Intervention de Pierre Laurent

Réunion du 3 juillet 2019 à 14h30
Traité sur la coopération et l'intégration franco-allemandes — Discussion générale

Photo de Pierre LaurentPierre Laurent :

Je veux commencer par citer les propos d’une de nos collègues allemandes, Sevim Dağdelen, devant le Bundestag : « Le traité de Merkel et de Macron à Aix-la-Chapelle est un mélange de réarmement et de préparation à la guerre, et traduit une orientation néolibérale et autoritaire au nom de l’amitié internationale. Il mérite que nous y résistions au nom de notre combat pour la paix, la justice sociale et l’internationalisme. »

La critique du traité d’Aix-la-Chapelle résonne donc outre-Rhin. Si j’ai tenu à commencer mon intervention par ces mots, expression d’un courant pacifiste important en Allemagne, qui concourt à protéger la paix depuis plusieurs décennies, c’est parce que je veux placer ma propre critique du traité soumis à notre ratification sous l’angle de la défense des intérêts communs des peuples allemand et français. Je veux d’emblée affirmer, en effet, que d’autres relations entre nos deux pays sont possibles, qu’un autre chemin est envisageable et souhaitable pour nos deux peuples et pour l’Europe.

Je motiverai mon propos en examinant trois points importants du traité : l’appui aux orientations libérales déjà en cours, la remilitarisation des relations entre les deux pays, la mise en cause de notre organisation territoriale.

Ce traité, prétend-on, va relancer l’axe franco-allemand et sauver l’Europe de la crise où elle s’enfonce. Or il ne la sauvera pas, mais continuera à l’enfoncer. Lorsque le traité de Versailles fut signé, Foch disait : « Ce n’est pas une paix, c’est un armistice de trente ans. » Face aux nationalismes guerriers qui menacent aujourd’hui, ce traité n’est pas une relance de l’Europe : il met en musique un approfondissement des logiques à l’œuvre. Avec de telles perspectives, il n’est pas certain que l’Europe tienne encore vingt ou trente ans. Et les nominations annoncées hier, après des jours de tractations peu glorieuses, confirment qu’aucun changement de cap fondamental n’est envisagé, bien au contraire !

Pourtant, un autre chemin est possible pour la France, pour l’Allemagne et pour l’Europe.

Premier point : au libéralisme débridé, nous devrions opposer au plus vite la relance du progrès social en Europe. Le traité d’Aix-la-Chapelle n’en dit rien ; il est tourné vers l’application renforcée de l’ordre, ou plutôt du désordre, libéral, vers l’imposition d’un modèle de compétitivité toujours plus payé par l’abaissement salarial et la précarité. Généraliser, à coups de lois Travail, d’ordonnances Macron, de réformes des retraites et de l’assurance chômage, les recettes qui ont fait tant de mal aux salariés allemands, telles que les lois Hartz IV, les jobs à 1 euro de l’heure ou l’augmentation de la TVA, voilà, en vérité, l’option toujours défendue.

Injustes socialement, inefficaces économiquement, affaiblissant notre industrie, de telles dispositions fragilisent les travailleurs des deux rives du Rhin. Nous devrions emprunter le chemin exactement inverse : par exemple, négocier l’application d’un salaire minimum en Allemagne, au même niveau, au moins, que celui qui existe en France ; mettre en débat l’exemple allemand des banques publiques régionales d’investissement pour imaginer de nouvelles institutions publiques, ici et outre-Rhin, permettant de mobiliser les richesses de nos deux pays, au bénéfice des services publics et de l’écologie ; construire des partenariats mutuellement avantageux de développement économique et de recherche.

La démocratie sociale n’est pas évoquée une seule fois dans le traité. Pourtant, les syndicats allemands et français ont beaucoup à dire. Plutôt qu’un comité d’experts économiques, pourquoi ne pas développer des institutions sociales communes travaillant à l’harmonisation par le haut des droits économiques et sociaux ?

Mes chers collègues, madame la secrétaire d’État, plutôt que de continuer à plagier les solutions libérales du moins-disant social, nous devrions ouvrir ce genre de pistes, novatrices et porteuses d’espoir.

Deuxième point : à la relance des dépenses d’armement et à la remilitarisation de nos relations, nous devrions opposer un chemin résolu de paix, pour que la France et l’Allemagne s’engagent fermement ensemble pour le codéveloppement, la réduction des inégalités, le multilatéralisme, le désarmement international et la paix. À l’inverse, le traité fait la part belle à l’OTAN, poussée au surarmement par les États-Unis de Donald Trump.

Plutôt que d’imbriquer toujours plus nos industries de défense, au risque de notre souveraineté et au seul bénéfice de conglomérats industriels de plus en plus puissants, pourquoi ne pas consacrer les 13 milliards d’euros du Fonds européen de la défense à un fonds commun de développement permettant de lutter plus vite contre les inégalités en Europe et de démultiplier le soutien aux populations les plus pauvres de la planète ? Pourquoi ne pas plaider pour une démocratisation générale des Nations unies, plutôt que de se limiter au seul soutien à l’accès de l’Allemagne au Conseil de sécurité ? Pourquoi ne trouve-t-on, dans ce traité, aucune initiative franco-allemande pour relancer l’initiative internationale en faveur du désarmement, qui fait tant défaut dans ce monde si dangereux ?

Oui, nous refusons d’importer toujours plus d’outre-Rhin un alignement stratégique et opérationnel prioritaire sur l’OTAN ! Oui, nous refusons d’imposer à l’Allemagne les largesses françaises en matière d’exportations d’armes ou d’éviction des parlementaires des décisions prises en la matière ! Un traité novateur impliquerait l’engagement de nos deux pays dans un cadre multilatéral pour de nouvelles et grandes initiatives de paix. Tout cela est absent du traité.

Une dernière remarque sur l’organisation territoriale : les dispositions du traité, qui paraissent séduisantes, ne répondront ni aux ambitions de solidarité transfrontalière ni aux aspirations à plus de démocratie locale.

Les eurodistricts prévus précèdent en vérité le droit à la différenciation, dont vous souhaitez la mise en œuvre en France, et qui lui-même préfigure la généralisation des dérogations aux droits sociaux, des délocalisations et la mise en concurrence accélérée des territoires.

Une perspective ô combien plus moderne aurait pu consister, par exemple, à créer des fonds publics d’investissement communs et transfrontaliers, des circuits courts pour les productions locales, des guichets uniques bilatéraux destinés à faciliter la vie des frontaliers, et à développer des infrastructures de transport.

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