Intervention de Albéric de Montgolfier

Commission des finances, du contrôle budgétaire et des comptes économiques de la nation — Réunion du 19 juin 2019 à 9h40
Déplacement effectué par une délégation du bureau de la commission au danemark en suède et en estonie — Compte rendu

Photo de Albéric de MontgolfierAlbéric de Montgolfier, rapporteur général :

C'était intéressant de voir comment des États qui sont allés assez loin dans le modèle socialiste par le passé - je pense à la Suède -, se situaient désormais sur différents sujets.

Du point de vue de la fiscalité, tout d'abord, le déplacement a été l'occasion de mieux appréhender la position du Danemark et de la Suède sur la taxation des activités numériques (« taxe GAFA »).

Nous revenons avec une meilleure compréhension du désaccord fortement manifesté par ces deux pays concernant la création d'une taxe sur les services numériques au niveau européen. De façon générale, ce sont de « petits » États et ils considèrent que leur réussite repose beaucoup sur les exportations, même si bien sûr leurs principales entreprises ont également des clients nationaux. Ils ont su développer des leaders mondiaux, le principal employeur de mon département est d'ailleurs une entreprise pharmaceutique danoise. Leurs chiffres économiques sont, de ce point de vue, assez remarquables.

Leur modèle repose d'ailleurs beaucoup sur le soutien aux entreprises, avec globalement une baisse de la fiscalité sur les sociétés.

Nous ne pouvons que les rejoindre lorsqu'ils considèrent que la solution pérenne et la plus efficace doit être trouvée au niveau de l'OCDE et qu'une taxation sur le chiffre d'affaires n'est pas idéal.

Là où l'on ne se retrouve pas, c'est sur le fait de considérer que rien ne peut être fait en attendant une réglementation internationale, y compris au niveau européen, en laissant des sociétés ne pas acquitter d'impôt sur leur activité.

L'objectif de ces gouvernements et des représentants des entreprises reste clairement d'entraver le moins possible l'activité économique, y compris celle des « géants du numérique », et de rester compétitif et attractif avec une imposition sur les sociétés réduite.

Cela explique leur hostilité forte à la taxation des services numériques au niveau européen et l'impossibilité d'obtenir un accord compte tenu de la règle de l'unanimité.

Nos entretiens ont également été l'occasion de nous pencher sur les raisons de la réussite économique de la Suède. Ce pays a en réalité su mettre en place un écosystème favorable à l'émergence et au développement d'entreprises innovantes, sans nécessairement un soutien sectoriel.

Nous avons rencontré un dirigeant d'une société de jeux vidéos qui nous indiquait ainsi qu'aucune mesure fiscale n'était spécifiquement destinée en Suède à soutenir le secteur des jeux vidéos mais que l'attractivité du pays se faisait surtout grâce à son environnement, avec une population en pointe en matière de nouvelles technologies, de bons transports et des infrastructures réseau de qualité ainsi qu'un système fiscal favorable aux entreprises.

La fiscalité du patrimoine constituait également un sujet d'étude intéressant pour le déplacement, compte tenu de l'évaluation que nous menons avec M. le Président sur la transformation de l'impôt de solidarité sur la fortune (ISF) en impôt sur la fortune immobilière (IFI) et la création du prélèvement forfaitaire unique (PFU).

En Suède notamment, dans les années 80, une réforme a été adoptée pour taxer davantage les fortunes, en imposant à la fois les revenus et le capital. Cet État a notamment atteint des taux d'imposition très élevés qui ont pu entraver l'activité.

La Suède et le Danemark ont supprimé depuis de nombreuses années l'équivalent de l'impôt sur la fortune. Au Danemark, cela nous a été notamment justifié par le fait qu'il était très aisé d'échapper cet impôt, de nombreux moyens le permettant. En outre, globalement toute fiscalité qui contreviendrait à la compétitivité et à la transmission des entreprises est bannie par ces deux pays.

Lors de nos entretiens, il nous a semblé que la problématique de la taxation des plus riches n'était finalement pas au coeur de leurs préoccupations.

L'imposition sur le revenu en Suède semble répondre aux attentes de la population. Et ce pays a également supprimé l'impôt sur les successions il y a dix ans.

Au Danemark, l'imposition du patrimoine des ménages se répartit ainsi : 37 % sur les biens fonciers, 33 % sur l'épargne-retraite, 10 % sur les actions et les 20 % restants sur les autres actifs financiers.

Enfin, nous nous sommes évidemment intéressés à la fiscalité écologique et aux dépenses publiques consacrées à l'environnement.

La Suède et le Danemark figurent parmi les « États modèles » pour la mise en oeuvre d'une politique énergétique et écologique efficace et acceptée par la population, en prenant notamment des mesures fiscales ambitieuses.

Le Danemark se fixe également des objectifs très ambitieux dans le domaine environnemental, notamment en termes de transports.

Plusieurs questions ont été abordées lors de ce déplacement.

Comment parvenir à une fiscalité incitative et non principalement à une fiscalité de rendement ? C'est notamment la difficulté que nous avons rencontrée en France.

Quelles ont été les mesures budgétaires d'accompagnement les plus efficaces, tant pour les particuliers que pour les entreprises, dans ces deux pays ?

Les deux États sont apparus très avancés dans la mise en oeuvre d'une fiscalité écologique, avec une taxation du carbone introduite dès 1991 en Suède, ce qui a, par exemple, permis une transition efficace du parc automobile privé mais aussi des camions et autres machines-outils dans le secteur industriel.

Selon les éléments fournis par le service économique régional, la Suède présenterait donc aujourd'hui la transition énergétique la plus avancée au niveau de l'Union européenne, avec 54 % d'énergies renouvelables (EnR) et sur un rythme très soutenu puisqu'il est trois fois plus rapide qu'en France. Le chauffage ne serait plus assuré qu'à 2 % par de l'énergie fossile, contre 60 % en 1980, soit la proportion actuellement constatée en France. Les énergies renouvelables représenteraient 33 % dans le secteur des transports, contre 9 % en France.

Les deux facteurs ayant permis une telle évolution seraient, tout d'abord, le dispositif de « certificats verts » mis en place dès 2003, sans prix d'achat garantis et qui repose sur une mise en concurrence des différents modes de production entre filières EnR, conduisant à ce que le marché s'oriente naturellement vers les énergies renouvelables les moins chères.

Ensuite, la fiscalité du carbone a conduit à taxer davantage les énergies fossiles. Certains secteurs, comme l'agriculture ou la pisciculture, ont toutefois été exclus de l'application de cette nouvelle taxation du carbone, compte tenu de la concurrence des autres États et de la nécessité de les soutenir. Mais la Suède a décidé de supprimer progressivement toutes les exonérations partielles, à l'exception du diesel agricole.

En outre, depuis le 1er juillet 2018, la Suède a introduit un « taux d'obligation de réduction de l'empreinte carbone des carburants ». Le principe repose sur le fait que les carburants vendus dans les stations doivent avoir, pour l'essence, des émissions inférieures de 2,6 % à celles de l'essence pure et, pour le diesel, de 19,3 %. Ces taux évolueront dans le temps avec pour objectif de réduire l'empreinte carbone des carburants routiers de 40 % en 2030.

Les décisions prises en termes de fiscalité écologique tiennent également compte du territoire très vaste de la Suède, afin d'éviter de contribuer à une trop grande fracture entre les populations.

L'incitation à faire « les bons choix » pour l'environnement conduit par exemple la Suède à instaurer un nouvel impôt sur les sacs en plastique, à augmenter la taxe sur les produits chimiques contenus dans les appareils électroniques, ou encore à disposer depuis de nombreuses années d'un dispositif de consigne des matériaux recyclables tels que les bouteilles en plastique, les canettes en aluminium, etc.

En Suède, la très forte hausse des taxes environnementales s'est accompagnée d'une importante baisse de l'impôt sur le revenu, avec une hausse du seuil d'imposition et de l'abattement fiscal de base, afin d'éviter d'augmenter la pression fiscale sur les ménages et donc de permettre l'acceptation de cette nouvelle imposition à vocation incitative. La réforme fiscale verte réalisée au début des années 2000 en Suède a été neutre d'un point de vue budgétaire.

Il convient aussi de noter que la taxe énergie applicable aux carburants aurait aussi baissé proportionnellement pour accompagner la hausse de la taxe carbone. De même, cette dernière n'a eu qu'un impact limité sur le coût du chauffage pour les ménages, compte tenu des aides accordées pour changer les chaudières au fuel et du déploiement du chauffage urbain, les centrales de cogénération ayant transformé leur mode de production en recourant à la biomasse-bois.

D'après les informations qui nous ont été fournies, les recettes issues des taxes environnementales ne sont, pour l'essentiel, pas spécifiquement affectées à des « mesures vertes » au Danemark ou en Suède et vont au budget général de l'État.

Parallèlement à cette révolution fiscale, des aides ont été mises en place dans ces pays, notamment des primes pour enlever les chaudières en Suède, mais celles-ci ne sont désormais quasiment plus actives, notamment avec l'important déploiement du chauffage urbain.

Au Danemark, plusieurs exemples d'aides aux ménages nous ont également été donnés : changement de système de chauffage au fuel, aide et incitation fiscale pour une meilleure isolation et l'installation de panneaux solaires...

Surtout, le secteur industriel a vu comme une opportunité ce développement des énergies renouvelables et le changement de comportement demandé aux ménages et aux entreprises. Des sociétés comme Ørsted ont su faire le « grand virage » alors qu'elles étaient en difficulté, par le développement de l'éolien offshore et la biomasse.

Au Danemark, il n'existe plus de prix garanti de l'énergie et désormais, les énergies renouvelables sont moins chères que les énergies conventionnelles.

La question du développement de l'éolien offshore se pose toutefois, y compris en Suède ou en France.

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