Intervention de Jean Rottner

Mission d'information enjeux de la filière sidérurgique — Réunion du 6 juin 2019 à 11h05
Audition de M. Jean Rottner président du conseil régional du grand est

Jean Rottner, président du Conseil régional du Grand Est :

La sidérurgie évoque la Lorraine, fière de son passé sidérurgique et fière de la construction européenne, qui s'est faite avec Robert Schuman par la création de la Communauté européenne du charbon et d'acier - Robert Schuman est un enfant de notre région, même s'il partage plusieurs nationalités.

La région Grand Est est la deuxième région industrielle de France. La sidérurgie occupe environ 53 000 salariés, avec des noms forts : Arcelor, Ascometal, que nous partageons avec d'autres régions ; si on s'éloigne un peu de la Lorraine, les Aciéries Hachette et Driout de Saint-Dizier, GHM Wassy en Haute-Marne, terre de fondeurs, de traditions et en même temps de modernité car le territoire de Nogent produit un tiers des prothèses de hanches et de genoux au monde aujourd'hui, à partir de cette tradition des forges. Ces territoires ont de fortes capacités en termes de transition, d'innovation et de rebond.

ArcelorMittal emploie 10 000 salariés en France, mais la moitié de ses salariés se trouve dans le Grand Est. C'est une entreprise avec laquelle la collaboration et le partenariat sont réels. Le groupe a d'ailleurs tenu ses engagements : après la fermeture du haut-fourneau, ArcelorMittal devait investir 180 millions d'euros. Ils ont investi à ce jour 200 millions d'euros et ont fait du centre de recherche et développement que vous avez eu la chance de visiter leur centre de référence mondiale. Ce n'est pas rien et je tiens à le souligner.

Il a fallu se battre, mais cela montre que le partenariat avec un industriel mondial est possible. Nous continuons ces actions aujourd'hui : ArcelorMittal va probablement devenir actionnaire dans la réunification des ports de Moselle que nous venons de réussir. Cela témoigne du souci du groupe de participer au développement, aux mobilités et au fret.

L'année 2019 pour la sidérurgie est assez difficile : je ne reviendrai pas sur les crispations commerciales au niveau mondial, principalement entre les États-Unis et la Chine, que vous maîtrisez parfaitement. Je me permettrais peut-être de citer quelques exemples qui me semblent importants - qui importent également à mon homologue des Hauts-de-France, Xavier Bertrand, que vous avez rencontré hier. Entre 2008 et 2017, la sidérurgie a perdu 21 % d'emplois : c'est autant de reconversions, de plans sociaux, d'accompagnement et de formations sur lesquelles travaillent les régions. Il s'agit là de notre coeur de métier. Lorsque Xavier Bertrand en appelle à une forme de décentralisation renouvelée, différente, il attire l'attention sur l'écart entre la volonté de l'État d'être le grand sauveur de l'emploi et la réalité du terrain. Les régions réclament aujourd'hui non pas de pouvoir traiter le chômage mais plutôt, à travers une politique de l'emploi de proximité, d'avoir une collaboration renouvelée, organisée de manière différente avec l'État.

La sidérurgie est une activité stratégique. Elle l'est au niveau national, même si cette filière ne représente aujourd'hui que 2 % de l'emploi industriel. Elle est aussi très importante dans la chaîne de valeur, et l'innovation peut sauver cette filière. En région Grand Est, la filière automobile est ainsi extrêmement importante. Notre région possède 40 % de la frontière terrestre française, ce qui nous oblige à adopter une position européenne tout à fait singulière et à considérer des collaborations avec de grands groupes comme PSA. Je suis particulièrement vigilant au devenir de cette filière automobile. Carlos Tavarès a raison de pointer du doigt les hésitations, les choix qui ne sont pas totalement assumés.

En réalité, tout un pan de notre industrie va muter : dans les aciéries, s'agissant des process et des matériaux de production, dans la filière automobile, avec l'évolution des boîtes de vitesses, des moteurs... Cela ne peut pas se faire lorsque l'on est dos au mur. Il faut avoir une collaboration extrêmement forte, non pas simplement entre l'État et la région, mais entre l'État, la région et les filières. Le travail que nous faisons avec Luc Chatel au sein de la filière automobile est tout à fait productif : c'est un des exemples où il y a un lien très fort entre la sidérurgie, l'industrie en général, des métiers qu'il va falloir réinventer, des formations qu'il va falloir créer pour ces nouveaux métiers et pour lesquelles il nous faudra susciter des vocations chez les jeunes.

Nous ne revendiquons pas tant la stratégie économique, qui doit être fixée par l'État, que l'application des choix, l'accompagnement, la proximité. Nous nous inscrivons en cela dans la loi NOTRe, qui nous impose d'avoir construit le Schéma Régional de Développement Économique d'Innovation et d'Internationalisation (SRDEII). Nous l'avons bâti dans le Grand Est sur une grande écoute du système économique - avec plus de 3 000 remontées des acteurs économiques - et nous l'avons fondé sur deux jambes : l'industrie du futur et la bio-économie. Le déploiement territorial se fait à travers des outils d'action, de coordination, à travers les agences de développement économique que nous avons voulu au plus près des acteurs, à l'échelle départementale ; une agence d'innovation à l'échelle régionale ; une agence d'internationalisation, qui se situera probablement aussi à l'échelle régionale. Nous articulons tout cela dans un réseau de développement économique, nous visitons des entreprises, ce qui nous permet de considérer les signaux faibles comme les signaux importants et de ne pas les négliger.

Le schéma régional d'aménagement, de développement durable et d'égalité des territoires (SRADDET) est en cours de finalisation : il traduit la conversion bas-carbone de toute la région, mais c'est également un schéma qui traite des mobilités. Ce n'est pas simplement une réglementation supplémentaire, il s'agit aussi d'un schéma dynamique, vivant, évolutif qui prend en considération tous les pans de la vie quotidienne.

S'agissant de la formation dans les métiers de l'industrie et de la sidérurgie, il existe un écart important entre l'offre et la demande qui ne concerne pas simplement ma région. Il faut que, de manière commune entre élus de la nation et élus locaux, nous nous penchions sur ce sujet. Il y a dans l'orientation probablement beaucoup à faire. Les régions ont aujourd'hui en charge ce secteur. Je souhaite prendre ce sujet à bras le corps et travailler le plus précocement possible avec les départements, car l'orientation doit débuter dès la classe de 4ème avec une forte action vis-à-vis des parents, du public féminin, principalement dans les métiers de l'industrie et du numérique, qui sont encore des métiers trop genrés et masculins. Nous le faisons de manière coordonnée avec Philippe Varin, à la tête du Centre national de l'industrie (CNI), avec l'UIMM dirigée par Philippe Darmayan et avec l'Alliance pour l'industrie du futur, où territoire par territoire, nous avons décidé de renforcer et de coordonner les efforts dans le cadre du plan industrie 4.0 que nous souhaitons développer.

Dans ce plan, 400 entreprises ont été diagnostiquées. Nous devrions nous situer à 250, il y a donc un réel engouement. En fin de mandat, nous souhaitons avoir diagnostiqué entre 700 et 1 000 entreprises. La question de la disponibilité des ressources capables de faire ce diagnostic se pose ainsi que celle des offreurs de solutions : autant la banque publique d'investissement (BPI) que le CNI et l'UIMM sont mobilisés pour que les briques technologiques et les solutions apportées aux entrepreneurs puissent l'être le plus rapidement possible. Il y a encore trop de délai dans ce plan industrie du futur entre le diagnostic et la transformation de l'entreprise : il est actuellement de 8 mois chez nous, je souhaite le faire diminuer. Nous faisons de même au niveau de l'artisanat, de l'agriculture - nous avons lancé un plan ferme du futur qui a un vrai succès.

Nous devons aussi mieux faire connaître ces outils au service des entrepreneurs. J'ai réalisé deux jours de visite d'entreprises cette semaine : j'ai rencontré un chef d'entreprise en Lorraine, d'origine allemande. Il me disait qu'il ne voyait jamais d'homme ou de femme politique dans les entreprises en Allemagne et s'inquiétait de ma venue. Je lui ai dit que je venais simplement l'écouter, comprendre ce dont il a besoin, ce qu'il produit pour que je puisse en être le premier promoteur. Cette culture de proximité, de suivi, doit encore être amplifiée. Ce n'est pas nous qui faisons la politique économique, ce sont les chefs d'entreprise, les acteurs économiques. Nous devons être à leurs côtés, leur faciliter la tâche, les accompagner.

J'ai rencontré hier l'ensemble des acteurs de la filière bois. Cette industrie est importante pour notre région. La pression sociale oblige aujourd'hui à prendre beaucoup de précautions lorsque l'on abat un arbre, mais il faut également penser à la stratégie internationale dans une concurrence mondiale où l'aspiration de la production de bois par la Chine pose de vrais problèmes. C'est également un sujet dont il faut saisir, car cette industrie appartient à cette chaîne de valeur. Il n'y a pas de fondeurs sans réflexion historique sur le rôle du bois et sur la présence du bois.

Les deux régions que sont les Hauts-de-France et le Grand Est, terres d'industrie, collaborent de plus en plus, par exemple sur la bio-économie. Nous envisageons de mutualiser nos démarches s'agissant de l'intelligence artificielle ; nous avons également des intérêts communs dans la filière automobile. Avec Valérie Pécresse, présidente de la région Île-de-France, nous avons signé un bio-pacte l'année dernière à la foire de Châlons-en-Champagne. Ces initiatives recouvrent des communautés de destin économique, industriel, des bassins de proximité, mais aussi des intérêts plus larges, qui pèsent à l'échelle européenne.

Nous sommes un peu les marins de la terre, dans le continent européen, coincés entre deux régions très puissantes, la région parisienne et le Land de Bavière. Nous sommes en quelque sorte le trait d'union, sans vouloir forcément ressembler à ces deux régions. La région Grand Est connaît un regain d'intérêt industriel, de vraies réussites, mais aussi des difficultés qu'il faut savoir entourer. Ainsi, l'année dernière, nous avons attiré 2,3 milliards d'euros d'investissements industriels étrangers - un milliard d'euros au premier trimestre 2019. Une dynamique existe, encouragée par des liens avec l'industrie allemande qui sont extrêmement forts, historiques. L'industrie allemande était implantée chez nous avant même que le mur de Berlin ne tombe ! Nos exportations sont largement positives aujourd'hui grâce à cette position stratégique dont bénéficie l'ensemble de la région. La taille de nos régions, dans le concert des régions européennes, permet de peser, de développer de nouveaux réseaux, de nouvelles collaborations.

Aujourd'hui, l'Alsace et la Lorraine, ont appris, autour de ce destin industriel, à travailler ensemble. Le poids économique de la région intrigue désormais de l'autre côté de la frontière : nos voisins allemands portent aujourd'hui un regard différent sur le Grand Est, même si nous ne pesons que 3 milliards d'euros - face à la Bavière voisine qui en pèse 35.

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