Séance en hémicycle du 13 juin 2019 à 9h30

La séance

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La séance est ouverte à neuf heures trente.

Debut de section - PermalienPhoto de Gérard Larcher

Le compte rendu analytique de la précédente séance a été distribué.

Il n’y a pas d’observation ?…

Le procès-verbal est adopté sous les réserves d’usage.

Debut de section - PermalienPhoto de Gérard Larcher

L’ordre du jour appelle une déclaration de politique générale du Gouvernement, suivie d’un débat et d’un vote, en application de l’article 49, quatrième alinéa, de la Constitution.

Après la déclaration de M. le Premier ministre, la parole sera donnée à un orateur de chaque groupe, puis nous procéderons au vote sur la déclaration de politique générale par un scrutin public à la tribune.

La parole est à M. le Premier ministre.

Debut de section - Permalien
Édouard Philippe

Monsieur le président du Sénat, mesdames, messieurs les sénateurs, si j’utilise aujourd’hui l’alinéa 4 de l’article 49 de la Constitution pour vous demander l’approbation de ma déclaration de politique générale, c’est pour exprimer mon respect du bicamérisme qui fonde nos institutions et ma grande considération pour la chambre haute.

Cette procédure est rare dans l’histoire de la Ve République. J’ai choisi de l’utiliser par souci de clarté et de responsabilité, dans un moment de bascule de notre vie politique qui nous invite à dépasser des clivages anciens.

Le 5 juillet 2017, mesdames, messieurs les sénateurs, je vous présentais ma première déclaration de politique générale. La plupart des engagements que j’y prenais, conformément au programme du Président de la République, sont tenus ou en cours d’accomplissement. Notre conviction qu’il y a urgence à faire avancer le pays n’a pas changé. Notre détermination s’est même accrue.

Les Français se sont exprimés lors des élections présidentielle et législatives de 2017 et, plus récemment, lors des élections européennes ; je n’oublie pas que les grands électeurs se sont, pour leur part, exprimés en septembre 2017. Mais nous savons tous que nos concitoyens ne s’expriment pas seulement les jours d’élection. La démocratie, ce n’est pas seulement glisser son bulletin dans une urne.

Quelles que soient nos affinités partisanes, quelles que soient les sensibilités politiques que vous incarnez et que vous représentez, vous avez pu mesurer, comme nous tous ces derniers mois, à quel point nos concitoyens sont préoccupés et, souvent, en colère.

Chez beaucoup d’entre eux s’expriment un violent rejet des injustices territoriales et fiscales, des complexités administratives, des ratés de notre système de solidarité, un sentiment de colère face à la vie chère, à une société bloquée, à un ascenseur social qui ne fonctionne plus. Pour beaucoup, la politique est devenue synonyme d’incompréhension et de dépossession. Nos compatriotes demandent plus de proximité, plus de participation. Le président Malhuret, dans une intervention remarquée, l’a dit, comme d’habitude en des termes précis et sans complaisance.

En même temps que leur incompréhension et leur colère, beaucoup expriment leur aspiration à l’engagement : pour leurs valeurs, pour leur ville, pour leurs enfants ou pour la planète.

Vivre dignement de son travail, respirer un air pur, avoir accès à une alimentation de qualité, pouvoir se déplacer, quand on habite à la campagne, pratiquer une activité sportive ou culturelle, voilà qui a du sens pour nos concitoyens.

Créer des emplois et des richesses, tout en gardant la sagesse de valoriser aussi, et peut-être surtout, ce qui n’a pas de prix – l’éducation, le patrimoine artistique, la transmission des valeurs, l’accompagnement des malades ou des personnes âgées –, voilà ce qui préoccupe aussi nos concitoyens, voilà ce qui réconcilie la politique et la proximité, voilà ce qui peut nous réconcilier durablement avec les Français, nous qui nous sommes engagés, quelles que soient les idées ou les valeurs que nous portons, pour améliorer leur vie quotidienne.

Je ne vous résumerai pas la déclaration de politique générale que j’ai prononcée hier à l’Assemblée nationale. Vous l’avez parfaitement entendue, grâce au ministre d’État François de Rugy. Je mesure la surprise qui a été la vôtre, et sans doute aussi la sienne, lorsque vous l’avez entendu vous dire qu’il venait de la droite et qu’il avait été salarié d’une grande entreprise du nucléaire… §Je le remercie d’avoir porté ma voix devant vous, en sachant marquer la distance nécessaire entre celui qui avait écrit et celui qui lisait.

Vous avez donc compris que nous engageons l’acte II du quinquennat du Président de la République. Cet acte II s’inscrit dans la continuité du premier acte, mais s’en distingue très fortement par la méthode. Nous ne renions rien et nous sommes fiers des avancées qui ont été acquises depuis deux ans pour libérer le travail tout en renforçant les filets de sécurité qui protègent nos concitoyens les plus vulnérables. Nous sommes fiers aussi d’avoir consenti un effort sans précédent, en décembre, en faveur du pouvoir d’achat de nos concitoyens. C’était nécessaire pour redonner de la confiance et de l’oxygène à beaucoup de Français. Cet effort se poursuivra.

Répondre à l’urgence écologique est le premier axe de notre feuille de route. J’ai présenté hier mon plan de bataille pour les prochains mois. Nous allons accélérer la transformation environnementale de notre économie et de nos transports, rendre plus accessibles et plus incitatives les aides à la rénovation énergétique, en finir avec un consumérisme qui consiste à jeter, à gaspiller avec une insouciance inconsidérée, et qui met en danger la qualité de notre alimentation et de la biodiversité.

Certains nous reprocheront toujours de ne pas aller assez vite ou assez loin, mais, hier, j’ai présenté nombre de mesures qui transforment nos modes de production, de transport, de consommation, de vie. Michel Serres, qui aimait nos terroirs et qui aimait la mer, qui fut un grand penseur de l’écologie, défendait d’ailleurs une idéologie de la courbe, et non de la rupture. Nous sommes convaincus, nous aussi, que respecter la nature, comprendre les enjeux de notre époque, c’est respecter le temps des transformations sûres et durables, plutôt que les soubresauts hâtifs et irréfléchis. Je ne crois pas à l’écologie du Grand Soir ; je crois à l’écologie qui agrège, qui embarque, qui change les actes, et pas uniquement la « une » des journaux.

De surcroît, réparer la planète en abîmant le lien social ne mène nulle part. C’est pourquoi la seconde urgence qui nous anime est de réduire les injustices fiscale, sociale et territoriale, dont les cartographies coïncident en partie. Au centre de la carte, il y a le cœur battant du pays, la France de ce que l’on appelle, par commodité, les classes moyennes ; et ce cœur, on entend qu’il s’essouffle.

Beaucoup de villes, comme Cahors, Limoges, Douai, Vierzon, Autun, Mende, Vesoul, Les Abymes, restent des villes à taille humaine, dynamiques, mais sont fragilisées par la déprise démographique, l’attraction des grandes métropoles et le départ de certains services publics. Notre programme Action Cœur de ville contribuera bientôt à renouveler le paysage urbain de 222 de ces villes, dans toutes nos régions. À Angoulême, l’ancienne clinique Sainte-Marthe, désaffectée depuis 1999, sera transformée en logements, ainsi qu’un îlot de cinq immeubles vacants et murés. À Cahors, la reconquête du centre-ville se traduira notamment par la construction d’un nouveau cinéma. L’accès à l’art ou au numérique ne doit pas être un privilège, parmi d’autres, qui fracturerait notre territoire.

Beaucoup de territoires ruraux se battent, s’équipent en numérique, valorisent leurs atouts, mais s’estiment délaissés, décrochés dans la rapide transformation du monde.

Partout en France, des femmes et des hommes peinent à boucler leurs fins de mois. Dans leurs contributions sur la plateforme du grand débat, ils étaient nombreux à dénoncer le coût de la vie, qui s’entend parfois comme un « coup » qui nous met à terre.

Pour ces hommes et ces femmes, nous voulons que les impôts pèsent moins et que le travail paie mieux. C’est pour eux que nous baisserons l’impôt sur le revenu de 5 milliards d’euros et que nous supprimerons en totalité la taxe d’habitation.

Pour les 12 millions de foyers qui relèvent de la première tranche de l’IRPP, l’impôt sur le revenu des personnes physiques, cela représentera un gain de 350 euros en moyenne. Pour les 5 millions de foyers de la tranche suivante, le gain sera en moyenne de 180 euros. Au total, les impôts des ménages baisseront de près de 27 milliards d’euros durant ce quinquennat.

Debut de section - Permalien
Édouard Philippe

Ces baisses seront inscrites dans le projet de loi de finances et seront effectives dès le 1er janvier 2020.

Vous mesurez, autant que moi, le coût de ces mesures. Rien n’est jamais gratuit. Je transigerais malaisément avec l’idée de transmettre à mes enfants mes dettes, y compris celles qui me viennent de mes parents. C’est pourquoi l’annonce de ces baisses d’impôts exige une discipline. Il n’y a pas d’autres solutions, pour financer les baisses d’impôts, que de trouver des économies et de travailler plus.

Debut de section - Permalien
Édouard Philippe

Nous avons, en matière de finances publiques, un bilan qui nous donne une légitimité : en 2017, dès notre arrivée, au prix d’un effort remarqué et parfois contesté, nous avons, enfin, ramené le déficit sous la barre des 3 %. En 2018, nous avons stabilisé la dette et, pour la première fois depuis quarante ans, les dépenses publiques ont reculé en volume.

Certains considèrent que ces chiffres sont insuffisants, mais je les renverrai à leur propre bilan : les gouvernements auxquels ils ont participé ou qu’ils ont soutenus ont fortement augmenté les dépenses publiques. Je les renverrai aussi à leurs contradictions : après avoir promis la suppression de 500 000 postes de fonctionnaire ou de l’intégralité des emplois aidés, ils n’ont pas été les derniers à critiquer les mesures courageuses que nous avons prises en la matière.

En parallèle de la nécessaire maîtrise des dépenses publiques, il nous faut travailler davantage.

Revaloriser le travail implique de rénover profondément notre système d’assurance chômage. Le plein-emploi n’est ni une utopie ni un néologisme allemand ; c’est un objectif réaliste auquel on a trop longtemps renoncé faute de vision et de courage.

Avec la ministre du travail, Muriel Pénicaud, nous détaillerons la semaine prochaine la manière dont nous voulons réformer l’assurance chômage pour inciter au retour à l’emploi durable.

Nous voulons responsabiliser les entreprises qui abusent des contrats courts, à travers un mécanisme de bonus-malus pour les cinq à dix secteurs qui les utilisent le plus.

Nous voulons permettre aux démissionnaires et aux travailleurs indépendants de se lancer dans de nouveaux projets.

Nous voulons que le travail paie toujours mieux que l’inactivité.

Nous assumons la dégressivité de l’indemnisation pour les salariés dont les revenus sont les plus élevés, car ce sont ceux qui retrouvent le plus facilement un emploi. C’est affaire d’équité et de justice, dans une société de liberté et de responsabilité.

Tout cela n’a de sens que si nous renforçons l’accompagnement des demandeurs d’emploi. Nous y dédierons une part des économies dégagées et nous associerons les partenaires sociaux et les acteurs de terrain pour trouver des solutions concrètes et efficaces. C’est l’objet même de la mobilisation territoriale que le Gouvernement conduit avec les élus locaux et les partenaires sociaux.

Retisser le lien social implique aussi de renforcer la solidarité entre les générations.

Nous le savons tous, nous l’expérimentons dans nos vies personnelles, la dépendance est l’un des aspects – pas le plus réjouissant – de cette révolution de la longévité qui bouleverse silencieusement nos sociétés. Nous avons trop tardé à nous y confronter, parce que les budgets en jeu sont gigantesques, peut-être aussi par une forme de déni.

C’est notre regard qui doit changer, celui que nous portons sur la place des personnes âgées dans notre société. Nous devons accompagner leur volonté de vieillir à domicile, entendre les familles qui supportent une charge financière importante et qui sont prises en tenaille entre leurs obligations d’enfants et celles de parents, voire de grands-parents, entendre les personnels, dont le métier doit être revalorisé, imaginer des solutions applicables dans une France qui vieillit, certes, mais qui se transforme et dans laquelle les solidarités familiales se mettent en œuvre de manière très différente qu’il y a cinquante ou soixante ans.

Nous devons donc trouver les instruments de financement, de revalorisation, d’investissement et d’accompagnement nécessaires pour préparer notre pays à cet enjeu. La ministre des solidarités et de la santé présentera, à la fin de l’année, un projet de loi qui définira la stratégie et la programmation des moyens nécessaires pour prendre en charge la dépendance. Dès le prochain projet de loi de financement de la sécurité sociale, nous enclencherons une première étape, avec des mesures favorisant le maintien à domicile et des investissements dans les Ehpad.

Cela fait dix ans que l’on évoque et que, parfois, l’on promet, cette grande réforme de dignité et de fraternité : nous voulons la conduire. Elle constituera, à n’en pas douter, un grand marqueur social de ce quinquennat.

L’autre grand défi de notre génération, c’est la mise en place d’un système universel de retraites.

Le haut-commissaire Jean-Paul Delevoye, après avoir engagé des consultations très intenses dès le mois de janvier 2018, présentera ses recommandations en juillet. Il garantira les mêmes droits et les mêmes règles pour tous, quels que soient les statuts. Un système illisible est rarement juste.

Ce système sera plus redistributif, car il réduira l’écart entre les pensions des plus modestes et celles des plus aisés, ainsi qu’entre celles des hommes et celles des femmes. Nous serons particulièrement vigilants envers ceux qui ont exercé des métiers pénibles et qui se retrouvent, parfois, en situation d’invalidité.

Disons la vérité aux Français : il faudra travailler plus longtemps.

Marques d ’ approbation sur des travées du groupe Les Républicains.

Debut de section - Permalien
Édouard Philippe

C’est une des clés de la réussite du pays. Les Français sont lucides : déjà, l’âge moyen de départ à la retraite est supérieur à l’âge légal, parce que nos compatriotes savent que, grâce à leur travail, ils peuvent bénéficier d’une meilleure pension. Ils ont raison. Nous maintiendrons la possibilité d’un départ à 62 ans, mais nous définirons un âge d’équilibre et des incitations à travailler plus longtemps.

Soyons enfin lucides sur l’état financier de nos régimes de retraite. Contrairement à ce que l’on a pu croire il y a quelques années, le système de retraite n’est pas encore à l’équilibre : les dernières projections du conseil d’orientation des retraites font apparaître un besoin de financement de 9 milliards d’euros en 2022 et de 16 milliards d’euros en 2030. Au-delà, le système ne reviendrait pas à l’équilibre avant les années 2040 à 2050, sous des hypothèses de croissance favorables, qui ne sont que des hypothèses… Cela montre la nécessité d’être attentif dans la construction du système universel, qu’il faut établir sur des bases financières solides.

Retisser le lien social, c’est assurer l’ordre et la sécurité dans le pays, soutenir nos forces de sécurité à l’intérieur et nos soldats à l’extérieur.

Retisser le lien social, c’est regarder en face les phénomènes qui inquiètent les Français, pour leur montrer que nous pouvons garder le contrôle. C’est renforcer la laïcité. C’est maîtriser les flux migratoires ; j’ai annoncé que le Parlement en débattrait en septembre.

Retisser le lien social, c’est renforcer un modèle qui n’est plus toujours adapté aux évolutions de notre société. Je pense aux nouvelles solidarités pour les familles monoparentales, aux aidants ; je pense au projet de revenu universel d’activité, qui simplifiera le système d’aides et mettra un terme au scandale du non-recours.

Je ne reviendrai pas sur les mesures par lesquelles nous misons sur l’égalité des chances dès le plus jeune âge, dès que commencent les apprentissages fondamentaux. Miser sur l’égalité des chances, notamment dans les quartiers, c’est ce que nous faisons en augmentant le nombre de places en crèche, en limitant le nombre d’élèves par classe, en créant des cités éducatives d’excellence et des campus connectés.

La création d’une loi de programmation pour la recherche, qui sera discutée en 2020 et prendra effet à partir de 2021, répond à cette même conviction : on n’investira jamais assez sur l’intelligence et sur la liberté.

C’est pourquoi l’une des priorités de l’acte II du quinquennat sera de lutter contre toutes les formes d’assignations à résidence, notamment territoriales.

C’est le point que je développerai aujourd’hui, devant vous, car je ne l’ai pas abordé hier devant l’Assemblée nationale. Je vous l’ai, en quelque sorte, réservé, puisque vous êtes l’émanation des territoires, des villages et des villes de France.

Les quatre-vingt-seize heures pendant lesquelles le Président de la République a échangé avec des maires de France, de Grand-Bourgtheroulde, dans l’Eure, à Cozzano, en Corse, marqueront l’histoire de ce quinquennat. Elles ont placé les maires dans la lumière, en mettant au jour leur dévouement et leur sensibilité, mais aussi leur découragement. Nous ne pourrons pas transformer le pays sans eux. Sans les élus locaux, la démocratie deviendrait une coquille vide.

Que nous disent les maires ? Ils l’ont dit et répété : ils paient le prix des baisses de dotations et celui de l’application de la loi NOTRe, qui a pu conduire à la création d’intercommunalités de taille « XXL » et de grandes régions qui sont parfois encore contestées et n’ont pas forcément contribué à rapprocher les citoyens des lieux de décision.

Debut de section - Permalien
Édouard Philippe

M. Édouard Philippe, Premier ministre. Je citerai un seul de ces maires, celui de Grand-Bourgtheroulde : « Quand est-ce qu’on arrête la machine à broyer la proximité ? »

Exclamations amusées sur les travées du groupe Les Républicains. – Applaudissements sur des travées du groupe Union Centriste.

Debut de section - Permalien
Édouard Philippe

Cette exigence de proximité marque une rupture dans les politiques publiques menées depuis longtemps et elle engage autant les collectivités territoriales que l’État.

S’agissant des collectivités territoriales, nous avons trois défis à relever.

Le premier est de conforter les maires, au moment où la crise de l’engagement est aiguë.

Marques d ’ approbation sur des travées du groupe Les Républicains.

Debut de section - Permalien
Édouard Philippe

Pour la première fois, de nombreuses listes aux prochaines élections municipales seront incomplètes et peut-être manquerons-nous même parfois de candidats aux fonctions de maire. Cette crise de l’engagement, nous devons y répondre. Plus qu’un statut, les maires veulent d’abord un cadre clair d’exercice de leur mandat et plus de libertés locales pour mieux mener leurs projets.

Ce cadre doit être inscrit dans la loi pour ne pas dépendre des situations locales. Il doit garantir une véritable formation, une protection juridique, un accompagnement professionnel et familial. Le Sénat a déjà formulé des propositions ; nous les reprendrons très largement.

Il s’agit aussi de lutter contre ce sentiment de dépossession des maires et de refaire droit aux libertés locales. Des marges de manœuvre doivent être recherchées, sur les effets de seuil qui pénalisent les communes de petite taille, sur le renforcement des pouvoirs de police du maire et sur la suppression d’obligations ou de contrôles qui sont parfois superflus.

Il s’agit enfin de retrouver un équilibre au sein du bloc local entre les communes et leurs intercommunalités. Ces dernières sont indispensables pour porter des projets collectifs. C’est bien souvent à l’échelle d’une intercommunalité que se traitent les questions d’économie circulaire, de réseaux, de logement et de mixité sociale, d’infrastructures, de mobilités, mais force est de constater que, si le maire est toujours « à portée d’engueulade », pour reprendre une expression chère au président du Sénat, il n’a plus toujours, à portée de main, les leviers de décision et d’action. Les récentes réformes, dont la loi NOTRe, ont parfois créé des irritations qu’il convient aujourd’hui de corriger, autour du triptyque compétences-périmètre-gouvernance.

J’ai demandé à Sébastien Lecornu de travailler avec l’ensemble des présidents de groupes du Sénat et avec les associations d’élus pour déposer, avant la fin du mois de juillet, un projet de loi « engagement et proximité ». Conformément à l’article 39 de la Constitution, la Haute Assemblée en sera saisie en premier, dès la rentrée.

Le deuxième défi à relever, c’est de préparer un nouvel acte de décentralisation.

Le Président de la République, en conclusion du grand débat, nous a invités, à la fois, à achever les transferts de compétences déjà entamés, en supprimant les doublons, et à examiner de nouveaux transferts, dans les domaines du logement, des transports, de la transition écologique.

J’ai chargé Jacqueline Gourault de préparer cette importante réforme.

Dans un premier temps, d’ici à juillet, la ministre recevra l’ensemble des associations, d’abord séparément, puis toutes ensemble, en associant les parlementaires.

À partir de la rentrée de septembre, dans chaque région, ce dialogue se poursuivra localement. Chaque préfet de région en sera le garant, dans le cadre des conférences territoriales de l’action publique, qui réunissent tous les élus.

L’État fixera un cadre, mais, dans chaque région, nous ouvrirons la voie à la différenciation, pour définir avec chaque territoire une réponse adaptée, sur mesure, dans le cadre d’un droit clair, mais adaptable.

C’est la voie que nous avons choisie avec la Bretagne ou avec les deux départements du Bas-Rhin et du Haut-Rhin, qui formeront bientôt la Collectivité européenne d’Alsace. C’est la voie que nous avons choisie pour la compétence « RSA » avec la Guyane et Mayotte ou encore avec La Réunion. C’est aussi, bien sûr, la voie que nous avons choisie pour la Corse. La révision constitutionnelle consacre sa spécificité et je m’y rendrai début juillet.

Certaines des évolutions qui émergeront de ces consultations locales pourront être mises en œuvre à droit constant, c’est-à-dire sans attendre. D’autres nécessiteront d’adapter la loi : elles viendront nourrir un projet de loi « décentralisation et différenciation » que Jacqueline Gourault présentera à la fin du premier semestre 2020. Le cadre sera donc redéfini avant les échéances électorales de 2021.

Pour y parvenir, et parce que la situation, au fil de réformes successives, est devenue compliquée, il faut partir de principes clairs, ceux que le Président de la République a rappelés.

D’abord, la proximité, voire la subsidiarité : quel est le bon échelon, le plus en capacité de répondre à la mise en œuvre des politiques publiques ou de conduire certains investissements ? Ce bon échelon n’est pas toujours le même partout.

Ensuite, la responsabilité politique : on ne peut plus continuer à détacher les compétences, et in fine les résultats, des élections. En votant pour un maire, le citoyen sait très bien ce qu’engage son vote, et il en va de même pour l’élection du Président de la République. Entre les deux, reconnaissons que c’est encore parfois plus flou.

Enfin, qui décide paie, et qui paie commande, mais qui commande assume ! C’est toute la question des ressources des collectivités.

C’est le troisième défi : nous devons être capables de préciser aux élus, avant le début du prochain mandat municipal, le cadre financier dans lequel ils exerceront leurs fonctions.

Depuis deux ans, la dotation globale de fonctionnement, la DGF, est globalement stable et nous avons augmenté la péréquation pour les communes rurales et urbaines les plus fragiles. Nous préserverons cet acquis.

S’agissant de la fiscalité, nous inscrirons dans le projet de loi de finances pour 2020 les modalités de la suppression complète de la taxe d’habitation et de sa compensation. Depuis 2017, grâce aux travaux menés, en particulier, par Alain Richard, les enjeux et les options de cette réforme sont connus. Ils ont été largement débattus. Le Gouvernement a d’ailleurs fait connaître, dès le mois de juillet 2018, les principes qui lui paraissent les plus appropriés : aucune commune ne perdra de ressources ; chaque contribuable bénéficiera, à plein, de la suppression de la taxe d’habitation ; au terme de la réforme, la fiscalité locale devra être plus claire pour le contribuable.

C’est sur ces bases que Gérald Darmanin et Jacqueline Gourault reprendront, dès la semaine prochaine, les concertations avec les associations de collectivités territoriales. Je souhaite que celles-ci soient le plus approfondies possible.

La proximité, c’est aussi l’affaire de l’État.

Rapprocher la décision des territoires et de nos concitoyens passe par une action méthodique de déconcentration tous azimuts : la décision individuelle prise au niveau national doit devenir l’exception la plus rare. Nous avons engagé un travail de fourmi pour, décision après décision, répondre à cette question : qu’est-ce qui empêche que cette décision puisse être prise au niveau local ? Ce travail a abouti à ce que, d’ici à la fin de l’année, plus de 95 % des décisions individuelles seront effectivement prises dans les territoires. Nous publierons tout au long du second semestre 2019 les textes réglementaires qui mettront en musique cette ambition.

Il nous faut ensuite inverser les logiques à l’œuvre depuis quinze ans : là où l’on a concentré les forces au niveau régional, je souhaite renforcer le niveau départemental, et quand tous les réseaux de service public se sont progressivement rétractés, je souhaite reconstruire un vrai maillage cohérent de présence des services publics.

J’ai signé hier l’instruction qui engage la réorganisation des services territoriaux de l’État, pour supprimer les doublons, clarifier les responsabilités, mettre en cohérence nos priorités avec nos organisations et, comme je l’évoquais à l’instant, pour mettre les préfets de département en capacité d’agir au plus près des territoires : construire avec les conseils départementaux le service public de l’insertion, déployer le service national universel, accompagner les petites collectivités dans leurs projets d’ingénierie. Nous aurons aussi pour cela de nouveaux outils, comme la banque des territoires, qui a déjà commencé à déployer ses financements, ou l’Agence nationale de la cohésion des territoires, l’ANCT, qui va progressivement jouer un rôle majeur dans la cohésion des territoires.

Cette instruction fixe également le cadre pour superviser la réorganisation des implantations des services publics. Le Président de la République l’a annoncé lors de sa conférence de presse du 25 avril : plus de fermeture d’école ou d’hôpital sans accord du maire. Le corollaire de cela, c’est la nécessité de mettre fin à des stratégies de réorganisation sur les territoires qui sont mal coordonnées entre les ministères et avec les opérateurs. Dorénavant, les préfets de région animeront, avec les préfets de département, les chefs des services régionaux de l’État et l’ensemble des patrons d’opérateurs, une instance spécifiquement dédiée à des réorganisations, pour construire une vraie stratégie et la partager avec l’ensemble des élus locaux et acteurs professionnels concernés.

La dernière brique de cette stratégie de proximité des services publics, c’est bien entendu France Service.

L’idée est simple : construire un guichet unique, avec des agents polyvalents, capables de répondre aux besoins de nos concitoyens dans leurs démarches administratives.

La réalisation, nous le savons, est plus complexe : depuis plusieurs années, les maisons de service au public ont tenté d’apporter cette forme de réponse, avec un succès variable, quel que soit l’engagement de celles et ceux qui font vivre ces structures.

Nous devons changer d’échelle et de logique, partir des besoins de nos concitoyens et des territoires, dépasser les frontières des administrations, oublier que l’on est l’État, le département, la caisse primaire d’assurance maladie, la CPAM, ou la caisse d’allocations familiales, la CAF. Cela suppose des choses simples, comme des horaires d’ouverture élargis, des agents polyvalents, formés, capables d’offrir immédiatement des réponses ou d’accompagner vers la bonne porte d’entrée. Je souhaite que, dès le 1er juillet 2020, 300 maisons France Service soient pleinement opérationnelles. Le Président de la République et le Gouvernement se sont engagés à ce qu’il y en ait au moins une par canton d’ici à la fin du quinquennat.

J’ai commencé, mesdames, messieurs les sénateurs, par évoquer l’urgence climatique, avant de m’attarder sur l’urgence de proximité, mais ces deux urgences coïncident en grande partie, comme le prouve l’exemple des outre-mer : depuis deux ans, nous voyons bien que nos compatriotes ultramarins sont aux avant-postes face aux cyclones et à l’élévation du niveau des océans causés par le dérèglement climatique.

Nous en sommes tellement conscients, depuis le début du quinquennat, que cette double préoccupation définit les cinq objectifs du Livre bleu outre-mer, rendu public le 28 juin 2018, cinq objectifs repris par le Gouvernement dans sa feuille de route pour les outre-mer : zéro vulnérabilité, zéro exclusion, zéro déchet, zéro carbone, zéro polluant agricole.

J’ai évoqué il y a quelques instants l’impératif de différenciation : intégrer les spécificités de chaque territoire pour adapter nos politiques publiques, c’est le « réflexe outre-mer », que nous musclons depuis le début du quinquennat.

Je voudrais enfin mentionner la situation spécifique de la Nouvelle-Calédonie, dont certains ici savent combien elle me tient à cœur. Nous sommes engagés à respecter la signature de l’État concernant l’accord de Nouméa, et je continuerai à privilégier la voie de Nouméa, c’est-à-dire celle du dialogue et des résultats rendus en toute transparence. Lorsque le cycle électoral récemment engagé aura été conclu, je retrouverai avec plaisir les représentants des partis et des forces politiques de Nouvelle-Calédonie pour évoquer avec eux la suite.

Le dernier sujet que j’aborderai ce matin est la réforme des institutions.

Le Président de la République a proposé aux Français de réviser la Constitution du 4 octobre 1958 pour l’adapter aux bouleversements de notre démocratie. Voilà un an, nous avons présenté un projet de loi constitutionnel et deux projets de loi complémentaires, organique et ordinaire. Les circonstances ont amené à reporter leur examen, mais ces derniers mois nous ont confortés dans notre détermination à rénover notre démocratie représentative.

S’engager dans la révision constitutionnelle sans l’accord du Sénat n’est tout simplement pas possible et n’aurait donc aucun sens. C’est pourquoi, depuis un an, nous discutons et essayons de trouver un compromis.

Les textes que nous nous apprêtons à déposer sur le bureau de l’Assemblée nationale reprennent le cœur des engagements du Président de la République, y compris l’inscription de la lutte contre le changement climatique à l’article 1er de notre Constitution.

Ils sont recentrés sur trois priorités : les territoires, avec l’autorisation de la différenciation et l’assouplissement du cadre relatif à la Corse, ainsi qu’aux outre-mer ; la participation citoyenne, avec l’ajout d’un nouveau titre dans la Constitution, la transformation du Conseil économique, social et environnemental en Conseil de la participation citoyenne, la possibilité de former des conventions de citoyens tirés au sort, la facilitation du recours au référendum d’initiative partagée et l’extension du champ de l’article 11 ; la justice, enfin, avec l’indépendance du parquet et la suppression de la Cour de justice de la République.

En parallèle, des gestes ont été faits pour parvenir à un consensus.

Ainsi, les dispositions relatives au fonctionnement des assemblées ont été retirées : nous avons considéré qu’il appartenait aux assemblées elles-mêmes de décider de leur réforme.

Les dispositions relatives au cumul des mandats dans le temps ont été assouplies pour exclure de leur champ les maires des communes de petite taille et prévoir une entrée en vigueur progressive.

Le Président de la République a accepté de revoir sa proposition de baisse d’un tiers du nombre des parlementaires pour viser une réduction d’un quart, qui permette une juste représentation territoriale et l’introduction d’une dose significative de proportionnelle à l’Assemblée nationale.

Concrètement, aujourd’hui, il me semble que nous ne sommes pas éloignés d’un accord sur le projet de loi constitutionnelle, mais pas sur le projet de loi organique, s’agissant en particulier du nombre de parlementaires.

Le Sénat a été très clair : il n’y aura accord sur rien s’il n’y a pas accord sur tout. Cette position est parfaitement respectable, comme l’est, je crois, celle du Gouvernement, qui ne souhaite pas mobiliser du temps parlementaire s’il s’expose, in fine, au désaccord du Sénat.

Nous ne renonçons pas à nos ambitions, qui, nous le pensons, sont conformes à la demande de nos concitoyens. Nous attendrons le moment propice et la manifestation de volonté du Sénat. Nous pouvons aussi voter seulement l’instauration de la proportionnelle à l’Assemblée nationale, sans changer le nombre des députés.

Chacun jugera dans quelle mesure il tient à résoudre les points de désaccord qui demeurent ; chacun jugera dans quelle mesure il considère que cette réforme constitutionnelle peut être un instrument de renouveau démocratique et de réconciliation nationale.

Nous sommes prêts et ouverts. Les trois textes sont prêts, mais cette réforme institutionnelle, mesdames, messieurs les sénateurs, nous ne pourrons pas la réussir sans vous.

Comme je l’ai dit à l’Assemblée nationale, l’époque exige une forme de dépassement. En vous demandant d’approuver cette déclaration de politique générale, je ne vous demande ni un blanc-seing pour la politique de mon gouvernement ni évidemment un quelconque ralliement à la majorité. Je vous demande de dépasser des clivages et des différences que je respecte, mais qui ne me semblent plus aujourd’hui les plus importants.

Je vous ai exposé une feuille de route d’ambition écologique, de justice sociale, de valorisation du travail, de renforcement des maires, de réforme de l’État. Nombre de ces thèmes me semblent largement consensuels sur vos travées ; je forme le vœu qu’ils nous réunissent et nous permettent de nous dépasser. Au-delà de cette déclaration de politique générale, je sais que, sur chacun des textes de loi, le travail accompli entre le Gouvernement et le Sénat sera riche et sérieux.

Pour toutes ces raisons, j’ai l’honneur, monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, en application des dispositions de l’article 49, alinéa 4, de la Constitution, de vous demander l’approbation de cette déclaration de politique générale.

Applaudissements sur les travées du groupe La République En Marche et du groupe Les Indépendants – République et Territoires, ainsi que sur des travées du groupe Union Centriste et du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen. – Mme Fabienne Keller applaudit également.

Debut de section - PermalienPhoto de Gérard Larcher

Nous en venons aux orateurs des groupes politiques.

Dans le débat, la parole est à M. Hervé Marseille, pour le groupe Union Centriste.

Applaudissements sur les travées du groupe Union Centriste et du groupe Les Indépendants – République et Territoires, ainsi que sur des travées du groupe Les Républicains.

Debut de section - PermalienPhoto de Hervé Marseille

Monsieur le président, monsieur le Premier ministre, mesdames, messieurs les ministres, mes chers collègues, la vie politique est faite de cycles. Ceux que nous vivons depuis quelques années sont de plus en plus rapides, imprévisibles et violents. Voilà qui nous appelle tous à une grande humilité.

Cette double déclaration de politique générale fait suite à deux années d’exercice du pouvoir et à un scrutin européen riche d’enseignements, notamment après les mois de crise que nous avons traversés.

Quel a été le message des électeurs ?

D’abord, une majorité a dit « oui » à l’Europe, que celle-ci soit défendue par En Marche, les Républicains, les centristes, les écologistes ou les socialistes. Elle a dit « oui » à une Europe qui protège ses habitants, qui sait qu’elle doit se réformer en se renforçant.

Ensuite, les Français ont dit « oui » aux réformes. En tout cas, la liste soutenue par le Président de la République n’a pas enregistré de désaveu manifeste. D’ailleurs, si son score a été proche de celui de l’élection présidentielle, c’est grâce à l’apport de voix nouvelles, venues notamment du centre droit. Ces électeurs ont salué l’engagement et le pragmatisme du Gouvernement et condamné les oppositions stériles.

Enfin, les électeurs ont clairement affirmé leurs fortes préoccupations environnementales.

Ces constats, monsieur le Premier ministre, vous avez naturellement souhaité qu’ils inspirent la nouvelle étape de votre action. Après vos propos d’hier et de ce matin, engageant l’acte II du quinquennat, je distinguerai la forme et le fond.

Sur la forme, nous ne pouvons que saluer votre volonté d’améliorer les méthodes de travail, en particulier avec le Parlement et les élus locaux, ainsi que le retour à une répartition des rôles plus conforme à la Constitution entre le Président de la République et vous-même.

Sur le fond, vous avez fixé les objectifs et le calendrier des prochains mois. Vous avez présenté ou confirmé les réformes que vous envisagez. Sans les énumérer, je constate que nous n’avons pas à leur égard d’opposition de principe, ni de crispation sur aucune d’entre elles. Parfois même, nous les appelons de nos vœux, pour certaines de longue date. Le pays les attend et en a besoin.

J’en commenterai brièvement deux.

Nous souscrivons évidemment à l’objectif de simplification du système de retraites. Nous partageons la philosophie générale d’un système plus équitable. C’est naturel, puisque cette conception est conforme à notre proposition historique de transition vers un régime par points. Toutefois, nous serons bien sûr vigilants sur le maintien des niveaux de pension et nous veillerons à ce que les règles et les droits des familles ne soient pas altérés. Nous souhaitons aussi une gouvernance équilibrée entre l’État, les partenaires sociaux et la représentation nationale.

En ce qui concerne la révision de la Constitution, disons-le clairement : nous souhaitons son bon aboutissement.

Mon groupe, comme, j’en suis certain, le Sénat, est décidé à jouer pleinement son rôle de constituant, sans manœuvres dilatoires, sans arrière-pensées, sans propositions autres que constructives, d’autant que, comme vous l’avez confirmé, monsieur le Premier ministre, le nouveau projet abandonne la refonte de la procédure parlementaire, qui pouvait appeler de nombreuses réserves.

S’agissant des textes organique et ordinaire associés, la question de la réduction du nombre de parlementaires, pour populaire qu’elle soit, ne constitue pas, me semble-t-il, la bonne entrée en matière. La crise des « gilets jaunes » l’a montré : l’angle incontournable est celui de la proximité. Cette réforme doit absolument maintenir le lien entre les citoyens et leurs élus nationaux, sauf à délégitimer un peu plus la démocratie représentative – je doute que nous puissions nous offrir ce luxe.

En dépit de nos approches différentes, monsieur le Premier ministre, notre divergence se résume désormais à peu de choses, comme vous l’avez souligné. Comment raisonnablement l’invoquer pour justifier le report de l’examen de ces textes importants ? En revanche, nous ne comprenons pas votre insistance à porter atteinte à une des spécificités du Sénat : la permanence de la Haute Assemblée associée à son renouvellement partiel, principe d’ailleurs constitutionnel et élément d’une démocratie apaisée.

Debut de section - PermalienPhoto de Hervé Marseille

Je suis convaincu que vous nous entendrez d’autant plus facilement que cette disposition n’a pas d’incidence sur l’architecture de la révision.

Monsieur le Premier ministre, nous avons vocation à accompagner les réformes que vous présentez, voire à les soutenir. Pour autant, à nos yeux, ce soutien ne constitue pas, bien sûr, un alignement. Un soutien ne peut pas être unilatéral ; il se conçoit dans le cadre d’un dialogue responsable entre élus soucieux de l’intérêt général.

Au cours des deux années écoulées, nous avons maintes fois regretté l’impossibilité d’un dialogue plus fécond avec les ministres présents dans hémicycle et l’attitude souvent fermée de la majorité à l’Assemblée nationale. J’ai compris que cela allait évoluer.

M. Roger Karoutchi manifeste son scepticisme.

Debut de section - PermalienPhoto de Hervé Marseille

Reste que nous avons d’autres interrogations.

Nous sommes l’assemblée des collectivités et des territoires. Je vous en donne acte, ce n’est pas vous qui avez engagé la baisse des dotations. Ce n’est pas vous non plus qui avez organisé ces gigantesques bazars qui ont pour noms Maptam et NOTRe. Malheureusement, c’est vous qui avez inventé ce mistigri de la suppression de la taxe d’habitation, vous aussi qui avez parfois donné le sentiment de porter un regard distancié et clinique sur cette France éloignée des métropoles.

Applaudissements sur les travées du groupe Union Centriste et sur des travées du groupe Les Républicains.

Debut de section - PermalienPhoto de Hervé Marseille

Depuis deux ans, les signaux se sont multipliés, qui ont forgé l’impression que collectivités et territoires étaient les parents pauvres des politiques publiques, voire qu’ils faisaient l’objet d’un certain dédain jacobin. Il va falloir transformer l’essai du grand débat et convaincre définitivement nos territoires qu’ils sont écoutés. J’ai entendu vos propositions, monsieur le Premier ministre, et je ne doute pas qu’elles seront largement comprises et entendues dans les territoires.

Nous sommes également la chambre de la continuité, du temps long. Nous nous souvenons ainsi de l’engagement pris par le Président de la République, lorsqu’il était candidat, de réduire la dépense publique. Or nous n’avons jamais autant dépensé, et rien ne laisse entrevoir un retournement. De façon structurelle, nous le savons, la démographie exercera une pression à la hausse sur les dépenses de retraite et de santé.

Reste une inconnue : le financement des mesures prises ou les économies à réaliser – vous y avez fait largement référence, monsieur le Premier ministre. En fait, cette inconnue est connue : elle s’appelle le déficit. Si nous sommes attachés à la baisse de la dépense publique, ce n’est pas par fétichisme, mais parce que sont en jeu notre indépendance et le fardeau que nous laisserons à nos enfants. Nous leur laissons déjà un monde au bord de l’abîme : nous ne pouvons pas leur nouer, en plus, une corde autour du cou…

Vous auriez cependant tort de ne pas le faire un peu. Ceux qui vous ont précédé l’ont fait. Reconnaissons que, au moins, le Gouvernement ne fait pas semblant. Mais, pour notre part, ne pouvons pas faire semblant de ne pas voir. De ce point de vue, malheureusement, les gouvernements se succèdent et emploient les mêmes recettes.

Enfin, monsieur le Premier ministre, le scrutin européen a constitué un révélateur en ce qui concerne les priorités écologiques.

Cette révélation succède au spectacle plus ou moins réjouissant d’une course-poursuite entamée voilà quelques années. La course a commencé avec Nicolas Hulot sur la ligne de départ, mais, de même qu’une hirondelle ne fait pas le printemps, M. Hulot à lui seul ne pouvait pas faire le verdissement. Son départ a d’ailleurs prouvé qu’il n’était pas l’arbre qui cachait la forêt, mais plutôt le palmier qui masquait le désert… §

La course a repris avant les élections européennes. Elle se poursuit aujourd’hui avec ce que l’on appelle l’« accélération écologique ». Cette accélération, vous la traduisez par des mesures auxquelles personne ne saurait s’opposer : qui peut être favorable au gaspillage ou à l’utilisation du plastique dans les administrations ? Qui peut encore défendre les niches anti-écologiques ? Évidemment, personne. Vous avez annoncé des textes importants, et c’est avec impatience que nous les attendons.

Notre premier combat est celui pour la biodiversité. En la matière, vous avez décidé d’abandonner le projet de la Montagne d’or. Quand on sait ce que chaque mètre carré de forêt vierge représente, ce n’est pas rien. S’agissant du plastique, l’un des fléaux qui menacent toutes les espèces, vous avez décidé d’agir, mais uniquement sur la consommation, alors que la production est au cœur du problème : les industriels ont fait le choix du plastique pour des raisons économiques, et il va nous falloir les contraindre intelligemment, lorsque des alternatives existent.

Le second combat décisif est celui contre le réchauffement climatique. À cet égard, nous adhérons pleinement à l’idée que la meilleure énergie est celle que l’on ne consomme pas. Nous soutiendrons donc votre plan de révision des aides à la rénovation énergétique, réforme qui s’inscrit dans la droite ligne du Grenelle de l’environnement de Jean-Louis Borloo, celle d’une écologie incitative et non punitive et moralisatrice.

Toutefois, compte tenu des besoins énergétiques à venir, l’efficience ne fera pas tout. Une question essentielle se pose : peut-on simultanément sortir des énergies fossiles et réduire la part du nucléaire ? Nous espérons que l’examen prochain du plan énergie-climat y répondra. Même en relançant l’éolien offshore, il sera difficile d’atteindre la neutralité carbone.

Il nous faut ainsi clarifier notre politique énergétique, faute de quoi – pardonnez-moi, monsieur le Premier ministre – l’accélération écologique plafonnera vite à 80 kilomètres par heure…

Sourires sur plusieurs travées.

Debut de section - PermalienPhoto de Hervé Marseille

Monsieur le Premier ministre, à mi-quinquennat, vous nous demandez d’approuver votre déclaration de politique générale et, plus largement, l’action gouvernementale. C’est rare et, au nom de mon groupe, je salue cette volonté d’écoute du Sénat. De fait, il n’est pas courant que le Premier ministre vienne solliciter la confiance de notre assemblée et y parler spécifiquement d’un sujet qui nous tient à cœur : les territoires.

Notre groupe valorise la constance, comme les deux années écoulées l’ont démontré : sur les ordonnances travail, la réforme ferroviaire, la loi Pacte, la loi d’orientation des mobilités, la loi santé, nous avons assumé notre cohérence historique.

Le groupe Union Centriste souhaite unanimement la réussite de l’action du Gouvernement. De toute façon, le pays n’a pas d’autre choix pour échapper aux démons qui le hantent. C’est pour cela que, dans les mois à venir, monsieur le Premier ministre, vous nous trouverez à vos côtés chaque fois qu’il s’agira de promouvoir les réformes utiles au pays, comme vous nous avez trouvés à vos côtés, avec beaucoup d’autres, en décembre dernier, lorsque la République semblait en difficulté et qu’il fallait éteindre l’incendie allumé par les « gilets jaunes ».

Monsieur le Premier ministre, en fonction de ces observations, de nombreux sénateurs de mon groupe répondront favorablement à votre proposition ; les autres exprimeront par leur abstention une retenue bienveillante.

Applaudissements sur les travées du groupe Union Centriste et du groupe La République En Marche, ainsi que sur des travées du groupe Les Républicains et du groupe Les Indépendants – République et Territoires.

Debut de section - PermalienPhoto de Gérard Larcher

M. le président. La parole est à M. Claude Malhuret, pour le groupe Les Indépendants – République et Territoires.

Applaudissements sur les travées du groupe Les Indépendants – République et Territoires, ainsi que sur des travées du groupe Union Centriste et du groupe Les Républicains.

Debut de section - PermalienPhoto de Claude Malhuret

Nous vous écoutons, monsieur le Premier ministre, au moment, particulier et grave, où un parti extrémiste vient d’arriver en tête d’une élection nationale. Encore avons-nous la chance, si l’on peut dire, dans notre pays où l’on apprend dès l’école à révérer Robespierre, que, à la différence des autres pays, où le populisme est seulement d’extrême droite, la France voit le sien partagé en deux, ce qui rend les chiffres en apparence moins alarmants – en apparence seulement.

Ce qui est incompréhensible, c’est que, pour réclamer plus de démocratie, des électeurs votent pour le parti qui détient le record du népotisme et de l’opacité, dirigé depuis cinquante ans par le père, puis la fille, et bientôt la nièce

Applaudissements sur les travées du groupe Les Indépendants – République et Territoires et du groupe La République En Marche, ainsi que sur des travées du groupe Union Centriste et du groupe Les Républicains.

Debut de section - PermalienPhoto de Claude Malhuret

, que, pour dénoncer un système qu’ils estiment corrompu, ils votent pour le parti qui détient le record des rendez-vous judiciaires, et que, pour redresser l’économie, ils votent pour une dirigeante qui a fait la preuve de son incompétence absolue en la matière lors de l’élection présidentielle. Napoléon disait : « En politique, une absurdité n’est pas un obstacle. » Nous le constatons tous les jours…

Rires et applaudissements sur les mêmes travées.

Debut de section - PermalienPhoto de Claude Malhuret

(Sourires sur les travées du groupe Les Indépendants – République et Territoires et du groupe La République En Marche, ainsi que sur des travées du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen, du groupe Union Centriste et du groupe Les Républicains.) Les cascades d’exclusions ont délié les langues, et nous savons maintenant comment, avec son égérie, il dirigeait leur groupuscule. Après la défaite, les jeunes loups du parti estiment que leur tour est venu : voilà du remue-ménage en perspective, quand on sait que plusieurs d’entre eux sont le genre de personnes qui entrent derrière vous dans une porte-tambour et en ressortent les premières.

Rires et applaudissement sur les travées du groupe Les Indépendants – République et Territoires, ainsi que sur des travées du groupe La République En Marche, du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen, du groupe Union Centriste et du groupe Les Républicains.

Debut de section - PermalienPhoto de Claude Malhuret

L’incroyable, ce n’est pas que LFI soit passée de 20 % à 6 %, mais que, malgré cela, il y ait encore, en 2019, 6 % des Français qui votent pour la révolution bolivarienne.

Sourires sur les travées du groupe Les Républicains.

Debut de section - PermalienPhoto de Claude Malhuret

Si les partis extrêmes ne rassemblent plus aujourd’hui que 30 % des votants, ce qui est tout de même considérable, contre 40 % voilà deux ans, c’est grâce à l’effondrement du líder minimo de la France soumise à Cuba. Le corps sacré autoclaironné lors d’une perquisition par l’homme au micro entre les dents a disqualifié celui-ci jusque chez ses proches. §

Le second coup de tonnerre de cette élection, c’est que la gauche démocratique et la droite républicaine, à la tête du pays pendant soixante ans, aient obtenu ensemble moins de 15 % des voix.

En ce qui concerne le PS, l’explication, qui risque de ne pas plaire à tout le monde ici, me semble largement partagée. François Hollande a mené avec constance une politique qui m’évoque une enseigne aperçue l’autre jour sur la route : « restaurant ouvrier, cuisine bourgeoise ».

Rires et applaudissements sur les travées du groupe Les Indépendants – République et Territoires, du groupe La République En Marche, du groupe Union Centriste, du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen et du groupe Les Républicains.

Debut de section - PermalienPhoto de Claude Malhuret

De l’autre côté, Nicolas Sarkozy déclarait, le 26 mai dernier, à vingt heures trente : « Il n’y a plus de droite dans notre pays. » Je trouve le jugement expéditif. Nous savons tous qu’il est rare qu’on meure en politique. Comme le dit un proverbe cambodgien, « quand l’eau monte, les poissons mangent les fourmis, quand l’eau descend, les fourmis mangent les poissons ».

Sourires.

Debut de section - PermalienPhoto de Claude Malhuret

Je ne crois pas que la droite soit morte, mais elle est partie. Elle a commencé à partir le jour où quelques-uns de ses dirigeants ont décidé que la reconquête passait par l’adoption des idées les plus raides et ont cessé de tenir compte des minoritaires. Le parti, mon parti, ne pouvait alors que s’effeuiller comme un artichaut : une feuille lors de la défaite de 2012, une feuille lors du match de boxe Copé-Fillon, une feuille lors du refus de choisir entre Le Pen et Macron au second tour de la présidentielle, une feuille lors des européennes… Une fois la dernière feuille partie, le 26 mai au soir, la droite s’est aperçue qu’un million de ses électeurs n’avaient pas voté pour son candidat, mais pour la candidate d’En Marche, et 500 000 pour le Front national.

Pendant toute la campagne, les adversaires d’Emmanuel Macron l’ont accusé de prendre les élections européennes en otage en réduisant l’enjeu de celles-ci à un affrontement entre progressistes et populistes. Ils n’avaient pas tort. Mais ce qu’ils n’avaient pas compris, c’est qu’il ne s’agissait pas seulement d’un slogan de campagne, mais aussi d’une réalité.

Lorsque presque tous les pays de l’est de l’Europe, plus l’Italie, sont dirigés par des populistes, lorsque ceux-ci réunissent de 15 % à 30 % des suffrages partout en Europe de l’Ouest, lorsque l’on est entouré de Poutine, d’Erdogan et de Xi Jinping, il est temps, pour les démocrates, d’affronter les populistes, et non de leur courir après !

Applaudissement sur les travées du groupe Les Indépendants – République et Territoires, du groupe La République En Marche et du groupe Union Centriste, ainsi que sur des travées du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen et du groupe Les Républicains.

Debut de section - PermalienPhoto de Claude Malhuret

Le monde est devenu dangereux et compliqué. Avant, vous étiez de gauche, ducentre ou de droite et vous votiez enconséquence. Cette grille, contrairement à ceque l’on prétend, n’a pas été remplacée parl’opposition démocrates-populistes. Mais il y adésormais deux axes de lecture : l’axe gauche-droite et l’axe démocrates-populistes. Jepartage l’analyse du Président de la République sur ce point, mais je préfère de loin le terme de démocratesà celui de progressistes, tant j’ai vu dans ma vie de catastrophes provoquées au nom du progrès.

Applaudissements sur des travées du groupe Les Indépendants – République et Territoires, du groupe Union Centriste et du groupe Les Républicains. – M. André Gattolin applaudit également.

Debut de section - PermalienPhoto de Claude Malhuret

La liste « Renaissance » est arrivée deuxième le 26 mai, mais vous êtes presque le seul, monsieur le Premier ministre, à l’avoir fait remarquer. Sa déroute était tellement prédite que le reste du monde semble persuadé qu’elle a gagné. Je suppose que vous ne vous en plaignez pas, mais, si j’insiste sur ce point, c’est qu’il me paraît important que quelqu’un – et vous n’êtes pas n’importe qui – garde la tête froide.

Certains cris de victoire un peu bruyants, certaines injonctions un peu appuyées, certains appels un peu martiaux entendus depuis quinze jours ne sont peut-être pas la meilleure façon de préparer l’avenir et de rassembler.

Vifs applaudissements sur les travées du groupe Les Indépendants – République et Territoires, du groupe Union Centriste et du groupe Les Républicains.

Debut de section - PermalienPhoto de Claude Malhuret

Vous restez lucide, et c’est à saluer.

L’acte I du quinquennat a permis des réformes importantes : la SNCF, le code du travail, l’école de la confiance, notamment. La majorité du Sénat les a souvent soutenues, souvent amendées aussi.

Debut de section - PermalienPhoto de Claude Malhuret

L’acte I a également été marqué par une grave crise sociale, parce que la disruption, on peut trouver ça sympa, mais ce n’est pas toujours l’avis de ceux qui sont disruptés…

Vous êtes venu ce matin nous annoncer l’acte II. Ici même, voilà deux mois, je disais : « La conclusion du grand débat, c’est un peu une lettre au père Noël. Le Président a promis d’en tenir compte, et c’est heureux. Mais il va falloir aussi, pour une part, qu’il lui résiste. »

C’est la raison pour laquelle la formule la plus importante de votre discours me paraît être : « constance et cohérence dans l’action ». Cette position suscitera deux sortes de réactions : certains diront que vous n’avez rien entendu, qu’il faut d’urgence faire marche arrière ; les autres, dont je suis, vous diront que c’est en restant immobile qu’on fait le plus de faux pas.

Vous nous annoncez une société de la confiance et de la justice. Lever les freins à l’emploi, libérer les énergies, renforcer les collectivités territoriales et décentraliser, faciliter la mobilité sociale, renforcer l’égalité entre les territoires, métropolitains comme ultramarins, redéfinir le périmètre de l’État, et – vous avez commencé par là – tout faire pour laisser à nos enfants une planète vivable : il n’y a rien, dans tout cela, qui ne puisse être approuvé.

Mais cette approbation doit être vigilante, car, au-delà de ce que vous avez dit, il y a deux ou trois choses que nous aurions aimé entendre, tout au moins plus précisément : des assurances chiffrées sur le non-dérapage des finances publiques dans la mise en œuvre de ces réformes

Marques d ’ approbation sur des travées du groupe Les Républicains.

Debut de section - PermalienPhoto de Claude Malhuret

; des précisions sur le Meccano fiscal, qui ne nous semble pas abouti et ne nous rend pas certains que vous arriverez, deux siècles plus tard, à faire mentir l’adage de Benjamin Franklin selon lequel il n’y a que deux choses certaines dans la vie, la mort et les impôts

Sourires.

Debut de section - PermalienPhoto de Claude Malhuret

; quant à la baisse des effectifs de la fonction publique, elle ne semble plus si urgente, ce qui nous fait craindre que l’administration ne continue d’être ce qui se rapproche le plus de la vie éternelle…

Nouveaux sourires.

Debut de section - PermalienPhoto de Claude Malhuret

La réforme constitutionnelle reposait avant tout sur les engagements réciproques et la loyauté de trois personnes qui y avaient beaucoup travaillé, échangeant beaucoup : le Président de la République, le président du Sénat et le Premier ministre. Vous le savez, je suis de ceux qui pensent que ces engagements auraient été tenus.

Après avoir mobilisé beaucoup d’énergie, la révision constitutionnelle semble devoir rester un certain temps dans le cloud, comme l’on dit aujourd’hui… Je l’y laisse donc ; nous aurons l’occasion d’en reparler lorsqu’elle redescendra du ciel.

Monsieur le Premier ministre, notre groupe, très majoritairement, approuvera votre déclaration de politique générale.

Applaudissements sur les travées du groupe Les Indépendants – République et Territoires, du groupe La République En Marche et du groupe Union Centriste, ainsi que sur des travées du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen. – Mme Fabienne Keller applaudit également.

Debut de section - PermalienPhoto de Gérard Larcher

M. le président. La parole est à Mme Dominique Estrosi Sassone, pour le groupe Les Républicains.

Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.

Debut de section - PermalienPhoto de Dominique Estrosi Sassone

Mme Dominique Estrosi Sassone. Monsieur le président, monsieur le Premier ministre, mesdames, messieurs les ministres, mes chers collègues, je vous prie de bien vouloir excuser le président de notre groupe, Bruno Retailleau, retenu ce matin dans son département, aux Sables-d’Olonne, pour l’hommage national aux sauveteurs de la SNSM qui ont péri en mer vendredi dernier.

Applaudissements sur de nombreuses travées.

Debut de section - PermalienPhoto de Dominique Estrosi Sassone

Nous sortons d’une séquence électorale intense, les uns satisfaits, d’autres un peu moins, beaucoup moins encore. Pour autant, monsieur le Premier ministre, mesdames, messieurs les ministres, nous comptons bien continuer à défendre nos convictions, sereinement mais fermement.

Sereinement, car la politique n’est pas la guerre : nous ne voyons, sur les bancs du Gouvernement, aucun ennemi.

Debut de section - PermalienPhoto de Dominique Estrosi Sassone

Mme Dominique Estrosi Sassone. Nous nous désolons même d’y voir siéger certains de nos amis…

Sourires.

Debut de section - PermalienPhoto de Dominique Estrosi Sassone

Que vous tendiez la main aux maires, c’est votre droit. Que quelques-uns la saisissent, c’est leur choix. Mais que certains tapent sur les doigts de ceux qui auraient l’impudence de ne pas faire de même, cela est inacceptable !

Bravo ! et applaudissements sur des travées du groupe Les Républicains et du groupe Union Centriste.

Debut de section - PermalienPhoto de Dominique Estrosi Sassone

Les élus locaux ne sont les obligés de personne : ils n’ont de comptes à rendre ni à vous ni à nous, mais à leurs seuls administrés. Puisque la Constitution nous donne pour mission de les représenter, de défendre leurs libertés, nous vous disons : monsieur le Premier ministre, ne cédez pas de nouveau à la tentation de la toute-puissance, qui a tant abîmé le lien de confiance avec les élus locaux !

Applaudissements sur des travées du groupe Les Républicains. – Mme Valérie Létard applaudit également.

Debut de section - PermalienPhoto de Dominique Estrosi Sassone

Du reste, nous n’acceptons pas – je le dis, là encore, avec une grande sérénité – l’affirmation selon laquelle l’intérêt du pays nous serait étranger. Depuis deux ans, notre groupe a toujours refusé l’obstruction intransigeante, au profit de l’opposition intelligente.

Nous sommes-nous opposés aux ordonnances travail ? Non : nous les avons votées, parce que nous estimions que, même insuffisantes, elles allaient dans le bon sens. Avons-nous tenté de faire échouer la réforme de la SNCF ? Non : nous avons appuyé le Gouvernement, considérant que, compte tenu des carences de notre système ferroviaire et des corporatismes qui depuis trop longtemps le fragilisent, l’exigence de réforme devait primer. De même, avons-nous repoussé la loi ÉLAN ou celle sur les mobilités ? À la vérité, loin de rejeter ces textes, nous les avons améliorés, parce que notre mission de législateur prime toute autre considération, parce que nous sommes, au Sénat, bien moins perméables aux passions et aux agitations qui parfois dominent l’Assemblée nationale.

Je pourrais évoquer également les mesures d’urgence décidées par le Président de la République au pic de la crise de l’hiver dernier : nous les avons votées, estimant que, compte tenu de l’état de tension régnant dans le pays, il fallait collectivement répondre à l’urgence et mettre tout en œuvre pour que l’ordre et la sérénité reviennent.

Nous n’avons jamais été dans une opposition pavlovienne. Notre position est claire et, je crois, saine sur le plan démocratique : quand nous estimons qu’un texte est bon pour le pays, nous le votons ; quand il nous paraît qu’il ne l’est pas, nous ne le votons pas !

Car s’il peut y avoir avec vous des convergences – nous en avons trouvé dans votre discours, monsieur le Premier ministre : la fin de régimes spéciaux de retraite, la réforme de l’assurance chômage ou le débat annuel au Parlement sur l’immigration –, il y a aussi entre nous de vraies différences, non pas de forme, mais de fond.

Lorsque vous annoncez des milliards d’euros de dépenses supplémentaires sans indiquer comment vous les financerez, sinon en rabotant ici ou là quelques niches fiscales, au lieu de présenter aux Français un véritable plan d’économies, au risque de reporter sur les générations futures la charge financière de vos décisions, c’est une différence de fond.

Applaudissements sur des travées du groupe Les Républicains.

Debut de section - PermalienPhoto de Dominique Estrosi Sassone

Lorsque vous refusez d’indexer les aides accordées aux familles et que vous poursuivez l’entreprise de fragilisation de la politique familiale engagée par François Hollande, c’est une différence de fond.

Lorsque vous engagez notre protection sociale vers un système de moins en moins universel, c’est une différence de fond.

Lorsque la protection de l’environnement se traduit par une fiscalité punitive, c’est une différence de fond.

Ces différences, nous ne les revendiquons pas seulement pour nous-mêmes, mais aussi pour défendre ce qui nous engage tous.

Je citerai la crédibilité de la parole publique, tout d’abord, car l’honneur de la politique, c’est de défendre des convictions, sans céder à l’esprit du temps ou à l’opportunité du moment.

Debut de section - PermalienPhoto de Dominique Estrosi Sassone

Je pense à l’efficacité dans la conduite des affaires du pays, ensuite, car aucun gouvernement, aucune majorité, aucun pouvoir ne dispose de la vérité absolue. J’en veux pour preuve la loi anticasseurs : comme vous le savez, c’était une proposition de loi de notre groupe, portée par Bruno Retailleau. Vous l’avez initialement écartée, avant de la reprendre à votre compte face aux violences urbaines auxquelles nous avons été confrontés ; nous nous en félicitons. Aussi sommes-nous en droit d’attendre du Gouvernement qu’il adopte la même attitude constructive que le Sénat.

Avec le projet de réforme institutionnelle, vous avez, monsieur le Premier ministre, une nouvelle occasion de bénéficier de la sagesse des sénateurs.

Oui, une réforme est nécessaire pour revitaliser la démocratie française sur le plan tant national que local, pour réarticuler la démocratie représentative avec la démocratie directe et participative.

Oui, une révision constitutionnelle est possible, si le Gouvernement fait preuve de cette ouverture que vous mettez en avant ! Autant nous saluons votre décision d’avoir renoncé à certaines atteintes au Parlement, autant nous déplorons que, sur la question de la représentation des territoires, et donc celle du nombre de parlementaires, vous sembliez privilégier le rapport de force, voire la pression. Pour nous qui portons la voix des territoires, ce point n’est pas secondaire ; il est majeur, car il touche à la justice territoriale. Il est juste que tous les territoires soient représentés. Il est juste qu’il n’y ait pas plus de vingt départements ne disposant que d’un sénateur et que cette garantie fasse l’objet d’une disposition constitutionnelle. Autrement dit, c’est en partant de l’exigence d’équité et de représentativité territoriale que le nombre de sénateurs doit être fixé, et non pas à partir d’une logique arithmétique, sinon technocratique.

Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et sur des travées du groupe Union Centriste.

Debut de section - PermalienPhoto de Dominique Estrosi Sassone

N’ajoutons pas aux fractures géographiques une déchirure démocratique en éloignant encore un peu plus la République des territoires. Dans bien des communes rurales ou des villes moyennes, le sentiment d’abandon domine, la conviction qu’on ne compte pour rien est largement partagée. Elle fut d’ailleurs au cœur de cette crise des « gilets jaunes » que vous avez dû affronter. Alors, tirez-en tous les enseignements ! N’accentuez pas cette désespérance en supprimant, après les services publics, le service démocratique qu’assurent les parlementaires ! Du reste, cela fait un an que nous avons exprimé nos exigences préalables à toute révision constitutionnelle. Qu’attendez-vous pour nous dire « oui » ou « non » ?

Au-delà de cette question majeure, nous souhaitons, vous le savez, renouer avec l’esprit initial de la Ve République. Je pense évidemment au respect du bicamérisme, au renouvellement par moitié du Sénat, notamment pour assurer le principe de la continuité des pouvoirs publics.

Enfin, ces différences que nous assumons sont aussi, nous le croyons, un gage de concorde et d’unité.

Certains, dans votre majorité, ont exprimé leur satisfaction au lendemain des élections européennes. Pourtant, la réalité géographique et civique que dessinent les chiffres n’a rien de satisfaisant : elle exprime, au contraire, une situation dont nul ne peut se féliciter, celle d’un pays fracturé, de deux France profondément opposées.

Vous vouliez dépasser les vieux clivages, mais vous n’êtes parvenu qu’à leur substituer des clivages autrement plus dangereux : des clivages territoriaux, sociaux, culturels, même générationnels, des clivages qui, en réalité, épousent les lignes de cette recomposition que vous poursuivez. « La poutre travaille encore », disiez-vous, monsieur le Premier ministre.

Debut de section - Permalien
Un sénateur du groupe La République en marche

C’est vrai !

Debut de section - PermalienPhoto de Dominique Estrosi Sassone

Mme Dominique Estrosi Sassone. Prenez garde qu’à force de travailler elle ne fracture les murs porteurs de l’édifice français !

M. Rémy Pointereau applaudit.

Debut de section - PermalienPhoto de Dominique Estrosi Sassone

Le grand défi que nous allons devoir relever dans les années qui viennent, celui qu’il vous incombe aujourd’hui d’affronter, c’est celui de l’unité, cette grande œuvre française toujours à recommencer.

Cette unité ne pourra se faire que dans la vérité, parce que, toujours, le mensonge divise, les illusions séparent.

Regardons les choses en face : les demi-vérités et les vrais mensonges n’ont fait qu’accentuer la méfiance des Français. Ils ont conduit les uns à rechercher des boucs émissaires, poussé les autres à s’enfermer dans leur vérité, à abandonner la raison critique pour les raisonnements irrationnels.

Pour recréer les conditions de l’amitié civique, il faut avoir le courage de dire la vérité sur l’état de nos finances publiques, sur la situation de nos comptes sociaux qui, de nouveau, plongent dans le rouge, sur l’impossibilité de soutenir artificiellement la croissance et le pouvoir d’achat en creusant indéfiniment les déficits.

Il faut avoir le courage de dire la vérité sur le chômage. Les paramètres actuels, qu’il s’agisse des dépenses publiques ou des déficits, ne permettront pas d’atteindre l’objectif de 7 % de chômeurs d’ici à la fin du quinquennat. La conjoncture ne suffit plus à créer l’embellie.

Il faut avoir le courage de dire la vérité sur l’état de notre institution scolaire, sur la nécessité d’étoffer la diversité des parcours, de donner plus de liberté pour recruter, pour innover, mais aussi de renouer avec la transmission, celle qui permet d’échapper à la reproduction sociale, et, surtout, de réaffirmer la valeur du mérite et du travail, en vous éloignant de la tentation de la discrimination positive.

Il faut également avoir le courage de dire la vérité sur l’immigration, qui, aujourd’hui, n’est pas régulée, sur le communautarisme ou les atteintes à la laïcité, qui, trop souvent encore, ne sont pas sanctionnées.

Il faut avoir le courage de dire la vérité, en somme, sur tous ces non-dits, sur ces dénis qui ont frayé la voie aux extrêmes.

Debut de section - PermalienPhoto de Dominique Estrosi Sassone

Partout, dans les démocraties occidentales, le sentiment d’insécurité culturelle progresse, des questionnements fondamentaux se font entendre sur la Nation, sur les frontières, sur le rapport à la mondialisation. Ne pas offrir de réponses démocratiques à ces interrogations légitimes, rester insensibles aux angoisses et au sentiment de dépossession qu’expriment bon nombre de nos compatriotes, c’est exposer la République à des insurrections électorales. C’est nous exposer collectivement aux aventures sans lendemain dans lesquelles nous entraîneraient les extrêmes si, par malheur, elles parvenaient aux responsabilités.

Cette unité, nous ne la ferons que dans le cadre d’un débat apaisé, respectueux de chacun. Cessons les caricatures, les anathèmes manichéens.

Monsieur le Premier ministre, vous avez indiqué ne pas vous résigner au « rétrécissement du débat public ». Mais enfin, qui, depuis deux ans, rétrécit le débat à des oppositions binaires, sans nuances ? Qui n’a cessé de dire qu’il y avait désormais les progressistes, d’un côté, et les conservateurs, de l’autre, les représentants du monde d’avant et les hérauts du monde nouveau ? Ce n’est pas le Sénat, c’est le Président de la République, c’est votre gouvernement !

Debut de section - PermalienPhoto de Dominique Estrosi Sassone

Nous vous le disons calmement, mais franchement : le progrès n’est pas une marque déposée par la majorité. Nous voulons tous le progrès. Acceptez seulement que nous puissions en avoir une vision parfois différente de celle que vous nourrissez. Ayez l’humilité de reconnaître que la modernité n’est pas univoque, que ce qui est ancien n’est pas forcément daté et dépassé. En témoigne d’ailleurs l’institution communale : elle est sans doute l’une des plus anciennes, et c’est d’abord à elle que nos compatriotes accordent leur confiance. C’est vers elle, vers les maires que vous vous êtes d’ailleurs immédiatement tournés l’hiver dernier, après les avoir tant méprisés, lorsque la situation s’est enflammée. Les maires n’ont jamais été autant découragés, et vous devez tenir compte de leur découragement.

Du reste, nous pensons que, à l’heure des grandes ruptures et des changements permanents, la politique doit être aussi un facteur de stabilité. S’il est essentiel de changer ce qu’il faut, il l’est tout autant de préserver ce qui vaut, de protéger ces attachements vitaux qui nous tiennent comme un seul peuple, une seule Nation. C’est aussi le message qu’ont envoyé beaucoup d’électeurs lors du scrutin européen. Non, les Français ne sont pas des « Gaulois réfractaires » au changement ! Mais ils tiennent à leur souveraineté, à leur laïcité, à leur solidarité nationale, car ces attachements sont autant d’appuis nécessaires pour que nous puissions prendre collectivement notre élan, nous projeter et nous imposer dans un monde nouveau qui a besoin de la France. Prenons le meilleur de la modernité et donnons le meilleur de notre identité : voilà un « en même temps » qui, pour le coup, pourrait rassembler une majorité de Français.

Monsieur le Premier ministre, c’est dans cet esprit d’unité que nous voulons continuer d’œuvrer. L’unité n’est pas, à nos yeux, synonyme d’uniformité. Dans une démocratie adulte, la pluralité doit être vécue comme une richesse, et non comme un obstacle. Nous avons des différences, et nous aurons peut-être encore des convergences. C’est au nom de ces différences que nous assumons et de ces convergences que nous espérons que, dans le cadre du vote que vous nous demandez, le groupe Les Républicains s’abstiendra majoritairement, pour ces deux raisons essentielles.

D’abord, parce que le Sénat n’est pas l’Assemblée nationale : il n’est ni dans ses attributions ni dans ses missions de renverser ou non tel ou tel gouvernement.

Ensuite, parce que, depuis deux ans, nous avons été trop habitués à ce décalage entre, d’un côté, des mots forts, et, de l’autre, des actes faibles. Autrement dit, cette abstention, c’est tout sauf un chèque en blanc : nous jugerons sur pièces, au cas par cas, texte par texte.

Ni opposition systématique ni adhésion automatique : telle est notre ligne de conduite. Cette ligne, nous la tiendrons, monsieur le Premier ministre, mesdames, messieurs les ministres. Nous la tiendrons parce que, au-delà de nos appartenances, il y a la France. Nous la tiendrons parce que nous tenons à nos convictions et nous croyons à ce que nous défendons.

Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et sur des travées du groupe Union Centriste.

Debut de section - PermalienPhoto de Gérard Larcher

M. le président. La parole est à M. François Patriat, pour le groupe La République En Marche.

Applaudissements sur des travées du groupe La République En Marche.

Debut de section - PermalienPhoto de François Patriat

Monsieur le Premier ministre, vous nous demandez aujourd’hui de nous prononcer sur le chemin à parcourir et la méthode pour y parvenir.

La France est ainsi faite que, les soirs d’élection, l’on se projette déjà dans les futures échéances. Pour ma part, je préfère me cantonner au travail que nous avons à accomplir rapidement dans cette période qui nous conduira aux prochaines échéances.

À ce moment du quinquennat, monsieur le Premier ministre, deux questions se posent au groupe La République En Marche.

Tout d’abord, avons-nous tenu nos engagements ? Avons-nous mis notre pays sur le chemin du redressement avec tout votre gouvernement, que je salue ici ? Pouvons-nous être fiers du travail accompli ? Pour nous, la réponse est « oui ».

Ensuite, devons-nous encore repousser les échéances, refuser la réalité et reculer devant les réformes à faire ? La réponse est « non ».

Votre discours, monsieur le Premier ministre, a montré avec fermeté l’important travail à conduire maintenant. Vous vous êtes exprimé avec lucidité, sans mésestimer les difficultés à surmonter.

Est-il noble de parler, comme je l’ai entendu faire hier à l’Assemblée nationale, de programme « cache-poussière » ? Il est respectable de s’opposer, mes chers collègues, mais on peut s’épargner les propos outranciers.

Monsieur le Premier ministre, vous avez choisi de recourir à une disposition prévue dans notre Constitution pour solliciter un vote de confiance de la Haute Assemblée. Je m’en réjouis, car cette démarche entend valoriser l’institution sénatoriale et les élus qui y siègent.

Je sais bien que le résultat du vote d’aujourd’hui ne sera pas similaire à celui d’hier, à l’Assemblée nationale, mais faut-il pour autant renoncer ? Dans un Sénat d’une couleur politique différente de celle du Gouvernement, la démarche est courageuse. Elle est en cohérence avec la volonté d’ouverture qui est celle du Gouvernement, tant la situation politique de notre pays est inédite.

Oui, monsieur le Premier ministre, vous avez raison, le Sénat ne doit pas être écarté de la « marche du monde ». Aujourd’hui vient le temps d’insuffler, plus que jamais, l’espoir du dépassement, du dialogue, de l’ouverture.

Le dépassement, mes chers collègues, ce n’est pas renoncer à ses convictions ; c’est accepter de partager avec d’autres, venus d’horizons divers, les analyses et les voies du redressement. Moi-même, j’ai gardé mes convictions personnelles, qui ne sont pas les vôtres, monsieur le Premier ministre, mais je pense que la justice sociale ne peut advenir que si le redressement économique est là.

Le dépassement des clivages, qui permet de sortir des rigidités et de réunir les progressistes, a permis de réelles avancées, qui commencent déjà à produire leurs effets.

Les résultats de la France en matière d’attractivité économique sont salués par l’OCDE, qui confirme que les réformes vont dans le bon sens et qu’il faut les poursuivre.

Contrairement aux affirmations de certains, beaucoup de mesures répondent à la demande d’une plus grande justice sociale, largement exprimée par nos concitoyens : je pense au plan Pauvreté, au reste à charge zéro, aux avancées en faveur des personnes handicapées, aux mesures éducatives, au travail qui paie, à la baisse historique du chômage… Avec un peu d’objectivité, chacun peut faire le bilan des actions entreprises. Il montre que, loin d’être une simple formule, le « en même temps » a réellement été mis en œuvre.

Aujourd’hui, pour établir les solides fondations de l’acte II du quinquennat, il est fondamental de l’accompagner, ici au Sénat, avec lucidité, courage, détermination et, comme vous l’avez dit hier, civilité.

Face à l’urgence écologique, sociale, démocratique et politique, réformer est ce que nous devons réussir ensemble.

Notre pays a besoin de poursuivre le chemin tracé avec constance et cohérence. Changer de méthode, oui, mais garder le cap est nécessaire.

Le Président de la République porte un projet d’émancipation, qui parle au peuple comme aux élus.

Au travers du grand débat, nous avons entendu les Français : ils veulent plus d’écoute, plus de proximité, plus d’ouverture, plus d’humanisme, pour un plus large rassemblement. C’est la méthode de l’acte II du quinquennat.

Mes chers collègues, faut-il, oui ou non, réformer les finances des collectivités locales ? Faut-il, oui ou non, réduire la pression fiscale qui pèse sur nos concitoyens ? Faut-il, oui ou non, plus d’avancées écologiques ? Faut-il, oui ou non, étendre le droit à la procréation médicalement assistée à toutes les femmes ?

Monsieur le Premier ministre, nous soutiendrons les projets de loi qui ont été annoncés hier lors de votre discours de politique générale : réformes de l’assurance chômage et des retraites, projets de loi bioéthique, de programmation de la recherche et de l’accélération écologique.

Le projet de loi consacré à l’engagement des élus, que vous avez évoqué ce matin, nous paraît aussi essentiel pour répondre à la crise des vocations de maire, en levant les freins à l’exercice du mandat, en défendant la validation des parcours et la reconversion. D’autres chantiers majeurs doivent être entrepris, comme le lissage des irritants de la loi NOTRe. Je fais confiance à Sébastien Lecornu pour conduire ces travaux dans le dialogue, comme il l’a déjà fait par le passé.

Faisons preuve de volonté et sachons aussi prendre des risques et les assumer. Mes chers collègues, vos choix, quels qu’ils soient, sont respectables, mais je vous invite au plus large rassemblement. Votre projet, monsieur le Premier ministre, vise à réconcilier la France avec elle-même ; nous avons confiance en la démarche que vous nous proposez. Ce n’est pas un scoop ni une surprise, le groupe La République En Marche votera largement votre déclaration de politique générale.

Applaudissements sur les travées du groupe La République En Marche. – Mme Michèle Vullien applaudit également.

Debut de section - PermalienPhoto de Gérard Larcher

La parole est à Mme Éliane Assassi, pour le groupe communiste républicain citoyen et écologiste.

Debut de section - PermalienPhoto de Éliane Assassi

Monsieur le Premier ministre, j’ai écouté hier la lecture de votre déclaration de politique générale par M. de Rugy, tout en gardant un œil sur votre intervention à l’Assemblée nationale. Je vais vous dire ce que j’en pense, avec sérieux, car nous ne sommes pas ici au théâtre, même si nous allons évoquer l’acte II du quinquennat.

Ce qui m’a d’emblée frappée, c’est le décalage avec le pays réel.

Après la séquence électorale des européennes, vos partisans semblent avoir vaincu la colère jaune, domestiqué la colère du peuple qui a tonné si fort durant des semaines et, à son apogée, vous le savez bien, a fait vaciller vos certitudes. Erreur ! La colère est toujours là, comme à Belfort, à Saint-Saulve, dans les hôpitaux, les maternités, dans la fonction publique, chez les élus.

Ne vous y trompez pas, monsieur le Premier ministre, faire une liste à la Prévert des colères ne suffira pas à les apaiser. Vous n’en avez pas fini avec celles et ceux qui, majoritaires dans le pays, aspirent à une vie meilleure et digne, à l’emploi, à un vrai travail stable, avec tous ceux qui aspirent à garantir un avenir serein à leurs enfants, à vieillir dignement et en bonne santé et qui sans doute, majoritairement, ont déserté les isoloirs le 26 mai dernier, ce qui ne semble pas vous préoccuper…

Dans votre discours, vous avez, une nouvelle fois, agité les peurs, vos peurs – l’insécurité, le terrorisme, l’étranger –, mais la peur qui taraude l’immense majorité du peuple, c’est celle du lendemain, du chômage, du contrat précaire qui se termine, des soins trop chers et même de la faim. Or, de tout cela, vous n’avez pas parlé.

Vous ne devez pas oublier que vous n’en avez pas fini avec les exigences de justice sociale et fiscale – les vraies ! –, celles qui passent obligatoirement par la répartition des richesses, et non par des aménagements pudiques du système.

Votre acte II a un goût de réchauffé. « Libérer les énergies », dites-vous en écho à l’ancien Premier ministre Alain Juppé. « Nous sommes des réformateurs », annoncez-vous, en écho, cette fois, au « mouvement des réformateurs » fondé par Jean Lecanuet en 1972. Pouvez-vous encore parler de « nouveau monde » avec de telles références ? Certainement pas.

Bien au contraire, vous êtes fidèle – tragiquement fidèle – aux politiques menées depuis près de quarante ans, hormis de brèves éclaircies, qui font rimer réforme avec recul social, précarisation, appauvrissement.

Vous avez dit hier que vous étiez « inénervable » ; j’en suis bien contente pour vous ! §Imperturbablement donc, vous tracez la voie du libéralisme le plus archaïque qui soit.

Malgré le mouvement de colère soutenu massivement durant des mois par la population, vous n’avez pas prononcé les mots « ISF », « Smic », « salaires » et, surtout pas, les mots « évasion fiscale », qui, bien évidemment, concernent trop de soutiens de celui qui demeure le président des riches.

Vous n’avez pas davantage répondu à l’aspiration à une démocratie profondément refondée, à une irruption de la citoyenneté.

Votre discours n’est pas disruptif ; il est, bien au contraire, convenu, destiné à sauver l’existant, c’est-à-dire une France où les riches possèdent toujours plus et les pauvres toujours moins, une France où les inégalités se creusent.

Vous avez longuement parlé d’écologie. Comme vous l’avez dit, personne n’en a le monopole. Mais il ne suffit pas d’en parler ! Encore faut-il produire des actes en s’attaquant au plus grand prédateur de l’écologie et de l’environnement. Or, jamais vous ne pointez la responsabilité, dans la dégradation de l’environnement, du système capitaliste lui-même, un système capitaliste de surcroît mondialisé.

Monsieur le Premier ministre, il faut écouter cette jeunesse qui n’est pas réfugiée dans une écologie naïve et béate, mais est animée par une contestation profonde du système économique qui engendre la pollution massive. Changer le système et pas le climat, ce n’est certainement pas un slogan qui vous agrée.

On le voit bien, votre dessein, c’est le mirage d’un capitalisme vert, propre, succédant à celui qui a abîmé notre planète et l’humanité.

Or le capitalisme porte en lui la quête du profit, la mise en concurrence, l’exploitation des femmes et des hommes comme des richesses de la terre : c’est en cela qu’il ravage la planète et doit être remis en question pour envisager l’avenir.

De toute manière, vos actes concrets nous donnent raison et contredisent vos bonnes intentions. Allez-vous, par exemple, continuer à fermer les petites lignes de train ? Confirmez-vous la fermeture de la ligne de fret ferroviaire de fruits et légumes Perpignan-Rungis, cadeau insensé fait aux transporteurs routiers ?

Le service public, la solidarité sont au cœur du projet de transformation écologique que nous portons.

Monsieur le Premier ministre, je l’ai dit, votre vieux discours réformateur vise toujours et encore à réduire les droits sociaux, arrachés parfois au prix du sang, plutôt qu’à assurer le bonheur commun par un juste partage. Réduire le nombre de fonctionnaires et en finir avec leur statut, cette vieille lubie des libéraux, s’inscrit dans ce cadre.

Votre acte II, c’est la remise en cause du système de retraites par l’avènement du système par points et la diminution des droits des chômeurs, victimes annoncées de la sacro-sainte réduction des déficits et dettes en tout genre.

Vous l’avez dit encore aujourd’hui, les salariés sont déjà contraints de travailler au-delà de l’âge légal pour tenter de s’assurer une retraite digne. L’argument fallacieux de l’allongement de la durée de vie ne tient pas. Lorsque l’on a travaillé plus de quarante ans, on a droit au repos et on doit laisser la place aux jeunes. En effet, quelle absurdité que d’enchaîner au travail des femmes et des hommes jusqu’à la vieillesse, alors que 4 millions de personnes sont au chômage et près de 10 millions en situation de précarité !

Notre projet est diamétralement opposé et d’une audace juste et solidaire : il faut travailler moins, moins longtemps pour partager le travail. Nous défendons, en ce sens, la marche vers la semaine de 32 heures et le retour au droit à la retraite à 60 ans.

Votre politique économique et industrielle, monsieur Premier ministre, est à l’avenant. Vous avez évoqué General Electric à Belfort. Mais qui est responsable de cette situation ? Qui a supervisé les négociations conduisant à la soumission à l’entreprise américaine, si ce n’est le secrétaire général de l’Élysée d’alors, M. Macron ?

Vous vantez la relance de l’attractivité de notre pays, mais elle s’effectue dans la dérégulation la plus totale, accompagnée d’une valse de plans sociaux, d’exonérations massives et d’une casse systématique du droit du travail, votre cap étant la réduction de la dépense publique.

Huit minutes pour évoquer, ou plutôt effleurer, la situation difficile de notre pays, confronté à la déstructuration sociale et démocratique, c’est bien peu. Nous ne voterons pas votre déclaration de politique générale, nous ne soutiendrons pas ce projet qui s’attaque en profondeur à la solidarité nationale et qui n’est pas « ni de gauche ni de droite », mais tout simplement de droite.

Nous combattrons ce que dissimule votre flegme. Nous nous élèverons contre l’autoritarisme qui sert votre projet et se déchaîne contre les manifestants ou les journalistes ayant suivi le conflit au Yémen.

Enfin, vous n’avez pas prononcé les trois lettres suivantes, monsieur le Premier ministre : ADP. Soit dit sans vouloir vous énerver, ce silence est le reflet de votre profond agacement.

Debut de section - PermalienPhoto de Éliane Assassi

Enfin, le peuple peut prendre la parole, et pas sur un sujet secondaire : la privatisation d’un grand service public national, qui succède à tant de bradages du bien collectif, depuis les autoroutes jusqu’au secteur de l’énergie.

Ainsi, plus de 100 000 citoyennes et citoyens ont déjà participé à la consultation qui a commencé cette nuit, malgré des bugs informatiques ; nous en reparlerons cet après-midi. Quoi que vous en pensiez, monsieur le Premier ministre, les Français vont pouvoir librement s’exprimer et briser les murs que les puissants ont construits pour les enfermer et les réduire au silence.

Applaudissements sur les travées du groupe communiste républicain citoyen et écologiste et sur des travées du groupe socialiste et républicain.

Debut de section - PermalienPhoto de Gérard Larcher

M. le président. La parole est à M. Patrick Kanner, pour le groupe socialiste et républicain.

Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain.

Debut de section - PermalienPhoto de Patrick Kanner

Monsieur le Premier ministre, hier et aujourd’hui, je vous ai bien écouté, et je crains que vous n’ayez oublié la crise sociale qui traverse notre pays.

Le Président de la République nous avait dit que rien ne serait plus comme avant. Il avait évoqué la France divisée et appauvrie qu’il avait découverte au gré de son tour de France, à l’occasion du grand débat. Vous nous aviez parlé, ici même, des leçons à tirer de la crise des « gilets jaunes » – deux mots que vous n’avez d’ailleurs pas prononcés hier lors de votre discours devant l’Assemblée nationale.

Nous n’étions pas d’accord sur les remèdes, mais des constats étaient partagés. Aujourd’hui, tout cela semble oublié dans la présentation de votre action politique des prochains mois : l’acte II est annoncé comme si la crise sociale n’avait été qu’un entracte après l’acte I. Vous êtes remonté sur votre nuage de certitudes…

Hier comme aujourd’hui, nous attendions un projet social pour la France, un contrat social pour les Français. C’est ce que demande avec constance mon groupe depuis le mois de décembre, notamment dans cet hémicycle. Or ce projet social d’envergure, nous ne le voyons toujours pas venir.

Vous auriez pu venir nous expliquer que la réforme des retraites se ferait dans un esprit de justice sociale et qu’aucun report de l’âge de départ à la retraite, sous quelque forme que ce soit, n’est envisagé. Nous aurions alors entrevu une remise en question de vos choix antérieurs.

Au lieu de cela, en contradiction avec le discours tenu par Jean-Paul Delevoye depuis des mois, nous voyons poindre une réforme paramétrique. Le tour de passe-passe de l’âge pivot ou de l’âge d’équilibre à 63, 64 ou 65 ans revient de fait à contraindre les personnes aux revenus faibles, ceux qui ont souvent les métiers les plus pénibles et répétitifs, à retarder leur départ à la retraite pour maintenir leur revenu à un niveau décent.

Pendant ce temps, les personnes les mieux rémunérées pourront capitaliser pour s’assurer des revenus complémentaires de retraite et choisir de partir avant l’âge pivot en compensant le nouveau malus que vous vous apprêtez à créer.

Je le répète : instaurer un nouvel âge pivot n’entraînera le report de l’âge de départ à la retraite que des plus faibles revenus ! Avec cet âge pivot, vous allez contraindre les moins riches à travailler plus longtemps, tout en laissant le choix aux plus riches de poursuivre ou non.

Applaudissements sur des travées du groupe socialiste et républicain.

Debut de section - PermalienPhoto de Patrick Kanner

Avec cette réforme paramétrique, qui n’a plus rien à voir avec la réforme systémique annoncée, vous allez creuser un nouveau fossé entre les Français en fonction de leurs revenus. Vous allez encore affaiblir l’adhésion au système des retraites, y compris à celui qui sera mis en place. Vous allez accélérer la perte de confiance envers un système universel et solidaire.

A contrario, nous proposons de revenir aux critères de pénibilité, qui doivent être au cœur du mode de calcul des droits à la retraite et du nombre de trimestres, tout en conservant l’âge légal de départ à la retraite pour tous à 62 ans, et à 60 ans pour les carrières longues.

Ces règles paramétriques peuvent s’appliquer dans le système actuel ou dans le système par points. Elles permettent de ne pas prolonger les carrières de ceux de nos concitoyens qui ont les métiers les plus difficiles et qui font fonctionner notre société au quotidien.

Monsieur le Premier ministre, ce sont les mêmes qui ont l’espérance de vie la plus courte à la retraite. Ce sont eux qui ont crié leur désespoir ces derniers mois. Notre conviction est que leur droit à la retraite doit être garanti par des critères justes. Voilà ce que serait une réponse solidaire à la crise sociale !

Vous auriez pu venir nous expliquer que la réforme de l’assurance chômage n’affaiblirait pas les droits des Français ou même – j’ose le dire – qu’elle les garantirait, que la mise en place du revenu minimum se ferait avec une enveloppe dynamique, ou que vous avez un projet pour l’emploi.

Au lieu de cela, vous proposez un allongement de la durée du travail pour pouvoir bénéficier de l’allocation d’aide au retour à l’emploi. Vous annoncez aussi d’autres mesures sous prétexte que le système actuel n’inciterait pas suffisamment à la reprise d’une activité durable.

Ce discours qui est tenu dans vos rangs, par vos ministres, permettez-moi de vous le dire, est l’une des causes du fossé grandissant entre les Français. Ce discours est totalement déconnecté de la réalité du chômage ! C’est le discours de ceux qui n’ont jamais eu à vivre éloignés du travail, avec des périodes répétées de chômage et, surtout, des revenus inférieurs à 1 000 euros. C’est le discours de ceux qui n’ont jamais été au chômage et qui ne le seront jamais !

C’est parce que nous nous opposons à ces arguments et à ce mépris social que nous défendons l’abondement de la prime d’activité, celle-là même que nous avons instaurée. Le nombre élevé de demandes de cette prestation est la preuve que les Français préfèrent travailler, plutôt que d’être prétendument assistés.

Cette prime d’activité est d’abord un outil complémentaire du retour à l’emploi : elle ne peut donc remplacer, comme vous le faites, la nécessaire conférence sociale sur les salaires, que nous appelons une nouvelle fois de nos vœux. User et abuser de la prime d’activité, c’est faire de la redistribution sans demander d’efforts supplémentaires aux employeurs. C’est recreuser le déficit de la sécurité sociale et, au passage, ne pas répondre aux besoins des hôpitaux publics !

Nous portons nous aussi l’idée d’un revenu minimum. Après la création de la prime d’activité, ce revenu devait constituer une étape supplémentaire pour pallier le non-recours aux aides sociales. C’est pourquoi nous avons défendu, et nous continuerons de le faire, la proposition d’expérimentation formulée par les départements à majorité socialiste.

Seulement, votre volonté d’intégrer dans le périmètre de ce revenu minimum des allocations qui ne sont pas du même niveau risque d’affaiblir l’impact social de cette mesure.

Surtout, votre volonté de maintenir une enveloppe constante, alors que vous affichez l’objectif d’automatiser le versement des allocations, est une erreur : c’est un peu comme si l’on voulait faire entrer une pointure 42 dans une chaussure pointure 39 ! Nous défendons l’automatisation des allocations : nous défendrons donc une enveloppe adaptée et dynamique.

Sur l’emploi, monsieur le Premier ministre, nous réitérons nos inquiétudes et nos propositions.

Tout d’abord, la suppression des contrats aidés a affaibli notre marché de l’emploi et réduit la baisse du chômage pour nos concitoyens les plus en difficulté.

Ensuite, sur la politique économique, les annonces successives de fermetures d’usines sont la démonstration d’une absence de stratégie industrielle. Les privatisations engagées n’alimenteront que faiblement le fonds pour l’innovation, alors qu’un investissement direct, clair et assumé de l’État pour la transformation de notre appareil industriel serait nécessaire.

Voilà ce qu’aurait pu être une réponse salariale et économique à la crise sociale !

Vous auriez aussi pu venir nous parler de ce qui est au cœur du problème social de notre pays : la question du reste à vivre, du pouvoir d’achat, que l’on appelle aussi depuis peu, à juste titre, le « pouvoir de vivre ».

Bien au-delà de la seule question du niveau des salaires, c’est l’augmentation des charges incompressibles qui grève le budget de beaucoup de Français de la classe moyenne et qui accentue les inégalités avec les plus hauts revenus. C’est cette augmentation qui est à l’origine du populisme rampant dans notre pays. Ce sujet mérite une action de l’État, une action résolue.

Les dépenses en matière de logement doivent être contenues dans les grands centres urbains, via des mesures plus volontaires des pouvoirs publics. Mais la crise des « gilets jaunes » a aussi mis en évidence le coût accru des transports du quotidien pour se rendre au travail.

Sur ces sujets, il existe des leviers, comme l’encadrement des loyers ou une fiscalité affectée aux transports collectifs. Vous ne les actionnez pas, mais nous ferons de nouveau des propositions en la matière lors de l’examen des prochaines lois de finances, avec une attention particulière portée à la situation des outre-mer.

Monsieur le Premier ministre, votre acte II manque cruellement d’un grand volet social, ce que nous déplorons. Pour autant, nous reconnaissons que vous vous emparez de quelques nouveaux sujets, qui étaient bien trop loin de vos préoccupations jusqu’alors.

J’évoquerai la question des nouveaux droits, comme la procréation médicalement assistée, la PMA. Vous l’annoncez depuis deux ans, et peut-être un jour cette réforme se fera-t-elle vraiment. Je veux vous dire ici que nous vous accompagnerions dans cet engagement, sous réserve d’inventaire naturellement, comme nous l’avons toujours fait quand il s’agit de faire progresser les droits des femmes dans notre pays.

Je voudrais aussi aborder la question démocratique. Nous avons eu connaissance des projets concernant le statut de l’élu. Cette problématique est un serpent de mer et nous accueillerons favorablement un débat qui porterait enfin sur ce sujet.

En effet, la crise sociale qui affecte notre pays concerne également les élus de nos mairies, qui n’ont pas la reconnaissance qu’ils devraient avoir. Pour réussir, cette réforme devra concilier deux impératifs : il vous faudra tout d’abord passer par une concertation avec les associations d’élus ; vous l’avez vous-même reconnu et c’est tant mieux ! Il vous faudra ensuite écouter le Sénat, qui, sur toutes ses travées, a déjà beaucoup travaillé sur ce statut.

Nous aurons certainement des points de vue divergents sur les détails, mais il est nécessaire de nous engager enfin dans la voie d’une véritable reconnaissance de nos élus locaux. Cela contribuera à la respiration démocratique dont notre pays a besoin.

La question centrale de cette respiration démocratique restera, ensuite, celle de la décentralisation. Comme lors des précédents débats, nous demandons la mise en place d’un nouveau pacte de décentralisation, afin que les collectivités puissent agir pleinement et librement, mais aussi disposer de moyens propres dans les domaines du développement économique, de l’aménagement du territoire ou des déplacements et des équipements.

Le lien de confiance avec les élus locaux passera par là et par le retour au respect des engagements de l’État sur les projets locaux. Jusqu’ici, nous en sommes loin, monsieur le Premier ministre. À cet égard, permettez au sénateur du Nord et, donc, des Hauts-de-France que je suis de vous dire que le retrait progressif et cynique de l’État sur le projet du canal Seine-Nord Europe n’est pas acceptable.

Faire confiance aux élus locaux, aux collectivités et à la décentralisation, c’est assurer la vitalité démocratique du pays. Cela étant, cette dernière a besoin d’une autre ressource : la pluralité politique.

Monsieur le Premier ministre, nous avons des divergences de vues et des oppositions, mais nous avons en commun la volonté, au moins affichée, de faire vivre notre démocratie et de promouvoir le projet républicain. Cette pluralité est incarnée dans nos assemblées, voire au sein de nos groupes. C’est une force pour nous tous. Aussi, nous nous inquiétons de l’une de vos réformes à venir : la réforme institutionnelle et le totem de la réduction du nombre de parlementaires.

Vous avez manifestement décidé de reporter sine die une réforme qui reste pourtant absolument nécessaire, en faisant porter la responsabilité de votre décision sur la Haute Assemblée, pourtant gardienne de la juste représentation des territoires. Monsieur le Premier ministre, je dénonce cette manœuvre, alors qu’un accord raisonnable est toujours possible.

Debut de section - PermalienPhoto de Patrick Kanner

Je dénonce l’hypothèse de l’utilisation du référendum, dont l’instrumentalisation servirait de sanction à l’encontre du Sénat.

Je dénonce une attitude menaçante à l’égard des élus de la Nation, parce qu’ils auraient le défaut de déplaire au Château !

Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain, ainsi que sur des travées du groupe Les Républicains.

Debut de section - PermalienPhoto de Patrick Kanner

M. Patrick Kanner. Sachez que ces espaces de respiration démocratique, où les oppositions sont structurées autour de partis, sont la garantie d’une République vivante dans notre pays !

Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain.

Debut de section - PermalienPhoto de Patrick Kanner

Monsieur le Premier ministre, en réduisant le nombre de parlementaires, vous risquez d’affaiblir la pluralité politique. Celle-ci ne peut pas exister correctement dans un parti attrape-tout, dans un parti unique, ou si vous créez, de fait ou de manière assumée, les conditions d’une alternance politique avec la seule extrême droite. C’est tout le leurre du « et droite, et gauche », qui écraserait tout sur son passage.

D’ailleurs, permettez-moi de noter une contradiction dans votre politique et dans votre engagement sur le sujet : vous nous appelez à dépasser nos partis – peut-être faut-il voir le mot « effacement » derrière celui de « dépassement » ? –, dans l’intérêt du pays. Mais, lorsque nous le faisons sans pour autant abjurer un quelconque engagement, comme sur la question d’Aéroports de Paris, vous nous le reprochez.

Permettez-moi donc de trouver votre injonction à vous soutenir quelque peu opportuniste. Votre prétendue recomposition politique passe d’abord par la destruction des partis politiques classiques !

Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain.

Debut de section - PermalienPhoto de Patrick Kanner

Vous l’avez compris, nous n’approuverons pas votre déclaration de politique générale, que vous nous demandez de voter en application de l’article 49, alinéa 4, de la Constitution. Cette déclaration est manifestement utilisée aujourd’hui au Sénat comme une trappe à soutiens et, surtout, comme une machine électorale à stigmatiser pour les échéances à venir.

Ainsi, j’ai la preuve qu’au moins l’un de vos ministres – il se reconnaîtra, je n’en doute pas – est en train d’envoyer des SMS, y compris à des sénateurs de mon groupe, pour obtenir des appuis.

Exclamations amusées.

Sourires.

Debut de section - PermalienPhoto de Patrick Kanner

M. Patrick Kanner. Le bilan de l’acte I du quinquennat vous conduit à un acte II sans changement de cap. Cette perspective ne nous convient pas : à la gauche du pays, maintenant, d’offrir une véritable alternative !

Bravo ! et applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain. – Mme Esther Benbassa applaudit également.

Debut de section - PermalienPhoto de Gérard Larcher

M. le président. La parole est à M. Jean-Claude Requier, pour le groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen.

Applaudissements sur les travées du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Claude Requier

Monsieur le Premier ministre, vous ouvrez cette semaine devant le Parlement l’acte II du quinquennat du Président de la République.

L’écoute et le dialogue étant à notre sens les premiers attributs d’un élu – nous les mettons d’ailleurs en application –, c’est avec responsabilité que nous tirerons les conséquences de votre déclaration de politique générale au travers de notre vote, en gardant constamment en tête les besoins de tous nos territoires. Tel est en effet, monsieur le Premier ministre, le sens profond que nous donnons à notre fonction d’élus de la Nation, nous qui incarnons la démocratie représentative, loin des mirages du mandat impératif.

Avant toute chose, nous savons combien notre époque est celle d’un bouleversement des repères. Le monde est en train de redéfinir ses équilibres géopolitiques en basculant vers le Pacifique. L’Europe politique est à la recherche d’un nouveau souffle pour s’incarner. Le modèle économique est allé au bout de sa logique ultraproductiviste, ce « capitalisme devenu fou » dont a parlé le Président de la République à Genève. La transition écologique est devenue une nécessité absolue, qui doit dépasser les clivages partisans et à laquelle les Français ont montré leur attachement lors du scrutin européen.

Notre pays n’échappe évidemment pas à ces mouvements profonds, parfois chaotiques, qui mettent à mal la promesse républicaine d’égalité. La crise des « gilets jaunes », avec ses demandes de justice sociale, mais aussi ses outrances inacceptables, en est le symptôme paroxystique. Nous l’avons suffisamment rappelé à cette tribune.

Mon groupe, pour sa part, refusera toujours de s’incliner devant la pression de la rue. Nous tirons notre légitimité du seul suffrage universel. C’est pourquoi nous ne céderons pas au pessimisme béat des « déclinistes » de tous bords, thuriféraires du statu quo. Rien n’est plus faux ! Depuis 2017, nous sommes bien placés pour savoir que de nombreuses réformes ont été votées : la réforme de la SNCF, les ordonnances Travail, la loi ÉLAN – évolution du logement, de l’aménagement et du numérique –, ou encore la modernisation de la formation professionnelle.

Oui, il y a des signaux encourageants : la France est redevenue attractive pour les investisseurs étrangers, les créations nettes d’emplois progressent et le pouvoir d’achat s’améliore lentement.

Votre gouvernement, sous l’impulsion du Président de la République, a également pris des mesures fortes et significatives pour nos finances publiques, afin de répondre à des demandes légitimes : annulation de la hausse de la CSG sur les retraites, report des hausses des prix du carburant et des taxes sur l’énergie, facilitation des primes exceptionnelles.

Vous avez certes répondu à une demande urgente de revalorisation du pouvoir d’achat, première préoccupation de nos concitoyens, comme l’a montré le grand débat. Mais convenez que ce n’est pas suffisant : la souffrance qui s’est exprimée ne peut rester sans réponse structurelle.

Monsieur le Premier ministre, il existe certes une culture de gauche et une culture de droite, comme vous l’avez dit. Néanmoins, vous le savez, la bipédie suppose un équilibre harmonieux entre les deux jambes : celle de droite, déjà bien nourrie, et celle de gauche. Or notre pays ne peut plus se permettre de claudiquer, parce qu’une jambe serait hypertrophiée par rapport à l’autre. Il est temps de corriger ce déséquilibre.

Peut-être est-ce d’ailleurs ce que vous avez voulu signifier en déclarant que vous souhaitiez « remettre de la proximité et de l’humain » dans votre politique. Mais comment allez-vous concilier ce besoin de proximité, que vous redécouvrez, avec la constance et la cohérence que vous avez rappelées ? Peut-être est-ce aussi la raison pour laquelle votre ministre de l’action et des comptes publics affirmait la semaine dernière vouloir « parler davantage au peuple ».

Sur le principe, ces inflexions ne peuvent que nous convenir. Je vous le disais d’ailleurs le 6 décembre dernier : nous serons avec vous pour soutenir des mesures simples et concrètes répondant aux besoins de nos concitoyens, à rebours de la technocratie qui a sclérosé notre pays.

Oui, nombre de vos annonces vont dans le bon sens, même si elles ne manquent pas de susciter des interrogations.

Quid du plan Pauvreté, qui semble au point mort ? Comment allez-vous financer la suppression de la taxe d’habitation tout en relançant la péréquation horizontale ? Quelles dépenses publiques allez-vous réduire pour financer les baisses d’impôt ? Quelle vision de la laïcité souhaitez-vous défendre pour combattre les fractures communautaristes ? Comment l’État peut-il faire pour mieux accompagner les collectivités dans leurs projets de développement et de soutien à l’ingénierie – je pense ici à notre proposition de loi portant création d’une Agence nationale de la cohésion des territoires ?

Vous le savez, ce que mon groupe attend, ce sont des actes forts. Pour nous, la promesse républicaine de l’égalité n’est ni une chimère ni une relique.

Or, chaque semaine, nous voyons sur le terrain des femmes et des hommes en souffrance, des territoires victimes de fractures anciennes et profondes.

Ce sont les zones rurales, abandonnées par Paris, qui accumulent fermetures de services publics et facteurs d’enclavement. Ce sont les zones urbaines populaires, qui subissent les retards économiques et sociaux depuis trop longtemps. Ce sont encore les zones périurbaines, trop excentrées des métropoles pour bénéficier de leurs richesses, mais où la classe moyenne doit vivre, contrainte de travailler dans les grandes villes malgré la saturation des transports.

Tous ces citoyens ne réclament pas l’aumône. En effet, le déclin prophétisé par certains n’est pas inexorable. Ce que nos concitoyens veulent, c’est de la considération, le respect de leur dignité ou, pour le dire avec vos mots, de la « civilité ». Nous n’avons pas oublié, par exemple, le triste épisode de la fin de non-recevoir opposée à la revalorisation des pensions de retraite agricole.

Vous avez encore évoqué la défiance qui se serait accentuée entre les Français et leurs représentants ou l’administration. Vous y apportez comme principale réponse votre réforme institutionnelle, dont l’essentiel ne soulève pas de difficultés majeures. Bien sûr, la question de la réduction du nombre de parlementaires est sensible, non pas parce que nous serions corporatistes – caricature que l’on fait de nous pour mieux nous stigmatiser –, mais bien parce qu’il est question de représenter au mieux les citoyens et les territoires.

Monsieur le Premier ministre, le Sénat est la chambre dans laquelle résonnent les voix de tous les territoires qui font la France. Toujours dans le respect et le dialogue, je vous propose de poursuivre vos échanges avec le Sénat en appliquant cette méthode. Il sera toujours temps ensuite, s’il le faut, de demander leur avis aux Français. Cela étant, vous savez mieux que moi que d’aucuns s’y sont essayés sans succès…

M. le Premier ministre sourit.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Claude Requier

Pour l’heure, les votes au sein du groupe du RDSE seront divers ; c’est notre liberté de ton.

Exclamations amusées.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Claude Requier

Certains, la majorité des membres du groupe, approuveront votre déclaration de politique générale. Mais n’y voyez pas un blanc-seing !

Sourires.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Claude Requier

D’autres s’abstiendront, car ils attendent avec vigilance que les engagements se transforment en actes.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Claude Requier

M. Jean-Claude Requier. Les derniers, enfin, voteront contre, car ils ne se retrouvent pas dans votre ligne politique.

Rires.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Claude Requier

Cependant, ne doutez pas que nous placions tous la réussite de notre pays au-dessus des contingences.

En résumé et en conclusion, monsieur le Premier ministre, restez à 80 kilomètres par heure pour les mesures libérales, mais accélérez à 90 kilomètres par heure pour les mesures sociales et territoriales !

Bravo ! et applaudissements sur les travées du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen, ainsi que sur des travées du groupe Union Centriste.

Debut de section - PermalienPhoto de Gérard Larcher

M. le président. La parole est à M. le Premier ministre.

M. André Gattolin applaudit.

Debut de section - Permalien
Édouard Philippe

Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, après un long discours hier et un nouveau discours devant vous ce matin, je serai bref.

Je veux remercier l’ensemble des orateurs qui se sont exprimés à cette tribune, plus particulièrement le président Patriat, le président Malhuret et le président Requier, qui ont formulé le soutien de leur groupe, que celui-ci soit général, majoritaire ou… autre.

Sourires

Debut de section - Permalien
Édouard Philippe

Hier et ce matin, j’ai tenté d’exposer ce que nous allions faire, de détailler le calendrier que nous nous fixions et la méthode que nous entendions mettre en œuvre.

Bien entendu, en fixant un tel objectif, je ne puis détailler l’ensemble des mesures et des dispositifs qui sont à inventer et qui seront adoptés. La raison en est assez simple : ces dispositions sont nombreuses, complexes et, pour une grande partie d’entre elles, elles dépendront des discussions qui se noueront, soit avec les associations d’élus s’agissant des questions relatives aux collectivités territoriales, soit avec les parlementaires, évidemment, sur tous les sujets.

Chacun ici peut comprendre qu’il est impossible de présenter des dispositifs comme achevés, alors qu’ils sont en cours de préparation.

C’est la raison pour laquelle je n’entrerai pas dans le détail des observations formulées par le président Kanner sur le régime universel de retraite que nous voulons bâtir.

Je me permets simplement de vous indiquer, monsieur le président, que le haut-commissaire rendra ses préconisations en juillet prochain et que celles-ci, je puis le dire, sont extrêmement éloignées de ce que vous avez indiqué. Nous aurons, j’en suis certain, l’occasion de débattre dans le détail d’une réforme qui est essentielle et complexe, mais qui, je veux le rappeler, me paraît juste et nécessaire.

Hier, à l’Assemblée nationale, j’ai invité au dépassement – certains l’ont noté. J’ai même utilisé l’expression de « changement de ton ».

Je veux vous assurer, mesdames, messieurs les sénateurs, comme je l’ai dit hier à l’ensemble des députés, qu’il ne s’agit en aucun cas d’une mise en accusation, mais bien d’une invitation que je m’adresse à moi-même, à l’ensemble des membres du Gouvernement, à tous ceux qui s’engagent en politique, et même, d’une certaine façon, à tous ceux qui s’expriment en politique, sphère médiatique comprise.

La qualité de notre débat public, quelles que soient d’ailleurs les idées que nous soutenons, mérite mieux que les postures, les provocations, les caricatures, les simplifications excessives et les absences de perspectives.

MM. Julien Bargeton et Jérôme Bignon applaudissent.

Debut de section - Permalien
Édouard Philippe

Je le crois profondément, et si j’ai pu moi aussi m’en rendre responsable, je suis bien déterminé à faire en sorte que cela ne se reproduise plus. Nous avons tous à y gagner, le Gouvernement et le Parlement, pour le plus grand profit du débat public.

Applaudissements sur les travées du groupe La République En Marche et du groupe Les Indépendants – République et Territoires, ainsi que sur des travées du groupe Union Centriste.

Debut de section - Permalien
Édouard Philippe

La question de la dépense publique a été évoquée. Je n’entrerai pas dans le détail, mais je donnerai tout de même quelques chiffres, pour planter le décor : la dette publique représentait 57, 9 % du PIB en 1996, 57, 6 % en 2000, 64, 4 % en 2006, 90, 2 % en 2012, 98, 4 % en 2017 et la même chose en 2018.

Nous nous renvoyons constamment la balle de la responsabilité de la hausse et du niveau inégalé de la dette publique en France. Ayons conscience que la progression massive de la dette publique…

Debut de section - Permalien
Édouard Philippe

… est liée aux quinze dernières années et à la réaction française à la crise financière de 2008. Par ailleurs, depuis lors, la progression de la dépense publique et celle de la dette publique n’ont jamais ralenti ni été calmées. Sachons-le !

Sachons aussi que, s’agissant du calcul de la dette publique – j’ai déjà eu l’occasion de le dire au Sénat, mais j’y insiste –, nous avons pendant très longtemps fait comme s’il ne fallait pas tout comptabiliser.

Ainsi, l’un des axes de la réforme de la SNCF que nous avons mise en œuvre est la récupération par l’État de la dette de cette entreprise. Pendant des années, nous avions fait comme si la dette que supportait la SNCF n’était pas une dette publique

M. Jérôme Bascher acquiesce.

Debut de section - Permalien
Édouard Philippe

Mesdames, messieurs les sénateurs, je suis parfaitement d’accord avec ceux d’entre vous qui considèrent que la dette publique, comme la dette écologique, est un fardeau que nous faisons reposer sur les épaules de nos enfants. Je suis absolument convaincu de la nécessité de stabiliser cette dette et même de la réduire.

Je sais que l’exercice n’est pas facile. Ceux qui disent que la dépense publique n’a jamais été aussi élevée en France disent vrai. En valeur absolue, c’est évident. Mais, si l’on raisonne en valeur absolue, on peut tout aussi bien dire que le PIB n’a jamais été aussi élevé ou que les dépenses sociales n’ont jamais été aussi importantes, dans la mesure où la croissance, année après année, fait croître ces chiffres.

Ce qui m’intéresse, en réalité, c’est le rythme de progression de la dépense publique, dont nous savons tous ici qu’il est d’abord et essentiellement guidé par celui de la dépense sociale, des dépenses de transfert, dont nous savons tous qu’elles sont nécessaires.

Autrement dit, faire en sorte que la progression de la dépense publique soit largement inférieure à la progression du PIB est un exercice collectif redoutablement complexe. Je ne l’aborde jamais avec facilité ni en faisant des raccourcis. D’ailleurs, si l’exercice était simple, on aurait des chiffres exactement inverses : la dépense publique aurait considérablement diminué depuis quarante ans, et il n’y aurait plus de dette publique !

Vous le voyez bien, nous sommes collectivement confrontés à une situation qui a parfois conduit les gouvernements à réaliser des économies considérables sur d’autres postes, pour donner le sentiment qu’ils réduisaient la dépense publique.

Si l’on veut réduire rapidement la dépense publique, il suffit d’utiliser le rabot : c’est rapide et parfois efficace, mais c’est rarement malin.

Si l’on veut réduire la dépense publique dans la durée, il faut plutôt mener des réorganisations, ce qui est rarement rapide, mais évidemment beaucoup plus intelligent. Il faut donc imaginer une nouvelle manière de produire les services publics ou d’organiser les dispositifs d’accompagnement public, afin de mieux maîtriser la progression de cette dépense. C’est plus intelligent, mais c’est plus lent et cela exige probablement plus de travail, en particulier plus collectif.

Mesdames, messieurs les sénateurs, certains d’entre vous attendent les mesures que j’ai annoncées, d’autres les redoutent. À tous – y compris au président Marseille, que j’ai oublié de citer

Exclamations amusées.

Debut de section - PermalienPhoto de Roger Karoutchi

C’était bien la peine de faire autant d’efforts !

Debut de section - Permalien
Édouard Philippe

… puisse-t-il m’en excuser –, je veux dire ma détermination et celle du Gouvernement à mettre en œuvre la méthode que j’ai évoquée et les mesures d’urgence écologique, de justice sociale et d’équité territoriale qui sont au cœur de l’acte II.

N’ayez en la matière aucun doute sur la détermination du Gouvernement !

Applaudissements sur les travées du groupe La République En Marche et du groupe Les Indépendants – République et Territoires, ainsi que sur des travées du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen et du groupe Union Centriste.

Debut de section - PermalienPhoto de Gérard Larcher

Monsieur le Premier ministre, je vous remercie.

Le Sénat va procéder au vote sur la déclaration de politique générale du Gouvernement.

En application de l’article 39, alinéa 2, du règlement, le scrutin public est de droit.

En application de l’article 60 bis, alinéa 3, du règlement, il va être procédé à un scrutin public à la tribune, dans les conditions fixées par l’article 56 bis du règlement.

J’invite MM. Dominique de Legge et Éric Bocquet, secrétaires du Sénat, à superviser les opérations de vote.

Je vais tirer au sort la lettre par laquelle commencera l’appel nominal.

Le sort désigne la lettre N.

Debut de section - PermalienPhoto de Gérard Larcher

Le scrutin sera clos quelques instants après la fin de l’appel nominal.

Le scrutin est ouvert.

Huissiers, veuillez commencer l’appel nominal.

L ’ appel nominal a lieu.

Debut de section - PermalienPhoto de Gérard Larcher

Le premier appel nominal est terminé.

Il va être procédé à un nouvel appel nominal.

Le nouvel appel nominal a lieu.

Debut de section - PermalienPhoto de Gérard Larcher

Plus personne ne demande à voter ?…

Le scrutin est clos.

MM. les secrétaires vont procéder au dépouillement.

Il est procédé au comptage des votes.

Debut de section - PermalienPhoto de Gérard Larcher

Voici le résultat du scrutin n° 150 :

Nombre de votants345Nombre de suffrages exprimés164Pour l’adoption71Contre 93Le Sénat n’a pas approuvé la déclaration de politique générale du Gouvernement.

Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain et du groupe communiste républicain citoyen et écologiste, ainsi que sur des travées du groupe Les Républicains.

Debut de section - PermalienPhoto de Gérard Larcher

Mes chers collègues, nous allons maintenant interrompre nos travaux ; nous les reprendrons à quatorze heures trente.

La séance est suspendue.

La séance, suspendue à douze heures vingt, est reprise à quatorze heures trente, sous la présidence de M. Vincent Delahaye.