Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, le Conseil européen des 20 et 21 juin derniers a permis aux chefs d’État et de gouvernement d’aborder de nombreux sujets. J’ai eu l’occasion d’échanger avec certains d’entre vous avant ce Conseil. Nous avions alors constaté que l’agenda s’annonçait chargé. Les commentateurs ont volontiers retenu la seule question des nominations, en négligeant parfois les avancées importantes que nous avons enregistrées sur d’autres points, sur lesquels je voudrais revenir.
Pour ce qui est des nominations, sujet largement commenté, les chefs d’État ou de gouvernement, lors de leur rencontre informelle du 28 mai dernier, s’étaient accordés sur une ambition commune largement partagée. Il s’agit bien de trouver une équipe reflétant la diversité de l’Union s’agissant de la géographie, de la démographie, du genre et de l’affiliation politique.
Dans la nuit de jeudi dernier, à Bruxelles, les chefs d’État ou de gouvernement se sont mis d’accord sur ce qu’ils ne voulaient pas : la discussion a ainsi permis d’écarter le principe des candidats chefs de file, appelés Spitzenkandidaten, selon lequel les principales familles politiques de l’Union désignent leur candidat pour la présidence de la Commission européenne. Ainsi, le parti réunissant le plus grand nombre de sièges au Parlement obtient mécaniquement la présidence de la Commission.
Toutefois, comme l’a redit le président du Conseil européen, Donald Tusk, à l’issue de la réunion, aucun des trois candidats identifiés par cette procédure – Manfred Weber pour le PPE, Frans Timmermans pour les socialistes et Margrethe Vestager pour le groupe centriste – n’est apparu susceptible d’obtenir une majorité claire au sein ni du Parlement européen ni du Conseil européen.
Par conséquent, une nouvelle réunion des chefs d’État ou de gouvernement aura lieu dimanche prochain pour achever les discussions et présenter une équipe d’Europe pouvant prendre la tête de la Commission, du Conseil, du Parlement et de la Haute Représentation de l’Union européenne. Nous devons considérer cette échéance comme une date butoir, puisque la première session du Parlement européen, au cours de laquelle les députés européens devront élire leur président, se tiendra le 2 ou le 3 juillet.
Comme l’a dit le Président de la République, il s’agit d’un enjeu non seulement de crédibilité, un mois après des élections européennes ayant fortement mobilisé les citoyens, mais aussi de bon fonctionnement institutionnel. N’ajoutons pas de la lenteur à une discussion pouvant s’avérer difficile à suivre pour de nombreuses personnes.
Je tiens à le rappeler, dans ce cadre, la France n’a qu’une seule exigence : il faut parler du projet européen, avec des critères de compétences plutôt que de nationalité. Ce n’est pas une bataille de drapeaux. Si nous nous plaçons sur le terrain de la bataille d’influence nationale, le projet européen ira dans le mur. Il s’agit avant tout d’une bataille de crédibilité, pour que l’Europe puisse peser et prendre des décisions efficaces au cours des cinq prochaines années.
Le futur président de la Commission devra être une personne expérimentée et crédible, qui sera capable d’assumer des missions difficiles de haut niveau à l’échelon national, au sein de l’Union européenne ou à l’égard de ses voisins, puisqu’il y a également fort à faire à cette échelle.
Mais le Conseil s’est également penché, et c’est heureux, sur la nature du projet européen et le programme stratégique 2019-2024. Il ne s’agit pas d’un document de concept. Au contraire, il détermine très précisément les domaines politiques prioritaires sur lesquels l’Union devra concentrer ses efforts au cours des cinq prochaines années. Il dresse donc l’esquisse de la feuille de route du prochain président de la Commission.
Les quatre grandes priorités identifiées dans ce programme ont fait l’objet d’un large consensus parmi les États membres : protéger les citoyens et les libertés ; mettre en place une base économique solide et dynamique ; construire une Europe neutre pour le climat, verte, équitable et sociale ; et promouvoir les intérêts et les valeurs de l’Europe sur la scène mondiale. Ce programme stratégique fixe ainsi un cap clair, qui correspond pleinement aux priorités défendues par la France depuis maintenant plusieurs années, comme en témoignent les interventions du Président de la République et un certain nombre de travaux parlementaires.
Notre pays assumera également une responsabilité particulière au cours de ce nouveau cycle institutionnel, puisqu’il prendra la présidence du Conseil au premier semestre 2022, soit à mi-parcours.
Par ailleurs, comme nous l’avons demandé, le Conseil européen reviendra sur le sujet du programme stratégique en octobre prochain, ce qui lui permettra d’examiner, en concertation avec le futur président ou la future présidente de la Commission européenne, les moyens de mettre en œuvre concrètement cet agenda dans le cadre du programme de travail de la Commission et des feuilles de route des différents commissaires européens.
Les chefs d’État ou de gouvernement ont examiné d’autres sujets prioritaires de l’ordre du jour européen.
La discussion sur le cadre financier pluriannuel 2021-2027 a permis au Conseil de saluer les travaux réalisés sous la présidence roumaine, synthétisés dans la « boîte de négociation », support du futur accord politique, et d’inviter la présidence finlandaise à poursuivre ces travaux et à affiner cette boîte, en présentant des chiffres, similaires ou différents de la proposition initiale de la Commission.
Sur cette base, les chefs d’État ou de gouvernement sont convenus d’avoir un nouvel échange de vues sur ce sujet en octobre prochain, dans la perspective de parvenir à un accord avant la fin de l’année 2019. En effet, pour une mise en œuvre le 1er janvier 2021, il est essentiel de conclure tôt les négociations, afin que les États et les régions puissent ensuite utiliser pleinement les fonds.
Nous avons également engagé des échanges particulièrement intéressants avec l’ensemble des autorités finlandaises. J’ai moi-même rencontré mon homologue très récemment, afin de lui faire part des priorités de la France, de ses inquiétudes et, surtout, de l’état d’esprit dans lequel elle souhaite aborder une discussion budgétaire essentielle.
La discussion sur la lutte contre le changement climatique a donné lieu à des échanges nourris. Si les conclusions sur le climat ne sont pas aussi ambitieuses que nous l’aurions souhaité, les Vingt-Huit ne s’étant pas accordés à reconnaître qu’il fallait atteindre la neutralité carbone en 2050, c’est parce que quatre États membres continuent toujours d’opposer transition climatique et compétitivité de leur appareil industriel et à faire valoir des circonstances nationales pour empêcher de faire de l’Union un véritable chef de file en matière de lutte contre le changement climatique.
Nous aurions en effet souhaité entériner le fait que l’Union présenterait un message unifié lors de la réunion qui se tiendra le 23 septembre prochain à New York, organisée sur l’impulsion du secrétaire général de l’ONU, António Guterres, pour faire un point sur les initiatives prises par les différents pays.
L’objectif de la neutralité climatique de l’Union en 2050 n’a donc pas été inscrit dans le texte des conclusions, mais figure néanmoins dans une note en bas de page. Pour autant, vingt-quatre pays s’y sont ralliés. Nous n’étions que huit au sommet de Sibiu le 9 mai dernier, et seulement quatre au mois de mars. Sur cette proposition, formulée par la France, nous avons donc réussi à rassembler largement.
La problématique du financement a été posée. Nous avons invité la Banque européenne d’investissement à intensifier ses activités en faveur de l’action climatique. Ce point fait écho à la proposition soutenue par la France de créer une banque européenne du climat.
Les conclusions du Conseil européen rappellent également les efforts à fournir pour renforcer la résilience des démocraties face à la désinformation, aux fake news, et améliorer la capacité de réaction de l’Union face aux menaces hybrides et cyber. À la demande de la France, le Conseil a invité les institutions de l’Union européenne, ainsi que les États membres, à œuvrer à des mesures visant à renforcer la résilience et à améliorer la culture de sécurité de l’Union européenne, notamment pour mieux protéger les réseaux d’information et de communication de l’Union, ainsi que ses processus décisionnels, contre les actes de malveillance de tout type. La cyberguerre existe bel et bien, nous pouvons aujourd’hui le constater au Moyen-Orient, et il convient que l’Europe puisse se protéger de ses risques.
Les relations extérieures ont aussi été au cœur de ce Conseil européen, au vu de l’actualité et des priorités de l’Union en la matière.
Le Conseil européen, sur notre initiative, a réaffirmé l’importance du partenariat stratégique de l’Union européenne avec l’Afrique, tout en appelant à le développer davantage. Il a également souligné le caractère essentiel pour l’Union de la stabilité, de la sécurité et de la prospérité des pays de la rive sud de la Méditerranée. Le Président de la République a eu l’occasion de réaffirmer ce dernier point ce week-end, à l’occasion du sommet des Deux Rives, qui s’est tenu à Marseille. La France fera des propositions pour que l’Union européenne renforce son partenariat avec le sud de la Méditerranée.
Le Conseil européen a par ailleurs décidé de renouveler, pour six mois supplémentaires, les sanctions sectorielles européennes appliquées à la Russie. Ces dernières sont non pas une fin en soi, mais un moyen d’encourager le règlement pacifique du conflit au Donbass. Nous n’observons malheureusement à ce stade aucune avancée dans la mise en œuvre des accords de Minsk, qui conditionnent l’allégement de ces sanctions.
Un sommet de la zone euro a été organisé vendredi matin en marge du Conseil européen, en présence de Mario Draghi et Mario Centeno, le président de l’Eurogroupe, dans un format inclusif, c’est-à-dire à vingt-sept, soit avec des pays qui ne sont pas membres de cette zone.
Il a permis de faire un bilan exhaustif de l’accord trouvé lors du conseil Écofin qui s’était tenu la semaine précédente, après l’accord franco-allemand de Meseberg de juin 2018 et l’accord des vingt-sept chefs d’État ou de gouvernement en décembre 2018 pour renforcer et approfondir l’Union économique et monétaire. À cet égard, les chefs d’État ou de gouvernement ont salué les progrès réalisés par l’Eurogroupe sur la révision du traité sur le mécanisme européen de stabilité, qui vise notamment à faciliter l’utilisation de ce mécanisme en cas de crise, et la création d’un instrument budgétaire pour la convergence et la compétitivité de la zone euro. Il s’agit d’une esquisse d’un budget de la zone euro.
Ces accords sont positifs, mais ne sont pas suffisants. Des clarifications doivent encore être apportées, notamment sur la gouvernance et le financement d’un tel budget. Comme nous l’avons dit à plusieurs reprises, il faut un budget de taille suffisante, crédible, doté d’une gouvernance spécifique, un budget qui ne puisse pas être confondu avec une ligne budgétaire des Vingt-Huit.
Enfin, une discussion en format article 50 a été organisée à l’issue du Conseil européen pour évoquer la situation du retrait britannique depuis le sommet du 10 avril. Les vingt-sept chefs d’État ou de gouvernement ont fait part de leur pleine disponibilité pour travailler avec le prochain Premier ministre britannique, tout en rappelant que l’approche de l’Union quant aux négociations restait inchangée : s’il n’est pas envisageable de rouvrir l’accord de retrait, qui reste la seule option pour assurer un retrait ordonné du Royaume-Uni, ils sont prêts à travailler sur la déclaration relative aux relations futures, la fameuse déclaration politique, si la position britannique venait à évoluer à ce sujet.
Sur tous ces sujets, mesdames, messieurs les sénateurs, je serai ravie d’écouter vos observations et de répondre à vos questions.