Intervention de Jean Bizet

Réunion du 3 juillet 2019 à 14h30
Traité sur la coopération et l'intégration franco-allemandes — Discussion générale

Photo de Jean BizetJean Bizet :

Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, à l’instar de M. le président de la commission des affaires étrangères, je me réjouis de la nomination des différents titulaires des postes clés de l’Union européenne. Je pense notamment à la présidence de la Commission européenne, avec Mme Ursula von der Leyen, et à celle de la Banque centrale européenne, avec Mme Christine Lagarde. Ce tandem, dans les deux sens du terme, nous permettra d’espérer le retour d’une dimension franco-allemande à la tête de l’Europe. Je regrette moi aussi l’absence de Michel Barnier dans l’architecture communautaire au regard de l’importance de son engagement sur le dossier du Brexit et pour la refondation de l’Union européenne.

Depuis l’acte fondateur qu’a constitué le traité de l’Élysée, la haine héréditaire que se vouaient réciproquement la France et l’Allemagne s’est progressivement muée en amitié indéfectible, à tel point d’ailleurs que le lien privilégié qui unit nos deux pays peut parfois nous apparaître comme une évidence.

Si je me réjouis que cette perception traduise l’immense succès qu’a été la réconciliation entre nos deux nations, il me semble toutefois que la relation franco-allemande est trop importante pour être regardée avec des œillères, fussent-elles bienveillantes.

Or, bien que notre coopération bilatérale bénéficie toujours d’une densité et d’une profondeur sans pareilles, il nous faut bien constater que, depuis plusieurs années déjà, la dynamique du couple franco-allemand semble quelque peu marquer le pas. C’est alors, par voie de conséquence, le cœur même de la construction européenne qui se trouve ainsi frappé d’essoufflement. Bien sûr, l’équilibre des forces a changé et l’axe franco-allemand ne peut plus tenir dans une Europe élargie un rôle aussi prépondérant que par le passé. Mais il n’en reste pas moins que, sans son impulsion, rien ou presque d’ambitieux ne peut se faire en Europe.

Les enjeux du rapprochement franco-allemand dépassent donc largement nos deux pays. Ils concernent l’ensemble du continent, même s’il faut naturellement se garder de donner à nos autres partenaires le sentiment d’une relation qui se voudrait exclusive ou, pire, hégémonique.

Le contexte actuel doit cependant nous conduire à nous débarrasser de toute pudeur excessive en la matière. L’Europe reste à la croisée des chemins, les forces populistes et nationalistes continuent malheureusement de prospérer et le Brexit n’est toujours pas derrière nous. Elle doit s’atteler d’urgence à sa refondation pour regagner enfin la confiance des peuples. Pour ce faire, elle devra notamment apporter des réponses crédibles et collectives aux défis internationaux tels que l’exacerbation de la compétition commerciale, économique ou technologique, la montée des tensions géopolitiques ou les enjeux environnementaux et climatiques.

Dans ces conditions, la responsabilité particulière de la France et de l’Allemagne est évidente. Il était donc essentiel de conjurer le spectre d’une panne durable du moteur franco-allemand et de prendre une initiative visant non seulement à lui donner un nouveau souffle, mais également à réaffirmer son engagement et son ambition pour l’Europe.

Le traité signé le 22 janvier à Aix-la-Chapelle s’inscrit dans cette perspective. C’est la raison pour laquelle le groupe Les Républicains se prononcera en faveur de sa ratification.

Je me félicite notamment de ce que ce traité développe des objectifs ambitieux en matière d’intégration économique et de coopération militaire. Permettez-moi néanmoins de formuler quelques réserves quant aux résultats à attendre dans ces deux domaines éminemment stratégiques.

En effet, si le traité d’Aix-la-Chapelle énonce des principes, des intentions ou des ambitions, qui ont d’ailleurs pour la plupart déjà été formulés dans le cadre européen, il n’esquisse pas le chemin que Paris et Berlin entendent suivre pour dépasser les nombreux blocages qui empêchent actuellement leur réalisation.

C’est le cas en matière économique. Nous le savons tous, un fossé s’est creusé entre les deux économies, accentuant le déséquilibre désormais profond de la relation franco-allemande. Ce déséquilibre, qui pèse sur la relation de confiance entre nos deux pays, porte en lui les germes d’un découplage politique et stratégique mortifère.

Emmanuel Macron semblait l’avoir compris, lui qui affirmait pendant sa campagne présidentielle vouloir « regagner la confiance de l’Allemagne » en réalisant des réformes structurelles et en assainissant les finances publiques. Pourtant, force est de le constater, malgré ces engagements, la France peine plus que jamais à enclencher une dynamique qui lui permettrait de commencer à combler réellement la divergence qui s’est installée avec notre partenaire.

Dans ces conditions, l’objectif d’une convergence économique, budgétaire, sociale et fiscale franco-allemande et, plus largement, européenne, que nous soutenons résolument, risque de demeurer longtemps un vœu pieux, et les projets français de renforcement de l’Union économique et monétaire, seulement soutenus du bout des lèvres par nos amis allemands, une vue de l’esprit.

C’est vrai également en matière stratégique. Nos amis allemands doivent, me semble-t-il, comprendre qu’ils ne pourront différer encore longtemps le moment où ils devront assumer leurs responsabilités sur la scène internationale. M. le président de la commission des affaires étrangères l’a souligné encore plus nettement que moi.

Bien sûr, je n’ignore pas que les mentalités ont commencé à évoluer sur ce sujet outre-Rhin, mais aussi que l’Allemagne ne pourra pas s’aligner du jour au lendemain sur la posture française ou endosser le rôle aujourd’hui tenu par le Royaume-Uni dans la coopération stratégique et opérationnelle en matière militaire.

Je me réjouis par ailleurs que la France et l’Allemagne soient engagées dans des coopérations industrielles majeures en matière de défense, tout en regrettant les nombreuses incertitudes qui pèsent encore sur les projets communs.

Mais Berlin doit entamer sa mue stratégique et sortir de son statut de puissance exclusivement civile, sans quoi l’idée même d’une Europe, je n’ose dire puissance, mais tout au moins capable de défendre ses intérêts de manière autonome, restera lettre morte.

Je regrette d’ailleurs que cette ambition, alors même qu’elle semble peu à peu prendre corps à l’échelon européen, en matière tant militaire que commerciale ou industrielle, soit assez largement absente du texte paraphé par le Président de la République et la Chancelière allemande.

La signature du traité d’Aix-la-Chapelle a suscité des réactions nombreuses et pour le moins contrastées. Elle a en particulier déclenché une véritable avalanche de fake news, dont la plupart prêteraient franchement à sourire, si toutefois elles n’avaient reçu un si large écho et, surtout, si elles n’illustraient pas une forme de délabrement du débat public, dont nous sommes malheureusement de plus en plus souvent témoins.

À la vérité, ce traité ne mérite ni cris d’orfraie ni enthousiasme démesuré. Il s’agit d’un jalon indéniablement important dans l’histoire de la relation franco-allemande, d’une impulsion nécessaire à un moment décisif de la coopération bilatérale et européenne.

Cela exigera comme toujours, mais peut-être plus que jamais que, des deux côtés du Rhin, chacun soit prêt à se remettre en question et à évoluer. Chacun devra en particulier être prêt à entrer pleinement dans le XXIe siècle : la France en assumant les exigences de la compétitivité économique imposées par la mondialisation, et l’Allemagne en assumant les responsabilités qu’imposent les bouleversements du contexte géostratégique.

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