Intervention de René Danesi

Commission des affaires européennes — Réunion du 6 juin 2019 à 8h40
Présentation de la directive du 17 avril 2019 concernant des règles communes pour le marché intérieur du gaz naturel : communication de mm. claude kern et michel raison

Photo de René DanesiRené Danesi :

Je remercie Michel Raison et Claude Kern pour la clarté de leur exposé sur ce sujet complexe. Cet investissement, très structurant au départ, est rapidement devenu géopolitique, voire politique tout court. Très structurant car ce gazoduc de 1 230 kilomètres de long devrait fournir 55 milliards de mètres cubes de gaz par an, soit la consommation de la France et de la Roumanie réunies. Sur quelque 10 milliards d'euros, 50 % sont assurés par Gazprom, mais Engie y participe aussi, à hauteur de 10 %, de même que les allemands Uniper et Wintershall, l'autrichien OMV et l'anglo-hollandais Royal Dutch Shell, soit six entreprises dont cinq de l'Union européenne. Les pays de transit sont la Russie, la Finlande, la Suède, le Danemark et l'Allemagne mais d'autres, comme l'Ukraine et les États-Unis, s'estiment concernés par le chantier.

Tout cela se passe dans un contexte technique que l'on a tendance à occulter. Le PDG de Total, Patrick Pouyanné, qui n'est pas directement concerné, a mis les pieds dans le plat la semaine dernière en soulignant la complexité du sujet et en rappelant que la production domestique de gaz des pays européens diminue inexorablement, qu'il s'agisse de celle de la Norvège, du Royaume-Uni ou des Pays-Bas. Angela Merkel n'avait donc pas tort en affirmant que le projet Nord Stream 2 n'entraînerait pas l'assèchement du gazoduc passant par l'Ukraine. L'Europe aura besoin du gaz transitant par les deux itinéraires. Nous pourrions importer le gaz le plus proche et le plus facile à produire, le russe, mais certains le refusent pour des raisons politiques.

Dans ce contexte géopolitique, les Américains ne parlent que de la Crimée et de l'Ukraine, mais leur objectif réel est de vendre à l'Europe leur gaz de schiste, pour l'instant nettement plus cher que le gaz russe. L'Allemagne est déjà connectée à une trentaine de terminaux de regazéification du gaz naturel liquéfié à travers l'Europe, mais ils ne sont utilisés qu'à 30 % de leurs capacités ; or, pour continuer à vendre les automobiles allemandes aux États-Unis, Angela Merkel s'est engagée à construire deux terminaux supplémentaires. Dans ce dossier, vous le voyez, on manie des milliards, pas toujours dans l'intérêt des consommateurs...

La position de la Commission européenne est paradoxale : les pays d'Europe se plaignent régulièrement, et à juste titre, de l'extraterritorialité du droit américain, mais la première mouture de la directive n'hésitait pas à pratiquer l'extraterritorialité... Notre commission l'a fort bien relevé, et la directive l'a finalement abandonné.

Les 130 derniers kilomètres du gazoduc passent dans les eaux territoriales danoises. Le Danemark a toujours été, comme la Suède, le petit soldat de l'OTAN, rôle qui semble lui plaire. Il a donc contrecarré efficacement le projet de Gazprom. D'abord avec la loi du 1er janvier 2018, qui dispose que le ministre danois des affaires étrangères doit vérifier si l'infrastructure « est compatible avec les intérêts diplomatiques et sécuritaires du Danemark », la plume étant évidemment tenue par Washington. L'Agence danoise de l'énergie vient de demander un troisième itinéraire, alors que les deux premiers n'ont jamais été rejetés ! Nul doute qu'un quatrième sera requis... Une consultation publique est en cours jusqu'au début juillet pour évaluer l'impact du gazoduc sur l'environnement : ce sera bien le diable si l'on ne trouve pas sur son trajet un poisson ou un crabe menacé d'extinction... Tout cela pour gagner du temps, puisque les élections législatives d'hier ont donné la majorité aux socio-démocrates et à leurs alliés, ouvertement hostiles à Nord Stream 2. Cette affaire est donc loin d'être terminée.

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