Intervention de Franck Riester

Réunion du 3 juillet 2019 à 14h30
Droit voisin au profit des agences et éditeurs de presse — Adoption en deuxième lecture d'une proposition de loi dans le texte de la commission modifié

Franck Riester :

C’est vous, cher David Assouline, qui avez lancé ces travaux en permettant de travailler sur un texte de transposition par anticipation, texte que le Sénat a adopté à l’unanimité : d’abord en commission de la culture, de l’éducation et de la communication, en particulier grâce au travail de la présidente de celle-ci, Catherine Morin-Desailly ; puis en séance publique, en première lecture. Cet esprit de consensus, cette volonté d’aller de l’avant ont été les vôtres depuis le début, je ne les oublie pas. Vous avez, chacune et chacun, fait preuve d’un esprit constructif, et je vous en remercie.

C’est ce même esprit constructif qui a conduit, à l’Assemblée nationale, le groupe Modem – je remercie chaleureusement, son président, le député Patrick Mignola – à inscrire sur le temps de la niche parlementaire qui lui est réservée cette proposition de loi. L’ensemble de la majorité et d’autres groupes ont adopté ce texte.

C’est un magnifique symbole de travail entre les deux chambres du Parlement et avec le Gouvernement, au service de l’intérêt général. C’est ce dont nous avons besoin aujourd’hui. C’est ce que nos concitoyens attendent de nous, j’en suis convaincu.

Il faut arrêter de s’opposer sur tout quand les sujets nous rassemblent. Il faut savoir s’affranchir des appartenances partisanes et faire prévaloir l’intérêt général. Il faut savoir débattre, trouver des points d’accord et construire ensemble des solutions pérennes. Avec le présent texte, mesdames, messieurs les sénateurs, vous montrez que c’est possible ; vous prouvez que le cœur de nos préoccupations, ce qui prime sur tout le reste, c’est l’intérêt de nos concitoyens, c’est l’intérêt du pays. Il est toujours important de le rappeler, d’en apporter la preuve.

Vous l’avez également prouvé à la fin du mois de mai dernier lors de l’examen du projet de loi réformant la loi Bichet, autre texte fondamental pour la presse. Je veux remercier ici son rapporteur, cher Michel Laugier.

Cet esprit constructif qui a prévalu dans les débats nous a permis d’améliorer sensiblement la proposition de loi initiale.

À l’Assemblée nationale, d’abord, puisque les travaux des députés en première lecture ont permis d’amender le texte que vous aviez adopté, afin qu’il corresponde au texte définitif de la directive. Cela impliquait d’adapter les dispositions proposées, notamment sur la question de la durée de protection des droits à propos de laquelle nous n’avons pas de marge de manœuvre. Et les députés ont également procédé à des ajouts qui me paraissent essentiels.

Pour ce qui concerne la rémunération des journalistes, je tiens à saluer l’adjonction de l’adjectif « équitable », pour la qualification de la part du droit voisin qui doit revenir à ces professionnels. Il est essentiel que les journalistes et les autres auteurs puissent bénéficier d’une part de la rémunération qui sera versée par les plateformes au titre du droit voisin. C’est une question d’équité et un message à l’attention des éditeurs et des agences, afin de cadrer les futures négociations.

Une précision importante a été apportée également quant au déroulement des négociations entre, d’une part, les agences et les éditeurs et, d’autre part, les journalistes. Si aucun accord n’est trouvé dans les six mois, une commission administrative paritaire aura quatre mois pour faire aboutir la négociation par la voie de la médiation. À défaut, elle fixera elle-même la part appropriée et les modalités de répartition entre les ayants droit.

Je tiens également à saluer le point d’équilibre atteint sur la question essentielle de la transparence. Pour assurer l’effectivité du droit voisin, il est indispensable que les plateformes fournissent les éléments d’information relatifs à l’utilisation des publications des éditeurs et agences de presse, pour permettre à ceux-ci d’évaluer de manière transparente la rémunération qui leur est due.

Ce texte a ensuite été amélioré lors de son retour devant votre commission de la culture, mesdames, messieurs les sénateurs. Je veux vous remercier de ces travaux. Je salue tout particulièrement la présidente de la commission et le rapporteur de ce texte. Vous avez précisé la notion de « publication de presse » en explicitant que les photos et les vidéos devaient être considérées comme telles. C’est un point particulièrement important.

Vous avez conforté la situation des agences de presse s’agissant de la protection de leurs productions en reconnaissant leur rôle spécifique en tant que fournisseur de contenus d’information. Vous avez clarifié les conditions de la négociation collective de la part du droit voisin revenant aux auteurs non salariés d’œuvres présentes dans les publications de presse. Vous avez enfin précisé certains éléments qui seront pris en compte pour déterminer la rémunération perçue au titre de ce droit.

Le texte que vous examinez aujourd’hui prévoit que la fixation de la rémunération prendra notamment en considération « les investissements humains, matériels et financiers réalisés par les éditeurs et les agences de presse, la contribution des publications de presse à l’information politique et générale et l’importance de l’utilisation des publications de presse par les services de communication au public en ligne. »

Cette rédaction a pu susciter l’inquiétude d’une partie des éditeurs de presse, laquelle craint en particulier de voir la presse spécialisée ou la presse magazine exclue du droit voisin.

Je sais que l’objectif lors du dépôt de l’amendement adopté en commission n’était nullement d’exclure telle ou telle famille de presse du bénéfice de ce droit, exception faite de la presse scientifique et universitaire, explicitement exclue par la directive. En effet, nous partageons la même conviction : ce droit appartient à tous les éditeurs de presse, sans aucune distinction.

Afin d’expliciter davantage cette position, David Assouline a déposé un nouvel amendement sur le texte de la commission que nous examinerons tout à l’heure et qui vise à préciser plusieurs principes. La « contribution […] à l’information politique et générale » est évidemment un critère important dans le calcul de cette rémunération. Nul éditeur ne sera exclu de ce droit. Tous les critères mentionnés n’ont pas à être remplis ; toutefois d’autres peuvent être pris en compte.

Dernière précision importante : le texte mentionne la « contribution » des publications de presse à l’information politique et générale, l’IPG. Il va donc bien au-delà des seules publications ayant la qualification de presse IPG telle que reconnue par la Commission paritaire des publications et agences de presse, la CPPAP.

Cela étant, j’invite les titulaires du droit voisin à faire preuve, comme pour la négociation du texte, d’un esprit d’unité et de solidarité. Un tel esprit nous sera indispensable pour permettre l’effectivité du droit voisin et obtenir une rémunération équitable de la part des grandes plateformes numériques. Celles-ci vont chercher à diviser les éditeurs, comme elles l’ont fait par le passé en Allemagne et en Espagne.

Or ceux qui croient pouvoir partir négocier auprès d’elles en ordre dispersé se leurrent. C’est en négociant collectivement, sans nier leur diversité, mais sans divisions internes, que les éditeurs et agences de presse mettront toutes les forces de leur côté pour faire appliquer ce nouveau droit.

Cependant, soutenir la presse, ce n’est pas seulement assurer sa pérennité économique – nous y contribuons, avec la création du droit voisin –, qui est fondamentale, mais pas suffisante. C’est aussi lui permettre de garantir les conditions d’exercice de sa liberté, notamment en protégeant la loi de 1881, et en retissant le lien de confiance entre les Français et les médias.

Concernant la loi de 1881, je ne suis personnellement pas favorable à une modification de son texte. C’est la loi garante de la plus précieuse de nos libertés : la liberté d’expression, dont il est vrai que les réseaux sociaux permettent d’abuser. L’injure, la diffamation, la provocation à la haine y sont monnaie courante. Certains s’y protègent derrière la lâcheté de l’anonymat. Ne nous y trompons pas : c’est quand la responsabilité cède du terrain que la liberté s’amenuise, jamais l’inverse !

Les réflexions en cours dans le cadre de l’examen de la proposition de loi soutenue par la députée Laetitia Avia ou dans le cadre des réflexions plus larges lancées par la garde des sceaux visent à apporter une réponse spécifique aux délits d’injure et de diffamation lorsqu’ils sont commis sur internet.

Ces travaux vont dans le sens d’une plus grande responsabilisation des plateformes numériques et d’un renforcement de leur devoir de coopération avec les pouvoirs publics. Faut-il pour autant sortir l’injure et la diffamation de la loi de 1881 et de son régime procédural spécifique, garant de la liberté d’expression ? Je suis très clair : je ne le crois pas !

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