Intervention de Jean-Noël Guérini

Réunion du 3 juillet 2019 à 14h30
Traité sur la coopération et l'intégration franco-allemandes — Discussion générale

Photo de Jean-Noël GuériniJean-Noël Guérini :

Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, qui aurait pu imaginer, dans les décombres de la guerre, en 1945, que la France et l’Allemagne parviendraient à dépasser leur opposition séculaire pour sceller une profonde amitié ?

En effet, à un destin longtemps lié par la guerre et la haine s’est substitué un horizon fait de paix et de projets communs.

De déclarations en actes fondateurs, en passant par des gestes symboliques, nombreuses sont les initiatives qui ont permis de forger les liens qui font aujourd’hui du couple franco-allemand une évidence que nul ne peut contester.

La fameuse déclaration de Robert Schuman, en 1950, avait ouvert le temps de la réconciliation. Schuman avertissait : l’Europe ne saurait s’édifier sans la France et l’Allemagne réunies.

Quant au temps de la coopération, c’est bien entendu le traité de l’Élysée qui l’engage, en 1963, sous l’impulsion du général de Gaulle et de Konrad Adenauer, avec des objectifs en matière d’affaires étrangères, de défense et d’échanges culturels.

Pour ce qui est, enfin, de l’œuvre de consolidation de cette entente entre la France et l’Allemagne, elle fut marquée par des gestes forts. Je ne citerai que le plus connu : François Mitterrand et Helmut Kohl, main dans la main, à Verdun, en 1984.

À l’époque, la logique de guerre froide est toujours sous-jacente aux rapports internationaux, tandis que l’Europe s’enlise. Aussi cette gestuelle fraternelle n’est-elle pas uniquement symbolique ; elle fait l’histoire, montrant au monde qu’il y a, entre les deux grandes puissances, la communauté européenne.

Mes chers collègues, c’est parce que la coopération franco-allemande a permis une relation pacifiée que tout ce qui peut contribuer à la favoriser mérite d’être soutenu.

Le nouveau traité signé le 22 janvier dernier à Aix-la-Chapelle suppose toutefois que les actes et les paroles suivent les bonnes intentions, ce qui ne se vérifie pas toujours.

Il est d’ailleurs des décisions prises par la Chancelière et des propos tenus par des membres de son gouvernement qui – disons-le franchement – écornent quelque peu certaines des ambitions contenues dans le traité.

S’agissant déjà du chapitre 1er, consacré aux affaires européennes, que dire du vœu de « prises de parole coordonnées », parfois négligé à des moments politiques importants ?

Prenons un exemple récent : si les nominations aux postes clés des institutions européennes – certains diraient aux « top jobs » – sont enfin arrêtées, force est de constater qu’elles ont été très mal engagées. Tout le monde, depuis soixante-douze heures, applaudit ; certains ont la mémoire courte ! Cette réalité bien regrettable, nous la devons en grande partie aux atermoiements franco-allemands affichés au lendemain des élections européennes. Et le plan Timmermans, préparé en marge du G20 à Osaka, est malheureusement intervenu trop tard dans ce marasme européen.

Au regard des indécisions franco-allemandes, on s’interroge sur la capacité des deux États à relever ensemble les défis qui s’annoncent dans des domaines substantiels relevant de la puissance de l’Union européenne.

Saura-t-on conserver tout son sens à l’article 4 du traité, qui prévoit l’élaboration d’une approche commune en matière d’exportation d’armements ?

Au chapitre 2, il est question d’une forte ambition commune, notamment dans le domaine industriel de la défense.

Il est donc important de ne pas affaiblir ce volet de la coopération, comme l’a très justement rappelé l’ambassadrice de France en Allemagne, dans une brillante tribune dont je vous recommande la lecture – elle y souligne la « tentation du German free ».

Les industriels des deux rives ont besoin de clarté, comme l’a rappelé le président Cambon, surtout dans la perspective du programme de construction de l’avion du futur, le SCAF, ou dans celle du projet terrestre MGCS, visant à remplacer les chars de combat.

Je ne reviendrai pas sur la polémique déplacée qui s’est développée autour du siège de la France au Conseil de sécurité de l’ONU, si ce n’est pour me réjouir que le traité d’Aix-la-Chapelle précise l’objectif d’un siège pour l’Allemagne.

J’évoquerai brièvement, pour finir, l’article 20, qui fixe des priorités en matière économique.

Il y est question de la coordination régulière des politiques économiques, et en particulier de l’institution d’un conseil d’experts qui se penchera sur le principe de convergence. Sur ce point également, il est important que les partenaires soient réellement responsables des engagements pris et les respectent.

Je pense en particulier aux progrès que nous devons réaliser en matière de convergence fiscale ou sociale, pour mettre fin aux situations de dumping entre pays européens. Je rappelle d’ailleurs, avec plaisir, que l’Allemagne est l’un des derniers pays à avoir créé un salaire minimum légal.

C’est ainsi que nous avancerons ensemble.

En 1984, François Mitterrand s’adressait en ces termes au président de la République fédérale d’Allemagne : « Nous attendons beaucoup de vous. Vous attendez beaucoup de nous. Souvent, les déceptions suivent de près les espérances, mais le parti de l’espérance reste le plus fort. Nous ne pouvons progresser qu’ensemble. »

En conséquence, madame la secrétaire d’État, nos rapports avec Berlin doivent reposer sur la confiance, la transparence et la solidarité.

S’inscrivant dans cette approche positive, le groupe du RDSE approuvera le projet de loi, car, malgré tout, comme on a pu le voir lors du sommet de Meseberg, le couple franco-allemand continue d’apparaître comme une vraie force d’entraînement pour la construction européenne.

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