Comme c'est traditionnellement le cas, une délégation du bureau de la commission des finances s'est déplacée à l'étranger afin d'y étudier plusieurs thématiques relevant de notre champ de compétences.
Cette année, nous avions fait le choix d'un déplacement européen, en nous rendant au Danemark, en Suède et en Estonie.
La délégation était composée de MM. Albéric de Montgolfier, Yvon Collin, Bernard Delcros, Jean-François Husson, Claude Raynal et moi-même. Elle s'est déplacée du 5 au 10 mai dernier.
Comme l'an dernier avec le Canada, nous nous sommes rendus dans deux pays souvent cités comme des exemples, le Danemark et la Suède, pour leur faible taux de chômage, leur situation budgétaire saine et aussi la politique écologique et énergétique qui y est mise en oeuvre depuis plusieurs années. Ils présentent aussi des points communs avec la France, avec leur haut niveau de prélèvements obligatoires et un niveau important de dépenses publiques.
Ce déplacement « de proximité » en Europe a permis d'évoquer de nombreux sujets avec nos voisins.
S'agissant du domaine de la fiscalité tout d'abord, nous avons abordé la problématique de l'imposition des sociétés, de la convergence fiscale entre les États et bien sûr, de la taxation des services numériques (« taxe GAFA »).
Nous avons également eu plusieurs entretiens spécialement tournés vers la fiscalité écologique et énergétique, au cours desquels ont été abordés la trajectoire de la taxe carbone et l'imposition des activités polluantes, mais aussi les dépenses publiques consacrées à l'environnement et à l'accompagnement des nouveaux usages des ménages et des entreprises.
En lien avec la mission d'évaluation que nous menons actuellement avec le rapporteur général, nous nous sommes également intéressés à la fiscalité du patrimoine, le Danemark et la Suède ayant tous deux supprimé l'équivalent de leur impôt sur la fortune il y a plusieurs années.
Une large part de nos entretiens a également été accordée aux questions bancaires, avec en particulier le développement des Fintech et l'évolution des moyens de paiement, dans des pays où les espèces sont désormais très peu utilisées, au point de s'orienter vers le « zéro cash ».
Le déplacement s'est enfin achevé en Estonie, pour aborder plus spécifiquement cette fois la question de la numérisation de l'État, qui s'accompagne d'une radicale dématérialisation des services publics. Certes, l'accessibilité des données et la facilité pour les citoyens de disposer des documents utiles ou de réaliser les démarches administratives sont impressionnantes, mais j'y ai vu aussi des risques majeurs en termes de sécurité pour des données qui sont somme toute sensibles et, par nature, très personnelles, comme par exemple la situation familiale et le dossier médical de chaque citoyen.
Pour traiter de l'ensemble de ces problématiques, nous avons à la fois rencontré des membres du Gouvernement et des parlementaires ; des services administratifs et autres agences de l'État, spécialisés sur les questions des impôts ou de l'énergie ; des entreprises et les représentants du monde économique, en particulier des entreprises et « licornes » spécialisés dans les moyens de paiement, mais aussi des acteurs du secteur du jeu vidéo, très développé en Suède, ou encore le leader mondial de l'éolien offshore ; enfin les représentants de grands établissements financiers ainsi que les banques centrales de Suède et du Danemark.
C'était intéressant de voir comment des États qui sont allés assez loin dans le modèle socialiste par le passé - je pense à la Suède -, se situaient désormais sur différents sujets.
Du point de vue de la fiscalité, tout d'abord, le déplacement a été l'occasion de mieux appréhender la position du Danemark et de la Suède sur la taxation des activités numériques (« taxe GAFA »).
Nous revenons avec une meilleure compréhension du désaccord fortement manifesté par ces deux pays concernant la création d'une taxe sur les services numériques au niveau européen. De façon générale, ce sont de « petits » États et ils considèrent que leur réussite repose beaucoup sur les exportations, même si bien sûr leurs principales entreprises ont également des clients nationaux. Ils ont su développer des leaders mondiaux, le principal employeur de mon département est d'ailleurs une entreprise pharmaceutique danoise. Leurs chiffres économiques sont, de ce point de vue, assez remarquables.
Leur modèle repose d'ailleurs beaucoup sur le soutien aux entreprises, avec globalement une baisse de la fiscalité sur les sociétés.
Nous ne pouvons que les rejoindre lorsqu'ils considèrent que la solution pérenne et la plus efficace doit être trouvée au niveau de l'OCDE et qu'une taxation sur le chiffre d'affaires n'est pas idéal.
Là où l'on ne se retrouve pas, c'est sur le fait de considérer que rien ne peut être fait en attendant une réglementation internationale, y compris au niveau européen, en laissant des sociétés ne pas acquitter d'impôt sur leur activité.
L'objectif de ces gouvernements et des représentants des entreprises reste clairement d'entraver le moins possible l'activité économique, y compris celle des « géants du numérique », et de rester compétitif et attractif avec une imposition sur les sociétés réduite.
Cela explique leur hostilité forte à la taxation des services numériques au niveau européen et l'impossibilité d'obtenir un accord compte tenu de la règle de l'unanimité.
Nos entretiens ont également été l'occasion de nous pencher sur les raisons de la réussite économique de la Suède. Ce pays a en réalité su mettre en place un écosystème favorable à l'émergence et au développement d'entreprises innovantes, sans nécessairement un soutien sectoriel.
Nous avons rencontré un dirigeant d'une société de jeux vidéos qui nous indiquait ainsi qu'aucune mesure fiscale n'était spécifiquement destinée en Suède à soutenir le secteur des jeux vidéos mais que l'attractivité du pays se faisait surtout grâce à son environnement, avec une population en pointe en matière de nouvelles technologies, de bons transports et des infrastructures réseau de qualité ainsi qu'un système fiscal favorable aux entreprises.
La fiscalité du patrimoine constituait également un sujet d'étude intéressant pour le déplacement, compte tenu de l'évaluation que nous menons avec M. le Président sur la transformation de l'impôt de solidarité sur la fortune (ISF) en impôt sur la fortune immobilière (IFI) et la création du prélèvement forfaitaire unique (PFU).
En Suède notamment, dans les années 80, une réforme a été adoptée pour taxer davantage les fortunes, en imposant à la fois les revenus et le capital. Cet État a notamment atteint des taux d'imposition très élevés qui ont pu entraver l'activité.
La Suède et le Danemark ont supprimé depuis de nombreuses années l'équivalent de l'impôt sur la fortune. Au Danemark, cela nous a été notamment justifié par le fait qu'il était très aisé d'échapper cet impôt, de nombreux moyens le permettant. En outre, globalement toute fiscalité qui contreviendrait à la compétitivité et à la transmission des entreprises est bannie par ces deux pays.
Lors de nos entretiens, il nous a semblé que la problématique de la taxation des plus riches n'était finalement pas au coeur de leurs préoccupations.
L'imposition sur le revenu en Suède semble répondre aux attentes de la population. Et ce pays a également supprimé l'impôt sur les successions il y a dix ans.
Au Danemark, l'imposition du patrimoine des ménages se répartit ainsi : 37 % sur les biens fonciers, 33 % sur l'épargne-retraite, 10 % sur les actions et les 20 % restants sur les autres actifs financiers.
Enfin, nous nous sommes évidemment intéressés à la fiscalité écologique et aux dépenses publiques consacrées à l'environnement.
La Suède et le Danemark figurent parmi les « États modèles » pour la mise en oeuvre d'une politique énergétique et écologique efficace et acceptée par la population, en prenant notamment des mesures fiscales ambitieuses.
Le Danemark se fixe également des objectifs très ambitieux dans le domaine environnemental, notamment en termes de transports.
Plusieurs questions ont été abordées lors de ce déplacement.
Comment parvenir à une fiscalité incitative et non principalement à une fiscalité de rendement ? C'est notamment la difficulté que nous avons rencontrée en France.
Quelles ont été les mesures budgétaires d'accompagnement les plus efficaces, tant pour les particuliers que pour les entreprises, dans ces deux pays ?
Les deux États sont apparus très avancés dans la mise en oeuvre d'une fiscalité écologique, avec une taxation du carbone introduite dès 1991 en Suède, ce qui a, par exemple, permis une transition efficace du parc automobile privé mais aussi des camions et autres machines-outils dans le secteur industriel.
Selon les éléments fournis par le service économique régional, la Suède présenterait donc aujourd'hui la transition énergétique la plus avancée au niveau de l'Union européenne, avec 54 % d'énergies renouvelables (EnR) et sur un rythme très soutenu puisqu'il est trois fois plus rapide qu'en France. Le chauffage ne serait plus assuré qu'à 2 % par de l'énergie fossile, contre 60 % en 1980, soit la proportion actuellement constatée en France. Les énergies renouvelables représenteraient 33 % dans le secteur des transports, contre 9 % en France.
Les deux facteurs ayant permis une telle évolution seraient, tout d'abord, le dispositif de « certificats verts » mis en place dès 2003, sans prix d'achat garantis et qui repose sur une mise en concurrence des différents modes de production entre filières EnR, conduisant à ce que le marché s'oriente naturellement vers les énergies renouvelables les moins chères.
Ensuite, la fiscalité du carbone a conduit à taxer davantage les énergies fossiles. Certains secteurs, comme l'agriculture ou la pisciculture, ont toutefois été exclus de l'application de cette nouvelle taxation du carbone, compte tenu de la concurrence des autres États et de la nécessité de les soutenir. Mais la Suède a décidé de supprimer progressivement toutes les exonérations partielles, à l'exception du diesel agricole.
En outre, depuis le 1er juillet 2018, la Suède a introduit un « taux d'obligation de réduction de l'empreinte carbone des carburants ». Le principe repose sur le fait que les carburants vendus dans les stations doivent avoir, pour l'essence, des émissions inférieures de 2,6 % à celles de l'essence pure et, pour le diesel, de 19,3 %. Ces taux évolueront dans le temps avec pour objectif de réduire l'empreinte carbone des carburants routiers de 40 % en 2030.
Les décisions prises en termes de fiscalité écologique tiennent également compte du territoire très vaste de la Suède, afin d'éviter de contribuer à une trop grande fracture entre les populations.
L'incitation à faire « les bons choix » pour l'environnement conduit par exemple la Suède à instaurer un nouvel impôt sur les sacs en plastique, à augmenter la taxe sur les produits chimiques contenus dans les appareils électroniques, ou encore à disposer depuis de nombreuses années d'un dispositif de consigne des matériaux recyclables tels que les bouteilles en plastique, les canettes en aluminium, etc.
En Suède, la très forte hausse des taxes environnementales s'est accompagnée d'une importante baisse de l'impôt sur le revenu, avec une hausse du seuil d'imposition et de l'abattement fiscal de base, afin d'éviter d'augmenter la pression fiscale sur les ménages et donc de permettre l'acceptation de cette nouvelle imposition à vocation incitative. La réforme fiscale verte réalisée au début des années 2000 en Suède a été neutre d'un point de vue budgétaire.
Il convient aussi de noter que la taxe énergie applicable aux carburants aurait aussi baissé proportionnellement pour accompagner la hausse de la taxe carbone. De même, cette dernière n'a eu qu'un impact limité sur le coût du chauffage pour les ménages, compte tenu des aides accordées pour changer les chaudières au fuel et du déploiement du chauffage urbain, les centrales de cogénération ayant transformé leur mode de production en recourant à la biomasse-bois.
D'après les informations qui nous ont été fournies, les recettes issues des taxes environnementales ne sont, pour l'essentiel, pas spécifiquement affectées à des « mesures vertes » au Danemark ou en Suède et vont au budget général de l'État.
Parallèlement à cette révolution fiscale, des aides ont été mises en place dans ces pays, notamment des primes pour enlever les chaudières en Suède, mais celles-ci ne sont désormais quasiment plus actives, notamment avec l'important déploiement du chauffage urbain.
Au Danemark, plusieurs exemples d'aides aux ménages nous ont également été donnés : changement de système de chauffage au fuel, aide et incitation fiscale pour une meilleure isolation et l'installation de panneaux solaires...
Surtout, le secteur industriel a vu comme une opportunité ce développement des énergies renouvelables et le changement de comportement demandé aux ménages et aux entreprises. Des sociétés comme Ørsted ont su faire le « grand virage » alors qu'elles étaient en difficulté, par le développement de l'éolien offshore et la biomasse.
Au Danemark, il n'existe plus de prix garanti de l'énergie et désormais, les énergies renouvelables sont moins chères que les énergies conventionnelles.
La question du développement de l'éolien offshore se pose toutefois, y compris en Suède ou en France.
Du point de vue des questions bancaires ensuite, nous étions globalement dans trois pays très digitalisés, ayant développé de nombreux services numériques pour répondre à la demande de leurs populations. Du point de vue des services financiers, plus de 80 % des Danois ont recours à une banque en ligne, tandis qu'en France l'on dépasse à peine 60 % et la moyenne européenne un peu plus de 50 %.
Cela a conduit à une adaptation du système bancaire, à s'assurer de la sécurisation des opérations financières réalisées mais aussi à les rendre plus rapides et efficaces (transactions les week-ends, transferts de crédit dans la journée, paiements assurés en 1,5 seconde...). Il a également fallu adapter le système au développement des solutions de paiement en « peer to peer ».
En Suède notamment, les Fintech sont très développées, avec 12 % des Fintech européennes en 2017 implantées à Stockholm.
Par ailleurs, l'évolution des moyens de paiement utilisés par les ménages a été très largement abordée dans les deux pays, avec seulement 13 % des opérations de paiement réalisées en espèces en Suède et 23 % au Danemark en 2017, tandis que le paiement en espèces représentait encore 68 % des transactions en France et 80 % en Allemagne. Certes, l'usage du « cash » varie encore en fonction des générations, les 15-29 ans au Danemark utilisant les espèces pour moins d'une transaction sur dix, tandis qu'elles représentent encore près de 40 % de celles des 70 à 79 ans.
En Suède, seul 1,2 % du PIB correspond à de la monnaie fiduciaire en circulation (contre par exemple 11 % du PIB en Italie) et chaque citoyen exécute environ 500 paiements électroniques par an, ce qui place cet État en tête sur ces deux plans au niveau mondial.
Les questions de la dématérialisation des paiements et de la politique du « zéro cash » sont donc très avancées dans ces deux pays, avec le développement également depuis plusieurs années des paiements mobiles et du paiement sans contact qui est possible jusqu'à 50 euros au Danemark, contre 30 euros en France.
Les paiements par carte ont aussi été facilités avec des solutions comme celles offertes par la « licorne » IZettle dont nous avons rencontré deux dirigeants et qui vient d'être rachetée par Paypal. Ses lecteurs de carte, et dont les logiciels permettent aussi de gérer les stocks par exemple, sont principalement destinés aux PME.
L'un de nos interlocuteurs a considéré que les solutions mobiles ne seraient plus utilisées dans les prochaines années, compte tenu du manque d'autonomie des batteries des téléphones qui empêche de garantir une pleine fiabilité. Il a même considéré que l'avenir serait les dispositifs biométriques, avec reconnaissance faciale, en affirmant qu'il « suffirait alors de s'utiliser soi-même pour payer » !
La question de la « désertification bancaire » est également posée dans ces États, avec notamment au Danemark une réflexion de la Danske Bank pour revenir sur leur politique offensive de fermeture des agences, avec un objectif de visibilité vis-à-vis de leur clientèle, de service rendu aux usagers pour assurer leur image, et même si ce n'est pas rentable.
Afin d'assurer une couverture correcte en termes de distributeurs de billets, les banques essaient de s'organiser pour mutualiser les distributeurs. En Suède toutefois, le nombre de distributeurs n'aurait pas diminué au cours des douze dernières années selon la fédération bancaire, tandis que le nombre d'utilisateurs se serait réduit de deux tiers.
Les institutions que nous avons rencontrées étaient globalement enthousiastes face à cette évolution de la diminution des espèces et au développement des solutions digitales. Elles ne semblaient toutefois pas mieux que nous disposer des solutions adaptées pour répondre aux besoins des populations les plus âgées ou les plus vulnérables. La Danske Bank nous a ainsi parlé de dispositifs d'aide à l'utilisation du numérique, avec des éducateurs, la distribution de manuels, etc.
Il convient toutefois de noter que le problème de l'accès aux services bancaires se pose différemment dès lors que l'usage des services internet est très largement développé parmi toutes les générations. Au Danemark, par exemple, la banque centrale nous a indiqué que d'après leurs statistiques nationales, plus de 90 % des personnes ayant entre 65 et 74 ans avaient recours à des services de banque en ligne et près de 80 % de celles ayant entre 75 et 89 ans ! Le taux de pénétration de ces solutions est donc élevé.
Au Danemark davantage qu'en Suède, où les commerçants peuvent refuser les espèces, plusieurs de nos interlocuteurs ont toutefois concédé la nécessité de maintenir des solutions alternatives, y compris pour les touristes qui n'ont pas nécessairement accès à une application mobile ou encore ceux qui n'auraient plus de batterie sur leur portable. Mais cela ne constitue pas vraiment une difficulté selon eux.
En revanche, des réflexions sont menées pour sécuriser le système en cas de panne d'électricité, d'attaque ou de guerre.
Le Danemark s'est également doté d'un Conseil des paiements, le Danish Payments Council, comprenant des représentants de tous les services et administrations et présidé par un membre de la banque centrale. Il s'est ainsi intéressé à l'évolution de l'usage des espèces, avec la constitution d'un groupe de travail comprenant à la fois des membres du conseil et des représentants de la population « senior », des personnes en situation de handicap et des groupes socialement les plus vulnérables ainsi que des experts.
D'après nos interlocuteurs, ni le Danemark ni la Suède ne recherche vraiment le « zéro cash », mais les institutions accompagnent cette évolution tandis que les commerçants préfèrent naturellement les solutions digitales, moins coûteuses que les espèces.
Le gouverneur de la banque centrale de Suède nous a également présenté son projet de « e-couronne suédoise ».Il estime que cette évolution est nécessaire afin d'assurer un bon fonctionnement du système monétaire. On a ressenti un certain scepticisme sur ce projet en discutant avec d'autres interlocuteurs, il nous a été indiqué que les échanges étaient très animés au Parlement sur le sujet.
Au Danemark, la banque centrale considère qu'une monnaie virtuelle est inutile et que le système bancaire est suffisamment solide. Ce qui est essentiel est de disposer d'une bonne infrastructure et de convaincre les banques des évolutions nécessaires.
S'agissant plus globalement du secteur bancaire, les établissements bancaires sont généralement assez hostiles au fait de partager les risques, ils ne souhaitent pas payer pour les autres.
Le déplacement au Danemark et en Suède a également été l'occasion d'aborder deux problématiques à la marge.
En premier lieu, la question du consentement à l'impôt, par opposition au « ras le bol fiscal » et aux critiques parfois formulées sur la dépense publique en France. En effet, la Suède est connue comme ayant un haut niveau d'imposition des ménages et le Danemark aussi pour son niveau de dépenses publiques, avec un fort niveau d'acceptation de la part de la population et une satisfaction globale de l'usage qui est fait des recettes fiscales.
Ce consentement à l'impôt provient notamment du fait que le système fiscal est conçu pour être lisible et simple. À l'heure actuelle, la Suède souhaite proposer une nouvelle réforme afin de retrouver un équilibre plus satisfaisant, considérant qu'il existe trop d'exonérations et de réductions. Cela contribue certainement à cette acceptation de l'impôt.
En second lieu, l'on a pu aborder la question de l'organisation des services de l'État, en s'intéressant à leur système d'agences. Ainsi l'agence des impôts, qui recouvre tous les impôts suédois, serait l'agence la plus appréciée des citoyens, notamment pour l'aide apportée, les services fournis... Elle compte 10 000 employés tandis que le ministère regroupe 60 personnes.
Le déplacement s'est enfin achevé à Tallinn en Estonie pour aborder la question de la numérisation de l'État et la dématérialisation des services publics.
L'Estonie est désormais connue en tant qu'« État numérique », avec une carte d'identité virtuelle, obligatoire pour tous les citoyens, permettant d'accéder à l'ensemble des données d'un individu et de réaliser la quasi-totalité des actes administratifs, y compris la déclaration et le paiement des impôts, les demandes de prestations...
L'identification sécurisée est assurée par l'État, à partir d'un téléphone mobile. L'identification virtuelle permet d'accéder à un portail qui recense toutes les données qui sont stockées dans d'autres fichiers et récupérées par un système développé par l'État estonien, le « X road ».
Par ce portail, l'on peut ainsi accéder à l'ensemble des données, publiques ou privées, d'un citoyen, comme son permis de conduire, sa carte d'identité et d'électeur, ses données bancaires, les informations relatives à sa santé, notamment les opérations subies, les médicaments prescrits par ordonnance électronique...
Toute démarche administrative est réalisable en ligne sauf le mariage, le divorce et l'achat/la vente d'un bien immobilier.
Avec le programme « e-residency », tout entrepreneur dans le monde peut également demander à avoir une carte d'identité estonienne pour y développer une activité. Il peut alors utiliser les services numériques offerts par l'État estonien pour créer son entreprise ou sa filiale et accéder au marché européen. Le dispositif compte actuellement 55 000 e-résidents dont 2 000 Français. L'on ne peut exclure que des raisons fiscales, même si c'est surtout la simplicité des démarches administratives qui sont mises en avant. L'Estonie souhaite ainsi pouvoir attirer de l'activité économique et des investisseurs.
Conscient des risques de « cyber attaques » mais aussi d'un bug majeur susceptible d'empêcher un jour l'accès aux données, le gouvernement a prévu de stocker également une copie de ces données en dehors des frontières estoniennes, créant à cet effet une « ambassade numérique » qui se situe au Luxembourg.
Il est également possible de surveiller qui a eu accès aux données et de demander des explications voire de contester la procédure en cas d'abus.
Dès lors, les citoyens apprécient la facilité offerte par ce portail de l'« e Estonie » et ont, comme en Suède par exemple, un haut niveau d'acceptation de transparence vis-à-vis de leur vie privée et d'éléments personnels, y compris sur leur niveau d'imposition.
Peut-être avez-vous entendu que l'Estonie va encore plus loin désormais puisque l'État propose même aux citoyens de « prélever » et « ficher » leur ADN, les génomes numérisés ayant vocation à permettre le développement de la médecine prédictive.
De même, la presse française s'est fait récemment écho du fait que désormais, le jugement des délits mineurs, c'est-à-dire concernant des faits ayant entraîné des dommages de moins de 7 000 euros, pourrait être confié à une intelligence artificielle en Estonie.
En conclusion, le Danemark et la Suède paraissent disposer d'un système fiscal plus lisible et simple que celui de la France. La politique environnementale qu'ils ont lancée il y a de nombreuses années n'a pas été perçue comme punitive, mais au contraire, comme la concrétisation de convictions fortes de la nécessité de modifier les comportements. De même, la fiscalité écologique et énergétique n'est pas vécue comme une imposition supplémentaire destinée à « faire du rendement », mais comme une forme d'incitation au changement.
Les choix opérés par ces deux États ne peuvent constituer des modèles qui pourraient être littéralement calqués pour la France, compte tenu de nos différences notamment concernant la taille des pays, la culture... Mais ils correspondent à des exemples concrets de réussite qui peuvent nous inspirer, avec des États qui ont su se réformer pour redonner du souffle à leur économie alors en difficulté.
L'exemple de l'« État numérique » en Estonie fait quant à lui l'objet d'une très forte communication vers l'extérieur. Le voir concrètement mis en oeuvre a permis de percevoir à la fois les atouts mais aussi les faiblesses voire les risques majeurs d'un « tout numérique » centralisé, notamment au regard des libertés publiques et de la sécurité.
Ce déplacement nous a permis de creuser des sujets qui seront à n'en pas douter au coeur des prochains projets de lois de finances, notamment la fiscalité écologique et énergétique.
Il est toujours intéressant de disposer de comparaisons entre différents pays européens. Le cas de l'Estonie est relativement à part dans la mesure où le pays a été confronté plus récemment à une révolution à la fois politique et culturelle. Je souhaite plutôt évoquer les pays nordiques et en particulier la Suède, qui a été un pays modèle pour beaucoup de Français et l'exemple de ce qu'on a longtemps appelé la sociale-démocratie.
Actuellement, la Suède traverse comme la France une période de transition écologique, qu'elle a réussi à mener à bien dans sa dimension idéologique, ce que nous ne sommes pas encore parvenu à faire. J'aurais voulu savoir quels avaient été les moteurs de cette évolution.
Beaucoup de Français sont attachés à notre niveau élevé de fiscalité. Comment cette évolution a-t-elle pu avoir lieu en Suède, qui est également un pays très fiscalisé ? Les Suédois ont compris que moins d'impôts créaient de la richesse, de la croissance et des emplois.
Les pays que nous avons visités sont des pays qui restent extrêmement fiscalisés, le Danemark étant juste derrière la France en ce qui concerne le niveau d'imposition. Cependant, il y a une différence notable : l'impôt sur le revenu y est certes élevé et progressif, mais les choix posés en matière de fiscalité sont favorables à l'activité économique. Ces pays considèrent qu'ils sont de petits pays et donc fortement dépendants des exportations. Ce n'est pas le marché intérieur danois ou suédois qui pourra faire vivre les entreprises. Ils ont une industrie technologiquement très avancée et des leaders mondiaux dans certains secteurs.
Si l'on veut continuer à soutenir l'économie, il faut d'abord faire des choix qui soient favorables aux entreprises comme cela est le cas dans ces pays, que ce soit sur le capital ou les transmissions. En Suède, le taux d'imposition sur les sociétés est en baisse régulière et est désormais proche de 21 %. Les particuliers sont en revanche fortement imposés mais cette fiscalité est cependant bien acceptée.
Il convient aussi de relever qu'il n'y a pas de fonctionnaires dans les agences en Suède. Les Suédois ont bien compris que leur salut venait du monde de l'entreprise et de leur capacité à exporter et que si l'on imposait trop les entreprises, elles ne seraient plus concurrentielles.
De plus, en Suède, des grandes entreprises appartiennent à des fondations, ce qui permet notamment de se prémunir contre des changements d'actionnaires et d'éviter les offres publiques d'achat (OPA). Ces fondations reversent leurs profits à des oeuvres d'intérêt général, soutenant ainsi l'éducation, la recherche, la culture etc. Il s'agit d'un modèle tout à fait différent de la France.
J'ajouterais que la différence avec la France vient également de l'acceptation de la fiscalité malgré son niveau très élevé. Cette acceptation vient d'un double facteur. D'un part, il n'y pas de « maquis » fiscal, avec des impôts plus simples à comprendre. D'autre part, ces pays ont fait un effort considérable, sans doute bien plus important que la France, sur la justification et la transparence de la dépense publique. D'un côté, on sait qui paie et comment ; d'un autre, on sait à quoi l'impôt sert.
Le Président Éblé a évoqué la première banque danoise, la Danske Bank qui a fait parler d'elle ces derniers temps pour des affaires de blanchiment. Il y a eu des enquêtes au Danemark, aux États-Unis et en Estonie, et même en France. Ce sujet a-t-il été évoqué lors de vos échanges ?
Ce sujet a évidemment été évoqué. Nos interlocuteurs n'ont pas été particulièrement prolixes en réponse à nos questions mais ils ont bien reconnu la difficulté et nous ont indiqué qu'une refonte globale de leurs dispositifs de contrôle interne était en cours afin qu'une affaire de cette nature ne puisse pas se reproduire. Il faudra voir quelles réformes ont effectivement été conduites.
Après cet exposé complet de notre déplacement, je souhaite insister sur un point qui m'a particulièrement intéressé, à savoir l'évolution des moyens de paiement et la disparition des espèces. Notre rencontre avec les gouverneurs de la banque centrale au Danemark et en Suède me conforte dans l'idée qu'il s'agit d'un sujet moins évident qu'il n'y parait. Certes, on a de moins en moins recours aux espèces, mais l'idée de « zéro cash » me semble relever plutôt du slogan que de la réalité.
En effet, ces pays disposent, en cas de panne électrique ou de difficultés informatiques, de réserves monétaires permettant d'alimenter le marché en urgence. Ainsi, s'il y a bien diminution de la monnaie fiduciaire en circulation, il existe malgré cela des réserves considérables ayant vocation à être distribuées dans la journée en cas de difficulté.
Par ailleurs, les commerces n'ont pas l'obligation légale d'accepter les espèces. Une épicerie peut en effet vous refuser ce mode de règlement. Il me semble que cette évolution n'est pas souhaitable en France.
Enfin, concernant le « tout numérique » en Estonie, je ne trouve pas très rassurant qu'un très grand nombre d'informations concernant chaque citoyen soit ainsi regroupé alors que l'on sait la capacité des hackers à pénétrer les systèmes d'information.
Outre les hackers, il faut aussi penser aux régimes totalitaires, que l'Estonie a connus au cours de périodes récentes. Si un régime totalitaire venait de nouveau au pouvoir dans ce pays, le « tout numérique » pourrait constituer un outil de contrôle des populations d'une très grande puissance. D'un « clic », les gouvernants pourraient accéder à des bases dans lesquelles toutes les informations sur la vie de chaque citoyen sont centralisées. Cela a de quoi faire peur.
Concernant l'acceptation de l'impôt par les citoyens, je pense qu'il est indispensable que tout le monde paie l'impôt, comme ma famille politique l'a toujours soutenu. J'apprécie de voir des pays dans lesquels on perçoit l'impôt de manière positive et non pas négative.
Par ailleurs, la disparition du paiement en espèces signifie également celle du travail non déclaré et pourrait constituer une perspective intéressante.
Je souhaite revenir sur la question du consentement et du consensus autour de l'impôt. Ces pays montrent qu'il est important d'avoir des critères simples et une grande transparence sur les impôts. En outre, aucun parti politique ne fait du niveau d'imposition un enjeu politique lors des élections dans ces États. Il existe bel et bien un consensus sur la nécessité de payer des impôts.