Mesdames les sénatrices, messieurs les sénateurs, je souhaite vous remercier tout d'abord d'avoir créé cette commission d'enquête parlementaire sur la souveraineté numérique et de nous donner la possibilité de partager la vision de Qwant. C'est un sujet structurant pour notre pays, qui doit tous nous réunir.
Nous avons créé Qwant en 2011 et avons enregistré environ 18 milliards de requêtes l'année dernière.
C'est précisément le souci de contribuer à une certaine vision de la souveraineté numérique des Français et des Européens qui nous a poussés, il y a déjà huit ans, à créer le moteur de recherche Qwant. Je vous expliquerai, dans la suite de mon propos, pourquoi un moteur de recherche est indispensable dans une stratégie de souveraineté numérique.
Lorsque nous avons lancé Qwant, Google avait déjà plus de 95 % de parts de marché en Europe. Il générait 40 milliards de dollars de chiffre d'affaires à travers le monde, 30 % de ce chiffre d'affaires étant réalisé en Europe.
De toute évidence, il n'y avait que très peu de gens à cette époque pour croire en une alternative européenne. Tous nous disaient que la bataille était perdue d'avance, qu'il était déjà trop tard pour créer un moteur de recherche européen. Avec mes associés, nous avons pris le contre-pied et fait fi de ces réticences. Nous avons réussi à convaincre suffisamment de partenaires privés pour démarrer et accompagner notre croissance. Ils avaient compris l'importance vitale de la souveraineté numérique pour notre pays.
Après huit ans de travail acharné, j'en vois toujours ici ou là qui semblent espérer notre échec ou tentent de ralentir la construction d'une alternative durable, mais je suis fier de constater que Qwant est aujourd'hui le moteur de recherche choisi par un nombre grandissant de secteurs économiques - PME, mais aussi grandes références comme Safran, Thalès, BNP Paribas, la Caisse d'Épargne, Audiens, le Groupe Nice Matin, le Groupe France Télévisions, la SNCF Transilien, la MAIF, le CNES, le CEA et bien d'autres.
Massivement, dans les territoires, les collectivités font le choix d'une alternative souveraine et éthique. Nous avons été choisis par de grandes métropoles comme Paris, Nice, Rennes, par exemple, des villes petites et moyennes, mais aussi des départements et des régions, comme les Hauts-de-Seine, les Yvelines, l'Ille-et-Vilaine, la Bretagne ou l'Ile de France. Nombreux sont les ministères à avoir adopté Qwant, notamment l'intérieur, l'éducation nationale ou la culture, mais aussi les armées et, prochainement, toute l'administration française, sous l'impulsion du secrétaire d'État au numérique.
Tous ces choix, privés et publics, s'ajoutent aux millions d'internautes qui nous font confiance. Tous nous permettent d'accélérer notre développement, avec un effet très concret : le mois dernier, ce sont 240 millions de visites que nous avons reçues sur Qwant.
Nous avons encore beaucoup de travail à réaliser. Qwant ne serait pas là - et je ne serai pas aujourd'hui devant vous - s'il n'y avait pas eu, en France et en Europe, une véritable prise de conscience des enjeux de souveraineté numérique. Le plus grand nombre a la volonté de retrouver une certaine forme de libre choix et d'indépendance.
La souveraineté, c'est la capacité que nous avons tous, en tant qu'individus, collectivités, entreprises, à prendre librement des décisions. Qwant essaye d'apporter des réponses à deux niveaux de souveraineté numérique.
Le premier, c'est celui de la souveraineté numérique collective, au sens de la capacité de l'État et plus généralement de notre société à rester maître de ses systèmes d'information, dont dépendent des pans entiers de l'activité du pays et de nos actions à l'extérieur. Le second niveau, c'est celui de la souveraineté numérique individuelle, au sens de la capacité de chaque individu à conserver son autonomie quotidienne, sans dépendre d'outils numériques sur lesquels il n'a plus aucun contrôle.
En matière de souveraineté numérique, le rôle du moteur de recherche est fondamental pour garantir une liberté suffisante aux pouvoirs publics, à la société et à l'individu. Il est primordial de comprendre ce qu'est un moteur de recherche, et comment il fonctionne, car nous utilisons tous un moteur de recherche, tous les jours, sans forcément le savoir.
Un moteur de recherche, c'est par définition un outil qui permet de savoir où se trouve l'information recherchée. Au préalable, il faut donc qu'il connaisse le maximum d'informations pour pouvoir répondre à la question qui lui est posée. C'est le rôle de l'index. L'index, en simplifiant à l'extrême, est en quelque sorte la bibliothèque d'Alexandrie.
Pour constituer son index, Qwant envoie des logiciels appelés crawlers, ou indexeurs, qui, simulant l'activité d'un internaute lambda, se promène sur internet, regarde le contenu de la page et en note les changements. Aujourd'hui, l'index de Qwant compte 20 milliards de pages, dont 2 milliards sont visités chaque jour.
Une fois qu'on dispose de l'index, il faut pouvoir effectuer un tri à l'intérieur de cette masse d'informations, afin de faire remonter les résultats les plus pertinents. Ceux-ci viendront fournir les réponses à la question que pose l'internaute. C'est le rôle joué par les algorithmes de tri des résultats. C'est ce qu'on appelle le ranking, ou classement. Chez Qwant, nous avons mis au point nos propres algorithmes de tri. Nous sommes parmi les seuls à détenir des brevets dans ce domaine. Ils prennent en compte des dizaines et des dizaines de facteurs différents, pour déterminer quelle page afficher en premier dans nos résultats, puis en second, etc.
Avec ces deux éléments clés, l'index et les algorithmes de tri, le moteur de recherche utilisé a une influence très importante sur l'information à laquelle on peut accéder et qu'on peut partager. En fonction des contenus qu'il choisit d'indexer ou non, vous n'aurez peut-être pas accès à certaines informations ou, au contraire, verrez des contenus impossibles à trouver chez d'autres, sur lesquels cliquent la très grande majorité des utilisateurs.
Or dans le monde, il n'existe que huit vrais moteurs de recherche grand public qui disposent à la fois de leur propre index du web et de leurs propres algorithmes : Google et Bing aux États-Unis, Naver en Corée du Sud, Yandex en Russie, Baidu en Chine, Seznam en République Tchèque, Yahoo au Japon, et Qwant en France.
Tous les autres sont des méta-moteurs qui utilisent exclusivement les résultats fournis par d'autres moteurs de recherche - la plupart du temps Google ou Bing. Ce sont des interfaces de recherche. La plupart du temps, ils sont installés sur une des infrastructures d'un géant comme Amazon.
Cette différence est décisive. C'est en cela que Qwant est stratégique. Sur le plan de la souveraineté collective, c'est essentiel. Qwant est né du constat du manque total d'indépendance de l'Europe en matière d'accès à l'information à travers les moteurs de recherche. Dans 95 % des cas, quand un Français ou un Européen fait une recherche sur un sujet quelconque, c'est un moteur de recherche étranger qui lui dit où se trouve l'information la plus pertinente de son point de vue. Il est donc intéressant d'avoir un moteur européen et français.
Il s'agit d'un pouvoir d'influence énorme à l'échelle d'un continent. Cela peut avoir de nombreuses répercussions, y compris sur les élections. C'est du jamais vu ! C'est donc un risque majeur pour la souveraineté de la France et de l'Europe.
C'est évidemment la même chose sur les réseaux sociaux ou les plateformes de vidéos. Une très grande partie de notre accès à l'information et au savoir et notre capacité à partager cette information dépend aujourd'hui d'acteurs étrangers, lesquels peuvent avoir les meilleures intentions du monde, mais aussi des intérêts différents des nôtres.
Que se passera-t-il si les États-Unis, demain, décident que Google ne doit plus fournir de résultats en France, filtrent tel ou tel résultat, et coupent le service de messagerie électronique qu'utilisent des millions de Français et d'entreprises ? Cela paraît invraisemblable, mais c'est un peu ce qui s'est passé pour un géant chinois. Du jour au lendemain, les États-Unis ont demandé à Google de rompre son partenariat avec le deuxième constructeur mondial de smartphone, privant ainsi le marché de plus de 200 millions d'appareils par an.
Toutes les informations qu'ils indexent sont très utiles par ailleurs pour d'autres développements fondamentaux. Je pense en particulier à l'intelligence artificielle. On commence à la voir un peu partout. Demain, elle sera omniprésente, aussi bien chez les individus que dans les industries, les administrations, l'armée...
Si nous ne disposons pas d'une capacité à fournir notre propre intelligence artificielle alors qu'elle fait tourner une grande partie de l'économie et contribue au fonctionnement de la société, nous ne maîtriserons plus rien. C'est un risque qui me paraît tout à fait inacceptable.
Pourrons-nous toujours nous offrir le luxe de nous fâcher, même provisoirement, avec un allié avec lequel nous ne sommes pas d'accord, alors que c'est lui qui nous fournit nos moyens de communication, nos informations et notre intelligence artificielle ? Si nous devons craindre que les services numériques dont dépend toute notre économie soient coupés ou bridés, serons-nous vraiment libres de ne pas suivre ce qu'on nous demande de faire ? C'est cela, la souveraineté ! Je pourrais aussi vous parler de la santé connectée, des bases de données médicales et des objets de santé intelligents, ou encore des cryptomonnaies, qui échappent de plus en plus au contrôle régalien.
Je voudrais aussi évoquer le risque que représente un moteur de recherche qui sait ce que nous recherchons et ce que nous consultons. Cela touche la souveraineté individuelle. Ce volet rejoint les préoccupations sur la souveraineté collective.
Comme vous le savez, Qwant a séduit les internautes avec une promesse forte, qui précédait largement le Règlement général de protection des données (RGPD), celle de ne pas collecter les données personnelles des utilisateurs et de donner une vision neutre et panoramique de l'internet. Nous l'avons fait parce que nous avons la conviction que, chaque fois que nous confions nos données personnelles à quelqu'un qui peut les utiliser, nous prenons le risque de perdre un peu plus de liberté.
De même, nous sommes convaincus que notre moteur doit rester neutre et ne pas faire de discrimination selon les sites ou les contenus, ni modifier les réponses selon l'utilisateur.
Sur un moteur de recherche, chaque fois que vous dites ce que vous recherchez, vous révélez ce qui vous intéresse. Vous le dites tout au long de la journée, sur votre ordinateur, votre smartphone, ou même chez vous, le soir, si vous avez acheté une de ces nouvelles enceintes connectées. Si je me souviens de tout ce que vous demandez, au bout de quelques semaines j'ai une idée très précise de qui vous êtes - régime alimentaire, religion, sexualité, santé, opinions politiques. C'est sans fin.
Tout cela, ce sont des informations que Qwant a choisi de ne pas collecter et de ne pas revendre. Nous croyons fondamental de préserver la vie privée et la liberté de l'individu, donc sa souveraineté.
Qwant a été conçu autour du droit à la vie privée, tel qu'il est énoncé dans l'article 12 de la Déclaration universelle des droits de l'homme. Je refuse que mon entreprise puisse exploiter des données qui lui permettraient de trier les résultats de recherche afin d'influencer et de biaiser les informations que reçoit telle ou telle catégorie de la population, ou de permettre à des annonceurs de cibler des personnes selon leur profil.
C'est ce qui s'est passé avec Cambridge Analytica, et c'est le risque que nous courons avec d'autres acteurs. En Europe, avant d'être des consommateurs, les internautes sont avant tout des citoyens. Or les citoyens ont des droits. Il n'a jamais été aussi facile de manipuler une élection en utilisant les biais psychologiques de chacun et en personnalisant l'information affichée, grâce aux données personnelles collectées. Ce n'est pas seulement l'apanage des Russes.
Si un moteur de recherche a accès aux recherches d'une administration, une PME ou une grande entreprise française, il est facile de faire de l'intelligence économique et diplomatique. Il n'y a plus qu'à personnaliser les résultats pour influencer les décisions. Ce sera encore beaucoup plus facile avec le développement des assistants personnels, avec qui on a un rapport de confiance parce qu'ils ont une voix humaine et qui nous parlent comme si nous étions leur ami.
C'est pour cela que Qwant a construit son indépendance technologique, pour permettre à la France et à l'Europe de ne plus dépendre d'un moteur de recherche étranger, et aux individus de conserver leur libre arbitre et l'accès à une information de qualité.
La souveraineté numérique ne se décrète pas. Elle se pense, elle se travaille et se construit avec une vision de long terme. Chez Qwant, nous avons beaucoup investi et nous investissons de plus en plus dans la création de notre propre index et de nos propres algorithmes de recherche. L'objectif pour nous est de ne plus dépendre de plateformes numériques étrangères, pour construire une alternative crédible, assumer notre autonomie stratégique et notre indépendance technologique.
Il serait illusoire de prétendre créer, ex nihilo, en quelques clics et dès le premier jour, un service mondial comparable à de grandes plateformes numériques étrangères. Cela prend beaucoup de temps et d'énergie et nécessite beaucoup d'argent ! Chez Qwant, nous devons faire beaucoup avec peu, et nos utilisateurs et utilisatrices attendent que nous délivrions des résultats pertinents immédiats, des services complets et performants, et un niveau de qualité qui rivalise avec les leaders dont les services sont tout aussi gratuits que les nôtres.
Sans investir des centaines de millions d'euros, le recours partiel mais transitoire à des services fournis par des tiers est par conséquent nécessaire, du moment que cela ne remet pas en cause notre engagement fondamental à propos du respect total de la vie privée et la protection des données personnelles.
C'est ce que nous avons fait, notamment avec Bing, qui nous a permis d'avoir des résultats suffisamment pertinents dès le lancement de Qwant. Sans cela, nous n'aurions pas pu offrir dès le premier jour le niveau de service susceptible de fidéliser nos utilisateurs.
C'est aussi pour cela que nous avons signé un partenariat inédit et innovant avec Microsoft le mois dernier. Jusque-là, tout notre index et tous nos calculs - notamment pour l'intelligence artificielle - étaient réalisés exclusivement sur nos propres serveurs. Désormais, Microsoft met aussi à la disposition de Qwant les capacités additionnelles de son cloud Azure, qui nous permet de stocker beaucoup plus de données dans notre index et d'exécuter des calculs beaucoup plus rapidement, avec une puissance que nous ne pouvons pas égaler aujourd'hui.
Toutefois Microsoft n'a accès à aucune donnée personnelle de nos utilisateurs. Tout est parfaitement cloisonné et étanche. Nous avons justement travaillé avec eux pour trouver un système qui le garantit. Si vous cliquez sur une publicité ou sur un résultat de recherche, nous ne contrôlons évidemment pas ce que les annonceurs ou les éditeurs de sites internet sur lesquels vous allez font de vos données mais, quand vous revenez sur Qwant, nous ne savons pas où vous êtes allé ni ce que vous avez recherché. Pour Qwant, vous demeurez anonyme.
Avec Microsoft, un des géants du numérique, nous pouvons désormais accélérer les choses en France et partout en Europe. Ce partenariat est surtout réalisé conformément à nos exigences et à nos valeurs françaises et européennes. C'est un partenaire industriel et commercial, comme Airbus en a aux États-Unis.
Qwant reste maître de sa technologie, du développement de son algorithme, de son index, de son infrastructure, et demeure soumis au respect de la vie privée de ses utilisateurs. La souveraineté numérique peut compter sur notre appui et sur d'autres entreprises françaises et européennes, qui font de l'excellent travail, comme OVH.
Nous avons encore beaucoup de travail à réaliser. Nous avons parfois pris du retard, ce dont certains profitent d'ailleurs pour nourrir leur entreprise de déstabilisation, à grand renfort de théories du complot. Vous en avez peut-être été destinataires. J'ouvre à ce sujet une parenthèse pour vous dire que nous avons introduit plusieurs recours judiciaires en diffamation et en dénigrement. Je n'en dirai pas plus, puisque des procédures sont en cours, mais ne nous y trompons pas : l'objectif est de démolir nos travaux et notre entreprise.
Il existe un point commun entre toutes ces attaques : ceux qui les relaient refusent systématiquement de s'intéresser à notre travail. Ceci démontre que nous sommes sur la bonne voie et que nous allons y arriver !
Nous savons ce que la France nous a donné, et nous voulons le lui rendre. C'est aussi pour cela que Qwant a choisi d'établir son siège fiscal en France, de créer un moteur de recherche spécialement adapté aux enfants, Qwant Junior, utilisé par dix académies sur dix-sept, de contribuer au financement de la presse ou encore d'aider les causes sociales et environnementales en reversant une part de ses gains aux associations.
Voici notre stratégie et notre contribution concrète à la souveraineté numérique en France et en Europe. C'est dire l'importance d'un moteur de recherche européen éthique, responsable et neutre.
La souveraineté numérique, c'est au fond l'affaire de tous, et je crois que nous y prenons toute notre part. Aujourd'hui comme hier, vous êtes évidemment les bienvenus chez Qwant pour rencontrer nos équipes et voir comment tout cela fonctionne de l'intérieur.
Je me tiens à présent à votre entière disposition pour répondre à toutes vos questions.