Je partage pleinement les constats présentés par mon collègue suisse, lesquels sont scientifiquement démontrés. J'ai mené une étude sur la ville d'Alexandrie dans le Piémont et j'avais posé aux habitants la question de la gratuité. Les personnes interrogées ne m'avaient pas répondu qu'elles utiliseraient davantage les transports en commun s'ils étaient gratuits, mais qu'elles le feraient potentiellement en cas d'amélioration de l'offre. Les nombreuses études que j'ai pu consulter montrent en effet que l'on n'a aucune réaction du public lorsque le prix des transports publics baisse, mais que l'affluence est en revanche très forte lorsque la qualité s'améliore.
En matière de transport, l'année 1997 a marqué un tournant en Italie avec la décentralisation de cette compétence au niveau des régions, laquelle s'est également accompagnée d'importants transferts financiers. Désormais, c'est la région qui organise et gère les réseaux de transport en élaborant des programmes triennaux. Ceux-ci sont ensuite appliqués par les autorités organisatrices des transports (AOT) au niveau des agglomérations. La région répartit les moyens financiers entre ses différents territoires. Par exemple pour la région Piémont, il faut répartir 530 millions d'euros entre les différentes AOT. Cet argent va au transport ferroviaire et aux transports publics locaux. Jusqu'à récemment les critères de répartition de ces financements n'étaient pas clairement définis mais la situation est en train de changer, de sorte que les zones les plus peuplées puissent recevoir davantage de moyens.
La question du service minimum est un enjeu très important pour les transports collectifs en Italie et peut être liée à celle de la gratuité. Seuls les grands principes en avaient été fixés par la loi de 1997, mais pas son application concrète. Ces principes portent notamment sur l'intégration entre les réseaux de transport, les déplacements pendulaires en direction de l'école et du travail, l'utilisation des transports en commun pour l'accès aux services administratifs, les besoins de réduction de la congestion et de la pollution, etc. Malheureusement, cette loi est largement restée lettre morte et la situation ne s'est pas améliorée car l'offre n'est pas montée en qualité. Les coupes budgétaires de 2011 ont pénalisé les régions, et par conséquent les AOT et les exploitants des réseaux de transport. La qualité a continué à se dégrader et nous avons perdu des clients. En plus, l'Italie est le pays qui souffre du taux de fraude dans les transports en commun le plus important d'Europe... c'est une forme de gratuité partielle ! Je plaisante, mais c'est une réalité, la fraude est massive.
Par ailleurs, une loi de 1971 prévoit la gratuité des transports collectifs pour aller à l'école mais elle n'a jamais été mise en oeuvre.
La compétence transport relevant désormais du niveau régional, c'est surtout les lois régionales qu'il convient d'examiner. Dans la région Piémont, une loi de 2000 prévoit que les collectivités territoriales peuvent identifier les bénéficiaires potentiels des réductions tarifaires.
Il existe en Italie très peu de cas de gratuité totale. J'ai principalement trouvé le cas du Trentin Haut-Adige, qui bénéficie d'un statut d'autonomie. C'est l'une des régions les plus riches d'Italie et elle a décidé de mettre en place, à compter de février 2019, la gratuité pour les personnes de plus de 70 ans qui résident dans le Trentin. Ce dispositif devrait coûter cher avec le vieillissement progressif de la population.
Il existe également des accords entre régions et universités pour mettre en place la gratuité des transports pour les étudiants, par exemple ceux entre l'université de Molise et la région du même nom lors de l'année universitaire 2018-2019. Il semblerait toutefois que l'expérience ne soit pas renouvelée en 2019-2020.
La ville de Catane, en Sicile, qui est une région autonome, a décidé de mettre en place la gratuité totale pour tous les étudiants de l'université, à savoir les bus, hormis les lignes pour l'aéroport et la ligne de train qui fait le tour.
Concernant la Lombardie, qui est la région la plus riche de l'Italie, les transports en commun sont gratuits sur toute la région pour les enfants jusqu'à 14 ans s'ils voyagent avec un adulte. Cela incite les familles à se déplacer.
Dans le Piémont, à Bardonèche, petite ville de montagne très touristique, il existe 5 navettes gratuites qui sont payées par la ville. La fréquence est toutefois faible.
S'agissant de la gratuité partielle, à Milan, et d'ailleurs comme dans la plupart des régions, il existe un tarif réduit pour les étudiants de moins de 26 ans (le prix de l'abonnement mensuel est de 22 euros). Par ailleurs, la Milano card, qui permet des voyages illimités sur 24, 48 ou 72 heures, coûte très peu cher. Elle comprend également un tour gratuit avec un chauffeur privé, un transport gratuit de l'aéroport de Linate et des billets à prix réduits pour les autres aéroports.
Dans le Piémont, les maires nouvellement élus sont à l'origine d'une petite révolution. Des mesures ont été prises pour aider les personnes les plus en difficulté à prendre davantage les transports en commun. À Turin, le prix de l'abonnement mensuel dépend de l'ISEE, qui mesure le niveau de revenu (il existe quatre tranches). Les prix sont plus élevés pour les jeunes de moins de 26 ans résidant à Turin, parce que leur abonnement leur donne accès à l'ensemble du réseau urbain et suburbain. Les chômeurs résidant à Turin et inscrits sur les listes du bureau de l'emploi de la ville payent 3 euros pour le contrat, puis 18 euros par semestre. En outre, les mutilés et invalides du travail payent 2 euros d'abonnement mensuel.
Au total, la gratuité n'existe pas en Italie, sauf dans de très rares cas et hormis pour les forces armées et la police, les personnes sans emploi dans les villes et les étudiants dans certaines villes. Ainsi, aux termes d'un accord entre la région et l'école polytechnique de Turin, l'abonnement des étudiants et des chercheurs est gratuit.
Enfin, Milan a décidé d'augmenter les tickets de transport à l'unité à 2 euros afin d'améliorer le service. Même si la gratuité partielle se développe, le prix du ticket augmente, afin de chercher à favoriser l'abonnement.