Commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées

Réunion du 22 mai 2019 à 16h40

Résumé de la réunion

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La réunion

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Debut de section - PermalienPhoto de Christian Cambon

J'ai souhaité, madame la ministre, que nous consacrions cette séance aux exportations d'armes. Nul n'ignore, et singulièrement pas dans cette commission, l'importance qu'elles revêtent pour notre pays, son économie et sa sécurité. Les chiffres parlent d'eux-mêmes et montrent en quoi elles sont importantes pour notre base industrielle et technologique de défense et l'activité de nos territoires. Nombre de sénateurs ont dans leurs départements des usines consacrées à la défense.

Pour demeurer ou, pour certaines capacités, redevenir autonomes, nous devons doter nos forces de matériels du meilleur niveau technologique or les nouveaux matériels demandent, pour leur mise au point, toujours plus d'investissements puisque les technologies sont de plus en plus avancées. On a évoqué, pour la mise au point du futur chasseur bombardier franco-allemand, une somme de 25 milliards d'euros. Seuls, nous ne pouvons pas assumer un tel programme. Ces investissements ne peuvent absolument pas être financés par les débouchés du seul marché national, ni même du marché européen - surtout quand certains de nos voisins s'approvisionnent à l'étranger... Ces exportations sont aujourd'hui absolument indispensables à notre autonomie. C'est l'une des données fondamentales du problème.

Cependant, nous sommes aujourd'hui confrontés à deux problèmes politiques dont nous avons souhaité débattre.

Le premier est la contestation croissante du choix de certaines exportations de la part de responsables politiques, et de médias plus ou moins bien informés qui remettent en cause le choix de certaines exportations à des pays susceptibles d'utiliser des matériels français dans des opérations qui pourraient faire, directement ou indirectement, des victimes civiles : nous pensons au Yémen.

Madame la ministre, vous connaissez l' « ADN » du Sénat : nous débattons des sujets sans jamais faillir à la solidarité lorsque la sécurité nationale et les intérêts supérieurs de l'État sont en jeu. En revanche, nous nous interrogeons sur les éléments de langage qui laissent à croire que le Gouvernement n'a pas connaissance d'utilisation offensive de ces matériels alors qu'est apparue de manière fort étrange une note de la direction du renseignement militaire (DRM) qui révèle la présence de 48 canons Caesar déployés le long de la frontière entre le Yémen et l'Arabie saoudite en appui des troupes loyalistes épaulées par les forces armées saoudiennes. La même note évoque 436 370 civils potentiellement menacés par de tels tirs le long de la frontière. Le caractère défensif de leur utilisation est contestée par des ONG et des organes de presse. Ce sujet rencontre un écho dans l'opinion publique. L'absence de transparence ne risque-t-elle pas de provoquer une perte de confiance de nos concitoyens et une remise en cause du secret-défense et de la raison d'État ? Nous souhaitons avoir votre sentiment sur la façon dont le système d'autorisation de la commission interministérielle pour l'étude des exportations de matériels de guerre (CIEEMG) fonctionne, quelles sont les garanties prises avant d'autoriser l'exportation d'armements ?

Nous nous interrogeons aussi sur le sens de la diffusion de cette note. La DRM ne nous a pas habitués à « perdre » des notes confidentielles. N'y a-t-il pas là quelque chose de préoccupant, qui exprimerait que certaines personnes habilitées considèrent que ce dossier mérite d'émerger ?

Le Gouvernement peut évidemment attendre que cette affaire disparaisse de l'actualité mais j'en doute : la publication de l'ouvrage d'une journaliste donne lieu à de nombreuses affirmations dans les médias. On peut aussi imaginer que même dans une utilisation tout à fait défensive, un incident ou un accident survienne.

Nous sommes respectueux de l'application de la Constitution de la Ve République qui réserve la politique de la vente d'armes à l'exécutif. Dès lors, deux sujets ressortent : celui des alliances stratégiques, qui est de la responsabilité du chef de l'État et du Gouvernement sous le contrôle du Parlement ; et celui, qui nous occupe, de la façon dont le Parlement peut contrôler l'action du Gouvernement dans le secteur sensible de la vente d'armes à l'étranger. Les journalistes et l'opinion publique nous le demandent légitimement, en s'appuyant sur le rôle des parlements des États-Unis ou d'Allemagne.

Enfin, j'appelle votre attention sur la définition du modus vivendi avec nos partenaires européens. Nous sommes un certain nombre à ne pas apprécier les leçons de morale qui nous sont régulièrement adressées par des voisins, et amis, qui prennent des décisions à grand renfort de publicité et dont on s'aperçoit que des filiales judicieusement positionnées dans des pays lointains poursuivent leur commerce d'armes. Comment assurer une meilleure coordination européenne sur ce sujet ? Nous nous apprêtons à lancer de grands programmes de coopération, par exemple avec l'Allemagne, mais il faut se mettre d'accord sur la façon dont on exporte.

Disons clairement les choses et voyons quels sont les éléments d'information et l'attitude à adopter. Nous réfléchissons aux mesures à envisager pour améliorer le contrôle afin que le Parlement joue pleinement son rôle face à ce problème récurrent.

Debut de section - Permalien
Florence Parly, ministre des armées

L'exportation d'armements est un sujet sensible que je prends extrêmement au sérieux. Je reviendrai prochainement devant votre commission puisque nous publions chaque année un rapport sur le sujet ; vous constaterez qu'il a évolué dans sa forme pour être rédigé avec encore plus de transparence et de clarté.

Dès aujourd'hui, il est utile que nous ayons un débat aussi serein que possible, basé sur des faits. En effet, beaucoup d'hypothèses ou de suppositions ont été élaborées en s'appuyant sur la note de la DRM donnée à la presse. Je ne la commenterai pas. Par principe, je ne commente ni les informations protégées par le secret de la défense nationale, ni les poursuites judiciaires contre ceux qui ont divulgué ces informations classifiées. La liberté de la presse et la liberté d'expression sont fondamentales. Elles ne peuvent cependant pas s'exercer en violation du code pénal. Si le secret des sources est naturellement et heureusement protégé, le secret de la défense nationale est un pilier de la protection des intérêts fondamentaux de la Nation et de la sécurité de tous les Français. Toute atteinte à ce secret est pénalement répréhensible. C'est la loi. Je suis sûre que les législateurs que vous êtes sont sensibles à cet argument. Qui comprendrait que dans l'environnement sécuritaire actuel, l'État ne réagisse pas à la fuite de documents classifiés ? En tant que ministre des armées, je ne peux certainement pas tolérer ce qui peut compromettre des sources, nos moyens, nos partenaires.

La situation au Yémen a ému, à bon droit, l'opinion publique. Cette guerre atroce dure depuis trop longtemps ; elle a des conséquences humanitaires intolérables. Je fais en particulier référence aux ravages de la famine. Notre priorité absolue est la fin de cette guerre. Nous faisons tout ce qui est en notre pouvoir pour qu'une solution politique voie le jour. Nous sommes en contact avec M. Griffiths, envoyé spécial du secrétaire général des Nations unies pour le Yémen, qui a tout notre soutien dans sa mission, que nous savons extrêmement difficile. Quelques avancées positives ont été constatées ces derniers temps, notamment dans la mise en oeuvre d'un accord noué fin 2018 à Stockholm qui prévoit le retrait des milices houthies de trois ports dont celui d'Hodeïda. Ces efforts diplomatiques doivent se poursuivre et s'intensifier. La France, membre du Conseil de sécurité de l'ONU, y prendra toute sa part.

Le fait qu'en vertu d'un partenariat ancien avec les Émirats arabes unis et l'Arabie Saoudite, la France a vendu il y a vingt ans, puis il y a quatre ans, des armes employées sur ce champ de bataille doit-il nous faire nous sentir coupables ? Examinons les faits.

Nous n'avons jamais prétendu qu'aucune arme française n'était utilisée au Yémen mais la plupart des équipements vendus à l'Arabie Saoudite et aux Émirats arabes unis l'ont été bien avant la guerre au Yémen.

Leur vente a répondu à plusieurs intérêts de long terme qui dépassent les dirigeants, les conflits, les pays dont il s'agit. Le premier est la protection de nos ressortissants, qui sont 40 000 dans le Golfe arabo-persique, dont 30 000 en Arabie Saoudite et aux Émirats arabes unis. Le deuxième est la sécurité de nos approvisionnements énergétiques qui passent par le détroit de Bab-el-Mandeb. Le troisième est la liberté de navigation. Toute menace au large du détroit pèserait très lourd sur le trafic maritime mondial. Tout le flux de containers d'Asie, ainsi que de La Réunion, y transite. Le quatrième est la stabilité de la région dans laquelle l'Iran multiplie les arsenaux balistiques et accroît son influence déstabilisante. Je rappelle que trois bases militaires françaises sont situées aux seuls Émirats arabes unis. Le cinquième est la lutte contre le terrorisme. Ceux qui luttent contre Al-Qaïda dans la péninsule arabique (AQPA), ce sont les Émirats arabes unis.

Aurait-on dû empêcher les Émirats arabes unis et l'Arabie Saoudite d'engager la guerre du Yémen ? Là aussi, quelques rappels. Cette guerre, c'est d'abord l'histoire d'un coup d'État contre un gouvernement légitime par une faction soutenue par l'Iran. Un conflit interne éclate en 2014 après des années de déchirements, malgré la réunification du Yémen du Nord et du Yémen du Sud en 1990. À cette époque, les rebelles houthis conquièrent la capitale, s'en prennent à la population. Face à une situation devenue intenable, le président légitime, M. Hadi, fait appel aux Saoudiens et aux Émiriens en mars 2015. C'est aussi l'histoire d'une menace permanente contre le territoire de l'Arabie Saoudite, avec des missiles régulièrement tirés contre la capitale, Riyad, ainsi que contre celui des Émirats arabes unis, qui subissent fréquemment des attaques de drones ou de vedettes suicides. Quel État souverain pourrait l'accepter ?

Une fois la guerre déclenchée, lorsque nos partenaires utilisent la force d'une manière qui ne nous paraît pas compatible avec le droit international humanitaire, nous ne nous privons pas de le leur dire. Devons-nous pour autant arrêter toute vente d'armement à ces pays ainsi que le service des équipements déjà fournis ? La question est délicate. Conformément à nos obligations internationales au titre du Traité sur le commerce des armes, nous pouvons arrêter de fournir certains éléments lorsque nous évaluons qu'il existe un risque prépondérant que les armes soient utilisées pour commettre une violation grave du droit humanitaire ou des droits de l'homme. Nous menons un examen sérieux des dossiers qui nous sont soumis. Nous avons ainsi refusé une licence portant sur des munitions air-sol. Depuis le début de l'année, une quinzaine de demandes d'exportation ont été retirées par les industriels, dissuadés par l'État.

Je ne crois pas que nous devions pour autant cesser toute relation d'armement avec l'Arabie Saoudite et les Émirats arabes unis. Quand vous êtes au Gouvernement, vous n'êtes pas comptable de votre indignation ; vous êtes d'abord comptable des intérêts de la France. C'est un débat intérieur dont vous êtes le premier censeur. Que se passerait-il si l'on arrêtait toutes les ventes à ces pays ? Nous nous en couperions pour au moins une génération. On perdrait tout partenariat sur les crises dans lesquels ils ont joué, jouent ou joueront un rôle positif. Je rappelle que c'est l'Arabie saoudite qui a rendu la paix possible au Liban grâce à l'accord de Taëf en 1989. C'est elle qui a lancé l'initiative arabe de paix pour la Palestine en 2002. Plus récemment, c'est à Abu Dhabi que les leaders libyens étaient tout près d'une solution de paix durable quand le général Haftar a lancé son initiative malheureuse sur Tripoli. On fragiliserait aussi l'action que nous menons conjointement contre le terrorisme avec le G5 Sahel soutenu par ces deux pays. On porterait aussi un coup sérieux à la réputation de la France à l'export en entretenant l'idée que la France peut lâcher ses partenaires en cours de route si elle désapprouve telle ou telle de leurs actions. On fragiliserait aussi tout l'écosystème industriel français qui dépend de ces contrats.

Si nous vendons des armes, c'est parce que c'est indispensable à notre souveraineté - celle de la France et celle de l'Europe, que le Gouvernement s'attache chaque jour à construire. C'est la liberté d'action de la France dans le monde qui est en jeu, dans le cadre de nos responsabilités de puissance de paix, membre permanent du Conseil de sécurité des Nations unies.

Pour disposer des équipements militaires qui nous permettent d'assurer notre mission fondamentale de protection de notre territoire et de nos ressortissants et de dissuasion militaire, nous devons maintenir la viabilité et l'indépendance de notre industrie militaire pour les décennies à venir. Nous ne sommes ni les États-Unis, ni la Chine, ni la Russie : viabiliser nos industries à coup de commandes publiques n'est pas une option. Le marché européen est trop étroit, l'Europe de la défense est trop balbutiante, l'Europe dépense trop peu pour sa défense et quand elle le fait, c'est encore beaucoup trop hors de l'Union européenne. C'est un constat : nous n'avons pas d'autre choix que d'exporter.

Certains partenaires ont décidé de ne pas vendre à tel ou tel pays mais ils n'ont souvent pas la responsabilité de dissuasion nucléaire, ni une présence active hors de leurs frontières. Ils peuvent sans doute se permettre ce type de position.

Exporter, c'est aussi construire la souveraineté européenne. J'étais il y a quelques jours aux Pays-Bas et en Belgique avec qui nous construisons les chasseurs de mine du futur. Avec l'Allemagne et l'Espagne, nous construirons l'avion de chasse du futur. De nombreux autres pays européens s'y intéressent. Derrière ces programmes, c'est la souveraineté de notre continent qui se joue. L'Europe dépend trop des autres pays. Comme le relevait un responsable étranger, les Européens sont les derniers végétariens dans un monde de carnivores. Il nous faut changer de régime en commençant par nous doter de nos propres équipements. La Commission européenne elle-même en prend conscience. C'est pourquoi elle a lancé le Fonds européen de la défense et souhaite y consacrer 13 milliards d'euros. Dans les prochaines années, nos partenaires européens seront amenés à prendre des décisions importantes : aux Pays-Bas, les sous-marins ; en Suisse et en Finlande, les avions de combat. Nous devons tout faire pour réussir sur ces marchés d'exportation car c'est de l'interopérabilité de nos forces, de notre capacité à travailler en commun, de notre solidarité et de notre résilience qu'il est question face à la volatilité du monde extérieur. Enfin l'export permet de tisser des liens étroits avec des États stratégiques pour la sécurité de la France, qu'il s'agisse de l'Inde ou de l'Australie, qui assurent notre présence en Asie où les futurs équilibres mondiaux se joueront. Notre coopération avec les Émirats arabes unis, qui se traduit par la présence de bases françaises sur leur territoire, nous place au coeur du Moyen-Orient, qui est une région clé pour notre sécurité et nos approvisionnements énergétiques.

Il ne faut pas non plus négliger la dimension économique de l'armement pour nos territoires. Ce secteur représente 200 000 emplois directs et 400 000 emplois indirects, soit 13 % des emplois industriels en France, au-delà des grandes agglomérations, à Cherbourg, Saint-Nazaire, Saclay, Nice, Toulon, Lannion, Veurey-Voroize en Isère, Domérat dans l'Allier, et ailleurs. Chers sénateurs, dans vos territoires, des milliers d'entreprises, qu'il s'agisse de très petites entreprises (TPE) ou d'entreprises de taille intermédiaire (ETI) vivent de ces contrats d'exportation. Des familles en dépendent. Je sais que vous êtes entièrement dédiés à vos territoires et que la protection des emplois de vos régions vous mobilise.

Je ne suis pas en train de vous dire que l'argument économique justifie de faire n'importe quoi. Mais je n'aime pas voir les beaux esprits étriller la politique du Gouvernement alors qu'elle ne diffère pas de celle des gouvernements précédents, même les plus récents. Un peu de cohérence ne nuit pas.

Nous devons vendre, et pas seulement à nos voisins européens. Comment le faire avec le maximum de discernement pour préserver les intérêts de long terme de notre pays ? Les ventes d'armes nous lient à l'échelle d'une génération. Un avion, c'est trente ou quarante ans de partenariat. En quarante ans, des pays amis peuvent s'éloigner à la faveur d'une élection ; des pays pacifiques peuvent devenir plus belliqueux ; des gouvernements stables peuvent être renversés par des populistes, des autocrates ou des fanatiques ; à l'inverse, de grands pays pas très bien gouvernés peuvent changer positivement. Nous devons peser soigneusement les conséquences de nos décisions. Gouverner, ce n'est pas s'émouvoir, c'est prévoir.

J'aimerais vous convaincre de faire confiance à nos institutions. Je vais vous détailler le fonctionnement de la CIEEMG. Placée sous l'autorité du Premier ministre, elle autorise ou non l'octroi de licences en ménageant au mieux nos intérêts et nos obligations juridiques. Elle est au coeur d'un processus exigeant dans le plein respect du droit national et international. Faites confiance à la robustesse de nos procédures. En pratique, chaque demande est scrutée par le ministère de l'Europe et des affaires étrangères, celui des armées, celui de l'économie et des finances, par le cabinet du Premier ministre, par les services de renseignement et le secrétariat général de la défense et de la sécurité nationale. Le ministère de l'intérieur, les douanes et le ministère de la recherche sont fréquemment invités à formuler des avis. Le ministère des armées n'officie aucunement seul dans son coin. Il s'agit toujours d'une délibération collégiale suivie d'une décision rendue par le Premier ministre. Chaque examen fait appel à des analyses pointues du matériel, de la situation du pays, voire de l'unité à laquelle le matériel serait destiné, de l'industrie, de l'impact possible sur nos propres forces. Les discussions sont longues - les industriels nous reprochent parfois des délais qui s'allongent - et menées avec la plus grande minutie. Il n'est pas rare que la CIEMG sollicite des expertises ou un dialogue complémentaires avec l'industriel, qui peut conduire ce dernier à retirer sa demande.

L'accord d'une licence ne doit pas être interprété comme un chèque en blanc. L'exportation est autorisée sous conditions, par exemple l'interdiction de réexporter ou l'obligation d'appliquer des procédures contre la dissémination. Nous assurons le suivi via des démarches diplomatiques ou des modules de formation au droit international et humanitaire.

Certains se prévaudront d'exemples étrangers pour promouvoir un embargo complet. J'espère vous avoir montré pourquoi ce n'est pas une idée qui irait dans le sens des intérêts de notre pays. L'analogie étrangère ne me convainc pas totalement car les pays que l'on me cite sont dans une situation bien différente de la France. Ils n'ont souvent pas la dissuasion nucléaire, ni nos responsabilités opérationnelles, ni la vision que nous avons de notre rôle dans le monde et n'ont donc pas besoin de partenariats étrangers pour la mettre en oeuvre.

Comme vous, je lis ou j'entends les protestations étrangères qui ignorent volontiers les actions menées par des filiales ou des joint ventures de leurs champions nationaux. Je préfère la clarté et la cohérence.

Je ne suis pas la porte-parole des industries d'armement. Je prends en compte les différents intérêts de la France, d'aujourd'hui et de demain dans un domaine où la temporalité n'est pas celle des législatures, mais d'une génération.

Debut de section - PermalienPhoto de André Vallini

Merci pour votre franchise. Nul ici ne saurait faire preuve d'angélisme ou de naïveté sur les exportations d'armes, car nous avons tous soutenu ou appartenu, depuis des décennies, à des Gouvernements ayant vendu des armes à l'Arabie Saoudite ou aux Émirats Arabes Unis. Vous avez déclaré que, si un doute existe sur l'utilisation de nos armes contre des populations civiles, vous ne vous privez pas de le dire. Avez-vous eu l'occasion d'interroger vos homologues d'Arabie Saoudite ou des Émirats Arabes Unis depuis que ce débat est sur la place publique ? Si oui, quelle réponse vous ont-ils faite ?

Debut de section - PermalienPhoto de René Danesi

La Constitution de la République fédérale d'Allemagne prévoit qu'aucune unité armée allemande ne peut sortir du territoire sans un vote préalable favorable du Bundestag. Aucun pays ne s'en plaint. Depuis quelques temps, l'Allemagne, qui n'est pourtant pas manchot en matière de vente d'armement, se pique de moraliser ces ventes, et ne veut plus vendre que des armes susceptibles de servir aux paramilitaires. Aucun concurrent ne s'en plaint, non plus. Mais la Tribune du 25 février dernier indique que Berlin bloque la livraison vers l'Arabie Saoudite des missiles air-air Meteor fabriqués par MBDA, détenue à 37 % par Airbus. L'Eurofighter Typhon, fabriqué par un consortium détenu à 46 % par Airbus, est aussi dans le collimateur de l'administration allemande, qui bloque les mises à jour de ses programmes informatiques, et donc la vente par la Grande-Bretagne à l'Arabie Saoudite de 48 exemplaires. Il en va de même de l'avion ravitailleur Airbus 330 MRTT, de l'hélicoptère de surveillance non armé H145 et de l'avion de transport C295 - dans ce dernier cas, l'industrie allemande ne produit que les conduites hydrauliques et les phares d'atterrissage. Mme Merkel a déclaré la semaine dernière qu'elle avait des confrontations avec M. Macron. Ce veto en fait-il partie ? On voit mal, en tous cas, comment l'industrie allemande pourrait participer, de manière directe ou indirecte, aux futurs programmes européens de coopération, et notamment au système de combat aérien du futur, à l'avion de patrouille maritime ou au futur char de combat européen.

Debut de section - PermalienPhoto de Ladislas Poniatowski

En matière de vente d'armes, la France est au quatrième rang, derrière les États-Unis, loin devant, la Russie, qui en vend deux fois plus que nous, et les Anglais, qui nous devancent largement. Or l'Allemagne nous talonne, et nous ne sommes au quatrième rang que grâce au quinquennat précédent, qui a constitué un bond, notamment sous l'action de M. Le Drian. Dans la même période, l'Allemagne a aussi progressé. Nous vendons pour 1,3 milliard d'euros d'armes, et 700 millions d'euros aux Émirats. L'Allemagne, elle, vend 500 millions d'euros d'armes à l'Arabie Saoudite. Ce qui se passe est donc inadmissible : comment peuvent-ils nous donner des leçons ? Il y a de plus un double jeu, avec le Parlement d'un côté, qui tient un langage très pacifiste, et les entreprises allemandes de l'autre, d'une efficacité redoutable, et qui passent par d'autres filières, en Israël ou en Afrique du Sud. Où en êtes-vous des discussions avec l'Allemagne ? On parle d'un pourcentage, en-deçà duquel l'Allemagne ne pourrait pas mettre de veto. Ces discussions avancent-elles, ou êtes-vous face à un mur ?

Debut de section - PermalienPhoto de Hugues Saury

Insistant sur la primauté de l'intérêt national, vous avez dit que nous n'avions pas le choix. Est-ce à dire qu'il n'y a aucune limite à cette politique ? Quelles sont celles que vous fixez aux ventes d'armes à des pays qui ne respectent pas le droit international humanitaire ?

Debut de section - PermalienPhoto de Jacques Le Nay

Comment envisagez-vous la relation entre Parlement et Gouvernement sur le contrôle des exportations d'armes ? Pour l'instant, ce contrôle ne s'effectue qu'a posteriori. Ne faudrait-il pas un contrôle en amont, pour éviter les risques de détournement du matériel ?

Debut de section - PermalienPhoto de Olivier Cigolotti

Nous avons récemment ratifié un accord intergouvernemental entre la France et la Belgique, portant sur la modernisation de la capacité motorisée (CAMO) de l'armée de terre belge. L'enveloppe de ce projet est de 1,5 milliard d'euros, pour 383 Griffons et 60 Jaguars. Le partenariat doit être aussi bien opérationnel qu'industriel, notamment avec Nexter et Thalès. A l'heure de l'Europe de la Défense, y a-t-il d'autres États-membres intéressés par un tel rapprochement stratégique, et une telle interopérabilité des systèmes ?

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Marie Bockel

Militant très ancien du rapprochement franco-allemand, y compris sur les questions de défense, je trouve très choquante, et condamnable, l'attitude actuelle des Allemands. Les ventes d'armes sont nécessaires à notre politique de défense. La question est certes morale, mais surtout géopolitique : voyez Taïwan, à qui nous ne vendons plus d'armes... Et nous avons des alliances historiques avec l'Arabie Saoudite et les Émirats. Ne peut-on s'appuyer sur cette proximité pour, avec aussi notre statut de membre permanent du Conseil de Sécurité, faire pression pour qu'on trouve une issue à cette guerre ?

Debut de section - PermalienPhoto de Richard Yung

C'est l'actualité qui centre le débat sur l'Arabie Saoudite, mais on peut trouver des dizaines d'exemples similaires : pensez aux armes qui circulent au Congo, et qui y ont fait des millions de morts depuis une dizaine d'années, ou à la Côte d'Ivoire. C'est donc un problème de long terme.

Le fonds européen de défense pèse 13 milliards d'euros. Nous encourageons nos entreprises à lui soumettre des projets, mais en s'alliant avec des entreprises d'au moins trois autres pays. Avec l'attitude de l'Allemagne, cela peut s'avérer difficile... Que pouvons-nous faire pour encourager les PME françaises ? Comment surveillez-vous les transferts de technologies ?

Debut de section - Permalien
Florence Parly, ministre

Nous avons des échanges réguliers avec nos partenaires d'Arabie Saoudite et des Émirats sur le comportement de leurs armées dans ces zones de conflit. Surtout, ce qui compte, c'est notre appréciation du risque de mauvaise utilisation des équipements. Nous respectons scrupuleusement le traité sur le commerce des armes et, s'il y a un risque prépondérant d'usage contraire à ce traité, nous en tirons les conséquences. Nous avons refusé certaines licences, et cela pourra arriver encore. D'ailleurs, les industriels le savent, et il arrive qu'ils s'autocensurent.

Nous avons l'ambition d'investir sur quarante ans avec notre partenaire allemand dans des programmes structurants, mais nous avons besoin de savoir dans quelles conditions ces équipements pourront être exportés. Si nous devions par principe limiter le champ de nos exportations à l'Union européenne, j'en serais ravie, mais il faudrait que nos partenaires cessent d'acheter majoritairement américain ! Il faut de surcroît que nous dépassions les blocages qui se sont manifestés sur les programmes existants, et qui sont d'autant plus forts que la part qu'y prend l'industrie allemande est faible. Peut-être l'attitude allemande serait-elle différente si ses industriels y prenaient une plus forte part... Il faut que de simples composants ne deviennent pas des éléments bloquants pour l'exportation. Nous discutons donc avec l'Allemagne pour fixer un seuil en-deçà duquel on ne pourra bloquer l'exportation. Pour l'instant, ces discussions n'ont pas abouti.

Le Fonds européen de défense est une véritable révolution, car l'Union européenne a longtemps refusé d'investir le moindre euro dans la recherche militaire. Cet outil, ciblé sur la phase amont, aidera à faire émerger une base industrielle et technologique à l'échelle de l'Europe, dont nous avons besoin dans la compétition mondiale. Les règles ont été négociées avec pragmatisme et bon sens. Exiger la présence de trois pays ne me paraît pas excessif. En tous cas, ce fonds suscite un très grand intérêt, et facilitera les rapprochements entre eux.

Le Parlement peut souhaiter exercer un contrôle plus strict, mais la Constitution interdit de lui confier un rôle en amont dans l'attribution de licences d'exportation. Pour autant, il peut y avoir d'autres façons de dialoguer avec le Parlement et, depuis quelques années, des étapes ont été franchies en ce sens, notamment avec le rapport annuel, qui va encore s'enrichir.

M. Bockel a rappelé que nous avons un rôle particulier à jouer dans le conflit qui n'a que trop duré au Yémen. Nous apportons notre soutien au Représentant spécial des Nations Unies, et M. Le Drian vous a sans doute exposé les initiatives que nous prenons pour faire émerger une solution diplomatique - car il n'y a évidemment aucune solution militaire.

Outre la Belgique, avec laquelle nous aurions aimé doubler le contrat CAMO d'une coopération dans l'aviation, un partenariat sur des chasseurs de mine devrait être annoncé incessamment. Mais il est dommage que nous ne puissions vendre nos avions aux Belges - ce qui serait une manière de promouvoir une forme de préférence européenne.

Beaucoup de nos clients réclament un transfert de technologies. Certaines peuvent être transférées, d'autres n'ont pas vocation à l'être, et la CIEEMG se livre à un examen au cas par cas, car la supériorité technologique de nos armées est l'un des intérêts fondamentaux de la France.

Debut de section - PermalienPhoto de Christian Cambon

Merci de votre franchise sur la question des exportations de matériel à composants allemands. Les exemples abondent. Ainsi un contrat de radars bloqué depuis des mois parce que la plaque circulaire crantée qui sert de support au radar est produite par des Allemands qui en bloquent l'exportation. Les clients, qui ont déjà fait des paiements, ne comprennent pas pourquoi l'entreprise française concernée n'exécute pas ses obligations...

Debut de section - Permalien
Florence Parly, ministre

Peu avant ma dernière audition, vous aviez reçu vos homologues allemands. Ce dialogue est fondamental, notamment sur la question des exportations de matériels militaires, qui fait l'objet de débats passionnels et souvent fondés sur des allégations d'industriels, qui instrumentalisent leurs parlementaires. Pour progresser, surtout sur des partenariats de long terme, il faut de la clarté et de la franchise.

Debut de section - PermalienPhoto de Christian Cambon

Je vous avais fait un rapport écrit, qui avait été transmis aussi au Président de la République et au Premier Ministre, sur les doutes qui étaient les nôtres à l'issue de ces échanges. Le partage des rôles dans le leadership semblait mal compris. Avec M. Jean-Jacques Bridey, président de la commission chargée de la défense de l'Assemblée nationale, nous dialoguerons début juillet avec notre homologue allemand le président Hellmich pour essayer de faire avancer ce débat.

Je prends bonne note de l'annonce que vous nous faites d'un rapport plus détaillé sur les exportations d'armement. Il serait utile, en particulier, de donner le détail des licences d'exportation refusées. Et le Sénat réfléchira à la manière de mettre en place de meilleures procédures de contrôle parlementaire.

Un contrôle de l'exécution de la LPM est prévu avant le 30 juin, au titre de l'article 11 de la LPM. Nous vous avons fait part de notre inquiétude sur le rythme de livraison du programme Scorpion et des Griffons. Nous resterons vigilants, car nous souhaitons que la LPM soit exécutée.

La réunion est close à 18 h 5.