Intervention de Didier Marie

Réunion du 18 juin 2019 à 21h30
Transformation de la fonction publique — Discussion générale

Photo de Didier MarieDidier Marie :

Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, ce texte s’adresse aux 5, 5 millions de femmes et d’hommes qui ont fait le choix de servir l’intérêt général.

Leur mission fondamentale est de permettre à tous nos concitoyens d’accéder à un patrimoine commun, le service public, leur ouvrant le droit à la santé, à la sécurité, à l’éducation, à la culture, à la mobilité, à la justice et à tout ce qui concourt à notre vie collective.

Le service public, ne l’oublions pas, c’est le patrimoine de ceux qui n’en ont pas, le bien commun de la Nation.

La fonction publique est en souffrance, non parce qu’il y aurait trop de fonctionnaires, mais parce qu’ils ne sont pas toujours là où il le faudrait, du fait de choix dictés par des impératifs budgétaires réalisés à leurs dépens et à ceux des usagers.

Comment, à l’heure où nous engageons l’examen de ce texte, ne pas penser au personnel hospitalier et, en particulier, à celui des urgences, au personnel pénitentiaire, victime de prises d’otages, aux agents de la force publique, éreintés par la crise des gilets jaunes, à ceux de l’administration des finances, aux enseignants et à tous les fonctionnaires qui connaissent tous des difficultés dans l’exercice de leurs fonctions du fait du manque d’effectifs, de la demande croissante de nos concitoyens et, parfois, de la violence ?

Aujourd’hui, nous tenons, avant toute autre chose, à apporter tout notre soutien à l’ensemble de la fonction publique et de ses agents, dont nous saluons le professionnalisme, l’intégrité et le dévouement. C’est ce soutien qui guidera nos positions et nos interventions tout au long de nos débats.

La force de notre fonction publique est le statut des fonctionnaires, qui oblige et protège ses agents. Permettez-moi de faire un rappel rapide, mais nécessaire. La fonction publique est consubstantielle de la République. Son statut n’est pas un héritage désuet du XXe siècle ; c’est une opportunité.

Constitué d’un ensemble de droits et de devoirs, le statut est un cadre qui a su se moderniser, de sa création, en 1946, aux quatre lois de 1983, 1984 et 1986, qui forment aujourd’hui le statut général des fonctionnaires.

Il repose sur trois principes, qui restent modernes.

Le premier, c’est l’égalité. L’entrée dans la fonction publique se fait par la voie du concours, qui garantit l’égal accès aux emplois publics et la sélection par la compétence. Le concours est le meilleur rempart contre le copinage, le favoritisme et le clientélisme.

Le deuxième, c’est l’indépendance. Les fonctionnaires doivent être protégés de la conjoncture et de l’arbitraire politiques. La fonction publique française repose donc sur le système de la carrière, où le grade est distinct de l’emploi. Servir l’État, ce n’est pas servir une société privée : c’est une fonction sociale, qui s’apprécie sur une longue période aménagée à cet effet en carrière.

Le troisième, c’est la citoyenneté. Les fonctionnaires disposent des mêmes droits que les autres citoyens – liberté d’opinion, droit syndical et droit de grève, pour prendre les plus emblématiques –, mais ces droits doivent être conciliés avec des obligations propres à la fonction publique en matière de neutralité, de déontologie, de laïcité, de discrétion et d’information du public.

Autant de principes qui sont aujourd’hui menacés par ce projet de loi. En effet, monsieur le secrétaire d’État, avec cette réforme, si vous ne vous attaquez pas frontalement au statut, vous le contournez.

Vous élargissez massivement les possibilités de recruter des agents contractuels en lieu et place des fonctionnaires, mettant en concurrence les seconds avec les premiers. Vous multipliez ainsi les risques d’emplois de complaisance, au détriment de la compétence, et vous réduisez fortement les perspectives de carrière des fonctionnaires qui ont fait le choix de s’engager en faveur de l’intérêt général.

De plus, vous renforcez la précarité des agents publics, à l’image du nouveau contrat de projet, ou encore du détachement d’office auprès d’opérateurs privés en cas d’externalisation de services ou de missions.

En revanche, vous restez silencieux sur la reconnaissance de l’engagement de nos concitoyens au sein de la fonction publique et sur les possibilités d’évolutions professionnelles, notamment par le biais de la formation continue, tout au long de leur carrière, ou de congés de conversion.

Ainsi, en ouvrant très largement le recours au contrat, vous faites le choix de la banalisation de la fonction publique et de l’exercice de l’État ; vous faites le choix, in fine, de l’affaiblissement de l’action publique.

Votre projet de loi remet en cause de manière inédite le dialogue social à tous les étages de la fonction publique.

D’une part, il fusionne des instances, au détriment de celles qui sont compétentes en matière d’hygiène, de sécurité et de conditions de travail, alors même que la santé au travail est un enjeu primordial dans un contexte de restructurations annoncées.

D’autre part, il réduit les attributions des commissions administratives paritaires, qui sont aujourd’hui consultées sur toutes les décisions individuelles. Vous nous dites que ces instances sont source de rigidité, alors qu’elles n’ont aucun pouvoir décisionnel, qu’elles garantissent la transparence des décisions et qu’elles permettent souvent de renforcer l’acceptabilité des décisions auprès des agents.

Les changements apportés par la commission des lois sont un pas vers l’amélioration du texte que nous avons reçu de l’Assemblée nationale, mais ce pas reste insuffisant ; c’est pourquoi nous devrons encore amender le projet de loi.

Monsieur le secrétaire d’État, vous avez négligé les organisations syndicales, en ne tenant pas votre engagement, plusieurs fois répété, de publier les projets de décrets en même temps que le projet de loi. Rappelons que ce texte, que vous dites attendu de tous, fruit d’une prétendue concertation intense, a fait l’objet d’un rejet unanime de la part des neuf organisations syndicales de la fonction publique.

Vous ne respectez pas plus les parlementaires en utilisant, une fois de plus, la procédure accélérée et en recourant massivement aux ordonnances.

En résumé, ce projet de loi n’est rien d’autre qu’une volonté de dégradation organisée des services publics ; il contribue à la stigmatisation de ceux qui les mettent en œuvre. Il ne résoudra ni les problèmes de fonctionnement de nos services publics ni le malaise de nombreux agents. Il ne répondra pas plus aux demandes des citoyens désireux de plus de proximité.

La majorité sénatoriale présente ce projet de loi comme une boîte à outils. Prenez garde, mes chers collègues, à ne pas minimiser son impact !

Il n’y a pas de réforme de la fonction publique sans réforme de l’État et de la puissance publique. Votre texte, monsieur le secrétaire d’État, ne fait pas exception à cette règle : il dessine en creux la conception que le Gouvernement se fait du service public et de l’État.

Penser la fonction publique, c’est penser l’action publique dans notre société. Pour nous, son histoire est républicaine. Elle a une place singulière dans l’organisation sociale et politique du pays. Elle contribue à l’émancipation individuelle des Français. Elle est le bras armé des libertés publiques, de la solidarité, de la fraternité républicaine et de la laïcité ; bref, de l’intérêt général.

Ce texte est malheureusement un projet d’affaiblissement du service public, qui prépare la mise en œuvre du plan Action publique 2022 et la suppression de 120 000 emplois.

Une autre réforme était possible pour moderniser le statut et favoriser l’attractivité des carrières publiques. C’est en tout cas la vision que mon collègue Jérôme Durain, les membres de notre groupe et moi-même défendrons, pendant ces deux semaines d’examen du présent projet de loi.

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