Intervention de Alain Milon

Réunion du 3 juin 2019 à 15h00
Organisation et transformation du système de santé — Discussion en procédure accélérée d'un projet de loi dans le texte de la commission

Photo de Alain MilonAlain Milon :

Madame la présidente, mesdames les ministres, mes chers collègues, nous engageons l’examen d’un projet de loi dont l’intitulé est riche de promesses : il entend réformer l’organisation de notre système de santé, mais aussi le transformer.

Nous partageons le sentiment d’urgence qui justifie cette ambition, comme nous avons partagé le diagnostic posé à l’issue de la stratégie de transformation de notre système de santé, dont chacun a reconnu la justesse. Cette concertation a fait émerger une volonté commune des acteurs de refonder un modèle décrit, à juste titre, comme à bout de souffle.

Le projet de loi qui nous est soumis présente des inflexions positives. La refonte attendue des études de santé permettra une sélection plus progressive des futurs professionnels médicaux et une diversification de leurs profils.

Néanmoins, l’ambition de ce texte, le troisième en dix ans censé répondre au même constat de crise de notre système de santé, ne me paraît pas, pour l’heure, à la hauteur des enjeux. Permettez-moi d’exprimer deux principaux regrets.

Le premier tient au contenu même du projet de loi, qui s’apparente, à bien des égards, à un cadre général d’orientations. Le renvoi très large à des ordonnances ou décrets, sur le contenu desquels nous avons encore peu d’éclairages précis, laisse beaucoup d’interrogations en suspens.

Nous comprenons la nécessité de poursuivre la concertation, mais le calendrier retenu pour l’examen de ce texte aboutit, nous le déplorons, à appauvrir le débat parlementaire. Sur des sujets majeurs pour les territoires, comme les hôpitaux de proximité ou les évolutions de la carte hospitalière, le débat aurait été plus serein s’il avait pu porter sur un modèle plus abouti. La commission n’a toutefois pas souhaité faire obstacle à l’avancée des réformes, mais elle attend que nos échanges permettent d’en affiner les contours.

À côté de ce sentiment d’inachevé, mon second regret touche à ce que nous n’avons pas trouvé dans le texte. Ce projet de loi peut-il prétendre transformer notre système de santé sans évoquer ni sa gouvernance ni son financement ?

Il me semble que nous ne pouvons plus ériger en priorité le décloisonnement des acteurs de santé sans revoir les contours d’un pilotage national qui contribue, en lui-même, à accentuer des logiques de silo. De même, nous voyons que toute tentative pour adapter les moyens d’action aux besoins des territoires se heurte à des limites dans une administration de la santé fortement centralisée.

Je regrette que ce projet de loi ne pose pas les bases d’évolutions de fond sur ces sujets. J’aurais souhaité, mesdames les ministres, y retrouver le souffle des grandes réformes en santé, dans la lignée des ordonnances Debré ou même, à un degré moindre, de la loi HPST, qui avait rénové en profondeur la territorialisation des politiques de santé et la gouvernance hospitalière.

L’ambition de ce texte réduit nos capacités d’initiative pour porter certains sujets. Je souhaite que nous poursuivions ensemble la réflexion, en particulier pour envisager, en matière de prise en charge des soins, le passage d’une architecture à double étage au principe d’un payeur unique. J’y vois un levier d’efficience, mais également un enjeu de lisibilité, et donc d’adhésion à notre modèle de sécurité sociale.

Vous connaissez également, madame la ministre, mes réserves quant aux modes actuels de financement des investissements, notamment immobiliers, des établissements de santé ; je n’ai pu inscrire dans le projet de loi le principe d’une banque des investissements, mais je souhaiterais que votre ministère puisse approfondir la réflexion sur ce sujet crucial pour l’avenir des hôpitaux.

Quoi qu’il en soit, la commission des affaires sociales a abordé l’examen du texte qui nous est présenté dans un esprit constructif. Ses apports ont été guidés par deux priorités : les territoires et l’ambition numérique.

Sur le premier volet, nos concitoyens ont exprimé, lors du grand débat national, des attentes fortes à l’égard du système de santé. Le satisfecit sur la réforme des études de santé ne doit pas nous conduire à endosser une communication parfois ambiguë sur la fin du numerus clausus. Ne nous trompons pas de débat, vous l’avez souligné, madame la ministre : les effectifs d’étudiants continueront d’être contraints par les moyens universitaires, qui ne sont pas extensibles à l’infini, et une sélection demeurera, selon des modalités certes nouvelles.

Surtout, la réforme n’aura pas d’effet à court terme sur la démographie médicale, le numerus clausus n’ayant au demeurant pas de lien avec la répartition territoriale des praticiens. Sur le sujet sensible de la présence médicale dans nos territoires, nous savons qu’il n’existe pas de solution miracle.

Je me réjouis que les échanges constructifs qui se sont poursuivis au sein de notre commission, associant différents groupes, puissent aboutir à proposer, au cours de nos débats, des évolutions utiles autant que pragmatiques.

D’autres propositions adoptées par la commission visent à encourager les jeunes praticiens à un ancrage rapide au sein d’un territoire et auprès d’une patientèle : d’une part, une incitation fiscale forte à l’installation rapide au sortir des études, d’autre part, une limitation de l’exercice comme remplaçant.

Une autre ligne directrice de nos travaux s’appuie sur la confiance dans les acteurs de terrain et dans les collectivités territoriales.

Je reconnais que, en s’inscrivant dans la continuité de la loi Touraine, adoptée voilà juste trois ans, le Gouvernement opte, au travers de ce projet de loi, pour un pragmatisme bienvenu ; les acteurs commencent à peine, en effet, à se saisir des outils mis en place par cette loi, comme l’ont montré nos collègues Catherine Deroche, Véronique Guillotin et Yves Daudigny dans un premier bilan.

Cela dit, si la commission a soutenu l’élaboration d’un projet territorial de santé comme levier du décloisonnement indispensable entre la ville, l’hôpital et le médico-social, je regrette que, une fois encore, on superpose et complexifie les outils. Veillons à ne pas décourager les porteurs de projets en gardant des dispositifs souples, sans céder à la tentation d’une hyperadministration de la santé.

Suivant la même logique, la commission a privilégié les démarches de volontariat des établissements pour la poursuite de l’intégration au sein des groupements hospitaliers de territoire. Il me semble que l’hétérogénéité des situations actuelles ne doit pas conduire à imposer à tous un schéma homogène.

Un autre axe d’évolution porte sur le lien entre l’État en région, à travers les agences régionales de santé, les ARS, et les élus du territoire. À mon sens, ce lien est aujourd’hui à repenser très largement. Et ce n’est pas en associant les parlementaires à des instances locales, en palliatif à la suppression du cumul des mandats, que nous y parviendrons.

La commission a privilégié des mesures plus opérationnelles, avec un renforcement des prérogatives du conseil de surveillance des ARS et du poids des élus locaux en son sein. Elle a également consolidé, en adoptant des amendements du groupe socialiste, le rôle de pilotage stratégique des conseils de surveillance des hôpitaux.

Sur la transformation numérique de notre système de santé, la commission a reconnu l’urgence d’agir en confirmant la mise en place d’une plateforme des données de santé et en rendant automatique l’ouverture d’un espace numérique de santé, levier de la coordination indispensable des parcours de soins.

Parallèlement, elle a conforté les obligations en matière d’accessibilité pour nos concitoyens éloignés des usages numériques.

Enfin, pour ne pas prendre un retard qui serait ensuite impossible à rattraper, la commission a renforcé les exigences d’interopérabilité applicables au secteur en instituant un mécanisme de certification, accompagné d’instruments à visée incitative pour les éditeurs.

Telles sont, madame la présidente, mesdames les ministres, mes chers collègues, les orientations qui ont guidé notre commission des affaires sociales dans l’examen de ce projet de loi. Nous avons apporté des inflexions à un texte dont nous reconnaissons les apports tout en regrettant les limites.

En définitive, ce sont les moyens accordés pour accompagner son déploiement qui signeront, ou non, la réussite de cette réforme, là où les précédentes lois ont échoué à répondre à l’urgence d’une refondation de notre système de santé. Nous y resterons évidemment attentifs.

Je remercie nos collègues rapporteurs pour avis, Laurent Lafon et Jean-François Longeot, pour le travail qu’ils ont réalisé au sein de leurs commissions respectives et pour le regard complémentaire qu’ils ont porté sur ce texte, même si nous n’avons pas toujours été d’accord sur des sujets importants – et nous resterons en désaccord encore longtemps…

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion