Merci, chère collègue. Mes chers collègues, avant toute chose, je voudrais remercier notre présidente d'avoir pris l'initiative de faire réagir la délégation à l'éviction des Bleues des chambres qu'elles occupaient à Clairefontaine.
Je vais donc vous parler des freins et des inégalités caractérisant la pratique féminine du football, tant dans son volet amateur que dans le haut niveau.
En ce qui concerne la pratique amateure, nous avons pu constater que l'accueil des filles dans les clubs est perfectible, malgré les progrès réalisés grâce à l'engagement et à la mobilisation de la Fédération française de football, notamment depuis 2011, comme vient de l'expliquer Céline Boulay-Espéronnier.
La première des conditions pour pratiquer le football tient à l'existence de sections féminines. Or, beaucoup de clubs en sont aujourd'hui dépourvus. Conséquence : si elles veulent faire du football, les petites filles sont obligées de pratiquer avec les garçons. Mais, quand arrive l'adolescence, beaucoup d'entre elles se voient contraintes de renoncer pour plusieurs raisons : risque de blessures, absence de vestiaires pour les filles... Cette question des vestiaires est loin d'être anecdotique, comme l'ont montré de précédents rapports de la délégation (notamment à propos de certains lycées agricoles, dans le rapport qui a été consacré aux agricultrices en 2017).
La création de sections féminines est donc nécessaire pour renforcer le maillage territorial de l'offre de clubs ouverts aux filles, notamment dans les territoires ruraux. Selon la FFF, la distance moyenne entre le domicile et un club doté d'une section féminine est aujourd'hui de 35 kilomètres, ce qui est beaucoup. Son objectif est de réduire cette distance à 15 km en 2020.
L'un des enjeux pour les clubs est également de constituer des équipes féminines à tous les niveaux, de l'enfance à l'âge adulte, pour permettre aux filles de pratiquer le football dans la durée et de participer à des matchs, sans se trouver obligées d'abandonner à l'adolescence, faute d'effectif suffisant.
Par ailleurs, la question des infrastructures est un point central pour accueillir les joueuses dans de bonnes conditions, leur permettre de pratiquer le football depuis l'enfance jusqu'à l'âge adulte, mais aussi pour faire face à la hausse de la pratique féminine qui devrait, nous l'espérons, résulter de la Coupe du monde de 2019.
La FFF est consciente de cet enjeu et met en oeuvre un soutien et des aides destinés à la structuration des clubs. Il faut souligner aussi l'implication, indispensable, des collectivités territoriales dans ces évolutions. La structuration des clubs concerne notamment les terrains, le matériel, et bien sûr les vestiaires. Attirer durablement les jeunes filles vers le football suppose en effet de leur garantir des créneaux de jeux adaptés, sachant que les familles sont parfois réticentes - de façon légitime - à ce que les fillettes et les adolescentes jouent tard le soir, sur un terrain parfois boueux en fonction des saisons ou craignent pour la sécurité de leur enfant en cas de jeu tardif.
Enfin, cela suppose aussi de garantir aux joueuses un accès aux terrains car le manque d'infrastructures (peu de terrains, absence de terrains couverts) conduit souvent les clubs à donner la priorité aux garçons.
J'en viens maintenant à la pratique de haut niveau.
Nous avons été très surprises d'apprendre que les footballeuses de haut niveau, contrairement à leurs homologues masculins, ne sont pas rattachées à la Ligue de football professionnel mais à la Fédération française de football compétente à l'égard de la pratique amateure. En effet, elles ne sont pas considérées comme des professionnelles du point de vue juridique. Dans le meilleur des cas, elles souscrivent des contrats fédéraux avec la FFF. Ces contrats représentent néanmoins une avancée car ils n'existaient pas par le passé, comme nous l'a rappelé Sandrine Soubeyrand, coach de l'équipe féminine de D1 du Paris Football Club. Par ailleurs, le nombre de contrats fédéraux tend à augmenter. Ils bénéficient aujourd'hui à environ 120 joueuses et concernent pour la plupart du plein temps.
Malgré tout, la situation ne peut être considérée comme satisfaisante du point de vue de l'égalité femmes-hommes. Comme l'a fort bien résumé Laura Georges, secrétaire générale de la FFF, que nous avons entendue le 28 mars, « le championnat de football féminin est amateur, mais les joueuses s'entraînent comme des professionnelles ».
On ne saurait se satisfaire de cette situation, qui a des conséquences multiples sur la vie des joueuses de haut niveau :
- faute de statut professionnel sur le plan juridique, elles ne sont pas protégées par une convention collective, contrairement aux joueurs professionnels ;
- sauf exception, comme à l'Olympique lyonnais ou au PSG, elles ne peuvent pas vivre dignement du football et sont très souvent obligées de suivre des études ou de travailler parallèlement à leur engagement de sportive de haut niveau, ce qui n'est pas sans conséquence sur leurs conditions d'entraînement. Certaines vivent même dans la « précarité », pour reprendre les mots de Marianne Gazeau, présidente de Foot d'Elles, que nous avons auditionnée le 11 avril 2019.
Dans ce contexte, plusieurs clubs du championnat de D1, comme le Paris Football Club dont nous avons visité le nouveau centre de formation et d'entraînement, qui accueillera joueurs et joueuses sur un site unique, mettent en place un « double projet » pour permettre aux joueuses de concilier pratique sportive et orientation professionnelle.
Si ce « double projet » est nécessaire tant que les footballeuses de haut niveau ne pourront pas bénéficier d'une rémunération suffisante pour vivre de ce métier, il doit faire preuve d'ambition et nécessite une certaine souplesse de la part des clubs, des emplois ou des cursus universitaires concernés. De ce point de vue, la situation est là encore perfectible.
Le « double projet » pose aussi la question de la reconversion, car les carrières « professionnelles » des joueuses ne génèrent pas suffisamment de revenus pour vivre une fois qu'elles auront pris leur retraite sportive. À cet égard, nous avons été intéressées par la démarche entreprise par la Fédération française de football pour faciliter l'accès des joueuses au diplôme d'entraîneur. À ce jour, très rares sont les anciennes joueuses à avoir obtenu ce diplôme. Corinne Diacre est la première à l'avoir obtenu et à avoir ainsi entraîné une équipe du championnat masculin.
Les inégalités entre joueurs et joueuses de haut niveau sont également flagrantes en matière de rémunération, qu'il s'agisse du salaire ou des primes. Je ne redonnerai pas les chiffres qui figurent dans le rapport, mais on peut garder en tête cet ordre de grandeur très parlant et choquant à la fois, cité par Audrey Keysers, co auteure de Football féminin. La femme est l'avenir du foot : l'écart entre les rémunérations des joueuses et celles des footballeurs serait de 96 % !