Intervention de Agnès Buzyn

Réunion du 4 juin 2019 à 21h30
Organisation et transformation du système de santé — Articles additionnels après l'article 4, amendement 147

Agnès Buzyn :

Mesdames, messieurs les sénateurs, un certain nombre d’entre vous l’on dit, au cours des dix dernières années, des amendements similaires ont été présentés et systématiquement rejetés.

Au cours de cette période, quatre ministres de la santé se sont succédé, de droite comme de gauche – Roselyne Bachelot, Xavier Bertrand, Marisol Touraine et moi-même. Je ne pense pas que nous ayons la même vision de l’offre de soins, ni les mêmes opinions. Le fait que tous les ministres de la santé aient refusé ces amendements doit donc vous interroger collectivement.

Pourquoi n’y sommes-nous pas favorables ? Aujourd’hui, les jeunes médecins ne veulent plus s’installer en exercice libéral. Nous avons d’ailleurs examiné, au cours de nos débats, toutes sortes d’amendements visant à faire redécouvrir l’exercice libéral. Les jeunes médecins ne souhaitent pas s’installer ; le constat est bien ancré dans les esprits.

Par cohérence, nous cherchons à rendre l’exercice libéral plus attractif, en diversifiant les offres de stages et en formant les médecins à la gestion – je me réfère là à certains amendements –, parce que cet exercice libéral est boudé par les jeunes professionnels.

Les chiffres sont là : seuls 5 % des jeunes médecins souhaitent s’installer à la fin de leurs études, tandis que 15 % d’entre eux souhaitent le faire trois ans après la fin de leurs études. Notre difficulté est de rendre l’installation attractive.

Comment imaginer qu’un médecin obligé de s’installer aura une pratique de qualité ? Peut-être n’aura-t-il pas envie de travailler à temps plein. Il ne sera peut-être pas forcément très bienveillant et arrêtera son exercice libéral dès que l’occasion lui sera donnée d’avoir un exercice salarié. Nous le savons, 20 % des médecins cessent leur exercice au cours de leur vie. Le problème est donc de fidéliser l’exercice médical des médecins et de fidéliser l’exercice libéral des jeunes médecins.

Monsieur Raison, au travers de l’amendement n° 147, vous proposez un conventionnement uniquement dans les zones sous-denses.

L’Allemagne a testé ce dispositif, dont l’effet a été immédiat : un certain nombre de médecins se sont installés sans être conventionnés. Or il y a aujourd’hui un tel manque de médecins en médecine générale partout en France que des médecins non conventionnés trouveraient une clientèle. Une telle mesure favoriserait donc un exercice déconventionné qui nuit aux malades et aux citoyens.

Certes, le dispositif ne nuirait pas aux médecins, qui trouveraient une telle patientèle. Mais il contribuerait au développement d’une médecine à deux vitesses. En Allemagne, ces médecins se sont installés aux frontières des zones sous-denses, pour attirer les patients des zones les plus denses.

Messieurs Joël Bigot, Jean-François Longeot et Michel Vaspart, les amendements identiques n° 179 rectifié, 422 et 437 rectifié ter visent à restreindre la liberté d’installation.

Je le répète, seulement 5 % des jeunes médecins veulent s’installer. Nous pouvons en être certains, si l’on restreint encore plus la liberté d’installation, ce pourcentage deviendra nul, comme cela a été le cas en Allemagne, ce qui ne favorisera pas l’accès aux soins.

Parallèlement, il y a aujourd’hui des milliers de postes salariés vacants : ils représentent 27 % des postes dans les hôpitaux publics, sans parler de tous les postes vacants dans les centres de PMI, en médecine du travail, en médecine scolaire ou dans l’industrie pharmaceutique.

Tout le sens de la loi qui vous est proposée, mesdames, messieurs les sénateurs, c’est non pas d’obliger, mais de rendre attractif l’exercice libéral en zone rurale, notamment avec la découverte de la diversité des lieux d’exercice professionnel. Il s’agit de donner le goût et l’envie de s’installer, sous la forme d’exercices coordonnés, notamment en maison de santé, en pôle de santé ou en centre de santé.

L’amendement n° 232 rectifié quater de M. Bourquin a pour objet un conventionnement sélectif, renvoyé par la loi à la négociation conventionnelle. Cela aboutirait immédiatement à l’absence d’accord entre les partis. Ce ne serait pas la première fois que les syndicats de médecins ne signent pas une convention médicale ! Un tel dispositif ne fonctionnera donc pas.

Vous vous interrogez sur les raisons pour lesquelles toutes les autres professions de santé ont pu être régulées par le conventionnement sélectif.

La réponse est simple : toutes les autres professions de santé, hormis les orthophonistes – je me tourne vers Mme Cohen –, sont surdotées. Dans ce cas, pour garantir un revenu aux professionnels, il faut évidemment éviter qu’un nombre important d’entre eux ne s’installe au même endroit. La régulation permet en réalité d’assurer un revenu décent aux praticiens, qui ne disposent d’aucune autre solution, dans la mesure où il n’existe pas de postes vacants.

Vous avez évoqué certaines professions très sous-dotées, notamment la gynécologie, l’ophtalmologie et la pédiatrie.

Vous avez raison, le choix a été fait voilà quelques années de supprimer la gynécologie médicale. Nous le regrettons, car nous en payons aujourd’hui le prix.

Cette spécialité a été réintroduite dans le cadre de la réforme du troisième cycle des études médicales. Ainsi des gynécologues pourront-ils être de nouveau formés. Pour le moment, pendant une génération, les obstétriciens font de la gynécologie médicale, ce qui rend d’ailleurs difficile le recrutement d’obstétriciens dans les maternités.

Par ailleurs, face au manque de gynécologues, les médecins généralistes doivent être formés à la gynécologie médicale, et les sages-femmes ont le droit de faire des frottis et de suivre les grossesses non pathologiques des femmes. Ainsi convient-il de mieux répartir la tâche entre d’autres professionnels, en attendant que des gynécologues médicaux sortent des facultés.

Pour ce qui concerne l’ophtalmologie, qui est également en difficulté, les autres pays se sont organisés différemment, en répartissant la filière optique sur d’autres professionnels de santé, notamment les orthoptistes, ce qui permet de déléguer certaines tâches dans le cadre de la prescription de lunettes. C’est également ce que nous proposons dans le projet de loi, à savoir une meilleure répartition de la tâche entre les différentes professions de santé de la filière ophtalmologique.

S’agissant de la pédiatrie, enfin, vous le savez, les médecins généralistes y sont désormais obligatoirement formés.

Selon vous, il suffit de traiter les questions de surdensité médicale. Mais qui parmi vous considère qu’il y a aujourd’hui suffisamment de médecins ? §Sans doute personne ! En effet, pour ce qui concerne les médecins généralistes, la France entière est sous-dotée. Certes, quelques villes sont surdotées pour certaines spécialités, mais je ne pense pas que la régulation de l’installation de quelques cardiologues à Nice, par exemple, permettra de régler le problème de la désertification médicale.

Un tel raisonnement ne tient pas : la démographie médicale fait qu’il n’existe aujourd’hui en France aucune zone surdotée.

Monsieur Bigot, avec l’amendement n° 178 rectifié bis, vous vous interrogez sur les conséquences de la suppression du numerus clausus. Mais en quoi l’augmentation du nombre de médecins permettra-t-elle une meilleure installation sur l’ensemble du territoire ?

Je le rappelle, par la suppression du numerus clausus, nous souhaitons diversifier le profil des médecins formés et non pas augmenter considérablement leur nombre. En effet, celui-ci a déjà plus que doublé depuis 2005. Nous formons déjà 9 000 médecins. Si nous en formions 10 000, cela ne changerait pas la donne.

Nous le savons, à compter de 2027, la démographie médicale augmentera de nouveau considérablement. Nous sommes aujourd’hui confrontés à un creux démographique. L’augmentation du numerus clausus depuis 2005 produira bientôt ses effets.

Qu’est-ce qui permet l’installation des médecins ? C’est l’attractivité des territoires ! L’exercice libéral en zone sous-dense peut devenir attractif grâce à l’organisation de lieux d’accueil et de lieux de stage qui donnent envie aux médecins de rester. C’est notamment ce qu’on observe dans les maisons de santé pluriprofessionnelles.

Vous avez également évoqué l’amendement défendu par M. Guillaume Garot à l’Assemblée nationale, qui visait un conventionnement sélectif, selon que les médecins sont conventionnés en secteur 1 ou secteur 2.

Une telle proposition ne présente pas grand intérêt, dans la mesure où 99 % des médecins généralistes sont déjà en secteur 1. Pour la médecine de spécialité, une telle mesure inciterait les médecins conventionnés en secteur 2 à s’installer en zone sous-dense, c’est-à-dire là où les populations rencontrent le plus de difficultés financières, alors que les médecins conventionnés en secteur 1 s’installeraient en zones mieux dotées. Quelle étrange régulation ! Je ne pense pas que tel soit votre objectif.

Quant à l’amendement n° 421, il prévoit un conventionnement sélectif en zones surdotées. Pour ma part, je ne connais pas de zones surdotées ! Quel territoire peut aujourd’hui se permettre de refuser des médecins ? Si une telle mesure a fonctionné pour les infirmiers, c’est tout simplement parce que cette profession est surdotée !

Ainsi, 30 % du territoire sont en zones surdenses pour les infirmiers ; 12 % pour les kinésithérapeutes – cette profession connaît une dynamique démographique très forte –, 12 % pour les sages-femmes et 12 % pour les orthophonistes.

Toutefois, je ne connais pas de zone surdense pour ce qui concerne la médecine générale. Dans la mesure où la situation démographique des médecins est totalement inverse de celle des autres professions de santé, le conventionnement sélectif ne fonctionne pas pour les premiers, comme l’ont d’ailleurs montré les exemples de l’Allemagne et du Canada.

L’amendement n° 423 tend à renvoyer à la négociation conventionnelle pour lutter contre les déserts médicaux. C’est exactement ce que nous avons fait, monsieur Longeot, bien que nous ne l’ayons pas inscrit dans la loi.

En effet, la négociation conventionnelle avec les syndicats des professionnels de santé concernera les CPTS, les communautés professionnelles territoriales de santé, qui auront – c’est leur cahier des charges – une responsabilité nouvelle, territoriale et populationnelle.

Je le rappelle, les médecins ont aujourd’hui simplement la responsabilité individuelle de leur patientèle. On ne peut pas demander à un médecin isolé d’avoir une responsabilité populationnelle. À l’inverse, dans les CPTS, le collectif de professionnels de santé s’engagera sur une responsabilité de type. Le cahier des charges a été négocié dans la convention médicale ; il vise à garantir l’accès de chaque citoyen à un médecin traitant, à assurer l’accès à des soins non programmés et à faire de la prévention.

Ce cahier des charges est en bonne voie, puisque j’attends aujourd’hui sa signature par les syndicats médicaux.

Une seconde négociation a porté sur les assistants médicaux, dont la création vise aussi à lutter contre les déserts médicaux. Nous avons prévu de financer, dès cette année, 4 000 postes d’assistants médicaux, pour décharger les médecins du travail administratif ou sans valeur ajoutée. Il s’agit de leur faire gagner du temps pour qu’ils puissent prendre plus de patients.

L’amendement n° 438 rectifié bis vise un conventionnement sélectif pendant trois ans sous la forme d’une expérimentation. Il est fort à parier que les jeunes attendront trois ans avant de s’installer. Une telle disposition me semble donc contre-productive.

Vous dites, monsieur Vaspart, que tous les maires évoquent la pénurie des médecins. Oui, la France entière parle aujourd’hui de cette pénurie. Le constat ne fait pas la solution !

La solution pour lutter contre les déserts médicaux, c’est ce que je vous propose aujourd’hui dans ce projet de loi. Son adoption permettra de mieux organiser les soins de premier recours, en permettant une meilleure répartition des tâches entre les professionnels de santé. Quant à la disposition proposée au travers de votre amendement, elle ne fera qu’aggraver la situation, comme cela s’est produit en Allemagne et au Canada.

L’ensemble de ce projet de loi vise à responsabiliser les acteurs de terrain en matière de couverture médicale d’une population et d’un territoire, comme vous le demandez. Tel est l’objet des CPTS.

À cet égard, permettez-moi de rappeler que les 4 000 postes d’assistants médicaux qui seront créés, associés aux autres mesures que nous proposons, correspondent à 3 millions de consultations, soit l’équivalent de plus de 800 équivalents temps plein de médecins généralistes.

La dynamique est donc lancée. Il faut redonner du temps médical au médecin, comme cela vous est proposé par ce projet de loi. Il n’existe aucun remède miracle, nous le savons.

C’est la raison pour laquelle, depuis dix ans, les ministres de la santé qui se sont succédé ont refusé ce type d’amendements. Le remède miracle que vous proposez est une fausse bonne idée, puisqu’il aboutit à un effet exactement inverse à celui qui est recherché : en dégoûtant les jeunes de l’exercice libéral, il est contraire à vos objectifs. Tout ce que nous proposons dans ce projet de loi, c’est du pragmatisme.

C’est pourquoi le Gouvernement est défavorable à tous ces amendements.

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