Intervention de Joël Guerriau

Commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées — Réunion du 5 juin 2019 à 9h35
Emergence de la colombie — Examen du rapport d'information

Photo de Joël GuerriauJoël Guerriau, rapporteur :

Au final, le diagnostic que nous portons sur la situation actuelle de la Colombie est contrasté. Il nous semble que ce pays se trouve à un tournant de son histoire et que l'application de l'accord de paix traverse un moment critique. D'un côté, on constate des réussites et des avancées, comme la démobilisation, le désarmement des FARC et leur participation à la vie politique, ou encore le démarrage des travaux de la Commission de la vérité. D'un autre côté, les ombres au tableau s'accumulent : contestation de la justice spéciale pour la paix, inquiétudes concernant la réintégration économique et sociale effective des ex-combattants, retard dans la mise en oeuvre de la politique de développement rural, recrudescence des violences des groupes armés dans les zones auparavant affectées par le conflit et effet de la pression migratoire. Par ailleurs, alors même que le gouvernement du Président Duque se dit déterminé à mettre en oeuvre l'accord de paix, le pays apparaît plus que jamais divisé à son sujet, la polarisation du débat entre ses partisans et ses opposants s'étant accentuée. Dans ce contexte, une impulsion positive, un engagement sans ambiguïté du pouvoir colombien en faveur de l'accord apparaît indispensable pour conforter la paix. Il y a, à notre sens, trois grandes priorités : premièrement, faire en sorte que la loi statutaire relative à la justice transitionnelle soit rapidement adoptée et que cessent les polémiques autour de cette juridiction spéciale, qui constitue un pilier essentiel de l'accord ; changer les règles du jeu à ce stade, c'est prendre le risque de fragiliser sa légitimité et de ruiner la confiance des parties. La Cour constitutionnelle ayant rendu le 29 mai dernier une décision confirmant le rejet par les deux chambres du Parlement des objections présidentielles, on espère maintenant une promulgation rapide par le Président Duque. Deuxièmement, il convient d'allouer les financements prévus et accélérer la mise en oeuvre des procédures pour que fonctionnent sans retard tous les dispositifs prévus par l'accord : validation des projets productifs des ex combattants FARC, en vue de permettre leur reconversion économique, attribution de terres, réforme agraire, établissement du cadastre. Enfin, il est urgent de répondre au besoin de développement économique et social santé, d'infrastructures, de sécurité et de présence de l'État dans les régions situées aux marges de la « Colombie utile ». Le Plan national de Développement qui vient d'être voté à l'initiative du gouvernement va incontestablement dans le bon sens ; encore faut-il qu'il soit vraiment mis en oeuvre et débouche sur des résultats rapides. L'enjeu est d'importance. Il s'agit de sortir ces territoires de l'emprise des groupes armés et de l'économie illégale, en offrant à leurs populations de vraies opportunités de création de richesse.

En ce qui concerne plus particulièrement la France, nous demandons au gouvernement de rester vigilant, comme il l'est jusqu'à présent, sur le suivi de l'ensemble des volets du processus de paix. Il est nécessaire d'insister auprès du gouvernement colombien sur la responsabilité historique qui est la sienne de réussir la mise en oeuvre de cet accord. En effet, celui-ci fait l'objet d'un consensus fort au sein du Conseil de sécurité des Nations Unies et constitue un modèle pour le règlement d'autres conflits armés dans le monde.

La France doit aussi continuer d'appuyer financièrement le processus de paix, que ce soit à directement ou à travers l'Union européenne, l'Agence française de développement.

Enfin, nous plaidons pour une implication plus grande de la France dans le règlement de la crise au Venezuela, qui constitue une vraie menace pour la stabilité de la Colombie à l'heure où celle-ci doit gérer le post-conflit. C'est fondamental. La France devrait s'engager davantage voire prendre le leadership sur cette question au plan européen, comme l'audition marquante de la semaine dernière nous y a incité, afin de pousser à l'adoption de sanctions contre le régime chaviste et exiger l'organisation d'élections libres.

La Colombie peut nous sembler un pays lointain, éloigné du champ de nos préoccupations stratégiques et de nos intérêts immédiats. Pourtant, la France entretient avec ce pays d'Amérique latine des relations anciennes et variées, qui puisent leurs racines dans l'histoire. Il faut rappeler en effet que l'idéal révolutionnaire a largement inspiré le mouvement d'émancipation des pays d'Amérique latine au début du XIXème siècle.

Je voudrais maintenant apporter un éclairage sur les relations entre la France et la Colombie. Aujourd'hui, ces relations présentent de multiples facettes et s'il est vrai que la Colombie entretient un lien privilégié son allié américain, elle se montre intéressée à ne pas rester dans une relation exclusive avec celui-ci, laissant à notre relation bilatérale un certain espace. Au plan économique, nos échanges prennent surtout la forme d'investissements directs. Ceux-ci ont beaucoup progressé ces dernières années - ils ont été multipliés par trois en cinq ans -, l'accord de paix ayant en quelque sorte été un déclic. Avec quelque 230 filiales d'entreprises françaises implantées dans le pays, la France occupe le premier rang des employeurs étrangers dans le pays, soit 120 000 emplois directs. Nos entreprises sont présentes dans la grande distribution - Casino étant la première entreprise privée colombienne -, dans l'industrie -avec Renault, Sanofi, Schneider -, l'agroalimentaire - avec Lactalis -, les services -Veolia, Suez, Sodexo, Axa -, les infrastructures et les transports - Alstom dans le tramway de Medellin, Poma dans le métrocâble de Medellin, et Transdev dans le projet de bus en voie propre à Bogota. Le marché colombien est perçu par les investisseurs français comme stable et en croissance régulière, même s'il existe des difficultés : insécurité juridique, lourdeur des procédures, corruption, forte imposition des entreprises, poids du secteur informel. Les domaines porteurs, pour lesquels il existe des besoins ou des perspectives de développement - infrastructures de transport et agroalimentaire notamment - correspondent à des secteurs pour lesquels nos entreprises sont bien positionnées à l'international. Une avancée de nature à dynamiser nos relations économiques serait la ratification par la Colombie de plusieurs conventions déjà ratifiées par la France, notamment un accord de non double imposition ratifié en octobre 2016. Nous avons passé des messages en ce sens lors de notre déplacement et encore la semaine dernière auprès de l'ambassadrice de Colombie en France.

Par contraste avec le dynamisme de nos investissements directs, nos échanges commerciaux avec la Colombie restent modestes. Ils se caractérisent par une forte proportion d'exportations aéronautiques liées aux livraisons d'avions Airbus à l'entreprise colombienne Avianca, et par des importations de matières premières énergétiques -charbon - et de produits agricoles - fruits tropicaux. Cette structure de nos échanges est révélatrice de la physionomie de l'économie colombienne, très dépendante de l'exploitation des matières premières et encore insuffisamment diversifiée, notamment au plan industriel. Je passe sur le trafic de drogues. Je passe la parole à notre collègue Jean-Marie Bockel, qui va vous évoquer d'autres dimensions de notre relation bilatérale.

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