Intervention de Frédérique Vidal

Réunion du 3 juin 2019 à 15h00
Organisation et transformation du système de santé — Discussion en procédure accélérée d'un projet de loi dans le texte de la commission

Frédérique Vidal :

Madame la présidente, madame la ministre, monsieur le rapporteur, messieurs les rapporteurs pour avis, mesdames, messieurs les sénateurs, le projet de loi que vous allez examiner transforme notre système de santé et établit les perspectives de long terme qui adapteront celui-ci aux évolutions épidémiologiques et préserveront notre modèle social.

Cela nécessite que les professionnels de santé, dont les médecins, travaillent autrement. La coopération de différents professionnels, du patient et de l’entourage de celui-ci, au service du projet du patient, sera un élément déterminant de la qualité et de l’efficience du système de soins.

L’évolution des connaissances et des techniques continuera de transformer profondément et rapidement les métiers des professionnels de santé. L’intelligence artificielle au service du diagnostic, la génomique au service de la personnalisation des traitements, la télémédecine pour mettre à disposition de tous nos concitoyens l’expertise la plus pointue : voilà trois exemples, issus de notre capacité de recherche et d’innovation, qui induiront des évolutions majeures des métiers de la santé.

Dans tous les domaines d’activité, il faut, dès que l’on aperçoit l’horizon d’un changement majeur des compétences mobilisées, adapter sans délai le système de formation, premier facteur déterminant notre avenir, et donc notre première responsabilité vis-à-vis des générations futures.

C’est pour ces raisons que les deux premiers articles de ce projet de loi vous proposent une transformation majeure des études de santé et, plus spécifiquement, des études de médecine. Je me réjouis de la qualité du travail réalisé par les commissions, qui a permis d’enrichir et de préciser le texte qui vous est proposé. De nombreuses améliorations ont été apportées aux deux premiers articles. Le Gouvernement vous proposera de rediscuter certaines notions qui nous paraissent importantes pour nos concitoyens et qui contribuent, selon nous, à la construction d’une démocratie sanitaire ; je pense notamment à la participation des patients à l’enseignement.

Le premier article du texte supprime le numerus clausus et la Paces, que le Président de la République qualifiait, en septembre dernier, d’« acronyme funeste menant de bons lycéens à l’échec ». En quelques mots, il s’agit, avec ces deux dispositions, de faire vivre, dans la formation des médecins, tous les principes qui ont sous-tendu la loi du 8 mars 2018 relative à l’orientation et à la réussite des étudiants : promouvoir la réussite des étudiants – tous les étudiants –, en diversifiant les profils des futurs médecins et en offrant une pluralité de voie d’accès aux filières de santé.

Aujourd’hui, plus de 40 000 étudiants s’inscrivent chaque année en Paces ; ce sont de bons lycéens, mais plus d’un tiers d’entre eux reprennent à zéro, après deux années vécues comme deux échecs, un cursus, et quelques-uns, parmi les plus fragiles, en sont durablement brisés. D’autres, anticipant ce risque, et ne disposant pas du soutien familial et social pour le prendre, n’osent même pas formuler ce projet ; cette autocensure participe à la reproduction sociale qui caractérise ces études. Cette situation n’est pas compatible avec notre volonté que chaque jeune, d’où qu’il vienne, ait les mêmes chances de mettre ses talents au service de la société tout entière.

Demain, un lycéen pourra commencer ses études supérieures dans une diversité de cursus. Dans ce cadre, il aura tous les atouts pour réussir et choisir, s’il le souhaite, de présenter sa candidature pour se lancer dans les études de santé. Celles-ci resteront évidemment sélectives ; l’excellence académique mais aussi d’autres compétences, utiles à ce métier, dans lequel la communication interpersonnelle tient tant de place, permettront aux candidats d’accéder aux filières de santé.

Le travail réalisé par les parlementaires a permis d’affiner ce premier article, de préciser dans la loi les grands principes qui doivent organiser l’admission des étudiants, dont celui de la nécessaire diversité des voies d’accès, de définir les organisations qui devront être fixées par les textes réglementaires et de maintenir une marge importante d’autonomie des acteurs locaux.

Les concertations que nous conduisons avec les acteurs sont extrêmement constructives. Nos universités ont préparé les parcours de licence permettant d’associer des contenus de santé à d’autres disciplines, et nous devons les aider à mettre ces évolutions en œuvre dès 2020, pour faire cesser le gâchis de la Paces.

Nos concitoyens nous l’ont répété avec force au cours des derniers mois ; leurs élus sont les premiers auxquels sont adressés leurs messages, leurs demandes, leurs colères et parfois leurs détresses. Agnès Buzyn et moi-même l’entendons sans cesse lors de nos déplacements.

Certains de nos territoires manquent de professionnels de santé et, nous le savons, la politique malthusienne de définition du nombre de médecins formés – le numerus clausus – y a contribué. Les citoyens nous le reprochent, et, ce faisant, le reprochent aussi aux gouvernements qui nous ont précédés. Ils ont raison ; supprimer le numerus clausus rend justice au bon sens qui commande de se passer des outils qui ont conduit à prendre les mauvaises décisions.

Pour autant, nous devons aussi la vérité à nos concitoyens. Aucune mesure ne permettra d’augmenter dès demain le nombre de médecins formés, et l’accès aux soins doit être amélioré par d’autres moyens ; ceux-ci figurent dans ce projet de loi. Cela dit, les études de médecine et, plus généralement, les études de tous les professionnels de santé doivent être repensées, avec pour souci constant de servir à terme les besoins de santé de la population et de former les professionnels dont nous avons besoin.

Les parlementaires ont proposé plusieurs évolutions du texte en ce sens, et nous serons bien entendu heureuses d’émettre un avis favorable sur celles-ci. Oui, bien sûr, comme l’a proposé le sénateur Lafon, rapporteur pour avis de la commission de la culture, de l’éducation et de la communication, l’organisation des études de médecine doit favoriser une répartition équilibrée des futurs professionnels sur le territoire, au regard des besoins de santé. Ce point est si important qu’il mérite de figurer dans le projet de loi, traduisant ainsi le concept de responsabilité sociale des facultés de santé.

Le deuxième article exprime, plus tard dans les études médicales, notre ambition de concilier exigence, bienveillance et ouverture. Aujourd’hui, les études de médecine représentent un saut d’obstacles ne convenant qu’à un type d’intelligence. L’étudiant, sélectionné par des questionnaires à choix multiples en Paces, accède ensuite à telle ou telle spécialité en fonction de sa capacité à mémoriser une grande quantité d’informations et à cocher des cases.

Les qualités de synthèse, de décision en situation d’incertitude ou, plus simplement, la capacité à conduire un entretien ou un examen clinique sont peu évaluées et, finalement, ne comptent pas dans l’orientation, pas plus que le fait de s’être impliqué dans un travail de recherche ou d’avoir une expérience internationale. Est-ce bien cela que nous voulons pour nos futurs médecins ? En tout cas, eux nous disent clairement le contraire ; ils ne veulent plus de ce modèle dans lequel le bachotage intensif leur fait perdre le sens même de ce qui les avait conduits à s’engager dans cette voie.

Nous vous proposons donc de mettre fin à cette situation, de diversifier les critères d’évaluation des étudiants et de construire des parcours multiples, en perspective de l’internat du troisième cycle. Je suis convaincue que, ainsi mieux formés, ces étudiants nous soigneront mieux.

L’organisation du deuxième cycle devra également tenir la promesse de former les professionnels dont les territoires ont besoin. Nous avons résolument choisi de privilégier la découverte de tous les modes d’exercice, la diversité des terrains de stage et la qualité de l’encadrement pédagogique plutôt que les mesures coercitives. Envoyer un étudiant faire un stage à un endroit où il serait mal encadré n’est pas le meilleur moyen de susciter son intérêt pour l’exercice dans ce territoire. Gageons qu’il sera plus efficace de former à la maîtrise de stage des professionnels regroupés utilisant le plateau technique d’un hôpital local et de permettre à ces praticiens de transmettre leur passion à des jeunes.

Dans le même temps, l’organisation du deuxième cycle et les mesures d’accompagnement, par exemple de la mobilité, mises en place par l’État et par les collectivités locales, doivent favoriser des stages dans tous les territoires. C’est ensemble – État et collectivités, enseignants et étudiants – que nous relèverons ce défi.

Voilà en quelques mots la vision du Gouvernement sur cet aspect spécifique du texte ; deux articles pour transformer les études de santé, deux articles dont les lignes de force sont la réussite et l’épanouissement des étudiants, la diversité des trajectoires et des talents, la garantie de la compétence des professionnels au service de tous les territoires.

Je me tiens naturellement à votre disposition pour répondre à l’ensemble de vos questions.

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