Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, le projet de loi de transformation de la fonction publique aborde une réforme capitale, dont nous attendons qu’elle permette à l’État de se doter des instruments législatifs nécessaires pour la redéfinition de l’action publique, tant à l’échelon national que dans nos territoires, afin de se recentrer sur les services jugés utiles par nos concitoyens.
Les récents mouvements sociaux traduisent le décalage qui s’est creusé depuis des décennies entre les usagers et leurs services publics, qu’ils jugent inadaptés ou trop éloignés. Au sein des fonctions publiques, les crises se multiplient : crise de vocation dans les juridictions et les écoles, crise de l’épuisement dans les hôpitaux, les casernes, les prisons et les commissariats, crises de nerfs aux finances.
Ce décalage entre, d’un côté, des administrés insatisfaits et, de l’autre, des agents épuisés doit nous conduire, sur toutes les travées de cet hémicycle, à aborder avec lucidité, plutôt qu’avec idéologie, la question de la réaffectation des moyens administratifs humains par service et par zone géographique, en fonction des besoins exprimés sur le terrain et dans le cadre d’une dépense publique maîtrisée. À force de temporisations, la situation s’est cristallisée : il y a désormais urgence à agir.
Le premier obstacle à la réforme de l’État réside dans l’importance du nombre d’agents publics. On ne transforme pas une organisation rassemblant 5, 5 millions de personnes comme une entreprise de plusieurs dizaines de salariés. Mais là où d’autres grandes démocraties sont parvenues à faire leur aggiornamento administratif – je pense par exemple à la réforme du NHS, le système national de santé britannique –, la réforme de l’État est restée une question taboue en France.
Elle a tout du moins toujours été réduite à sa seule dimension quantitative, avec la fixation d’objectifs chiffrés de réduction du nombre de fonctionnaires, et confinée aux discussions interministérielles, sous le pilotage de la puissante direction générale de l’administration et de la fonction publique, dès la circulaire du 23 février 1989.
On peut également considérer que certaines positions syndicales conservatrices ont eu leur part de responsabilité dans les difficultés d’adaptation des services : alors qu’il aurait fallu saluer et encourager l’ouverture de l’emploi public à des profils issus du privé, ou encore le recours aux nouvelles technologies, ces éléments ont été systématiquement perçus comme des attaques portées au statut.
Ainsi, dans bien des administrations, la transition numérique s’est fait dos au mur ou en catimini, avec la suppression des fonctions de secrétariat. Les nouvelles générations de fonctionnaires en paient aujourd’hui le prix fort.
C’est pourquoi nous soutenons l’approche du Gouvernement que vous défendez aujourd’hui, monsieur le secrétaire d’État, qui est celle non pas du chiffre, mais de la subsidiarité. Plusieurs nouveaux outils que vous proposez devraient permettre le redéploiement d’agents publics là où ils seront utiles : je pense aux instruments d’encouragement à la mobilité géographique et à l’intérieur de la fonction publique, prévus à l’article 26, ou encore au détachement d’office, qui devrait faciliter les externalisations et permettre aux décideurs publics de tester différentes formes de gestion d’un service public.
Vous vous attaquez également à la crise des vocations en offrant aux fonctionnaires en souffrance une voie facilitée de reconversion professionnelle hors du secteur public par la consécration d’une forme de rupture conventionnelle et par l’ouverture du recours à la forme contractuelle entre les employeurs publics et les agents. Il s’agit d’une adaptation intelligente aux aspirations de mobilité professionnelle des « enfants du numérique », comme les nommait le philosophe Michel Serres il y a peu encore.
Cependant, nous y mettons plusieurs conditions.
Il est d’abord nécessaire que, comme en matière de concours, l’accès à l’emploi public par voie contractuelle offre des garanties de transparence et d’équité satisfaisantes. Il est question pour nous de passer non pas à un spoil system, mais à un système de recrutement hybride destiné à permettre le recrutement de profils plus variés pour enrichir l’action publique.
L’apport de ces agents contractuels doit être mieux valorisé, afin qu’ils ne soient pas traités comme de simples variables d’ajustement, moins rémunérés et moins protégés que les agents statutaires. C’est le sens de plusieurs de nos amendements relatifs au contrat de projet, à la requalification en CDI, ou encore à la reconnaissance de l’expérience de ces personnels au moment de leur recrutement ou, par la suite, lorsqu’ils se décident à passer des concours. Certains de ces amendements ont été considérés irrecevables au titre de l’article 40 de la Constitution, mais nous engagerons tout de même le débat lors des explications de vote. En effet, nous déplorons le fait que l’alignement des salaires entre contractuels et agents du service public soit perçu comme une charge dans l’examen de ce texte : cela ne devrait pas être le cas s’ils étaient rémunérés dans des conditions identiques. On est donc loin d’un développement de la contractualisation dans des conditions égales entre fonctionnaires et contractuels !
Enfin, nous sommes particulièrement vigilants à ce que les allers-retours entre le secteur public et le secteur privé se fassent dans des conditions plus satisfaisantes pour l’intérêt général. Plusieurs travaux parlementaires ont mis en lumière les défauts du système de contrôle déontologique actuel. Nous nous félicitons de constater que, à l’issue des débats à l’Assemblée nationale, le texte que vous proposez, monsieur le secrétaire d’État, reprend les propositions du groupe du RDSE soutenues par ma collègue Josiane Costes et adoptées par le Sénat en début d’année 2018.
Pour clore ce sujet, les fonctionnaires doivent envisager l’augmentation du nombre d’agents contractuels non comme la remise en cause de leur statut, mais comme l’enrichissement d’un corps administratif unique par une nouvelle composante destinée à pallier les défauts de la composante historique, laquelle n’a pas vocation à disparaître.
Je crois que cette approche pragmatique est également partagée par nos deux rapporteurs, dont je tiens à saluer le travail considérable.
À quelques réserves près, nous soutenons les modifications apportées au texte telles que le meilleur encadrement des habilitations à légiférer par ordonnances, la suppression de l’habilitation réformant le dialogue social qui n’a pas été assez préparée, le maintien des questions de rémunération et d’avancement dans le champ de compétence des CAP, et les modifications introduites en faveur des employeurs publics locaux qui leur offrent ainsi de plus grandes marges de manœuvre dans la gestion des ressources humaines.
Nous proposons d’ailleurs de renforcer le droit de regard des collectivités territoriales sur la mise en œuvre des détachements d’office de fonctionnaires d’État lorsqu’ils auraient des répercussions locales, comme le dénoncent déjà les comités techniques spéciaux, les CTS.
Sur d’autres points, comme la suppression de la prime de précarité pour les agents contractuels de la fonction publique hospitalière, nous sommes nettement plus circonspects.
Cela dit, si nous soutenons le développement de la politique du handicap au sein de la fonction publique et si nous avons entendu l’argument du Gouvernement, qui souhaite faire converger les normes publiques et privées en la matière, nous ne partageons pas votre conviction, monsieur le secrétaire d’État. De la même manière, nous espérons que nos échanges pourront apporter une solution à l’épineuse question du financement de l’apprentissage.
Je conclurai en exprimant quelques regrets sur un outil de management qui me paraît insuffisamment encouragé par le texte : celui de la valorisation du mérite par l’individualisation des primes. On connaît l’attachement des syndicats aux primes d’intéressement collectif, qui sont particulièrement justifiées dans des services sous tension. Le projet de loi prévoit justement de les étendre aux services hospitaliers. Pour autant, dans de grands organigrammes comme ceux des ministères, nous considérons que de nouveaux outils auraient pu être mis en place pour distinguer le mérite individuel dans la construction de la carrière.
Certes, quelques initiatives ont été développées avec des partenaires, comme les Victoires des Acteurs publics. Le remplacement de la notation par un entretien individuel va aussi dans le bon sens, mais les liens entre promotion et mérite pourraient être davantage renforcés, quand bien même cela atténuerait le sacro-saint principe de l’ancienneté. On touche là, malheureusement, aux limites du domaine législatif. Quoi qu’il en soit, le groupe du RDSE soutiendra toute initiative réglementaire en ce sens.
Au regard de tous ces éléments, monsieur le secrétaire d’État, mon groupe aborde l’examen de ce projet de loi avec bienveillance.