Intervention de Éliane Assassi

Réunion du 8 septembre 2010 à 21h30
Orientation et programmation pour la performance de la sécurité intérieure — Article 5

Photo de Éliane AssassiÉliane Assassi :

Cet article est le premier du chapitre III consacré à « l’utilisation des nouvelles technologies ». On y découvre l’usage que vous comptez faire des avancées informatiques de ces dernières décennies pour mieux contrôler chacun de nos concitoyens.

Nous notons que, contrairement à votre habitude, vous ne créez pas ici de nouveaux fichiers. Nous sommes soulagés ! Mais peut-être la liste est-elle déjà tellement longue qu’un ajout serait inutile...

En revanche, vous détournez les fichiers existants de leur finalité d’origine. C’est plus pernicieux !

Aux termes des articles 5 et 8 de ce projet de loi, le Fichier national automatisé des empreintes génétiques, le FNAEG, pourra, par exemple, contenir les empreintes de victimes de catastrophes naturelles ou celles des ascendants, descendants ou collatéraux des personnes figurant dans un fichier de police. C’est la porte ouverte au fichage des empreintes génétiques de toute la population.

Ce fichier, judiciaire à l’origine, deviendra ainsi un fichier civil, grâce auquel la carte génétique de chacun d’entre nous pourra être consultée par les autorités publiques.

Le fait que vous ne prévoyiez pas de séparation entre les données concernant les différentes catégories de personnes fichées est, sans nul doute, révélateur de vos objectifs.

Voilà trois ans, l’actuel ministre de l’industrie avait déclaré : « Les citoyens seraient mieux protégés si leurs données ADN étaient recueillies dès leur naissance ». Il ne croyait pas si bien dire...

Peut-être avez-vous oublié en rédigeant ce projet de loi, monsieur le secrétaire d’État, que cette remarque avait suscité, outre l’émotion au sein de l’Hexagone, l’indignation de nos voisins européens ?

Entre 2003 et 2006, le nombre de profils enregistrés au FNAEG est passé de 2 807 à plus de 330 000. Grâce à vous, ce chiffre risque de croître de façon exponentielle, et ce au mépris des libertés publiques. Mais cette violation criante des libertés ne paraît pas vous arrêter.

Vous n’avez d’ailleurs tiré aucun enseignement de la levée de boucliers suscitée en son temps par la création du fichier Exploitation documentaire et valorisation de l'information générale, connu sous le nom de fichier EDVIGE. Les critiques formulées à l’époque par la CNIL au sujet de cette création ne vous ont vraisemblablement pas servi de leçon !

Rappelons que la CNIL avait alors émis de graves réserves concernant la collecte d’informations relatives aux mineurs de plus de treize ans. Or votre projet permet, au sein des fichiers de police judiciaire comme des fichiers d’analyse sérielle, le fichage spécifié « sans limitation d’âge ». Vous faites plus qu’ignorer les objections d’une autorité indépendante telle que la CNIL, vous les méprisez ouvertement !

La LOPPSI rendra possible le fichage de chaque citoyen dès sa naissance. Les conclusions du rapport Bénisti ont sans doute inspiré l’auteur de ce projet. Nos enfants étant dorénavant tous des délinquants en puissance, pourquoi ne pas les ficher dès leur sortie de couveuse ?

Si vous ignorez les critiques de la CNIL, vous ne faites pas non plus grand cas de celles de la Commission nationale consultative des droits de l’homme, la CNCDH, qui s’est également élevée contre les possibles dérapages de ce projet. S’agissant de cette dernière, votre démarche est assez cohérente. En effet, pourquoi respecteriez-vous les réserves émises par une autorité dont vous avez récemment organisé la disparition, faute de pouvoir la museler ?

Cependant, nous estimons de notre devoir de vous rappeler, monsieur le secrétaire d'État, que si ce Gouvernement peut museler et mettre à bas nos autorités de contrôle interne, il lui sera plus difficile de faire la sourde oreille lorsque la Cour européenne des droits de l’homme condamnera la France pour violation des libertés fondamentales.

Rappelons qu’en décembre 2008, le Royaume-Uni a été condamné parce que sa législation permettait la conservation, dans des fichiers de police, des empreintes digitales, échantillons cellulaires et profils génétiques des prévenus après la conclusion, par acquittement ou par classement sans suite, des poursuites pénales menées contre eux.

Or votre projet contient des dispositions identiques à celles qui sont condamnées par la Cour européenne. Il faut en conclure qu’aucune entrave aux droits de l’homme ne vous arrête dès lors qu’il s’agit de disposer d’une fiche sur chaque citoyen !

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