Intervention de Amélie de Montchalin

Réunion du 3 juillet 2019 à 14h30
Traité sur la coopération et l'intégration franco-allemandes — Adoption d'un projet de loi dans le texte de la commission

Amélie de Montchalin :

Madame la présidente, monsieur le rapporteur et président, mesdames, messieurs les sénateurs, je suis très heureuse de me trouver aujourd’hui devant vous pour débattre de l’autorisation de ratification du traité sur la coopération et l’intégration franco-allemandes, dit traité d’Aix-la-Chapelle.

Permettez-moi, en introduction, de me concentrer sur quelques points qui me paraissent particulièrement importants : ce traité a été signé le 22 janvier dernier, à Aix-la-Chapelle, par la Chancelière fédérale Angela Merkel et par le Président de la République, en présence de nombreuses personnalités de nos deux pays et des présidents du Conseil européen, de la Commission européenne et du Parlement européen.

Ce texte fait suite à la déclaration commune de la Chancelière et du Président de la République du 22 janvier 2018 et à la résolution conjointe, adoptée le même jour, par le Bundestag et par l’Assemblée nationale.

Le lieu retenu pour la signature, c’est-à-dire la capitale de Charlemagne, monarque emblématique de notre histoire commune avec l’Allemagne et une grande partie de l’Europe, est hautement symbolique.

Il en va de même de la date retenue, à savoir le cinquante-sixième anniversaire de la signature du traité de l’Élysée entre le Chancelier Adenauer et le général de Gaulle, et du cadre public, qui témoignent de la place centrale des citoyens dans cette amitié franco-allemande, à laquelle nous sommes tous extrêmement attachés, et du rôle essentiel de cette amitié pour la construction d’une Europe unie, démocratique et souveraine.

Ce texte a une valeur particulière en ce qu’il entend ouvrir une ère nouvelle dans la relation singulière entre nos deux pays. Le traité du 22 janvier 2019 n’abroge pas, mais complète, à de nombreux titres, le traité de 1963.

En 1963, nous étions dans une phase de réconciliation ; en 2019, nous sommes dans une phase de convergence. Ce traité entend tirer les conséquences de l’évolution géopolitique de l’Europe et de la construction européenne au cours des trois dernières décennies.

Ce texte engage donc nos deux États dans une stratégie visant à construire des espaces intégrés couvrant tous les domaines – économique, juridique, fiscal, social, scientifique et culturel. Ces territoires frontaliers ont vocation à devenir des laboratoires européens sans remettre en cause notre ordre constitutionnel.

Dans cet ensemble, plusieurs dispositions méritent d’être mises en exergue.

En ce qui concerne les questions européennes, le traité souligne la volonté des deux parties de travailler de concert à l’unité européenne en formulant des initiatives conjointes et en harmonisant leurs positions nationales respectives, tant pour les affaires internes que pour les relations extérieures de l’Union – les négociations qui viennent de se terminer à Bruxelles illustrent la qualité de la relation franco-allemande pour faire avancer l’Europe.

Cette disposition ne sanctionne pas seulement une pratique existante, elle la rend systématique. Cette méthode a déjà porté ses fruits, comme nous l’avons vu avec la déclaration de Meseberg sur l’avenir de l’Union économique et monétaire ou encore avec la feuille de route conjointe sur la politique industrielle, pour ne citer que ces deux exemples.

Dans cet ensemble, nous prenons également l’engagement de nous coordonner sur la transposition du droit européen dans nos droits nationaux pour éviter les risques de distorsion normative dans l’application du droit européen. Pour parler clairement, nous voulons éviter que des surtranspositions n’entraînent des divergences entre nos deux pays.

Dans le domaine de la sécurité, le traité souligne la solidarité qui lie nos deux pays en cas d’agression contre nos territoires nationaux. Cette clause de défense mutuelle est bien évidemment conforme aux engagements auxquels nous avons souscrit au titre du traité de l’Atlantique Nord et des traités européens, et notamment du fameux article 42-7 du traité sur l’Union européenne. Elle n’en constitue pas moins un symbole fort dans le contexte d’un accord de nature bilatérale.

Ce traité nous appelle également à intensifier notre coopération de défense, à la fois capacitaire et militaire. Cette coopération porte déjà ses fruits, comme le montre la signature du récent accord-cadre entre l’Allemagne, la France et l’Espagne sur le programme de système de combat aérien du futur, ou SCAF, en présence du président de la République, le 17 juin dernier, au salon du Bourget.

Le traité affirme également le soutien de la France à l’entrée de l’Allemagne au Conseil de sécurité des Nations unies en tant que membre permanent. Sur ce dernier point, nous avons toutes et tous entendu beaucoup de fausses informations. Or, face aux fausses informations, rien n’est plus clair que la vérité : la France n’entend absolument pas abandonner son siège au Conseil de sécurité. De même, et je le dis très clairement, nous rejetons toute idée de siège européen, ce qui n’aboutirait, en fait, qu’à affaiblir le rôle des pays européens au Conseil de sécurité.

En revanche, et je le dis tout aussi clairement, nous défendrons l’entrée au Conseil de sécurité d’un nouveau membre permanent, en l’occurrence l’Allemagne, pour y renforcer le poids de notre continent.

Dans les domaines de la culture, de l’éducation et de la recherche, l’Allemagne et la France doivent donner une impulsion à l’effort européen pour faire face à la compétition technologique mondiale, bâtir des synergies entre établissements d’enseignement supérieur, centres de recherche et instituts de formation. L’intelligence artificielle, les énergies renouvelables, la génétique nécessitent, dans leur domaine, un investissement absolument conjoint et fort de l’ensemble de nos chercheurs.

Le renforcement de la coopération régionale et transfrontalière constitue également une disposition importante de ce traité qui vise à favoriser la réalisation de projets transfrontaliers, en particulier en matière économique, sociale, environnementale, sanitaire, énergétique et de transport, le long des 451 kilomètres de frontière que nous partageons avec l’Allemagne.

Je me suis encore récemment rendue dans de nombreux départements transfrontaliers, notamment avec Brigitte Klinkert. J’ai pu sentir à quel point la nécessité de ces projets transfrontaliers était grande et combien ils étaient portés, encouragés et vraiment incarnés par les leaders politiques et par les collectivités locales en France et en Allemagne.

Nous devons ici mesurer le potentiel de développement absolument majeur en termes non seulement économiques, mais aussi humains. La mise en œuvre de cette coopération pourra s’appuyer sur un comité de coopération transfrontalière. Nous travaillons actuellement à finaliser sa composition en cherchant à y inclure des représentants du Parlement et des collectivités locales directement concernées.

De façon plus générale, les régions et l’ensemble des collectivités territoriales contribueront de manière extrêmement importante et décisive, dans le respect de nos spécificités institutionnelles de part et d’autre du Rhin, à la mise en œuvre de ce traité.

Je n’évoquerai pas ici l’ensemble des dispositions de ce texte. En revanche, je crois utile de vous indiquer que nous travaillons d’ores et déjà d’arrache-pied à sa mise en œuvre – si vous en autorisez la ratification – à travers une liste prioritaire de quinze projets concrets allant de la colocalisation de centres culturels dans des pays tiers au développement d’infrastructures de transports transfrontaliers, projets concrets au service des citoyens.

Telle est notre exigence. Il ne s’agit pas de signer du papier, mais de faire en sorte que des projets émergent d’une volonté commune.

Je souhaiterais enfin évoquer la dimension interparlementaire de cette démarche. Le traité d’Aix-la-Chapelle s’inscrit pleinement dans l’esprit de renforcement du dialogue que le Sénat et le Bundesrat portent également dans leur déclaration interparlementaire franco-allemande du 19 mars 2019.

Les négociations qui se sont déroulées du printemps à la fin de l’année 2018 ont d’ailleurs permis de reprendre dans le texte de nombreuses suggestions parlementaires et d’autres, bien évidemment, de la société civile. Cette implication de nouveaux acteurs est en soi une innovation : nous complétons ainsi le dispositif mis en place en 1963.

Plus largement, je crois important que nos deux Parlements soient pleinement impliqués dans ce nouveau chapitre de la coopération franco-allemande.

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