Intervention de Faruk Kaymakci

Commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées — Réunion du 21 mai 2019 à 18h10
Audition de s.e. M. Faruk Kaymakci vice-ministre des affaires étrangères de la république de turquie

Faruk Kaymakci, vice-ministre des affaires étrangères de la République de Turquie :

Votre Président de la République a instauré le 24 avril comme journée nationale de commémoration du prétendu génocide arménien. Qu'attendiez-vous de la Turquie ? Quelle est la priorité de la France : la promesse politique faite aux électeurs arméniens ou l'amitié avec la Turquie ? Nous avons montré notre volonté d'ouverture en proposant d'instaurer une commission indépendante sur ce sujet. Si elle déclare qu'il y a eu un génocide, nous nous y conformerons. Ce n'est pas au Parlement, ni au Président de la France ni à l'Union européenne de décider de ce qui s'est passé en 1915. L'intérêt des individus serait plus important que les relations politiques entre la Turquie et la France ? Voilà ce qui a suscité la réaction violente dont vous avez fait les frais à l'Assemblée parlementaire de l'OTAN.

Laissons cette question arménienne derrière nous et regardons l'avenir. C'est la seule voie possible pour la réconciliation. Sans quoi, nos relations bilatérales risquent d'en souffrir. La Turquie fera un geste symbolique pour honorer l'histoire des Français en Anatolie. Nous savons nous montrer amicaux en matière de mémoire et expliquer la culture turque. Voyez ce que nous avons fait avec la Nouvelle-Zélande et l'Australie.

Quant à l'OTAN, cela dépend de nous tous. Il faut chercher le moyen de répondre aux besoins défensifs de la Turquie sans affaiblir l'OTAN. Même l'administration Trump, qui a essayé de détruire les relations transatlantiques, a compris peu à peu ce qu'il faut faire quand il s'agit de la sécurité de l'Occident.

La Chine est un partenaire économique important de la Turquie. L'un des corridors principaux des nouvelles « routes de la soie » passe par la Turquie, qui joue un rôle clef dans ce projet de par sa position géostratégique. Un problème demeure toutefois : le traitement des Ouïghours, peuple d'origine turque. Nous avons fermement réagi aux exécutions, et la Chine s'est un peu fâchée. Notre relation est aujourd'hui limitée, mais la Chine comprend le poids économique et stratégique de la Turquie, qui veut toujours contribuer à cet important projet de connexion de l'Asie avec l'Europe.

Je travaille avec M. Bagis, je le connais bien ; peut-être ses propos ont-ils été mal interprétés. Le peuple et le gouvernement turcs sont sérieux dans leur volonté d'adhésion à l'Union européenne. Certes, ce n'est pas la Turquie d'aujourd'hui qui peut adhérer, mais nous voulons la voir changer, devenir plus occidentale, démocratique et libérale. Après les élections municipales d'Istanbul, le 23 juin, il y aura quatre ans sans élections : vous verrez émerger une autre Turquie, réformatrice.

Le Conseil de l'Europe observe le déroulement des élections turques ; nous l'avons invité à observer les élections municipales. Tout est ouvert, nous verrons s'il y a ou non un problème. D'après le rapport remis après les élections du 30 mars, la délégation du Conseil de l'Europe a apprécié la manière dont elles se sont déroulées.

Quant à l'Iran, c'est à la fois un partenaire et un concurrent. Nous importons d'Iran la moitié de notre pétrole. L'économie de notre voisin est importante, c'est un partenaire commercial. L'Iran joue un rôle dans la crise syrienne, mais aussi en Irak. Il est essentiel de travailler avec lui, mais cela ne signifie pas que nous acceptons leur politique étrangère, qui est basée sur un certain sectarisme. L'Iran exploite la division entre chiites et sunnites en Irak, mais aussi au Bahreïn et au Yémen. Il joue de ce point de vue un rôle destructif. La Turquie essaie de faire face à cette politique.

En dépit de cette opposition, nous devons travailler avec l'Iran et la Russie pour trouver une solution politique au conflit syrien. Nous espérons qu'il n'y aura pas de conflit entre l'Iran et les États-Unis. Israël utilise aussi ces conflits ; comme l'Arabie saoudite et les États-Unis, ils veulent pénaliser l'Iran. Mais cela comporte des risques : le ministre de l'intérieur iranien avait menacé de laisser passer vers l'Europe des tonnes de drogue et des millions de réfugiés. L'Europe doit jouer son rôle. Nous sommes opposés aux sanctions unilatérales américaines envers l'Iran. Nous avions averti nos amis américains, mais certains veulent une guerre et organisent des provocations. De telles sanctions mèneront à la nucléarisation de l'Iran ; cela compliquera les choses. Quant à la Turquie, elle ne peut pas appliquer les sanctions à 100 %. Qui pourrait remplacer l'Iran comme fournisseur de notre pétrole ?

Quant à la question kurde, la Turquie ne considère pas les Kurdes comme des terroristes. Nous avons eu d'excellentes relations avec les Kurdes d'Irak jusqu'au référendum illégal, et elles sont toujours bonnes. Les Kurdes de Turquie sont une partie de notre nation. Nous vivons avec eux depuis des siècles. Aujourd'hui, la plus grande ville kurde est Istanbul. Certes, la Turquie doit prendre des mesures contre le PKK, mais il faut faire cette distinction. Nous avons aussi de bonnes relations avec les Kurdes de Syrie, nous leur avons offert refuge. Cependant, les YPG, une branche du PKK, essaient de contrôler la région et pratiquent le nettoyage ethnique dans le nord de la Syrie ; même les Kurdes qui ne les soutiennent pas sont expulsés. La Turquie n'a pas de problème avec les Kurdes, mais avec les terroristes du PKK.

Concernant les manoeuvres navales, il faut voir notre marine comme une force de l'OTAN. C'est un exercice militaire tout à fait normal, nous faisons de telles manoeuvres presque tous les ans, elles ne sont dirigées contre personne. Bien sûr, nos amis grecs et chypriotes grecs les dépeignent comme une menace ; ce n'est pas nouveau. La Turquie a fait beaucoup de progrès en matière d'industrie d'armement. Nous avons produit de nouveaux équipements : il faut les tester.

L'absence de l'Union européenne en Syrie est regrettable. Elle pense déjà à la reconstruction, mais on n'en est pas là. Il faut d'abord que l'Europe pèse pour trouver une solution au conflit, pour qu'il se termine le plus vite possible.

Le mot « chantage » a été prononcé au sujet de la question chypriote. Malheureusement, s'il y a chantage, il vient des Grecs chypriotes. Ils abusent de leur appartenance à l'Union européenne. Je suis prêt à soutenir un plan de paix et à coopérer pour l'exploitation du gaz naturel autour de Chypre, mais les Chypriotes grecs ont déjà offert des contrats lucratifs à des sociétés européennes d'hydrocarbures : c'est une provocation ! Il ne faut pas procéder à des sondages dans les zones contestées avant d'avoir procédé à une délimitation.

On a parlé d'un parti turc en France. Il n'existe pas, à ma connaissance. Les Français d'origine turque font partie de la France, je ne sais pas pourquoi ils ont créé un parti. J'ai posé la même question à un député belge d'origine turque ayant créé un tel parti. Une telle initiative, lui ai-je dit, va contre l'intégration, et ne peut mener qu'à la radicalisation et à la marginalisation de cette communauté. Il m'a répondu qu'il avait été rejeté de son parti politique parce qu'il n'a pas reconnu le prétendu génocide arménien. C'est pourquoi il a créé ce parti, en protestation. Il faut se demander comment intégrer les Français d'origine turque et pourquoi ils se sentent forcés de créer de tels partis. Il faut surtout créer une mentalité de coopération entre les pays d'origine et les pays qui reçoivent des immigrants. Nous sommes opposés à de tels partis et la Turquie n'apporte en général son soutien à aucun parti ; ce n'est pas notre culture !

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