Intervention de Christophe Jemelin

Mission d'information Gratuité des transports collectifs — Réunion du 25 juin 2019 à 14h10
Table ronde internationale

Christophe Jemelin, membre de la direction et responsable de l'unité Développement de l'offre des transports publics de la région lausannoise :

En Suisse, il n'existe pas de versement mobilité et l'essentiel du financement des réseaux de transport public provient des communes. Au même titre que l'eau ou l'électricité, ces réseaux sont parfois des services communaux. En revanche, il n'existe pas de formule juridique comme la délégation de service public ou la régie.

Je mentionnerai deux gratuités spécifiques :

- Afin de les inciter à renoncer à utiliser leur voiture, les villes de Genève, Lausanne, Bâle, Berne et Montreux offrent aux touristes la gratuité des transports dès lors qu'ils s'acquittent d'une nuit d'hôtel ou de camping. Autrement dit, la gratuité est financée par la taxe de séjour dont ils sont redevables ;

- La ville de Lausanne a mis en place une tarification spécifique en faveur des jeunes. Les enfants résidant à moins d'un kilomètre de leur école peuvent avoir recours à Pédibus, réseau de 25 km de transports collectifs « à pied », guidé par les parents, comprenant 50 lignes et destiné à faire d'une question individuelle - assurer la sécurité de son enfant sur le chemin de l'école - en une question collective - assurer la sécurité des enfants du quartier sur le trajet scolaire. Tous les élèves dont l'établissement est situé à plus d'un km de leur domicile bénéficient de la gratuité des transports jusqu'à leurs 11 ans. Tous les autres enfants et jeunes lausannois de 11 à 20 ans reçoivent un bon de réduction de 50 % pour l'achat d'un abonnement annuel aux transports. Ce système de gratuité ciblée (hors frais administratifs) vise à inciter les jeunes à utiliser les transports publics et à les fidéliser une fois devenus adultes. Il représente également un enjeu environnemental, dans la mesure où il diminue le recours à la voiture des parents. D'un coût de deux millions d'euros par an, il enregistre un fort succès, car il est perçu par les jeunes comme un moyen de rester en contact permanent avec leurs amis sur les réseaux sociaux lorsqu'ils empruntent les transports publics, dont la clientèle s'est rajeunie en conséquence. D'une plus petite taille que Lausanne (140 000 habitants), Fribourg (50 000 habitants) vient de mettre en place un système de même nature.

La gratuité des transports publics correspond à une volonté politique très marquée chez les formations d'extrême gauche... qui laissent au législateur le soin de trouver des recettes de compensation à la part payée par les usagers, comprise entre 40 % et 60 % des dépenses. D'ici un an, une votation sera d'ailleurs organisée dans le canton de Vaud à ce sujet, qui représente un enjeu de 200 millions d'euros par an.

Un financement par les entreprises serait dangereux dans la mesure où il le ferait dépendre de la conjoncture économique. En outre, il encourage la concurrence fiscale entre communes et cantons.

Enfin, je mentionnerai le cas de la commune du Locle, située dans le canton de Neufchâtel, où la gratuité décidée par les élus a été invalidée par les citoyens lors d'une votation, le non ayant obtenu 74 % des suffrages.

Autre exemple à Genève. Là aussi l'extrême gauche avait proposé, en 2008, la gratuité des transports collectifs pour un coût annuel estimé entre 120 et 140 millions d'euros, laissant au Parlement genevois la charge de trouver de nouvelles recettes pour compenser le manque à gagner. Cette initiative a été balayée lors d'une votation par la population, qui a voté contre à 67 %.

Dans les villes de grande taille, les principaux arguments pour le rejet de la gratuité des transports collectifs tiennent au fait que les montants en jeu sont trop importants et que leur perte risque de grever les finances communales, cantonales ou celles des entreprises. Au final, les populations et les dirigeants préfère investir dans l'offre de transports publics. Pour répondre par une boutade à la question « quels financements innovants pour les transports publics ? », j'ai envie de répondre « les recettes apportées par les clients », en développant davantage d'offre.

Pour reprendre l'exemple de Lausanne, on a considérablement développé l'offre et en 10 ans la fréquentation a augmenté de 50 %, et ce sans gratuité, sans péage urbain ni mesure punitive, ce qui a permis de dégager plus de 40 millions de recettes annuelles voyageurs supplémentaires. Ces ressources permettent de régulièrement augmenter l'offre et de faire en sorte qu'elle propose une véritable alternative à l'utilisation de la voiture individuelle.

Ce qui nous inquiète en tant qu'exploitants lorsque l'on regarde la situation des villes françaises qui ont fait le choix de la gratuité - à Aubagne, Châteauroux ou même à Dunkerque - c'est la très grande difficulté à se déplacer après 19 heures, ou après 21 heures grand maximum, donc on ne peut pas vraiment dire que ces villes proposent une alternative à la voiture. Si on ne peut pas faire le dernier déplacement en transport public, on est obligé de faire en voiture également les déplacements du début de la journée et l'impact environnemental n'est pas très positif.

Il y a eu plusieurs séries de votations sur ces sujets entre 2007 et 2010. Depuis, les choses se sont un peu calmé mais le débat revient régulièrement avec les exemples souvent cités de Tallinn et de Luxembourg. Ils sont difficilement transposables tels quels mais on note une certaine agitation dans le contexte de nos élections municipales, en 2020, et de nos élections cantonales, en 2021. Certains partis politiques se positionnent sur ce sujet. Mais la grande majorité des politiques sont convaincus que c'est vraiment l'offre qui fait la différence et pas le tarif.

Pour conclure, nous réalisons régulièrement des enquêtes auprès des personnes qui n'utilisent pas nos services de transport public pour en connaître les raisons. La principale vient du fait de posséder une voiture, puis le fait d'avoir un domicile peu desservi, un lieu de travail peu desservi, des horaires trop compliqués et, enfin, le tarif, qui n'arrive donc qu'en cinquième position et ne représente que 10 % des réponses, sachant qu'elles sont toutes spontanées. À Genève, dans une volonté de favoriser l'accès aux transports publics, l'abonnement annuel est passé de 700 euros à 450 euros et il ne s'est rien passé du tout, à ceci près que les transports publics ont perdu des millions d'euros de recettes. En matière de transports publics, l'élasticité ne marche que dans un sens. Si on augmente les tarifs, les gens le ressentent et on enregistre une légère baisse de 5 à 10 % de fréquentation la première année avant un retour à la normale. En revanche, lorsque l'on baisse les tarifs, il ne se passe rien. Si on ne change pas l'offre, le prix n'est pas considéré comme un facteur déterminant, d'autant que le transport public est vraiment bon marché quand on le compare aux coûts de l'automobile, en particulier dans un contexte de prix de l'essence élevé.

Dernier élément, les enfants entre 6 et 16 ans peuvent voyager gratuitement partout en Suisse avec leurs parents qui ont un titre de transport pour 25 euros annuels. On dit souvent que les transports publics sont beaucoup trop chers pour une famille mais ce constat doit donc être fortement relativisé.

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