Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, la fonction publique française telle qu’elle existe aujourd’hui est l’héritière de plusieurs siècles d’histoire, qui ont abouti dans les années quatre-vingt à la création d’un véritable statut général. Aujourd’hui, elle emploie près de 5, 5 millions d’agents, soit un ratio de 72 agents pour 1 000 habitants. À titre indicatif, la moyenne européenne est de 60 pour 1 000 habitants.
Fruit d’une concertation lancée dès le printemps 2018, sujet fort du grand débat, le projet de loi de transformation de la fonction publique qui nous est présenté aujourd’hui entend « bâtir la fonction publique du XXIe siècle avec plus de souplesse et de mobilité ». Il affiche donc, tout du moins dans son intitulé, une ambition certaine.
Il vise à moderniser le statut de la fonction publique et les conditions de travail, à s’adapter aux réalités du terrain régulièrement décrites par les élus. À ce titre, ce texte prévoit un recours accru aux contractuels, une fusion des instances représentatives du personnel, encourage la rémunération au mérite et touche à l’harmonisation du temps de travail. Il entre dans une nouvelle logique, tournée vers une politique de management, que l’on peut retrouver dans d’autres pays européens tels que l’Allemagne ou le Portugal.
Il s’agit donc avant tout d’un texte technique, dont on peut regretter qu’il ne donne pas une vision claire quant aux missions des agents publics, dans un contexte agité de refonte de notre architecture institutionnelle. Il a cependant le mérite de comporter des outils pratiques et concrets, que le Sénat a renforcés pour conférer les moyens d’agir aux employeurs publics.
En sa qualité de chambre des territoires, le Sénat travaille depuis de nombreuses années sur ce sujet. Le dernier rapport de notre collègue et rapporteur, Catherine Di Folco, intitulé Dialogue et responsabilité : quatorze propositions d ’ avenir pour la fonction publique territoriale, témoigne de nouveau de la réactivité et de l’anticipation du Sénat à réformer, proposer et innover.
La commission des lois, guidée par l’excellent travail des rapporteurs, Catherine Di Folco et Loïc Hervé, a donc retravaillé le texte en profondeur et l’a enrichi de 154 amendements, autour de trois objectifs : mieux répondre aux attentes des employeurs territoriaux ; mieux récompenser le mérite des agents ; mieux accompagner les agents handicapés.
Ces trois axes illustrent à la fois le pragmatisme sénatorial, l’écoute de la Haute Assemblée, sa volonté forte d’intégrer et de faire en sorte que chacun trouve sa place dans la société.
Les 50 000 employeurs territoriaux attendent des réponses et de la souplesse face aux défis et aux contraintes auxquels ils doivent faire face.
Les contraintes sont connues depuis plusieurs années : ce sont les normes, les coupes budgétaires, les transferts de compétences sans moyens supplémentaires, ou encore des mesures qui ont fortement affecté les petites communes, comme la suppression des contrats aidés décidée à quelques jours de la rentrée scolaire de 2017.
Les élus locaux employeurs ont besoin d’information et de visibilité : c’est en ce sens que le Sénat, par l’intermédiaire de la commission des lois, a introduit l’obligation de publier une feuille de route triennale dans laquelle l’État indiquerait l’incidence financière de ses décisions en matière de ressources humaines sur les budgets locaux. Cette obligation de visibilité et de projection devrait permettre aux collectivités de mieux gérer leur masse salariale, de mieux programmer les recrutements dans l’intérêt des agents et de la collectivité. Car le poids budgétaire des agents représente en moyenne, sachons-le, 35 % du budget des collectivités.
La souplesse de la gestion des ressources humaines, quasi généralisée en Europe, est devenue une condition de performance et d’adaptation aux réalités locales.
Il est donc important que les élus puissent assumer pleinement leur responsabilité d’employeur. Ils doivent pouvoir prendre appui pour cela sur la gestion prévisionnelle des emplois, des effectifs et des compétences. Dans le même temps, les règles présidant au recrutement, à l’évolution professionnelle, à la formation et au management des agents territoriaux doivent être assouplies.
Ainsi, le projet de loi permet de recruter indifféremment un fonctionnaire ou un agent contractuel sur l’ensemble des emplois de direction de la fonction publique et dans les établissements publics de l’État. Les collectivités de moins de 1 000 habitants peuvent également recruter par voie de contrat sur l’ensemble de leurs emplois permanents.
Le Sénat a souhaité aller plus loin en prévoyant l’élargissement de la possibilité du recours aux agents contractuels, l’encouragement au recrutement sur titres, ou encore plus spécifiquement la facilitation de l’intégration des policiers nationaux et des gendarmes dans la police municipale. Ces dispositions, que la Haute Assemblée avait déjà pu évoquer, devraient conférer à l’employeur une maîtrise dynamique de sa masse salariale, ce à quoi nous sommes tous attachés.
Dans un deuxième temps, l’accent a été porté sur l’encouragement et la gestion de carrière des agents au travers de la rémunération au mérite. Celle-ci est la première attente des employeurs, comme le révèle une étude du Sénat. Véritable serpent de mer, elle fait peu à peu son nid.
Selon les collectivités qui la mettent en place, elle permet de mieux reconnaître et valoriser l’investissement de chacun. Elle permet d’influer sur la motivation, donc sur la performance. Elle doit s’appuyer sur un entretien professionnel objectivé. Sur l’initiative des rapporteurs, les primes des agents prendront désormais en compte les résultats du service, et pas uniquement les résultats individuels. Fixer des objectifs collectifs peut en effet constituer un levier managérial efficace, notamment pour des missions d’exécution.
De même, le régime indemnitaire pourra prendre en considération les spécificités territoriales, auxquelles le Sénat est particulièrement attaché, notamment pour encourager les agents publics à s’installer dans des zones enclavées.
Le Sénat utilise ainsi les leviers pour lutter contre la désertification de nos territoires et le sentiment d’abandon qui s’y développe.
Dans un troisième temps, le recours à l’apprentissage a été renforcé dans la fonction publique territoriale.
L’apprentissage est un levier majeur pour la formation des jeunes, par la transmission du savoir-faire. C’est un sujet auquel je suis particulièrement attachée, puisqu’au cœur de l’action des missions locales. Il permet d’intégrer les jeunes les plus éloignés de la formation par une dimension pratique, tout en leur donnant une première expérience professionnelle au contact de la réalité du monde du travail. Il permet aussi de multiplier les chances du futur diplômé de trouver un emploi.
Les apprentis apportent un regard neuf, une vision nouvelle dans la structure d’accueil, tout en contribuant dans la fonction publique notamment à diversifier les filières de recrutement.
Les administrations publiques peuvent recourir à l’apprentissage depuis la loi du 17 juillet 1992. Pourtant, les collectivités, qui ne peuvent bénéficier des incitations financières prévues pour les entreprises, peinent à recruter des apprentis. Afin de lever cette difficulté et pour pallier celle qui a été renforcée depuis la loi du 5 septembre 2018, a été adopté un amendement prévoyant une participation de l’État à hauteur de 23 millions d’euros au financement de l’apprentissage dans la fonction publique territoriale ; je m’en réjouis.
Enfin, la commission des lois a souhaité renforcer l’intégration des personnes en situation de handicap. Avec la loi de 1975, puis celle de 2005, a été engagée une politique inclusive de la personne en situation de handicap au cœur de la société.
Aujourd’hui, sur un total de 938 000 travailleurs en situation de handicap, un peu plus de 250 000 sont des agents publics, soit 22 %. Un autre signe encourageant est la progression du taux d’emploi légal des personnes handicapées, qui est passé de 3, 74 % en 2006 à 5, 61 % en 2018.
Reprenant les préconisations du rapport intitulé Donner un nouveau souffle à la politique du handicap dans la fonction publique, de Catherine Di Folco et Didier Marie, la commission des lois a renforcé à juste titre l’intégration des agents en situation de handicap en prévoyant un ensemble de dispositions complémentaires.
Sera ainsi autorisée une expérimentation pour pérenniser le financement du fonds pour l’insertion des personnes handicapées dans la fonction publique, le FIPHFP, actuellement en péril. Si le modèle économique de ce fonds repose sur une logique incitative, il subit actuellement un effet de ciseaux : depuis 2013, ses dépenses d’intervention sont supérieures aux contributions reçues.
Le nouveau modèle prévu s’organiserait autour d’une part fixe, soit 0, 1 %, et d’une part variable basée sur le mécanisme du bonus-malus.
Est également prévue l’intégration dans la fonction publique des apprentis en situation de handicap, sous réserve de leur aptitude professionnelle. Cette disposition permettra de renforcer l’accès à l’emploi public des personnes handicapées, tout en s’inscrivant dans une démarche pragmatique.
En outre, un droit à la portabilité des aménagements de poste, pour que les agents puissent conserver leur aménagement lorsqu’ils changent d’employeur, a été entériné. Là encore, cette proposition relève d’une vision pragmatique et efficace.
Le texte qui nous est soumis a été substantiellement enrichi par la commission des lois. Il permettra de doter les employeurs d’outils rendant possible une gestion stratégique de la masse salariale, et ce dans une perspective d’évolution de la répartition des compétences et des métiers de la fonction publique.
Les volets de l’accès à la fonction publique par la voie de l’apprentissage et du renforcement de l’intégration des personnes handicapées viennent compléter ce dispositif, et je m’en réjouis.
Je voterai donc, comme mon groupe, en faveur de ce projet de loi considérablement enrichi.