Intervention de Édouard Philippe

Réunion du 13 juin 2019 à 9h30
Politique générale — Débat et vote sur une déclaration du gouvernement

Édouard Philippe :

Pour la première fois, de nombreuses listes aux prochaines élections municipales seront incomplètes et peut-être manquerons-nous même parfois de candidats aux fonctions de maire. Cette crise de l’engagement, nous devons y répondre. Plus qu’un statut, les maires veulent d’abord un cadre clair d’exercice de leur mandat et plus de libertés locales pour mieux mener leurs projets.

Ce cadre doit être inscrit dans la loi pour ne pas dépendre des situations locales. Il doit garantir une véritable formation, une protection juridique, un accompagnement professionnel et familial. Le Sénat a déjà formulé des propositions ; nous les reprendrons très largement.

Il s’agit aussi de lutter contre ce sentiment de dépossession des maires et de refaire droit aux libertés locales. Des marges de manœuvre doivent être recherchées, sur les effets de seuil qui pénalisent les communes de petite taille, sur le renforcement des pouvoirs de police du maire et sur la suppression d’obligations ou de contrôles qui sont parfois superflus.

Il s’agit enfin de retrouver un équilibre au sein du bloc local entre les communes et leurs intercommunalités. Ces dernières sont indispensables pour porter des projets collectifs. C’est bien souvent à l’échelle d’une intercommunalité que se traitent les questions d’économie circulaire, de réseaux, de logement et de mixité sociale, d’infrastructures, de mobilités, mais force est de constater que, si le maire est toujours « à portée d’engueulade », pour reprendre une expression chère au président du Sénat, il n’a plus toujours, à portée de main, les leviers de décision et d’action. Les récentes réformes, dont la loi NOTRe, ont parfois créé des irritations qu’il convient aujourd’hui de corriger, autour du triptyque compétences-périmètre-gouvernance.

J’ai demandé à Sébastien Lecornu de travailler avec l’ensemble des présidents de groupes du Sénat et avec les associations d’élus pour déposer, avant la fin du mois de juillet, un projet de loi « engagement et proximité ». Conformément à l’article 39 de la Constitution, la Haute Assemblée en sera saisie en premier, dès la rentrée.

Le deuxième défi à relever, c’est de préparer un nouvel acte de décentralisation.

Le Président de la République, en conclusion du grand débat, nous a invités, à la fois, à achever les transferts de compétences déjà entamés, en supprimant les doublons, et à examiner de nouveaux transferts, dans les domaines du logement, des transports, de la transition écologique.

J’ai chargé Jacqueline Gourault de préparer cette importante réforme.

Dans un premier temps, d’ici à juillet, la ministre recevra l’ensemble des associations, d’abord séparément, puis toutes ensemble, en associant les parlementaires.

À partir de la rentrée de septembre, dans chaque région, ce dialogue se poursuivra localement. Chaque préfet de région en sera le garant, dans le cadre des conférences territoriales de l’action publique, qui réunissent tous les élus.

L’État fixera un cadre, mais, dans chaque région, nous ouvrirons la voie à la différenciation, pour définir avec chaque territoire une réponse adaptée, sur mesure, dans le cadre d’un droit clair, mais adaptable.

C’est la voie que nous avons choisie avec la Bretagne ou avec les deux départements du Bas-Rhin et du Haut-Rhin, qui formeront bientôt la Collectivité européenne d’Alsace. C’est la voie que nous avons choisie pour la compétence « RSA » avec la Guyane et Mayotte ou encore avec La Réunion. C’est aussi, bien sûr, la voie que nous avons choisie pour la Corse. La révision constitutionnelle consacre sa spécificité et je m’y rendrai début juillet.

Certaines des évolutions qui émergeront de ces consultations locales pourront être mises en œuvre à droit constant, c’est-à-dire sans attendre. D’autres nécessiteront d’adapter la loi : elles viendront nourrir un projet de loi « décentralisation et différenciation » que Jacqueline Gourault présentera à la fin du premier semestre 2020. Le cadre sera donc redéfini avant les échéances électorales de 2021.

Pour y parvenir, et parce que la situation, au fil de réformes successives, est devenue compliquée, il faut partir de principes clairs, ceux que le Président de la République a rappelés.

D’abord, la proximité, voire la subsidiarité : quel est le bon échelon, le plus en capacité de répondre à la mise en œuvre des politiques publiques ou de conduire certains investissements ? Ce bon échelon n’est pas toujours le même partout.

Ensuite, la responsabilité politique : on ne peut plus continuer à détacher les compétences, et in fine les résultats, des élections. En votant pour un maire, le citoyen sait très bien ce qu’engage son vote, et il en va de même pour l’élection du Président de la République. Entre les deux, reconnaissons que c’est encore parfois plus flou.

Enfin, qui décide paie, et qui paie commande, mais qui commande assume ! C’est toute la question des ressources des collectivités.

C’est le troisième défi : nous devons être capables de préciser aux élus, avant le début du prochain mandat municipal, le cadre financier dans lequel ils exerceront leurs fonctions.

Depuis deux ans, la dotation globale de fonctionnement, la DGF, est globalement stable et nous avons augmenté la péréquation pour les communes rurales et urbaines les plus fragiles. Nous préserverons cet acquis.

S’agissant de la fiscalité, nous inscrirons dans le projet de loi de finances pour 2020 les modalités de la suppression complète de la taxe d’habitation et de sa compensation. Depuis 2017, grâce aux travaux menés, en particulier, par Alain Richard, les enjeux et les options de cette réforme sont connus. Ils ont été largement débattus. Le Gouvernement a d’ailleurs fait connaître, dès le mois de juillet 2018, les principes qui lui paraissent les plus appropriés : aucune commune ne perdra de ressources ; chaque contribuable bénéficiera, à plein, de la suppression de la taxe d’habitation ; au terme de la réforme, la fiscalité locale devra être plus claire pour le contribuable.

C’est sur ces bases que Gérald Darmanin et Jacqueline Gourault reprendront, dès la semaine prochaine, les concertations avec les associations de collectivités territoriales. Je souhaite que celles-ci soient le plus approfondies possible.

La proximité, c’est aussi l’affaire de l’État.

Rapprocher la décision des territoires et de nos concitoyens passe par une action méthodique de déconcentration tous azimuts : la décision individuelle prise au niveau national doit devenir l’exception la plus rare. Nous avons engagé un travail de fourmi pour, décision après décision, répondre à cette question : qu’est-ce qui empêche que cette décision puisse être prise au niveau local ? Ce travail a abouti à ce que, d’ici à la fin de l’année, plus de 95 % des décisions individuelles seront effectivement prises dans les territoires. Nous publierons tout au long du second semestre 2019 les textes réglementaires qui mettront en musique cette ambition.

Il nous faut ensuite inverser les logiques à l’œuvre depuis quinze ans : là où l’on a concentré les forces au niveau régional, je souhaite renforcer le niveau départemental, et quand tous les réseaux de service public se sont progressivement rétractés, je souhaite reconstruire un vrai maillage cohérent de présence des services publics.

J’ai signé hier l’instruction qui engage la réorganisation des services territoriaux de l’État, pour supprimer les doublons, clarifier les responsabilités, mettre en cohérence nos priorités avec nos organisations et, comme je l’évoquais à l’instant, pour mettre les préfets de département en capacité d’agir au plus près des territoires : construire avec les conseils départementaux le service public de l’insertion, déployer le service national universel, accompagner les petites collectivités dans leurs projets d’ingénierie. Nous aurons aussi pour cela de nouveaux outils, comme la banque des territoires, qui a déjà commencé à déployer ses financements, ou l’Agence nationale de la cohésion des territoires, l’ANCT, qui va progressivement jouer un rôle majeur dans la cohésion des territoires.

Cette instruction fixe également le cadre pour superviser la réorganisation des implantations des services publics. Le Président de la République l’a annoncé lors de sa conférence de presse du 25 avril : plus de fermeture d’école ou d’hôpital sans accord du maire. Le corollaire de cela, c’est la nécessité de mettre fin à des stratégies de réorganisation sur les territoires qui sont mal coordonnées entre les ministères et avec les opérateurs. Dorénavant, les préfets de région animeront, avec les préfets de département, les chefs des services régionaux de l’État et l’ensemble des patrons d’opérateurs, une instance spécifiquement dédiée à des réorganisations, pour construire une vraie stratégie et la partager avec l’ensemble des élus locaux et acteurs professionnels concernés.

La dernière brique de cette stratégie de proximité des services publics, c’est bien entendu France Service.

L’idée est simple : construire un guichet unique, avec des agents polyvalents, capables de répondre aux besoins de nos concitoyens dans leurs démarches administratives.

La réalisation, nous le savons, est plus complexe : depuis plusieurs années, les maisons de service au public ont tenté d’apporter cette forme de réponse, avec un succès variable, quel que soit l’engagement de celles et ceux qui font vivre ces structures.

Nous devons changer d’échelle et de logique, partir des besoins de nos concitoyens et des territoires, dépasser les frontières des administrations, oublier que l’on est l’État, le département, la caisse primaire d’assurance maladie, la CPAM, ou la caisse d’allocations familiales, la CAF. Cela suppose des choses simples, comme des horaires d’ouverture élargis, des agents polyvalents, formés, capables d’offrir immédiatement des réponses ou d’accompagner vers la bonne porte d’entrée. Je souhaite que, dès le 1er juillet 2020, 300 maisons France Service soient pleinement opérationnelles. Le Président de la République et le Gouvernement se sont engagés à ce qu’il y en ait au moins une par canton d’ici à la fin du quinquennat.

J’ai commencé, mesdames, messieurs les sénateurs, par évoquer l’urgence climatique, avant de m’attarder sur l’urgence de proximité, mais ces deux urgences coïncident en grande partie, comme le prouve l’exemple des outre-mer : depuis deux ans, nous voyons bien que nos compatriotes ultramarins sont aux avant-postes face aux cyclones et à l’élévation du niveau des océans causés par le dérèglement climatique.

Nous en sommes tellement conscients, depuis le début du quinquennat, que cette double préoccupation définit les cinq objectifs du Livre bleu outre-mer, rendu public le 28 juin 2018, cinq objectifs repris par le Gouvernement dans sa feuille de route pour les outre-mer : zéro vulnérabilité, zéro exclusion, zéro déchet, zéro carbone, zéro polluant agricole.

J’ai évoqué il y a quelques instants l’impératif de différenciation : intégrer les spécificités de chaque territoire pour adapter nos politiques publiques, c’est le « réflexe outre-mer », que nous musclons depuis le début du quinquennat.

Je voudrais enfin mentionner la situation spécifique de la Nouvelle-Calédonie, dont certains ici savent combien elle me tient à cœur. Nous sommes engagés à respecter la signature de l’État concernant l’accord de Nouméa, et je continuerai à privilégier la voie de Nouméa, c’est-à-dire celle du dialogue et des résultats rendus en toute transparence. Lorsque le cycle électoral récemment engagé aura été conclu, je retrouverai avec plaisir les représentants des partis et des forces politiques de Nouvelle-Calédonie pour évoquer avec eux la suite.

Le dernier sujet que j’aborderai ce matin est la réforme des institutions.

Le Président de la République a proposé aux Français de réviser la Constitution du 4 octobre 1958 pour l’adapter aux bouleversements de notre démocratie. Voilà un an, nous avons présenté un projet de loi constitutionnel et deux projets de loi complémentaires, organique et ordinaire. Les circonstances ont amené à reporter leur examen, mais ces derniers mois nous ont confortés dans notre détermination à rénover notre démocratie représentative.

S’engager dans la révision constitutionnelle sans l’accord du Sénat n’est tout simplement pas possible et n’aurait donc aucun sens. C’est pourquoi, depuis un an, nous discutons et essayons de trouver un compromis.

Les textes que nous nous apprêtons à déposer sur le bureau de l’Assemblée nationale reprennent le cœur des engagements du Président de la République, y compris l’inscription de la lutte contre le changement climatique à l’article 1er de notre Constitution.

Ils sont recentrés sur trois priorités : les territoires, avec l’autorisation de la différenciation et l’assouplissement du cadre relatif à la Corse, ainsi qu’aux outre-mer ; la participation citoyenne, avec l’ajout d’un nouveau titre dans la Constitution, la transformation du Conseil économique, social et environnemental en Conseil de la participation citoyenne, la possibilité de former des conventions de citoyens tirés au sort, la facilitation du recours au référendum d’initiative partagée et l’extension du champ de l’article 11 ; la justice, enfin, avec l’indépendance du parquet et la suppression de la Cour de justice de la République.

En parallèle, des gestes ont été faits pour parvenir à un consensus.

Ainsi, les dispositions relatives au fonctionnement des assemblées ont été retirées : nous avons considéré qu’il appartenait aux assemblées elles-mêmes de décider de leur réforme.

Les dispositions relatives au cumul des mandats dans le temps ont été assouplies pour exclure de leur champ les maires des communes de petite taille et prévoir une entrée en vigueur progressive.

Le Président de la République a accepté de revoir sa proposition de baisse d’un tiers du nombre des parlementaires pour viser une réduction d’un quart, qui permette une juste représentation territoriale et l’introduction d’une dose significative de proportionnelle à l’Assemblée nationale.

Concrètement, aujourd’hui, il me semble que nous ne sommes pas éloignés d’un accord sur le projet de loi constitutionnelle, mais pas sur le projet de loi organique, s’agissant en particulier du nombre de parlementaires.

Le Sénat a été très clair : il n’y aura accord sur rien s’il n’y a pas accord sur tout. Cette position est parfaitement respectable, comme l’est, je crois, celle du Gouvernement, qui ne souhaite pas mobiliser du temps parlementaire s’il s’expose, in fine, au désaccord du Sénat.

Nous ne renonçons pas à nos ambitions, qui, nous le pensons, sont conformes à la demande de nos concitoyens. Nous attendrons le moment propice et la manifestation de volonté du Sénat. Nous pouvons aussi voter seulement l’instauration de la proportionnelle à l’Assemblée nationale, sans changer le nombre des députés.

Chacun jugera dans quelle mesure il tient à résoudre les points de désaccord qui demeurent ; chacun jugera dans quelle mesure il considère que cette réforme constitutionnelle peut être un instrument de renouveau démocratique et de réconciliation nationale.

Nous sommes prêts et ouverts. Les trois textes sont prêts, mais cette réforme institutionnelle, mesdames, messieurs les sénateurs, nous ne pourrons pas la réussir sans vous.

Comme je l’ai dit à l’Assemblée nationale, l’époque exige une forme de dépassement. En vous demandant d’approuver cette déclaration de politique générale, je ne vous demande ni un blanc-seing pour la politique de mon gouvernement ni évidemment un quelconque ralliement à la majorité. Je vous demande de dépasser des clivages et des différences que je respecte, mais qui ne me semblent plus aujourd’hui les plus importants.

Je vous ai exposé une feuille de route d’ambition écologique, de justice sociale, de valorisation du travail, de renforcement des maires, de réforme de l’État. Nombre de ces thèmes me semblent largement consensuels sur vos travées ; je forme le vœu qu’ils nous réunissent et nous permettent de nous dépasser. Au-delà de cette déclaration de politique générale, je sais que, sur chacun des textes de loi, le travail accompli entre le Gouvernement et le Sénat sera riche et sérieux.

Pour toutes ces raisons, j’ai l’honneur, monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, en application des dispositions de l’article 49, alinéa 4, de la Constitution, de vous demander l’approbation de cette déclaration de politique générale.

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