgéter, au titre de la formation, entre 2 % et 20 % du montant total des indemnités de fonction susceptibles d'être allouées aux membres du conseil municipal.
L'article 4 propose une augmentation conséquente des indemnités de fonction des maires, ainsi que l'institution d'une majoration indemnitaire pour les maires des communes de moins de 10 000 habitants ayant cessé leur activité professionnelle - c'est un point assez subjectif, mais le rapport de la délégation et d'autres travaux du Sénat ont effectivement noté que les maires des communes les moins peuplées, très investis, devaient être mieux indemnisés. Mais les montants proposés occasionneraient des dépenses non négligeables : prudence !
L'article 5 reproduit des dispositions déjà en vigueur concernant les remboursements de frais des élus locaux.
L'article 6 concerne le régime fiscal et social des élus : il vise à revenir sur les récentes réformes en matière de fiscalisation des indemnités des élus locaux, comme cela avait été évoqué lors de l'examen du dernier projet de loi de finances. Le Gouvernement a en effet été très maladroit vis-à-vis des communes démographiquement les moins importantes, mais un premier compromis a été trouvé sur ce sujet à l'occasion de la dernière loi de finances, à l'initiative du Sénat.
L'article 7 vise à augmenter le nombre d'élus qui ont droit à la suspension de leur contrat de travail pendant la durée de leur mandat et à leur réintégration dans l'entreprise à l'issue de celui-ci. De manière plus pertinente à mes yeux, il prévoit de supprimer les conditions de population auxquelles est soumis le versement de l'allocation différentielle de fin de mandat aux maires et à leurs adjoints, ainsi qu'aux présidents et vice-présidents d'EPCI à fiscalité propre. Mais là encore, aucune compensation financière n'est prévue...
L'article 8 vise à limiter le risque pénal pesant sur les élus. Là encore, c'est un objectif légitime et largement partagé. L'article propose une nouvelle définition du délit de prise illégale d'intérêts en reprenant une rédaction plusieurs fois adoptée par le Sénat. Il prévoit toutefois d'instaurer une nouvelle cause d'irresponsabilité pénale au bénéfice des personnes investies d'une fonction d'autorité, ce qui me paraît inenvisageable et contraire aux principes du droit pénal.
Enfin, l'article 9 a pour objet le droit à l'information des conseillers municipaux et les droits de l'opposition. Lors des auditions, nous avons assisté à des débats vifs, certaines associations d'élus craignant que l'on alourdisse les contraintes pesant sur les collectivités.
Si nous convergeons sur plusieurs sujets, il serait intéressant d'avoir un point de vue plus informé sur ces mesures, dont certaines auraient un coût élevé et d'autres pourraient générer des dysfonctionnements. Malgré l'intérêt de certaines autres propositions, je vous propose de ne pas adopter le texte.