Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, au moment de conclure une semaine de discussions intenses, parfois passionnées, sur l’organisation de notre système de santé, comment ne pas, d’abord, faire écho à ces trois mois de colère, à ce mouvement qui se durcit, s’enlise, qui voit le collectif Inter-Urgences réunir près de quatre-vingt-dix services d’urgence en grève ?
Le projet de loi que vous nous avez présenté, madame la ministre, répond-il à la détresse de ces personnes, tant dévouées et motivées et qui se mettent en arrêt maladie ?
Depuis trois mois, vous n’avez pas pris la mesure d’un niveau d’épuisement rarement atteint. Ces situations humaines, tant pour les patients que pour les personnels, sont totalement insupportables.
L’avenir ne se construira pas sans apporter des solutions aux difficultés du présent, ce « pressant avenir immédiat », selon l’expression du philosophe Vladimir Jankélévitch.
J’indiquais, lundi dernier, que la traduction législative du plan Ma santé 2022 conduisait à s’interroger et soulevait de fortes oppositions. Les débats n’ont effacé ni les doutes, ni les incertitudes, ni les oppositions.
Celles-ci se font vives, j’y insiste, madame la ministre, quand le Gouvernement ne respecte pas le dialogue parlementaire, ne respecte pas le temps nécessaire à la concertation et à l’élaboration d’un projet de loi, non plus que le temps nécessaire pour imaginer les solutions les plus innovantes avec les acteurs de la santé et les élus.
Alors que le Premier ministre s’était engagé à mieux écouter les Français, à renforcer le dialogue avec les corps intermédiaires et les élus locaux et nationaux, vous êtes déjà rattrapée par vos vieux démons.
Vous avez présenté à la sortie du conseil des ministres un projet ramassé en vingt-trois articles, mais les parlementaires n’auront pas à se prononcer sur ses éléments les plus importants. Privilégiant le recours à la procédure d’urgence, vous nous demandez de renoncer au débat parlementaire et de vous autoriser à légiférer par ordonnances.
Le Premier ministre, encore, affirmait pourtant, lundi 8 avril, qu’il souhaitait renforcer le dialogue avec les élus, et qu’il entendait construire « les outils d’une démocratie plus délibérative et participative ». Il ajoutait : « si on ne prend pas le temps d’écouter, généralement, on n’écoute pas bien. » Dès lors, madame la ministre, prenez le temps d’écouter le Sénat !
La dérive dans laquelle vous vous installez nous inquiète : nous n’acceptons pas que le Gouvernement ignore le Parlement ; nous refusons une situation dans laquelle il conviendrait d’abandonner la démocratie parlementaire et délibérative, considérée comme appartenant au « vieux monde ».
Comment, en effet, ne pas voir que ce texte sort renforcé et mieux armé à l’issue de la discussion au Sénat ? Comment ne pas constater le travail utile effectué par la commission des affaires sociales ? Comment ne pas comprendre le bénéfice du bicamérisme et de la respiration démocratique ?
J’illustrerais ce propos par quelques exemples, dont certains sont fondamentaux.
Les amendements identiques, parmi lesquels un amendement socialiste, portant sur le troisième cycle des études de médecine générale et de certaines spécialités démontrent la capacité du Sénat à apporter des solutions pertinentes, réalistes et efficaces à l’angoisse de nos concitoyens vivant dans les zones où la présence médicale se raréfie. Voilà comment nous pouvons dépasser les clivages politiques pour soutenir ensemble l’intérêt général. Sans brader la formation, en liant professionnalisation et lutte contre les déserts médicaux, ce sont plusieurs milliers de futurs médecins qui viendront irriguer nos territoires et participeront à relever le défi de l’accès aux soins pour tous nos concitoyens.
Concernant la formation des professionnels de santé, grâce à l’adoption d’un amendement socialiste, la détermination du nombre d’étudiants reçus en deuxième et troisième années de premier cycle fera primer le critère des besoins de santé du territoire sur celui de la capacité d’accueil des facultés.
S’agissant du volet numérique, si nous sommes opposés à l’automaticité de l’ouverture de l’espace numérique de santé au profit du consentement libre et éclairé, nous reconnaissons l’avancée que constitue le dispositif, introduit sur l’initiative du rapporteur, garantissant l’interopérabilité des outils numériques en santé, assorti d’un calendrier opposable, gage d’amélioration de la qualité des soins et d’une meilleure coordination des parcours de santé.
Enfin, nous l’avons longuement évoqué, l’adoption d’un amendement déposé par plusieurs de nos collègues a conduit à allonger de deux semaines le délai de recours à l’IVG, afin de lutter contre les inégalités subies par les femmes. La majorité sénatoriale et le Gouvernement ont malheureusement fait le choix de la procédure, constitutionnelle certes, mais brutale, de la seconde délibération.
Si de grandes orientations de ce texte, telles que la réforme des études, l’exercice collectif, la gradation des soins, la numérisation, peuvent être partagées, à la condition qu’elles ne visent pas à privatiser progressivement le secteur de la santé, nous ne pouvons accepter les trop nombreux recours aux ordonnances, en particulier aux articles 8 et 9, sur des sujets majeurs et structurants. L’examen de ce qui s’est révélé être un projet de loi de cadrage ne nous a pas permis, en raison de sa conception même, d’appréhender ses implications réelles dans nos territoires, en métropole comme en outre-mer, pour les personnels de santé et, surtout, pour les usagers, les malades, en matière d’accès aux soins.
Le groupe socialiste et républicain, malgré l’adoption de l’amendement portant sur le troisième cycle des études médicales, qui est un élément important à nos yeux, votera contre le texte issu des débats de la Haute Assemblée.