J'ai souhaité, madame la ministre, que nous consacrions cette séance aux exportations d'armes. Nul n'ignore, et singulièrement pas dans cette commission, l'importance qu'elles revêtent pour notre pays, son économie et sa sécurité. Les chiffres parlent d'eux-mêmes et montrent en quoi elles sont importantes pour notre base industrielle et technologique de défense et l'activité de nos territoires. Nombre de sénateurs ont dans leurs départements des usines consacrées à la défense.
Pour demeurer ou, pour certaines capacités, redevenir autonomes, nous devons doter nos forces de matériels du meilleur niveau technologique or les nouveaux matériels demandent, pour leur mise au point, toujours plus d'investissements puisque les technologies sont de plus en plus avancées. On a évoqué, pour la mise au point du futur chasseur bombardier franco-allemand, une somme de 25 milliards d'euros. Seuls, nous ne pouvons pas assumer un tel programme. Ces investissements ne peuvent absolument pas être financés par les débouchés du seul marché national, ni même du marché européen - surtout quand certains de nos voisins s'approvisionnent à l'étranger... Ces exportations sont aujourd'hui absolument indispensables à notre autonomie. C'est l'une des données fondamentales du problème.
Cependant, nous sommes aujourd'hui confrontés à deux problèmes politiques dont nous avons souhaité débattre.
Le premier est la contestation croissante du choix de certaines exportations de la part de responsables politiques, et de médias plus ou moins bien informés qui remettent en cause le choix de certaines exportations à des pays susceptibles d'utiliser des matériels français dans des opérations qui pourraient faire, directement ou indirectement, des victimes civiles : nous pensons au Yémen.
Madame la ministre, vous connaissez l' « ADN » du Sénat : nous débattons des sujets sans jamais faillir à la solidarité lorsque la sécurité nationale et les intérêts supérieurs de l'État sont en jeu. En revanche, nous nous interrogeons sur les éléments de langage qui laissent à croire que le Gouvernement n'a pas connaissance d'utilisation offensive de ces matériels alors qu'est apparue de manière fort étrange une note de la direction du renseignement militaire (DRM) qui révèle la présence de 48 canons Caesar déployés le long de la frontière entre le Yémen et l'Arabie saoudite en appui des troupes loyalistes épaulées par les forces armées saoudiennes. La même note évoque 436 370 civils potentiellement menacés par de tels tirs le long de la frontière. Le caractère défensif de leur utilisation est contestée par des ONG et des organes de presse. Ce sujet rencontre un écho dans l'opinion publique. L'absence de transparence ne risque-t-elle pas de provoquer une perte de confiance de nos concitoyens et une remise en cause du secret-défense et de la raison d'État ? Nous souhaitons avoir votre sentiment sur la façon dont le système d'autorisation de la commission interministérielle pour l'étude des exportations de matériels de guerre (CIEEMG) fonctionne, quelles sont les garanties prises avant d'autoriser l'exportation d'armements ?
Nous nous interrogeons aussi sur le sens de la diffusion de cette note. La DRM ne nous a pas habitués à « perdre » des notes confidentielles. N'y a-t-il pas là quelque chose de préoccupant, qui exprimerait que certaines personnes habilitées considèrent que ce dossier mérite d'émerger ?
Le Gouvernement peut évidemment attendre que cette affaire disparaisse de l'actualité mais j'en doute : la publication de l'ouvrage d'une journaliste donne lieu à de nombreuses affirmations dans les médias. On peut aussi imaginer que même dans une utilisation tout à fait défensive, un incident ou un accident survienne.
Nous sommes respectueux de l'application de la Constitution de la Ve République qui réserve la politique de la vente d'armes à l'exécutif. Dès lors, deux sujets ressortent : celui des alliances stratégiques, qui est de la responsabilité du chef de l'État et du Gouvernement sous le contrôle du Parlement ; et celui, qui nous occupe, de la façon dont le Parlement peut contrôler l'action du Gouvernement dans le secteur sensible de la vente d'armes à l'étranger. Les journalistes et l'opinion publique nous le demandent légitimement, en s'appuyant sur le rôle des parlements des États-Unis ou d'Allemagne.
Enfin, j'appelle votre attention sur la définition du modus vivendi avec nos partenaires européens. Nous sommes un certain nombre à ne pas apprécier les leçons de morale qui nous sont régulièrement adressées par des voisins, et amis, qui prennent des décisions à grand renfort de publicité et dont on s'aperçoit que des filiales judicieusement positionnées dans des pays lointains poursuivent leur commerce d'armes. Comment assurer une meilleure coordination européenne sur ce sujet ? Nous nous apprêtons à lancer de grands programmes de coopération, par exemple avec l'Allemagne, mais il faut se mettre d'accord sur la façon dont on exporte.
Disons clairement les choses et voyons quels sont les éléments d'information et l'attitude à adopter. Nous réfléchissons aux mesures à envisager pour améliorer le contrôle afin que le Parlement joue pleinement son rôle face à ce problème récurrent.