Madame la présidente, mesdames les ministres, mes chers collègues, comme l’ont rappelé les Français lors du grand débat national, à l’occasion duquel le thème de la santé s’est imposé de lui-même, les inégalités territoriales d’accès aux soins minent la cohésion nationale et notre pacte social en ajoutant une nouvelle fracture sanitaire et sociale aux nombreuses fractures, qu’elles soient territoriales, numériques, économiques ou en matière de transports, qui traversent déjà notre pays.
Dans ce contexte, et en cohérence avec l’attention constante qu’elle porte à la problématique des déserts médicaux depuis sa création, la commission de l’aménagement du territoire et du développement durable s’est saisie pour avis du projet de loi relatif à l’organisation et à la transformation du système de santé, en particulier des dispositions du texte ayant des conséquences territoriales et de celles relatives à l’intégration du numérique dans notre système de soins.
À cet égard, j’observe avec regret que les constats posés dans le rapport de 2013 du président Hervé Maurey ou dans mon rapport pour avis de 2015 sur le projet de loi de modernisation de notre système de santé sont toujours d’actualité.
Face à l’ampleur du phénomène de la désertification médicale, la commission a souhaité, en 2017, créer un groupe de travail, dont j’assure la coprésidence avec Hervé Maurey, consacré à cette question pour préparer l’examen du texte dont nous avons à connaître aujourd’hui.
Aussi, lors de la présentation de mon rapport pour avis, la majorité des membres de la commission, toutes sensibilités politiques confondues, a tenu à rappeler son attachement au principe d’égal accès aux soins, corollaire du droit à la santé défini par le préambule de la Constitution de 1946, et à la mise en œuvre de mesures de bon sens pour mieux réguler la répartition des professionnels de santé sur l’ensemble de notre territoire.
Malgré l’accélération du rythme d’adoption des lois relatives à la santé depuis dix ans, les inégalités d’accès aux soins se creusent sur l’ensemble du territoire et les défauts de notre système de soins demeurent les mêmes, à savoir un cloisonnement entre médecine de ville et hôpital et une difficulté à assurer un parcours de soins continu pour l’ensemble de nos concitoyens.
Si toutes les professions de santé sont concernées, les inégalités d’accès aux médecins sont particulièrement marquées, alors même qu’ils occupent une place centrale dans notre système de santé avec leur rôle de prescripteur.
Les écarts de densité entre départements varient de 1 à 3 pour les médecins généralistes et de 1 à 8 pour les spécialistes, voire autour de 1 à 20 pour certaines spécialités comme la pédiatrie ou la gynécologie, avec des disparités infradépartementales encore plus fortes.
Ces inégalités vont continuer de se renforcer dans les années à venir, car la densité médicale retrouvera son niveau de 2015 seulement à horizon de 2030. D’ici à 2025, près d’un médecin généraliste sur quatre aura cessé d’exercer.
Il ne faut pas sous-estimer les conséquences de cette situation sur la santé des populations, car la carte des déserts médicaux se superpose à celle de la mortalité précoce, comme le montrent plusieurs géographes de la santé. Nous ne pourrons pas dire que nous ne savions pas !
Qui plus est, les inégalités d’accès aux soins pèsent sur les finances publiques pour un montant estimé entre 900 millions et 3 milliards d’euros par an par la Cour des comptes.
Par ailleurs, les dépenses de santé et de médicaments sont plus importantes là où la densité de médecins est forte, sans que l’état de santé des populations concernées justifie cet écart. Réguler l’offre de soins, c’est non seulement améliorer l’accès aux soins de nos concitoyens, mais aussi maîtriser l’évolution des dépenses de santé.
Au cours de mes auditions, dont certaines ont été menées avec le rapporteur pour avis de la commission de la culture, de l’éducation et de la communication, notre collègue Laurent Lafon, que je salue, la grande majorité des personnes et organismes que j’ai pu rencontrer ont exprimé des doutes sur la capacité du projet de loi que nous examinons à améliorer à court terme le quotidien de nos concitoyens.
Ainsi, la réforme du numerus clausus n’aura qu’un effet limité, voire aucun effet, sur la répartition des futurs professionnels de santé sur le territoire. Du reste, je constate un recours important à des ordonnances sur des sujets aussi sensibles que les hôpitaux de proximité. En outre, plusieurs mesures me paraissent d’une portée limitée et essentiellement technique.
En commission, nous avions proposé à la commission des affaires sociales l’adoption de 30 amendements portant sur 18 articles autour de trois grands axes : adapter les études de médecine, notamment avec la question des stages, ainsi que certains éléments de notre système de soins à l’exigence de proximité ; réguler l’offre de soins et réaffirmer le principe d’égal accès aux soins sur l’ensemble du territoire ; libérer du temps médical dans tous les territoires en allégeant les contraintes administratives pesant sur les professionnels, en développant les partages de compétences et en soutenant le déploiement de la « e-santé ».
La commission a souhaité proposer des mesures plus resserrées et pragmatiques en séance publique. J’aurai l’occasion de vous présenter 12 amendements portant sur 8 articles.
Aussi, avant de conclure mon propos, je souhaiterais vous poser une simple question, mesdames les ministres : quand comptez-vous prendre les décisions pragmatiques et conformes à l’intérêt général qui s’imposent pour apporter une réponse durable à l’enjeu de l’égal accès aux soins sur l’ensemble de notre territoire ?